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Full text of "Les grandes chroniques de France, selon que elles sont conservées en l'église de Saint Denis en France. Publiées par Paulin Paris"

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HISTOIRE 


/  >7 


\ 


DE 


FRANGE. 


PARIS.  —  IMPRIMERIE  DE  BETHUNE  ET  PLON  , 

36,  rue  de  vaiigirard. 


LES 


GRANDES   CHRONIQUES 

DE  FRANCE, 

SELON   QUE   ELLES   SONT   CONSERVÉES 

EN  l'Église  de  saint-dénis 

EN   FRANCE. 

z>irsE,i££s  w>Am.  m.  wjits^tst  spahis, 

DerAcadcniic  royale  des  Inscriptions  et  P>elles-Iiettros. 

TOME  CINQUIÈME. 


PARIS. 

TECHENER,    LIBRAIRE 

12,   PLACE   DU   LOUVRE. 
1837. 


i  0  i  6  n 


De 


CI    COMENCE   L'ISTOIRE  AU    ROY 
PHELIPPE,  FILS  MONSEI- 
GNEUR   SAINT 
LOYS. 


I. 

Cornent   le  roy  de   Sccile  frère    saint    Lojs  vint  en  l'ost  des 
crestiens, 

(1)  Nous  avons  du  bon  roy  Loys,  de  louenge  digne,  exposé 
au  mieux  que  nous  poons  les  fais  et  la  grant  bonté  qui  estoit 
en  luy  ,  si  comme  il  trespassa  de  cest  siècle  au  chastel  de 
Cartilage.  Si  est  nostre  propos  de  exposer  les  fais  Phe- 
lippe  son  fds  qui  estoit  digne  de  honneur  et  de  louenge. 
Jasoit  ce  qu'il  ne  fust  pas  lettré ,  estoit-il  doux  et  débon- 
naire envers  les  prélas  de  saincte  églyse  ,  et  vers  tous  ceux 
qui  convoitent  le  sei'vice  Nostre-Seigneur.  Et  si  comme 
son  père  estoit  en  Aufrique  devant  la  cité  de  Tunes  ]  à 
grant  ost  de  nobles  hommes  et  puissans  qui  grant  pro- 
pos avoient  de  bien  faire,  et  la  foy  nostre  Sire  essaucier  par 
les  bonnes  exemples  qu'il  véoient  en  luy  ,  avint  qu'il  tres- 
passa ,  et  que  le  royaume  vint  à  monseigneur  Phelippe  son 
fds  à  gouverner ,  en  l'an  de  l'incarnacion  mil  deux  cens 
soixante  et  dix. 

La  nouvelle  ala  parmi  l'ost  que  le  roy  estoit  mort ,  si  en 

(1)  La  vie  de  Philippe  III  est  presque  cnlicrement  duc  à  Guillaume  de 
Nangis,  qui  la  composa  en  lalin  et  sans  doute  en  françois,  comme  il  avoii 
fait  son  histoire  générale.  Mais  il  arrive  souvent  que  le  texte  françois 
modiûc  le  texte  latin,  et  que  l'auteur  ne  reproduit  pas  exactement  laménie 
idée.  (  Voy.  Ducliesiic,  lom.  v,  p.  5t(i.  Ccsta  Philippi  lertif.) 

TOM.    V.  1 


2  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

fu  moult  troublé  le  peuple.  Mais  il  n'en  faisoit  mie  moult 
grant  semblant  en  appert ,  que  ceux  de  Tunes  ne  s'apper- 
ceussent  de  cel  dommage  qui  leur  estoit  avenu.  Si  comme 
il  estoient  en  tel  point,  il  apperceurent  la  navie  au  roy  de 
Secile  qui  venoit  najant  à  force  de  gent  par  mer  :  si  com- 
manda (1),  quant  on  devroit  prenre  terre  ,  que  on  sonnast 
trompes  ,  buisines  et  araines ,  si  que  son  frère  le  saint  roy 
et  les  barons  fussent  lies  et  esbaudis  de  sa  venue. 

Si  comme  le  ix)y  de  Secile  prenoit  son  port ,  si  se  mer- 
veilla  moult  pourquoy  les  gens  de  l'ost  estoient  si  mat  et  si 
pesans,  et  qu'il  ne  luy  firent  point  belle  cbière  ;  car  en 
l'beure  que  il  issy  de  sa  navie,  son  frère  mist  liors  l'esperit 
à  Dieu.  Et  il  demanda  à  aucuns  que  ce  povoit  estre?  et  il 
luy  fu  dit  que  son  frère  le  loy  de  France  se  mouroit,  et  que 
il  se  hastast  tost ,  et  que  on  ne  cuidoit  point  qu'il  le  peust 
trouver  en  vie.  Quant  le  roy  de  Secile  oï  la  nouvelle,  si  se 
pourpensa  et  averti  que  se  il  faisoit  semblant  dé  douleur  et 
de  tristesse  ,  que  la  compaignie  de  l'ost  s'en  pourroit  trop 
forment  esmaier  et  espoventer  et  chéoir  en  désespérance  ; 
et  se  les  Sarrasins  s'en  appercevoient,  il  leur  donroit  matière 
d'assaillir.  Pour  ceste  chose  il  fit  la  meilleure  cliière  et  la 
plus  lie  à  ceux  qu'il  encontra  ;  et  si  vint  aussi  liement  en 
l'ost  comme  se  il  venist  à  une  noce  ,  et  se  hasta  moult  de 
venir  à  son  frère  ,  si  le  ti'ouva  tout  chaut ,  car  son  esperit 
estoit  tout  maintenant  issu.  Tout  maintenant  que  il  vit  son 
frère  deffiné  ,  il  se  mist  à  genoux  et  recommanda  l'ame  de 
son  frère  ,  en  depriant  Nostre-Seigneur  que  il  eust  l'ame 
de  luy  ;  et  luy  coururent  les  larmes  des  yeux. 

Adonc  si  se  pourpensa  que  c'est  nature  de  femme  de 
plorer  ,  si  se  dreça  et  regarda  entour  luy  tout  aussi  ferme- 
ment comme  se  il  ne  luy  en  fust  à  riens.  Lors  après,  com- 

(1  j  Commanda.  Le  roi  de  Sicile  commanda. 


(1270.)  PHELIPPE  IH.  3 

manda  que  le  corps  fust  api'esté  et  conroié  et  oingt  de  pré- 
cieux oingneinens  :  ceux  à  qui  il  fu  coiuniandé  le  niistrent 
et  appareillèrent  si  comme  l'en  devoit  faire.  Quant  il  fu 
oingt  et  appax'eillié ,  le  roy  Charles  demanda  les  entrailles  à 
monseigneur  Pliellppe  son  nepveu  ;  si  les  fist  porter  comme 
sainctes  reliques  en  Secile,  et  les  fist  mettre  en  une  abbaye 
de  l'ordre  de  Saint-Cenoist  assez  près  de  Païenne  (1),  qui  est 
nommée  Mont  royal.  Les  ossemens  furent  mis  en  vin  écrin 
moult  bien  embasmé ,  en  riches  draps  de  soie  ,  avec  grant 
foison  d'espices  souef  flerans,  et  furent  gardes  bien  et  chiè- 
rement ,  tant  qu'il  furent  aportés  à  Saint-Denys  en  France  , 
là  où  le  bon  roy  avoit  esleu  sa  sépulture ,  avec  les  anciens 
roys  de  France  qui  y  reposent.  Et  donna  moult  de  biaux 
joiaux  au  temps  qu'il  vivoit  à  l'églyse  Saint-Denys  ,  si 
comme  coiu'onne  d'or  et  riches  aournemens  et  précieux,  et 
conferina  tous  les  privilèges  que  ses  devanciers  avoient  don- 
nés à  la  devant  dicte  églyse. 

II. 

Cornent  Guj  de  Baussoyfu  pris  des  Sarrasins. 

Tantost  que  le  service  du  bon  roy  fu  dit  et  célébréj  le  roy 
de  Secile  fist  tendre  ses  trefs  par  devers  la  mer ,  loing  de 
l'ost  de  France  par  l'espace  d'une  petit  liue  ,  et  avoit  bien 
quatre  milles  entre  l'ost  de  France  et  la  cité  de  Tunes.  Si 
estoient  les  Sarrasins  coustumiers  chascun  jour  de  venir 
paleter  en  l'ost,  etlançoient  et  traioient  sajettes  et  javelos. 
Les  François  qui  gardoient  l'avant  garde  et  deffendoient 
l'ost,  que  les  Sarrasins  ne  se  férissent  en  l'ost  soubdainement, 
occioieut  assez  de  Sarrasins  quant  il  les  povoient  de  près 

(1)  Païenne.  Je  ne  sais  comment  Dunangc  {observations  sur  Joinville) 
a  pu  dire  que  Nangis  auroit  dû  écrire  Sulcme ,  prés  de  laquelle  cloil 
Munlrcal.  La  vérité  c'est  que  Montréal  est  en  Sicile,  près  de  Palcrme. 


4  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

encontrer,  si  comme  ilcouroient  de  çà  ou  de  là;  aucunes  fois 
de  costé  ,  aucunes  fois  devant,  aucunes  fois  en  trespassant  ; 
et  estoient  les  François  moult  lies  quant  il  povoient  joindre 
à  eux.  Aussi  faisoient  les  SaiTasins  :  quant  il  povoient  en- 
contrer  trois  ou  quatre  ou  dix  ou  douze ,  dessevrés  de  la 
compaignie  des  autres ,  il  les  occioient  ;  mais  se  il  en 
véissent  cent  ou  deux  cens  qui  venissent  à  eux,  maintenant 
il  tournassent  en  fuie. 

La  manière  des  Sarrasins  est  telle  qu'il  ne  font  fors  que 
les  gens  esmouvoir  en  jectant  et  en  lançant  javelos  ;  et  quant 
il  voient  que  les  gens  sont  tous  près  de  combatre  ,  il  tour- 
nent en  fuie.  Une  journée  avint  que  les  Sarrasins  appro- 
chièrentbien  près  descrestiens,  et  leur  jettèrent,  souvent  et 
menu  ,  dars  et  javelos  ,  et  en  navrèrent  aucuns.  Pour  ceste 
chose  s'esmui-ent  aucuns  nobles  chevaliers,  si  comme  Guy  de 
Baussoy  (1)  et  Hue  son  frère,  et  aucuns  bons  combateurs,  et 
se  férirent  es  Sarrasins ,  et  Sarrasins  sailliient  sus  d'un  agait 
où  il  estoient  muciés  ;  si  enclostrent  Guy  de  Baussoy  et  Hue 
son  frère.  Mais  il  firent  avant  moult  grant  occision  de  Sarra- 
sins et  grant  mortalité  :  si  ne  porent  estre  rescous ,  car 
c|uant  la  noise  fu  encommenciée  et  ceux  de  l'ost  le  sorent , 
si  coururent  aux  armes  pour  eu.x  aidier  et  issirent  hors  et 
passèrent  les  fossés  qui  estoient  entr'eux  et  les  Sarrasins. 
Soubdainement  un  vent  se  leva  grant  et  horible  avec  grans 
estourbeillons  qui  le  sablon  et  la  poudre  leva  contremont  eu 
l'air  ,  et  féri  les  François  parmi  les  ieux  et  les  avugloit  tous, 
si  que  il  ne  savoient  chemin  tenir.  Quant  les  Sarrasins  vi- 
rent le  vent  estre  contraire,  si  prisrent  paeles  et  autres  ins- 
trumens ,  et  le  sablon    levèrent  contremont  pour  mieux 

(1)  Guy  de  Baussoij.  «  Guido  de  Bauceio.  »  Ces  chevaliers  étoient  pro- 
vençaux ou  arjgonnuis.  I,e  pape  Mailiii  IV,  dans  une  de  ses  lettres,  cite 
Hugues  de  Baucey,  ou  Baucci,  comme  l'un  des  principaux  barons  du  roi 
d'Aragon.  (Voy.  Duchesne,  t.  v,  p.  878.) 


(1270.)  PHELIPPE  III.  5 

avugler  les  François  et  empeschier  ;  si  que  à  celle  journée 
il  ne  porent  riens  fahe ,  mais  retournèrent  dolens  et  cour- 
rouciés,  pour  ce  qu'il  ne  porent  rescourre  Hue  de  Baussoy  et 
ses  conipaingnons. 

III. 

Cornent  le  roy  de  Secile  issi  à  bataille  contre  Sarrasins  et  en 
occisl  trois  mille  sans  ceux  qui  furent  noies. 

Autre  fois  avint,  environ  l'eure  de  prime,  que  Sarrasins 
s'armèrent  et  vindrent  bien  près  des  tentes  aux  François  ; 
et  commencièrent  à  traire  et  à  lancier  en  courant  à  mont  et 
à  val,  de  costé  et  de  travers  ,  selon  leur  usage,  pour  es- 
mouvoir  à  combatre.  Et  estoient  si  grant  nombre  que  à 
paine  les  povoit-on  nombrer  ;  et  il  couvrirent  toute  la  terre 
de  toutes  pars ,  et  s'espandirent  partout ,  ainsi  comme  s'il 
voulsissent  tout  prendi"e  et  acouveter  (1);  et  sonnèrent  tim- 
bres et  tabours,  et  démenèrent  grant  noise  et  grant  ton  :  par 
tels  tons  et  par  tels  noises  cuidièrent  espoventer  les  François. 

Quant  les  François  virent  leur  contenance,  si  coururent 
sus  aux  armes  ,  désirans  de  joindre  à  eux  et  de  combatre  , 
et  issirent  des  tentes,  et  s'espandirent  parmi  le  plain  champ. 
Quant  Sarrasins  virent  tant  de  belle  gent  venir  contre  eux 
si  bien  armés  et  si  bien  atournés  ,  si  se  doubtèrent  à  com- 
batre à  gent  de  si  grant  vertu,  et  tournèrent  en  fuie  sans  cop 
férir. 

Le  roy  de  Secile  qui  loing  estoit  logié  d'eux  ,  issi  hors 
de  ses  héberges ,  et  avec  luy  les  nobles  combateurs  de  sa 
compaignie ,  et  les  suivi  de  loing  en  costoiant.  Quant  il  lu 
près  d'eux  ,  si  fist  semblant  de  fouir  en  alaxit  au  devant  , 

(1)  AcomtUr.  Couvrir.  Nous  avons  gardé  dans  un  sens  analogue,  couver. 

1. 


6  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

ainsi  comme  s'il  ne  les  osast  attendre  ,  et  fouy  bien  par 
l'espace  d'un  mille  ;  et  les  autres  le  commencièrent  a  enclia- 
cier  à  coite  (1)  d'esperon.  Quant  le  roy  ot  foui,  si  fist  signe  de 
retourner  à  ses  hommes ,  et  ceux  qui  bien  l'entendirent  si 
retournèrent  et  enclostrent  les  Sarrasins  ,  et  se  férirent  en 
eux  ainsi  comme  le  loup  entre  les  brebis,  les  glaives  entre 
les  poings  et  les  espées  et  les  coustiaux  d'acier.  Si  eu  tuèrent 
tant  que  la  trace  en  estoit  grant  parmi  le  champ ,  et  sembloit 
que  ce  feussent  moutons  qui  gcussent  mors  emmi  le  champ; 
et  crioient  et  muioient  en  leur  languaige  moult  horrible- 
ment. 

A  ce  poindre  furent  occis  trois  mille  Sarrasins  par  nom- 
bre ,  sans  ceux  qui  saillirent  en  la  mer  et  se  noièrent  :  les 
autres  qui  s'en  fouirent  tresbuchièrent  es  fosses  qu'il  avoient 
faictes  au  sablon  et  couvertes ,  pour  faire  tresbuchier  les 
ci'estiens  ,  qu'il  ne  porent  eschiver;  né  ne  leur  en  souvenoit, 
pour  la  grant  paour  qu'il  avoient  de  mourir  ,  et  le  sablon  et 
le  sanc  qui  les  féroit  parmi  les  ieux  leur  tolloit  à  veoir  le 
chemin  qu'il  dévoient  aler.  Ainsi  se  vengièrent  les  crestiens 
de  leur  ennemis  par  le  sens  et  par  la  cautelle  au  roy  de 
Secile. 

IV. 

Du  chastel  de  fiisl  que  le  voy  fi  si  J aire  pour  les  Sarrasins  affa- 
mer dedens  la  marine. 

Les  Sarrasins  de  Tunes  avoient  fichiés  leur  tentes  et 
leur  paveillons  droit  à  l'encontre  des  héberges  des  François, 
et  estoient  loing  l'un  de  l'autre  par  l'espace  de  quatre  milles. 
Si  estoient  les  Sarrasins  par  devers  Tunes,  si  avoit  entre 
la  cité  et  les  Sarrasins  rigort  (2)  de  mer  et  iaue  de  mer  cou- 

(1)  Coke.  Pointe. 

(2)  Hicjord.  Golfe. 


(1270.)  PHELIPPE  III.  7 

rant  qui  s'en  aloit  en  traversant  par  devers  les  montagnes. 
Né  ne  povoient  venir  à  Tunes  sans  passer  outre  à  navie, 
car  le  fleuve  y  estoit  large  et  parfont  pour  ce  que  l'iaue  de  la 
mer  chéoit  dedens.  Et  quanqu'il  failloit  et  estoit  nécessaire 
en  l'est  des  Sarrasins  venoit  parmi  ce  fleuve  de  la  cité  de 
Tunes,  si  c|ue  les  Sarrasins  n'avoient  point  de  souffraite  de 
viandes  né  de  nulle  chose. 

Les  François  s'assemblèrent  ensemble  et  prisrent  conseil 
cornent  il  pourroient  empeschier  le  passage  par  où  viande 
venoit  aux  S  rrasins,  ou  du  tout  tollir  ;  si  que  les  San-asins, 
se  il  pooient,  ne  peussent  illec  demourer  né  tenir  siège.  Si 
assemblèrent  grant  foison  de  bois  et  de  merrien  ;  quant  il 
f u  assemblé ,  si  fu  devisé  que  on  feroit  un  chastel  grant  et 
large ,  si  que  il  peust  estre  dedens  sergens  d'armes  preux 
et  hardis  qui  bien  viguereusement  lançaissent  et  tréissent 
et  jectassent  sus  les  javelos  aux  Sarrasins ,  si  que  il  les 
peussent  despecier  et  tollir  la  viande  qui  leur  venoit  de 
Tunes.  Et  sur  le  rivage  de  la  mer,  par  dehors,  estoient  ar- 
balestriers  et  autres  sergens  pour  deff'endre  le  chastel ,  et 
avoient  galies  toutes  prestes  pour  entrer  plus  avant  en  la 
mer  toutes  fois  que  mestier  en  seroit. 

Quant  il  orent  ainsi  ordenné  leur  besoigne ,  le  roy  Phe- 
lippe  manda  son  charpentier  qui  moult  se  savoit  entremet- 
tre de  telle  besoigne ,  et  luy  commanda  qu'il  féist  un  chastel 
hastivement  ;  et  celluy  fist  son  commandement ,  et  apresta 
galies  bien  armées  et  moult  bien  appareilliées  ,  et  y  fist  en- 
trer grant  foison  de  sergens  preux  et  hardis ,  avec  moult 
grant  foison  de  avirons ,  et  couruient  parmi  la  mer  contre 
leur  ennemis  ,  et  pristrent  tous  les  vaissiaux  qui  portoient 
la  viande  aux  Sarrasins,  et  aucuns  en  tresbuchoient  et  plun- 
geoient  en  la  mer.  Le  chastel  (1)  eust  esté  fait  et  acompli 
en  pou  de  temps  se  il  ne  fussent  accordes  ensemble. 

(1)  Le  chasid  de  fusl  ou  de  bois. 


8  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

V. 

Du  roy  de  Tunes,  cornent  il  vint  contre  François. 

Si  comme  le  roy  de  Tunes  estoit  en  tel  point ,  il  manda 
secours  et  aide  aux  autres  Sarrasins  ;  si  assembla  roy  et 
admiraux  et  autres  princes  qui  luy  vindrent  en  secours. 
Quant  il  ot  ainsi  assemblé  tant  de  Sarrasins  comme  il  pot 
avoir  ,  si  se  conseilla  en  quelle  manière  et  coment  il  pour- 
roi  t  les  François  destruire,  ou  chacier  hors  de  son  pays.  Si 
luy  fu  conseillié  qu'il  alast  sur  eux  à  bataille  rangiée,  si  les 
espoventeroit  né  n'oseroient  demourer  quant  il  verroient  sa 
puissance.  Si  se  levèrent  bien  matin  et  s'armèrent  de  toutes 
armes  selon  leur  usage  et  leur  guise  ;  et  amenèrent  avec 
eux  tout  leur  povoir  et  toute  leur  force ,  à  pie  et  à  cheval , 
à  bataille  rengiée. 

Et  quant  il  approchièrent,  il  commencièrent  à  glatir  et 
visler  à  haute  voix ,  et  à  menacier  François  en  leur  lan- 
gaige  ,  et  sonner  trompes  et  buisines  et  autres  divers  instru- 
mens  ;  et  s'eslargirent  parmi  le  champ ,  pour  ce  que  les 
François  Guidassent  qu'il  fussent  sans  nombre  et  si  grant 
foison  que  il  ne  peussent  à  eux  durer  ;  et  faisoient  trop  ma- 
lement  graut  semblant  qu'il  voulsissent  bataille. 

Quant  ceux  qui  gardoient  l'ost  virent  celle  gent  venir  ,  si 
commencièrent  à  crier  parmi  l'ost  :  .Aux  armes  !  pour  la  force 
de  Tunes  qui  vient  sur  nous.  Tantost  coururent  aux  armes 
François  et  les  autres  nacions  qu.i  avec  eux  estoient ,  et  ves- 
tirent  leur  haubers ,  et  lacièrent  leur  ventailles  ,  et  montè- 
rent à  cheval  les  lances  es  poings ,  les  escus  à  leur  cols ,  et 
prisrent  leur  enseignes  de  diverses  couleurs.  Le  roy  de 
France  se  arma ,  le  roy  de  Sccilc  ,  le  roy  de  Navuire,  et  les 


(1270.)  PHELIPPE  m.         .  9 

ducs  et  les  contes  et  les  autres  barons  de  l'ost  ;  et  issirent  de 
leur  héberges  bien  et  liardiement ,  et  se  rengièrent  parmi  le 
cliamp  et  ordenèrent  leur  batailles  si  comme  il  dévoient 
aler.  Ne  doubtoient  riens  fors  que  Sarrasins  ne  s'en  fouis- 
sent sans  coup  férir  et  sans  lancier  en  aucune  manière ,  et 
mistrent  les  arbalestriers  au  devant  et  les  gens  de  pie ,  et 
ordenèrent  après  qui  seroit  premier ,  et  qui  second  et  qui 
tiers,  selonc  ce  qu'il  leu^r  sembloit  bon  et  prouffitable  à  aler 
contre  leur  ennemis. 

Et  pour  ce  que  les  Sarrasins  ne  venissent  de  costé  ou 
d'autre  part ,  aux  héberges  et  aux  tentes ,  il  laissièrent  le 
conte  d'Alençon  ,  frère  le  roy  de  France  ,  avec  toute  sa  gent 
et  le  maistre  de  l'Ospital.  L'oriflambe  saint  Denys  fu  con- 
tremont  dreciée ,  dont  sorent  bien  certainement  François 
que  c'estoit  certain  signe  de  combatre  à  leur  ennemis ,  s'il 
ne  fuioient. 

Quant  les  Sarrasins  virent  l'ost  des  crestiens  si  noblement 
armé  et  si  richement ,  si  en  furent  moult  esbahis ,  et  orent 
si  grant  paour  que  il  s'enfuirent  à  leur  tentes  et  à  leur  pa- 
veillons  au  plus  tost  que  il  porent ,  né  ne  furent  oncques  si 
hardis  qu'il  osassent  illec  demourer,  ains  s'en  passèrent  oul- 
tre,  jusques  à  la  cité  de  Tunes  de  tels  en  y  ot  (1).  Et  quant 
les  François  virent  ce  ,  si  firent  crier  en  l'ost,  de  par  le  roy 
de  France ,  que  nul  ne  fust  si  osé  qui  tendist  la  main  au 
gaaing  ,  jusques  à  tant  qu'il  sauroit  la  couvine  des  Sarrasins 
et  leur  estât,  et  qu'il  eust  souverainne  victoire  ;  car  aucvmes 
fois  avoient  esté  déceus  les  crestiens  ;  quant  il  couroient  à. 
gaaing  ,  leur  ennemis  les  espioient  tant  qu'il  estoient  trous- 
sés ,  puis  leur  couroient  sus  et  les  occioient  à  leur  volenté. 

Le  roy  de  France  et  les  barons  passèrent  tout  oultre 
parmi  les  tentes  aux  Sarrasins ,  et  les  chacièrent  tant  qu'il 

(Ij  De  tels  en  y  ot.  Il  y  en  eut  même  qui  retournèrent  jusqu'à  Tunis. 


10  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

les  embatirent  tous  es  montaignes.  Le  roy  de  France  et  les 
autres  barons  virent  les  montaignes  hautes  et  périlleuses , 
si  ne  vouldrent  plus  aler  avant  pour  les  armes  pesans  et 
pour  le  travail  des  chevaux  ,  et  pour  aucuns  aguais  qui  po- 
voient  estre  es  repostailles  des  montaignes  ;  si  se  mistrent 
au  retour ,  et  s'en  vindrent  parmi  les  tentes  aux  Sarra- 
sins,  et  fu  commandé  que  quiconques  vouldroit  aler  au 
gaaing ,  qu'il  y  alast  tantost  :  les  gens  à  pié  et  les  auti'es 
assaillirent  les  jîaveillons  et  les  tentes  ;  et  prisrent  quan- 
qu'il  trouvèrent  dedens  ,  bœufs ,  moutons  ,  pain  et  farine  , 
et  moult  d'autres  choses  proufti tables. 

Et  aussi  trouvèrent  des  Sarrasins  malades  et  enfermes 
qui  ne  povoient  fouir  amsi  comme  faisoient  les  autres  ;  si 
les  tuèrent  et  puis  boutèrent  le  feu  dedens  les  paveillons  ; 
si  ardirent  quanqu'il  estoit  dedens  demouré,  et  néis  (1)  les 
Sarrasins  qu'il  avoieut  tués  furent  tous  ars.  Les  Sarrasins 
qui  s'en  estoient  fouis  vii'ent  le  feu  en  leur  paveillons ,  si 
furent  moult  embrasés  de  courroux  et  de  ire  ,  meismement 
pour  ce  qu'il  savoient  bien  que  leur  amis  estoient  tous  ars 
et  destruis  et  afolés.  Quant  les  crestiens  orent  tout  ars  et 
destruit,  si  s'en  retournèrent  droit  à  leur  héberges  rengiés  et 
serrés,  dolens  de  ce  qu'il  n'avoient  eu  point  de  bataille. 


VL 

Des  clu'erses  maladies  qui  at'indrcnt  en  tosl  des  crestiens. 

Grand  pestilence  de  moult  grans  maladies  commença 
parmi  l'ost  des  crestiens.  Les  uns  avoient  dissintère ,  les 
autres  agites  et  continues  fièvres ,  les  autres  estoient  enflés  , 

(I)  Kéis.  Même. 


(1270.)  PHELIPPE  III.  11 

les  autres  niouvurent  soubdainement ,  et  les  autres  qui 
eschapoient  estoient  si  langoureux  qu'il  ne  se  povoient  res- 
sourdre  (1)  né  aidier.  De  ceste  pestilence  se  douloient  moult 
les  Sarrasins  aussi  comme  les  crestiens  ou  plus,  et  gisoient 
comme  pourceaux  tous  i^asmés  et  tous  mors  en  leur  héber- 
ges ;  et  les  autres  mouroient  de  mort  soubdaiunement  pour 
la  grant  corruption  de  l'air. 

Quant  le  roy  (2)  vit  courre  ceste  pestilence  parmi  son  ost, 
il  se  départi  de  son  ost,  et  puis  se  muça  ensoubs  terrines  pour 
escbiver  celle  grant  pestilence  qu'il  ne  perdist  la  vie.  Les 
anciens  Sarrasins  qui  estoient  esprouvés  en  esperience  ,  di- 
soient que  l'air  estoit  corrompu  des  cliaroignes  des  clie- 
vaulx  et  des  gens  mors  cjui  gisoient  sur  la  marine ,  tous 
corrompus  et  tous  puans.  Ainsi  comme  le  roy  de  Tu- 
nes vit  celle  pestilence  et  celle  grant  mortalité  de  sa 
gent ,  et  avec  ce  que  crestiens  en  avoient  occis  une  grant 
partie ,  si  ne  sut  que  faire  né  que  dire  né  coment  il  pour- 
roit  durer  contre  si  grant  gent.  Si  se  conseilla  à  sa  gent, 
nieismement  à  ceux  qu'il  cuidoit  estre  plus  sages ,  et  leur 
requist  et  demanda  qu'il  pourroit  faire  ,  né  coment  il  se 
pourroit  délivrer  des  François  qui  luy  avoient  son  pais  gasté, 
et  sa  gent  occise  ?  si  luy  fu  conseillié  qu'il  mandast  au  roy 
de  France  que  volen tiers  pacefieroit  à  luy  en  aucune  ma- 
nière souffisamment ,  ou  par  trièves  ou  autrement. 

Adonc  prist  le  roy  de  Tunes  message ,  et  luy  com- 
manda qu'ils  alast  au  roy  de  France  et  luy  dist  que  vo- 
lentiers  s'accorderoient  à  luy  et  aux  autres.  Le  message 
s'en  tourna  et  vint  en  l'ost  et  monstra  signe  qu'il  estoit  mes- 
sager :  si  luy  fu  envoie  un  messager  cjui  bien  savoit  parler 
arable.  Si  luy  demanda  le  message  à  qui  il  estoit,  et  il  luy 

(1)  Ressourdi-e.  Relever. 

{'2)  Le  roij.  Le  roi  de  Tunis.  —  Ensoubs  lerriues.  Cavernes, 


12  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

disl  qu'il  estoit  messager  le  roy  de  Tunes ,  et  luy  dist 
tout  son  message  et  qu'il  queroit.  Le  message  le  mena  à  la 
court  le  roy ,  et  fist  entendant  au  roy  et  aux  autres  barons 
qu'il  vouUoit  dire. 

Le  roy  de  France  regarda  qu'il  ne  pooit  pas  faire  grant 
proufFit  de  demourer  en  ce  pais  ,  pour  ce  meismement  que 
les  Sarrasins  ne  le  voulloient  attendre  à  bataille  ,  et  ne 
finoient  de  glatir,  d'abaier  ainsi  comme  chiens,  et  ne  fai- 
soient  que  travaillier  sa  gent ,  et  puis  s'en  fuioient  contre- 
mont  les  montaignes.  De  rechief  il  regarda  que  s'il  pre- 
noit  la  cité  de  Tunes  par  force ,  que  il  convendroit  que  il 
y  laissast  de  ses  barons  et  de  son  peuple  grant  partie ,  et  que 
tuit  cil  qui  demourroient  seroient  en  péril ,  car  il  seroient 
avironnés  de  toute  pars  de  leur  ennemis ,  et  que  son  est  en 
seroit  moult  amenuisié  ;  meismement  que  son  propos  estoit 
d'aler  oultreen  Surie ,  et  de  combatre  aux  Sarrasins  que  il 
y  trouveroit,  et  délivrer  la  des  ennemis  de  la  foy  crestienne. 
Si  fu  accordé  de  tout  le  plus  des  barons  que  la  cité  feust 
destruicte,  et  tous  les  Sarrasins  occis  que  l'en  pourroit  trou- 
ver partout  le  pais. 

A  ce  ne  s'accorda  point  le  roy  de  Secile  né  le  roy  de 
ISavarre  né  assés  d'autres  barons  ,  pour  la  grant  foison  des 
besans  d'or  qu'il  en  dévoient  avoir,  si  comme  le  menu  peuple 
murmuroit,  et  (1)  que  le  roy  de  Secile  ne  s'accordoit  pas 
à  la  paix  fors  pour  ce  que  il  eust  son  treu  que  la  ville  de 
Tunes  luy  devoit,  et  luy  avoit  détenu  à  paier  de  moult  long 
temps.  Ainsi  disoit  le  menu  peuple  qui  ne  savoit  mie  co- 
rnent on  devoit  esploitier  de  telle  besoigne. 

(1)  Et  ([lie.  C'csl-à-dirc  :  Et  ce  menu  peuple  ajoutoit  que,  etc. 


(I27i).)  PHELIPi'E  111.  ,3 


yii. 


De  la  paix  du  roy   de  France   et    du  roy  de    Tunes  et  des 
trici>cs. 

Moult  fu  le  roy  de  France  en  grant  pensée  en  quelle 
manière  il  s'accorderoit  au  loy  de  Tunes  :  si  luy  fu  conseillié 
qu'il  préist  les  trièves  en  manière  de  paix.  Si  fu  en  telle 
manière  accordé  cjue  le  roy  de  Tunes  rendroit  et  délivre- 
roit  tous  les  despens  que  le  roy  de  France  et  ses  barons 
avoient  fait  en  la  voie ,  eu  fin  or  pur ,  et  que  les  trièves 
seroient  tenues  fermement ,  sans  point  entrelaissier  jusc|ues 
à  dix  ans.  Avec  tout  ce,  il  fu  accordé  que  tous  les  marchéans 
qui  par  mer  passeroient,  s'il  arrivoient  au  port  de  Tunes  , 
ou  se  le  vent  les  y  aportoit ,  ou  s'il  trépassoient  environ  soji 
pais  ,  que  il  trespasseroient  fi-ancliement  sans  riens  paier  ; 
car  avant  ce ,  les  marcliéans  estoient  en  si  grant  servitute 
qu'il  leur  convenoit  paier  la  disième  partie  de  quancju'il 
avoient  au  port  de  Tunes.  Avec  ce ,  il  fu  devisé  et  accordé 
que  le  roy  de  Tunes  rendroit  le  treu  au  roy  de  Secile  si 
comme  ses  devanciers  avoient  fait  et  rendu  chascun  an,  sans 
faillir. 

En  la  cité  de  Tunes  avoit  moult  grant  foison  de  cres- 
tlens ,  et  avoient  leur  églyses  toutes  prestes  et  édifiées 
où  s'assembloient  pour  faire  le  service  de  Nostre-Seigneur  ; 
si  comme  frères  de  l'ordre  saint  Dominique  et  autres  ,  assés 
aussi  comme  marcliéans  et  pèlerins  et  trespassans ,  si 
comme  gens  s'espandent  parmi  le  monde.  Tantost  comme 
le  roy  de  Tunes  sot  la  venue  au  roy  de  France  ,  il  les  fist 
tous  prendre  et  mectre  en  prisons  diverses  et  villaines  : 
ctpromist  le  roy  de  Tunes  cjue  tantost  il  seroient  délivrés, 

2 


14  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

et  deniourroient  au  pais  franchement  sans  nulle  servitude 
de  nulle  riens.  Les  convenances  susdictes  furent  octroiées  , 
escriptes,  jurées  et  affermées,  d'une  part  et  d'autre,  au  miex 
que  l'en  pot  et  que  l'en  sot,  et  délivra  le  roy  de  Tunes  grant 
masse  de  fin  or  en  paiant  de  la  somme  qui  estoit  octroiée. 
Adonc  fu  paix  criée  parmi  l'ost ,  et  commandé  que  nul 
ne  féist  mal  aux  Sarrasins  sur  la  vie  perdre.  Quant  la  paix 
fu  asseurée ,  aucuns  des  Sarrasins ,  riches  hommes ,  vin- 
drent  veoir  la  contenance  des  François  et  des  autres 
crestiens ,  et  se  merveillèrent  moult  des  nobles  hommes 
armés  et  du  grant  atour  qu'il  avoient,  et  des  richesses  qui 
estoient  en  l'ost  :  si  se  humilièrent  moult,  et  offrirent  leur 
services  et  leur  viandes  et  autres  choses  ,  se  mestier  en 
avoient  eu  l'ost.  Puis  que  paix  fu  faicte,  le  roy  de  France  et 
ses  barons  ne  vouldrent  plus  demourer,  si  prisrent  conseil 
quelle  part  il  iroient  :  si  regardèrent  que  il  ne  povoient 
point  bien  accomplir  leur  pèlerinage  en  manière  que  ce 
fust  prouffit  ;  meismement  que  leur  gent  estoient  trop  fai- 
bles et  tous  langoureux  des  maladies  qu'il  avoient  eues  de- 
vant Tunes  ;  et  si  estoit  le  légat  mort  qui  les  devoit  adre- 
cicr  et  mener  en  la  Saincte  Terre.  Et  espéciaument  cpie  le 
roy  avoit  eu  mandement  par  certains  messages ,  de  par 
monseigneur  Simon  de  Neele,  garde  du  roiaume  de  France, 
et  de  par  messire  Mathieu  ,  abbé  de  Saint-Denis  en  France, 
que  il  se  hastast  de  i-evenir  en  sa  terre.  Et  quant  il  seroit  < 
resvertué  et  reconforté  et  revenu  en  santé ,  si  pourroit  son 
veu  et  son  pèlerinage  accomplir  et  retovuner  en  la  Saincte 
Terre. 


(1270.)  PHELIPPE  Iir.  15 


VIII. 


Cornent  François  se  pnrlirenl  de  Tunes  et  entrèrent  en  mer ,  et 
de  la  grant  tempes  te  où  il  péril  tant  de  gens  et  tant  de  nefs. 

Quant  il  orent  prins  conseil  ensemble  si  fu  commandé 
que  la  navie  fust  aprestée  et  que  on  y  portast  tout  le 
liai'nois  et  tout  ce  que  mestier  leur  avoit.  Dont  se  mistrent 
les  maistres  notonnieis  à  leur  nefs  quiestoientsur  le  port  de 
Cartage,  là  où  la  royne  de  France  estoit  à  tout  grant  foison 
de  nobles  dames.  Si  appareillèrent  grand  foison  de  nefs 
de  mas  et  de  gouvernaulx ,  et  se  dôsancrèrent.  Le  roy 
Phelippe ,  et  le  roy  Thibaut  de  Navarre  ,  et  messire  Alfons 
conte  de  Poitiers ,  et  messire  Pierre  conte  d'Alencon ,  et 
messire  Robert  conte  d'Artois ,  l'évesque  de  Lengres  et 
pluseurs  autres  nobles  hommes  entrèrent  en  mer  ;  si  orent 
bon  vent  et  ne  leur  fu  de  rien  contraire. 

Lors  commencièrent  les  mariniers  à  sigler  et  à  nagier 
à  grant  force  d'aviron.  Tant  alèrent  par  haute  mer  qu'il 
arrivèrent  avi  port  de  Trappes  (1)  paisiblement  et  sans 
nul  contraire  de  mer  né  d'autre  chose.  Quant  il  furent 
arrivés,  il  issirent  hors  des  nefs,  et  entrèrent  en  la  cité  de 
Trappes;  là  se  reposèrent  et  attendirent  autres  navies  qui 
estoient  demourées  au  port  de  Cartage  :  qui  ne  f  u  pas  heu- 
reuse chose  de  demourer  (2),  car  quant  il  furent  en  haute 


(1)  Trappes.  «  Portui  Traparum  primœ  civilalis  Siciliœ  appulerunt.  » 
C'est  Trapani. 

(2)  Qui  ne  fu  pas  heureuse  chose  de  demourer.  C'est-à-dire  :  Retard  fu- 
neste pour  ceux  quicloicnt  partis  les  derniers  de  Carthage,  comme  pour 
ceux  qui  les  attendoient  dans  \3iraûc  de 'frapam.  Tout  ce  récit  de  la  tem- 
pête est  plus  intéressant  dans  le  françois  que  dans  le  latin  (Voy.  Du- 
chesnc,  t.  v,  p.  522.) 


IC  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

iner  ,  Neptunus,  un  des  maistres  d'eiifei\,  fu  enflé  et  plain 
d'orgueil  et  de  desdaing  de  ce  qu'il  avoient  tant  séjourné  qu'il 
n'avoient  eu  pieça  aucune  tempeste  et  aucun  encombre- 
ment :  en  mer  esmut  et  liasta  tous  les  espris  de  tempeste, 
et  leur  commanda  qu'il  se  boutassent  es  nefs ,  et  que  il 
les  feissent  hurter  si  forment  comme  il  pourroient.  Tan- 
tost  le  vent  se  féri  es  ondes  de  mer,  et  les  commencièrent  à 
débouter  si  fort  qu'il  sembloit  que  ce  feussent  montaignes 
qui  voulsissent  monter  au  ciel.  Le  iemps  commença  à  noircir 
et  obscurcir.  Les  notonniers  virent  bien  que  il  avoient  tem- 
peste ,  si  coururent  aux  gouvernaulx  et  aux  avirons  ;  et  puis 
se  commencièrent  à  detïendie  des  vens  et  de  la  tempeste 
au  mielx  qu'il  porent  ;  chose  qu'il  feissent  ne  leur  pot  riens 
valoir  néaidier,  que  les  mauvais  espris  se  boutèrent  en  ma- 
nière des  tourbillons  en  leurs  nefs ,  si  firent  du  pis  qu'il 
porent  en  leur  venue. 

Il  rompirent  les  mas  et  les  cordes ,  et  les  avirons 
et  les  gouvernaulx  firent  voler  par  petites  pièces  en 
la  mer  ;  les  nefs  demenoient  quelle  part  qu'il  vouloient  : 
aucunes  fois  les  faisoient  si  hault  monter  qu'il  sembloit 
qu'il  voulsissent  monter  aux  nues  ,  et  puis  les  descendoient 
si  aval  cju'il  sembloit  qu'il  deussent  descendre  en  abisme  : 
et  en  ce  descendre,  la  mer  entroit  en  leur  nefs  en  pluseurs 
lieux  ,  et  puisoient  de  toutes  pars  ,  et  puis  les  faisoient  courre 
si  roidement  que  les  quartiers  et  les  pièces  s'en  alloient  aval 
l'iaue  ;  les  gens  qui  dedens  estoient  périlloient  et  noioient, 
et  deprioient  à  Nostre-Seigneur  qu'il  eust  merci  de  leur 
âmes. 

Atant  ne  se  tint  pas  Neptunus ,  ains  euvoia  une  partie 
de  sa  mesnie  au  port  de  Trappes  ,  si  rompirent  les  cordes 
et  les  desancrèrent ,  et  les  firent  saillir  parmi  la  mer  ,  ainsi 
comme  s'il  jouassent  à  la  pelote  ;  puis  les  faisoient  retour- 
ner et  hurter  si  roidement  l'un  à  l'autre  ,  qu'il  en  faisoient 


(1270.)  PHELIPrE  II[.  tl 

les  pièces  voler,  ou  il  les  desrompoient  toutes.  Une  nef  y 
estoit  entre  les  autres  qui  Porte- Joie  estoit  nommée  ,  grant 
et  merveilleuse  et  fort;  les  cordes  en  furent  rompues  et 
desancrées,  si  commença  à  courre  parmi  la  mer  ainsi  comme 
se  ce  feust  une  beste  enragiée  qui  courust  sus  aux  autres. 
Ainsi  couroit-elle  sur  les  nefs  ,  et  les  boutoit  de  si  grant 
ravine  qu'elle  les  faisoit  fondre  et  plungier  en  la  mer ,  et 
couroit  de  costé  et  de  tx'avers,  amont  et  aval ,  ainsi  comme 
se  diables  l'eussent  en  conduit. 

Celle  nef  Porte- Joie  avoit  esté  faicte  pour  le  corps  le  roy 
de  France  especiaunient.  Aucunes  autres  nefs  qui  venoient 
de  Tunes  estoient  assez  près  du  port  de  Trappes  ,  et  vou- 
loient  arriver  et  prendre  fons  ,  qviant  la  tempeste  les  sur- 
prinst  et  les  mena  ,  aussi  roidement  comme  se  ce  feust 
foudre  qui  descendis!  du  ciel ,  au  port  de  Tunes  droit  dont 
elles  estoient  parties.  Ceux  qui  dedens  estoient  se  doubtè- 
rent  moult  des  Sarrasins  de  Tunes ,  mais  le  roy  leur  com- 
manda qu'il  préissent  port  seurement  tant  que  la  tempeste 
feust  passée,  et  que  ou  leur  habandonnast  viandes  et  autres 
choses  dont  il  se  vouldroient  aidier. 

En  celle  tempeste  furent  mortes  environ  quatre  mille 
personnes  ,  et  furent  quassées  et  rompues  dix  et  huit  grans 
nefs,  sans  les  petites,  plaines  de  chevaulx  et  de  richesces, 
et  d'autres  grans  garnisons  (1)  sans  nombre. 

(1)  Garnisons,  Fourniluies. 


LES  GRANDES  CHRONIQUES. 


IX. 


De  Edouart  fils  au  roy  d' Angleterre. 

Incidence.  — Edouart  fils  au  roy  d'Angleterre  vint  au  siège 
de  Tunes  plus  tart  que  nul  des  autres  ,  etestoit  jà  paix  faicte 
quant  il  vint.  Si  ne  voult  point  retourner  au  roiaunie  d'An- 
gleterre devant  qu'il  eust  esté  en  la  terre  de  Surie  ,  et  que 
il  son  veu  eust  accompli  se  il  peust.  Si  s'en  passa  oultre  en 
la  Saincte  Terre,  et  emmena  avec  luy  aucuns  chevaliers  de 
France  qui  bien  voulloient  souffrir  paine  pour  l'amour  de 
Nostre-Seigneur.  Si  arriva  devant  le  port  d'Ac/e ,  car  à  autre 
port  ne  pooit-il  seurement  arriver ,  pour  ce  que  le  port  de 
Jherusalem  et  toute  la  terre  de  Surie  estoit  surprinse  et 
encombrée  des  Sarrasins  ,  fors  aucuns  chastiaux  quiestoient 
del'Ospital  et  du  Temple  qui  estoient  sur  la  rive  de  la  mer, 
en  telle  manière  et  si  fors  qu'il  ne  doubtoient  point  l'as- 
saut des  Sarrasins ,  meismement  pour  les  bons  combatteurs 
qui  estoient  dedens. 

Si  y  avoit  autres  chastiaux  plus  avant  en  la  terre,  où  cres- 
tiens  tournoient  à  garant ,  quant  il  ne  povoient  plus  endurer 
l'assaut  des  Sarrasins  ;  né  n'avoit  mais  en  toute  Surie  que 
deux  cités  oii  crestiens  peussent  demourer ,  la  cité  d'Acre 
et  la  cité  de  Tir.  Le  soudan  de  Babiloine  avoit  tout  con- 
quis par  la  force  des  Sarrasins.  Tir  est  une  bonne  cité  et 
deffensable,  et  est  assise  au  parfont  de  la  mer,  avironnée  de 
toutes  pars  ,  et  est ,  avec  tout  ce  ,  de  haulx  murs  fermée  , 
avec  grant  foison  de  grosses  tours  et  de  petites  ;  né  ne 
doubte  assaut  de  nulle  pierre  né  mangonnel ,  né  nul  autre 
encombrement,  mais  que  ceux  de  dedens  aient  assez  viande 
pour  eux  soutenir  ;  né  ne  pourroit  en  nulle  manière  cstrc 
prinse ,  se  ce  n'estoit  en  trahison. 


(1:270.)  PHELIPPE  III.  19 

Quand  Edouart  fii  arrivé  ,  ceux  d'Acre  alèrent  encontre 
et  le  receurent  moult  honnourablcnient.  liée  séjourna  et 
demoura  près  d'un  an ,  et  defFendi  la  vUle  des  Sarrasins , 
tant  comme  il  y  fu,  avec  l'aide  de  ceux  de  la  ville ,  de  l'Os- 
pital  et  du  Temple  ,  bien  et  suffisamment,  selon  son  estât: 
car  il  ne  féit  oncques  chose  de  grant  renom  né  de  quoy  on 
doie  faire  mencion ,  que  il  ne  povoit ,  à  si  pou  de  gent 
comme  il  avoit ,  issir  hors  des  murs  à  bataille  contre  les 
Sarrasins  ,  né  le  Soudan  contre  ceux  d'Egipte  (1). 

Si  comme  il  sejournoit  à  Acre  ,  si  vint  à  luy  un  hasassis, 
et  dist  que  il  voulloit  parler  à  luy  secrètement  :  si  luy  lu 
mené  en  sa  chambre.  Sitost  comme  le  hasassis  fu  entré 
en  sa  chambre  si  sacha  un  coustel  envenimmé  au  plus 
couvertement  qu'il  pot ,  et  cuida  ferir  Edouart  droit  au 
cuer;  mais  Edouartl'apperceut  venir  à  luy,  si  se  traist  arrières 
et  fouy  au  coup  au  plus  tost  qu'il  pot  ;  toutes  fois  fu-il 
navré  au  costé.  Sa  gent  qui  environ  luy  estoient  prisrent  le 
hasassis  et  lui  toUirent  le  coustel ,  et  le  battirent  et  le  trai- 
nèrent  parmi  les  cheveux  contremont  le  planchier  en  la  sale  ; 
si  le  mistrent  en  prison  villaine  et  obscure  ;  puis  retournè- 
rent à  leur  seigneur ,  et  demandèrent  de  quelle  mort  on 
feroit mourir  le  hasassis.  Si  fu  accordé  qu'il  seroit  trainé  et 
puis  pendu,  mais  que  on  lui  demandast  qui  l'avoit  là  envoie  ; 
et  il  respondi ,  «  Le  viel  de  la  Montaigne  son  seigneur  et 
»  son  maistre.  » 

De  celle  plaie  fu  Edouart  malade  longuement ,  et  respassa 
et  guari  à  grant  painne.  Ainsi  comme  il  estoit  en  tel  point, 
nouvelles  luy  vindrent  que  le  roy  Henry  d'Angleterre  ,  son 
père,  estoit  trépassé  de  ce  siècle  ,  et  que  les  barons  d'Angle- 


Ci)  Ccue  dernière  phrase  rend  mal  le  texte  latin  :  «  Cum  tam  pauca 
>i  licct  probata  militia,  contra  sodanum  Babyloniœ,  Sjria3  clEgypli  ac  to- 
»  lius  Oricniis  doniinum  ,  extra  muros  in  acic  confligerc  non  valcret.  » 
(GcslaPLil.ui,  p.  623.) 


20  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

terre  le  maiuloient  pour  estre  couronné.  Il  fist  appareiller 
sa  navie  et  entra  en  mer ,  et  vint  en  Secile ,  où  il  fu  moult 
Iionnouré  et  receu  du  roy  Charles  lionnourablement ,  et 
luy  donna  grans  dons  ,  et  luy  fistgrans  courtoisies. 

D'ilec  se  parti  et  s'en  vint  en  Gascoigne  qu'il  tenoit 
adonc  en  fief  du  roy  de  France ,  et  séjourna  grant  pièce  de 
temps  avec  Gascon  de  Biart  (  I  ) ,  noble  homme  et  de  grant  puis- 
sance. Puis  se  mist  au  chemin,  et  s'en  vint  en  France  ,  et  fu 
lîonnouré  de  pluseurs  barons  et  haus  hommes.  Dont  se 
mist  au  chemin  et  s'en  vint  au  port  de  Wissent ,  et  passa 
oultre  en  son  pais.  Nostre  propos  n'est  point  de  descrire  les 
fais  des  roys  d'Angleterre,  nous  nous  en  tairons  à  tant,  se  ce 
ne  sont  incidences. 

X. 

De  la  morl  au  roy  Thibaut  de  Nai'arre. 

Si  comme  le  roy  Phelippe  séjournoit  en  la  cité  de  Trap- 
pes ,  et  l'ost  se  reposoit  pour  la  grant  tempeste  qu'il  avoit 
eue  en  mer ,  le  roy  Thibaut  de  Navari  e  acoucha  malade 
au  lit  de  la  mort  ;  après  ce  que  la  maladie  le  prist,  il  ne 
demoura  gaires  qu'il  mourut.  De  sa  mort  fu  moult  esbre- 
chié  et  amenuisié  l'ost  de  France  ;  si  en  furent  les  barons  et 
les  autres  couroucics  et  dolens ,  car  c'estoit  le  greigneur 
membre  de  l'ost  et  le  plus  puissant  liomme  après  le  roy 
de  France  ;  et  estoit  sage  homme  et  donnoit  bon  conseil ,  et 
si  estoit  large  et  abandonné  de  donner  à  ceux  qui  en  avoient 
mestier ,   et   especiaument    il  n'oublioit  point  les  povres. 


(1)  Gascon  de  Biart.  «  Cum  Gascone  de  Biardo,  terras  illius  viro  nobili 
et  potentc,  altcrcationemaliquanluliim  liabuit.  Scd  rcgc  Francix  Pliilippo 
mediantc ,  comproniisso  lis  conini  ad  tcmpus  sopila  quievit.  »  (Gesta 
rhil.in.)  Il  s'agil  ici  de  Gaston  de  Moiicade,  vicomte  de  Béarn. 


(1270.)  PHELIPPE  III.  21 

Quant  l'aine  luy  fu  partie  du  corps  et  il  fu  mort ,  il  fu 
commandé  que  les  entrailles  fussent  mises  hors ,  et  qu'il 
fust  cuit  et  conroié  de  bonnes  espices  et  de  flairans  ;  les  en- 
trailles furent  mises  en  une  églyse  en  la  ville  de  Trappes , 
et  le  corps  fu  embasmé  et  envelopé  et  mis  en  un  escrin 
bien  et  gentement ,  et  fu  gardé  et  aporté  avec  le  corps  saint 
Loys  jusques  en  France.  Si  fu  enteri'é  moult  honnourable- 
ment  au  chastel  de  Provins ,  au  moustier  des  frères  me- 
neurs. 

La  royne  Marie  sa  femme  prist  si  gi'ant  douleur  en  son 
cuer  de  la  mort  son  mari ,  et  de  la  mort  le  roy  saint  Loys 
son  père  et  de  ses  autres  amis  ,  que  elle  ne  vesqui  que  un 
pou  de  temps  ,  né  n'ot  oncques  puis  joie  en  son  cuer.  Si , 
comme  elle  estoit  assez  près  de  Marseille ,  la  maladie  la 
prist  dont  elle  mourut  ;  si  commanda  que  elle  fust  enterrée 
ù  Provins  de  lès  son  seigneur  :  le  royaume  de  Navarre  et 
la  conté  de  Champaigne  vindrent  à  monseigneur  Henry, 
frère  du  roy  Thibaut. 

XI. 

Cornent  le  roy  de  France  et  son  osl  se  partirent  de  Trappes^  et 
cornent  sa  femme  la  royne  mourut. 

Le  roy  de  France  séjourna  à  Trappes  tant  que  son  ost  fu 
refresclii  et  reposé  :  puis  il  commanda  que  son  ost  fust 
arrouté,  et  qu,e  il  se  missent  droit  au  chemin  vers  Palerme, 
et  que  le  harnois  et  les  autres  choses  fussent  conduites  par 
mer  après  l'ost.  Il  n'a  d'une  cité  jusques  à  l'autre  que  deux 
journées  ;  tantost  se  mislrent  au  chemin ,  et  firent  tant 
qu'il  vindrent  à  Palerme.  La  cité  de  Palerme  est  le  maistre 
siège  de  toute  la  terre  de  Secile  et  la  maistre  cité  ;  et  si  dient 
aucuns  que  Messines  doit  estre  le  maistre  chief ,  pour  ce 


22  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

que  Messines  est  plus  riche  et  plus  plaine  de  marchéandise 

et  de  gant  :  ilec  séjourna  le  roy  quinze  jours  entiers. 

Après  ce,  il  fu  commandé  que  l'ost  s'avançast  et  se  uiist 
au  chemin  droit  à  Messines  ;  si  entrèrent  au  far  et  passè- 
rent tout  oultre  à  navie  ;  puis  entrèrent  en  la  terre  de  Cala- 
bre  et  passèrent  tout  oultre  sans  séjourner.  Puis  entrèrent 
en  la  terre  de  Puille  et  cheminèrent  tant  qu'il  vindrent  en 
une  cité  quia  non  Martrenue  (1).  Si  advint  que  madame  Ysa- 
bel,  femme  le  roy  Phelippe,  passoit  le  fleuve  qui  estoit  des- 
soubs  la  cité  sans  navie ,  si  la  hurta  le  cheval  sur  quoy  elle 
séoit  si  forment  que  elle  chéy  et  tresbucha  à  terre,  si  se  des- 
roia  et  desrompi  toute  ,  et  si  estoit  enceinte  et  toute  plaine 
d'enfant.  Qnant  elle  fu  dresciée  ,  elle  fu  portée  à  une  autre 
cité  qui  a  nom  Cousance  ,  et  de  douleur  et  angoisse  que 
elle  ot  elle  ala  de  vie  à  trespassement  ;  dont  le  roy  fu 
moult  dolent  et  moult  couroucié ,  et  tous  les  barons  de 
France  et  tous  les  autres  en  furent  troublés  :  l'eu  fist  célé- 
brer son  service  en  grant  dévocion. 

Après  le  service  ,  s'acheminèrent  et  entrèrent  en  la  terre 
de  Labour  ,  et  puis  en  celle  d'Espaigne  (2) ,  et  errèrent  tant 
qu'il  vindrent  à  Romme.  lUec  séjourna  un  pou  de  temps , 
et  requistrent  les  apostres  et  les  sains.  D'ilec  s'en  alèrent 
droit  à  Viterbe,  là  où  la  court  estoit.  Mais  il  n'y  avoit  point 
d'apostole ,  et  estoient  les  cardinaux  en  grant  descort  pour 
faire  apostole.  Pour  ceste  chose ,  il  furent  enclos  et  enserrés 
en  une  sale,  et  leur  dist-l'en  bien  que  jamais  n'istroient  jus- 
ques  à  tant  qu'il  eussent  fait  nouvel  pape.  Le  roy  Phelippe 
leur  pria  et  adnxonesta  pour  Dieu  et  pour  leur  âmes  qu'il 

(1)  Marlrenuc.  Aujourd'hui  Martorano.  «  Dum  qucmciam  fluvium  sublùs 
Malrencnsem  urbcm  Calabriae  pertransisset  absquc  navigio.  »  (Gcsla  Phi- 
lippiui,  p.  624.) 

(2)  D'Espaigne.    Bévue    de   copiste.  Il    falloit   Campaigne.    (  Cam 
panie.) 


(1270.)  PHELIPPE  III.  23 

fissent  honiiestementtel  pasteur  qui  fustproffitable  à  saincte 
églyse  gouverner  ,  et  baisa  chascun  en  la  bouche  en  remem- 
brance  de  paix  et  franchise  ,  et  que  il  ne  missent  en  oubli 
l'admonestement  que  il  leur  avoit  dit. 


XII. 


Cornent  Guy  de  Montfort  occisl  Henry  le  fils  au  roy  d'Ale- 
maigne  pour  ce  qu'il  ai^oil  occis  son  père. 

Avant  que  le  roy  de  France  venist  à  Yiterbe  né  que  il 
fust  en  la  ville  entré  ,  Henry  le  fds  au  roy  d'Alemaigne  vint 
en  la  cité.  Guy  de  Montfort  sot  bien  sa  venue  ,  si  se  liasta 
moult  de  savoir  son  l'epaire  et  où  il  estoit.  En  moult  grant 
pensée  estoit  cornent  il  le  pourroit  occire.  La  cause  pour 
quoy  ce  estoit  fu  pour  ce  que  Simon  de  Montfort  conte  de 
Lincestre ,  père  de  celluy  Guy  ,  fu  occis  en  bataille  par  le 
conseil  de  celluy  Henry.  Tant  fu  espié  de  jour  et  de  nuit  que 
Guy  le  trouva  en  l'églyse  Saint-Laurent  assez  près  de  son 
hostel  ;  si  le  cuida  chacier  hors  du  moustier  ,  si  ne  pot  pour 
la  presse  de  la  gent. 

Quant  il  vit  qu'il  ne  le  pourroit  avoir,  si  le  féri  d'un  cous- 
tel  parmi  le  corps ,  si  cpie  il  chéy  à  terre  du  grant  coup  que 
il  luy  donna,  puis  le  tx'aina  hors  du  moustier.  Henry  luy 
cria  merci  jointes  mains  qu'il  ne  l'occist  mie  !  et  il  re- 
pondi  :  «Tu  n'eus  point  pitié  de  mon  père  et  de  mes  frères.  » 
Si  le  féri  de  rechief  du  coustel  qu'il  tenoit,  trois  fois  ou  qua- 
tre, tant  qu'il  le  laissa  tout  mort.  Onccjues  la  gent  Henry  ne 
furent  si  osés  qu'il  s'osassent  mouvoir,  pour  la  mesnieGuy 
qui  près  estoient  pour  eux  occire  maintenant. 

Quant  ce  fu  fait,  Guy  monta  et  sa  compaignie  qui  tous 
estoient  près   de   luy  recevoir  ;  si   s'en   ala  tout  droit  au 


24  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

conte  Raoul  de  Toscaniie  ;  car  il  avoit  sa  fille  espousée  ,  et 
(levoit  tenir  toute  sa  terre  après  son  décès.  L'en  aporta  nou- 
velles au  roy  de  France  de  la  mort  Henry  d'Aleniaingne 
et  cornent  il  avoit  esté  occis,  si  en  eutdespit  et  desdaifig  de 
ce  que  Guy  avoit  fait  si  villain  fait  et  si  villain  meurtre  en  la 
présence  de  sa  venue ,  et  commanda  que  s'il  venoit  à  sa 
court  que  il  fust  pris  et  retenu.  Puis  en  soufTri  Guy  grant 
pénitence  ,  car  il  en  fu  encliartré  en  un  fort  chastel  et  y  de- 
meura tant  que  l'apostole  liiy  fist  grâce  et  miséricorde. 


XIIL 

Comcnt  le  roy  passa  Lomhardie. 

Ne  demoura  guaires  que  le  roy  de  France  se  parti  de  Vi- 
terbe,  luy  et  sa  gent,  et  passèrent  le  mont  de  Flascon  (1),  et 
entrèrent  en  Toscanne  ;  et  tant  errèrent  que  il  vindreut  à 
Orbevire  (2)  et  montèrent  le  mont  de  Bergue,  et  passèrent  la 
cité  de  Florence,  et  entrèrent  es  plains  de  Lombardie  et  vin- 
dreut droit  à  Bouloingne  la  crasse.  lUec  se  reposèrent  une 
journée  et  l'endemain  bien  matin  s'en  partirent  et  s'en 
vindrent  tout  droit  à  Crenionne.  Là  trouvèrent  les  bourgois 
de  la  ville  si  orgueilleux  et  si  vilains  que  il  ne  vouldrent  pas  li- 
vrer liostel  aux  chambellans  le  roy,  pour  son  propre  corps  he- 
bergier,  ains  convint  que  le  roy  fust  hebergié  aux  Frères  me- 
neurs. Si  leu.r  fu  dit  et  conté  des  sages  hommes,  qui  bien  sa- 
voientle  povoir  de  France,  que  trop  avoient  fait  grant  folie, 
et  que  grans  maux  leur  en  pourroient  venir.  Si  se  repentirent 
tantost,  et  vindrent  les  maistres  et  les  échevins  de  la  ville  au 


(1)  Le  mont  de  Flascon.  Montcfiasconc. 

(2)  Orbevire.  C'est  Orvièlc.  Le  latin  dit  :  «  Uibcveteri,  Monlebargue  et 
Florcntia  uil)il)us  peragratis.  »  (Vita  Phil.  m,  p.  5?5.) 


(1270.)  PHELIPPE  III.  25 

10^  Phelippe,  et  luy  prièrent  que  il  ne  s'esmeust  né  ne  se  cou- 
rouçast,  et  que  volentiers  feroient  ce  qu'il  luy  plairoit  et  que 
tous  les  biens  de  la  ville  estoient  en  son  commandement.  Le 
roy  fist  semblant  que  riens  ne  luy  en  fust  et  que  il  ne  luy  en 
chaloit.  Au  matin  s'arroutèrent  les  François  et  se  ordennè  - 
rent  à  aler  vers  la  cité  de  Milan.  Mais  avant  que  le  roy  fust 
hors  de  la  seigneurie  de  Cremonne  ,  les  bourgois  de  la  ville 
de  Milan  luy  vindrent  à  l'encontre  ,  et  le  receurent  moult 
honnorablement  tant  comme  il  porent ,  et  le  conduirent  à 
grant  joie  et  à  grant  honneur  jusques  au  palais.  Et  luy 
descendvi  et  reposé  ,  il  aprestèrent  douze  destriers  ,  les  plus 
biaux  qu'il  porent  trouver,  et  les  firent  tous  couvrir  de  soie, 
et  les  firent  tous  conduire  au  palais  ,  et  les  présentèrent  tous 
au  roy  de  par  les  seigneurs  de  la  ville,  et  luy  prièrent  moult 
cju'il  voulsist  estre  leur  seigneur ,  et  que  il  receust  la  cité 
en  sa  garde  et  en  sa  defiènse.  Le  roy  les  mercia  moult  de 
l'onneur  qu'il  luy  portoient  et  de  la  courtoisie  que  il  luy 
piésentoient  à  faire;  mais  des  deniers  et  des  autres  choses 
se  fist-il  excuser  et  n'en  voult  nuls  prendre. 

L'endemain  se  parti  le  roy  de  Milan  avec  grant  convoy  des 
greigneurs  de  la  ville.  Si  n'ot  pas  aie  moult  avant  que  le 
marchis  de  Montferrant  luy  vint  à  l'encontre  qui  à  grant  joie 
et  à  grant  honneur  le  receut  ;  et  luy  offri,  luy  et  ses  biens, 
d'estre  tous  près  à  faire  son  commandement.  Tant  chemina 
le  roy  et  sa  gent,  cjue  il  vint  à  Yergiaus(l).  lUec  séjourna 
trois  jovirs  ,  et  puis  se  mist  au  chemin  et  entra  en  Savoie , 
et  vint  à  une  cité  qui  est  nommée  Susanne  (2)  qui  est  assez 
près  des  montaignes.  Illecdemoura  trois  jours  entiers  pour 
prendre  repos  luy  et  sa  gent  et  les  chevaux ,  pour  estre 
plus  viguereux  et  plus  fors  à  passer  les  montaignes. 

(1)  Vcffjiaus.  \ciccU. 

(2)  Suzanne.  Suzc.  «  Suzam  civilalcm  anliquam  in  Alpibus.  «  L'ancienne 
Séyute. 

3 


26  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

Après  ce ,  il  entrèrent  es  montaignes  et  passèrent  les 
nions  de  Gieu  (1)  à  grant  paine  et  à  grant  labour,  et  puis  s'ar- 
routèrent  et  entrèrent  es  vaux  de  Morienne.  Si  tournè- 
rent droit  pour  aler  à  Lion  sur  le  Rosne  et  chevaucliièrent 
tant  que  il  vindrent  à  la  cité  de  Maçon  en  Bourgoigne  ,  et 
passèrent  tout  oultre  et  tant  que  il  vindrent  à  Cluguy  en 
l'abbaye  ,  où  le  roy  fu  moult  honnorablement  receu. 

D'illec  se  partirent  et  issirent  de  la  terre  de  Bourgoigne 
et  entrèrent  en  Chanipaigne  et  vindrent  droit  à  Troies.  Si 
passèrent  toute  Chanipaigne  et  errèrent  tant  qu'il  entrèrent 
en  la  terre  et  en  la  seigneurie  de  Paris. 


XIV. 


De  la  sépulture  le  saint  roy  Loys  et  de  la  mort  son  frère  le  conte 
de  Poitiers ,  et  de  Jehan  Tristan ,  et  de  Pierre  le  chambellent, 
et  de  ma  dame  Ysabel,  la  femme  le  roy  Phelippe. 

Quant  le  roy  fu  revenu  à  Paris  que  il  désiroit  moult  à 
veoir  ,  il  fu  lors  commandé  que  l'en  aouraast  les  corps  qui 
avoient  été  aportés  de  lointaines  terres.  Quant  il  furent 
près  et  aournés,  le  bon  roy  Phelippe  prist  son  père  et  le 
conduist  droit  à  Nostre-Dame  de  Paris,  avec  les  autres  qui 
estoient  mors  en  la  voie  de  Tunes.  Si  leur  chanta  les  vi- 
giles hautement  et  bien,  et  avoit  grant  foison  de  luminaire 
environ  les  bières  embrasé ,  à  grant  compaignie  de  noble 
gent  qui  toute  la  nuit  veillèrent  jusques  au  jour.  L'cnde- 
main  au  matin,  le  roy  Phelipiie  prist  son  père  et  le  troussa 
sus  ses  espaules ,  et  se  mist  à  la  voie  tout  à  pié  pour  aler 


(1)  Mous  de  Gieu.  lUontjeu,  Monijou,  ou  Monsjovis.  Ce  sonl  les  monts 
Ccnis,  Montes  Cinisii, 


(1270.)  PHELIPPE  III.  27 

droit  à  Saint-Denis,  Avec  luy  furent  grant  plenté  de  nobles 
hommes  de  France.  Toutes  les  religions  de  Paris  issirent 
hors  bien  et  ordennéement  à  grans  processions  ,  disans  le 
service  des  mors  ,  en  priant  pour  l'ame  du  bon  roy  qui 
tant  les  anioit. 

Archevesques,  évesques  et  abbés  furent  revestus  ;  les  mi- 
tres es  testes ,  les  croces  es  poings  alèrent  après ,  en  bonne 
dévocion,  disans  leur  prières  et  leur  croisons.  Tant  alèrent 
pas  avant  autre  que  il  vindrent  à  Saint-Denis.  Mais  avant 
qu'il  venissent  en  la  ville,  le  couvent  leur  vint  à  l'encontre, 
et  furent  tous  les  moines  revestus  de  chappes  de  cuer , 
chascun  un  cierge  ardant  en  sa  main,  et  receurent  humble- 
ment le  corps  monseigneur  saint  Loys.  Si  comme  l'en  vou- 
loit  entrer  au  moustier,  les  portes  furent  closes  contre  leur 
venue.  La  cause  si  fu  pour  ce  que  l'archevesque  de  Sens  et 
l'évesque  de  Paris  estoient  revestus  de  leur  garnemens  pour 
le  corps  du  saint  roy  recevoir  et  de  ses  compaignons  ;  mais 
les  moines  de  Saint-Denys  ne  le  porent  souffrir;  pource  qu'il 
voulsissent  user  de  leur  franchise,  et  avoir  juridicion  sur  l'é- 
glise ainsi  comme  il  ont  sur  les  autres  de  leur  diocèse.  Car 
les  moines  de  Saint-Denys  sont  exemps  ,  né  ne  f croient 
pour  l'archevesque  riens  ,  né  pour  l'évesque  ,  s'il  ne  leur 
plaisoit  et  se  ce  n'estoit  à  leur  gré. 

Le  roy  fu  devant  la  porte  ,  son  père  sur  ses  espaules  ,  et 
les  barons  et  les  prélas  qui  en  l'églyse  entrer  ne  povoient. 
Doncques  il  fu  commandé  à  l'archevesque  et  à  l'évesque 
qu'il  s'alassent  desvestir,  et  que  il  ne  fissent  nul  empesche- 
ment  à  si  haute  besoigne. 

Quant  il  s'en  furent  aies  ,  portes  furent  ouvertes  ,  et  le 
roy  entra  ens  ,  et  les  barons  et  les  prélas  si  commencièrent 
à  chanter  bien  hautement  le  service  des  feus  (1),  bien  et 

(1)   Feus.  Des  morts,  des  défunts.  Si  jo  ne  me  trompe,   celte   ex 


28  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

dignement  ;  et  puis  enterrèrent  les  sainctes  reliques  et  les 
ossemens  du  saint  roy  Loys  d'encoste  son  père  le  roy  Loys  , 
assez  près  de  son  aieul  le  roy  Phelippe  qui  tant  fu  puissant 
en  armes  ;  et  puis  y  mistrent  une  tombe  d'or  et  d'argent , 
et  de  noble  faicture.  Les  ossemens  Pierre  le  chanibellcnc 
furent  enterrés  aux  pies  saint  Loys  ,  en  telle  manière  et  ainsi 
cornent  il  gisoit  à  ses  pies  quant  il  estoit  en  vie.  Ma  dame 
Ysabel  fu  enterrée  d'autre  part  assez  près  du  bon  roy ,  et 
messire  Jehan  Tristan  ,  conte  de  Nevers  ,  d'encoste  luy. 

Le  trespassement  au  conte  de  Poitiers  devons  nous  bien 
raconter  et  mettre  en  mémoire.  Car  comme  le  bon  conte 
revenoit  de  Tunes  avec  le  roy  Phelippe  son  nepveu  ,  avint 
que  il  acoucha  malade  ,  avec  luy  sa  femme  et  toute  sa  mes- 
nie,  si  qu'il  n'en  demoura  nul  de  qui  il  se  peustaidier,  en  un 
chastel  qui  est  nommé  le  Cornet  (1) ,  à  l'issue  de  Toscane. 
Tant  se  hasta  la  maladie  que  il  pensa  que  il  li  convenoit 
partir  de  ce  siècle  ,  et  fist  et  ordenna  son  testament  comme 
bon  crestien,  et  ordenna  sa  sépulture  à  Sainct-Denis  en 
France  ,  avec  son  père  et  ses  autres  amis  ,  et  donna  bonne 
rente  pour  célébrer  son  aniversaire  chascun  an.  Sa  gent  et 
sa  niesnie  le  portèrent  i\  Saint-Denys  et  l'enterrèrent  de  lès 
son  frère. 

La  contesse  sa  femme  qui  trop  pou  vesqui  après  la  mort 
son  seigneur ,  fu  portée  à  une  abbaye  de  nonnains  où  elle 
avoit  esleu  sa  sépulture  ;  et  l'abbaye  siet  à  quatre  milles  de 
Meleun  sur  Saine  et  estappellée  Jarcy  (2)  :  la  conté  de  Thou- 
louse  et  la  conté  de  Poitiers  descendirent  et  vinrent  au  roy 
de  France,  pour  ce  qu'il  n'avoient  nul  hoir  de  leur  corps. 

pression  feu  ne  répond  pas  à  celle  de  fuU,  mais  à  celle  de  fuiictiis. 

[l]  Le  Cornet.  Coriieto. 

(2)  Jarcy  ou  Jentj.  «  Ad  qiianuiam  abbaliani  nionialiuni ,  oui  noaien 
»  est  Garciacum  ,  qiiani  in  pago  Ulcleduneusi  proiiè  abbaliani  Esderœ  ipsa 
»  fundavcral...  »  (Gesla  Pliil,  ni,  p.  520.) 


;i27i.)  ruELiPPi:  m.  29 


XV. 


Coriienl  le  roy  Phelippe  fils  saint  Loys  fu  couronné  à  Rains. 

L'an  de  grâce  mil  deux  cens  soixante  et  onze  ,  droit  à 
l'Assompcion  Nostre-Dame  ,  Phelippe  roy  de  France  vint  à 
Rains  et  fu  couronné  par  l'évesque  de  Soissons,  car  il  n'y 
avoit  point  d'archevesque  à  Rains,  ains  estoit  le  siège  vacant. 
Si  fula  feste  moult  grant,  et  y  furent  les  barons  du  royaume 
de  France ,  et  grant  foison  de  prélas  et  plusieurs  autres.  Les 
roys  de  France  ont  acoustumé,  dès  le  temps  Charlemaine,  le 
grant  roy  de  France  et  empereur  des  Romains  ,  de  faire 
porter  Joieuse  (1)  devant  eux  ,  le  jour  de  leur  couronne- 
ment ,  en  l'honneur  et  la  puissance  du  roy  Charlemaine 
qui  tant  de  terres  conquist  et  tant  San-asins  mata.  Si  la 
doit  baillier  le  roy  au  plus  loial  et  au  plus  preud'homme  du 
royaume  et  de  tous  ses  barons ,  et  à  celuy  qui  plus  aime 
l'honneur  et  le  prouffit  du  royaume  et  de  la  couronne,  qui 
la  porte  devant  luy  ,  quant  il  va  à  son  couronnement. 

Le  roy  Phelippe  si  regarda  environ  luy  bien  et  apperte- 
ment  tous  ses  barons  ,  si  la  tendi  à  Robert  conte  d'Artois  ; 
et  cil  la  prist  et  porta  devant  luy  moult  liement  celle 
journée.  Celle  espéc  qui  a  nom  Joieuse,  et  la  couronne  et  le 
sceptre  royal ,  et  les  autres  aournemens  sont  gardés  au  tré- 
sor Saint-Denis  moult  chièrement ,  et  bien  sont  tenus  les 
moines  d'envoier-les  au  couronnement,  en  c|uelque  lieu 
que  il  soit.  Quant  la  feste  fu  passée  les  bavons  et  les  haus 
hommes  se  départirent,  et  ala  chascun  en  sa  contrée  :  le  roy 
se  départi  et  ala  droit  en  Vermendois  visiter  le  pays  et  soy 
esbatre 

(1)  C'est  comme  on  sait  le  nom  de  l'cpéc  tic  Chaiicmngiio. 


30  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

Ainsi  comme  il  estoit  illec ,  le  conte  d'Artois  luy  pria 
qu'il  venist  déporter  soy  en  son  pays  ,  et  qu'il  venist  veoir 
la  cité  d'Arras  ;  le  roy  luy  octroia  volentiers.  Les  bourgois 
qui  sorent  la  venue  commencièrent  à  faire  grant  feste  ,  et 
parèrent  la  ville  et  mistrent  hors  le  vair  et  le  gris  ,  et  moult 
d'autres  grans  ricliesces  ,  et  receurent  le  roy  à  grant  léesce  , 
et  à  si  grant  joie  comme  il  porent  plus  ;  né  il  n'est  nul 
homme  qui  peust  dire  que  oncquesmais  eust  veu  plus  belle 
feste  né  plus  grant.  Le  conte  d'Artois  manda  les  dames  et  les 
damoiselles  du  pays,  pour  faire  tresces  (1)  et  caroles  avec 
les  femmes  auxbourgois  qui  s'estudioient  de  dancier  et  d'es- 
pinguier  ,  et  se  demenoient  en  toutes  manières  à  leur  po- 
voir,  qui  deust  plaire  au  roy  (2).  Quant  le  roy  ot  ainsi  esté 
honnouré  ,  si  luy  prist  talent  de  retourner  en  France. 


XVI. 

De  la  contenance  le  roy  Phelippe  el  de  sa  manière. 

Après  ce  que  le  roy  fu  retourné  en  France ,  et  il  fu  entré 
au  siège  son  père  ,  si  commença  à  estudier  en  bonnes  mœurs 
et  eu  bonnes  œuvres.  L'en  treuveen  escriptui-equelafélon- 
uie  du  père  fait  tresbuchier  ce  dessus  dcssoubs  (3)  la  maison 
au  fils  j  et  quant  le  père  est  sans  féloiuiie  ,  l'ame  de  son  fils 
est  plus  seure  et  plus  ferme.  Geste  grant  grâce  fist  c|uant  il 
mist  Phelippe  son  fds  en  son  siège  et  en  son  throsne  ;  si 

(1)  Tresces.  Danses,  roudes. 

(2)  Le  lalin  dit  :  «  Mandavit  cornes  omnes  dominas  el  domicellas  illius 
»  patriœ,  ut  cum  uxoribus  burgensiuni  urbis  choreas  ducentcs,  etluililiie 
'•  et  exultationi  inlendenlcs,  totamla3lilicarenl  civilaleni.  » 

(3)  Ce  dessus  ckss'ous.  NouiS  disons  aujourd'hui  pai  coi  uii>lion  :  Sens 
dessus  dessous. 


(1271.)  PHELIPPE  m.  31 

comme  il  fu  dit  à  David  :  Si  custodierintfilii  lui  testamentnm 
meum  et  testimoiiia  mea  hec  que  docebo  eos,  et  filiieoram  us~ 
que  in  seculum  sedcbunt  super  sedem  tua/n. 

C'est-à-dire  :  Se  tes  enjans  gardent  mon  commandement  et 
font  ce  que  je  leur  commande  à  faire  ,  toute  leur  ligniée  sera 
sage  ,  et  sera  en  Ion  siège  el  en  ton  tronc.  Ainsi  fist  le  roy  Plie- 
lippe  ,  il  n'oublia  point  ce  que  son  père  luy  commanda 
quant  il  fu  en  sa  dernière  volenté ,  et  que  il  usast  du  conseil 
des  sages  et  des  preud'hommes.  Il  usa  du  conseil  maistre 
Macy  abbé  de  Saint -Denys  qui  estoit  homme  religieux 
et  aourné  de  fleur  de  sapicnce ,  et  luy  bailla  toutes  les 
causes  et  les  besoignes  de  son  royaume ,  comme  et  en  la 
manière  que  son  père  le  faisoit. 

Puis  que  sa  femme  fu  déviée,  il  ne  voult  estre  sans  péni- 
tence ;  car  il  vestoit  la  liaire  et  le  haubert  dessus  pour  ce 
qu'il  peust  mieux  sa  char  estraindre  et  cliastier  ;  avec  tout 
ce  qu'il  jeunoit  et  faisoit  grant  abstinence  de  viandes  ;  et  tout 
ce  faisoit-il  qu'il  ne  fust  souillé  des  vices  de  humaine  nature. 
Et  toute  ceste  vie  maintint-il  toute  sa  vie  jusques  à  la  mort, 
pourquoy  l'en  pourroit  dire  cju'il  menoit  mieux  vie  de 
moine  que  de  chevalier.  Il  estoit  plain  de  belles  parolles  et 
bien  emparlé  ;  si  estoit  entre  ses  barons  sage  et  attrempé , 
sans  nul  beuban  et  sans  nul  orgueil  :  par  les  bonnes  vertus 
qui  en  luy  resplendissoient  tint  -  il  son  royaume  en  paix 
tous  les  jours  de  sa  vie  (1). 

(1)  Le  texte  du  msc.  n»  8396-2  est  moins  favorable  à  ce  prince  :  «  Cil 
«  roy  Phelippe  amoit  moult  le  déduit  de  chacicr  en  bois  et  moût  i  aloit 
»  volentiers.  Et  fu  grant  pièce  moul  enfantiblcs,  en  sa  joncsce.  Et  s'en 
Jitenoientla  gcnt  dou  royaume  mal  apaice,  et  sacliiôs  que  li  gentil 
»  homme  li  savoient  moût  mauvais  gré  de  ce  qu'il  ne  les  apcloit  plus  en 
»  sa  conipaignic.  » 


32  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

XVII. 

Cornent  le  coule  de  Fois  se  révéla  contre  le  roy  de  France. 

Il  avint  au  tiers  an  du  règne  le  roy  Plielippe  que  es  par- 
lies  devers  Tiioulouse  ,  entre  le  conte  d'Arniignac  et  Girart, 
un  vaillant  chevalier,  cliastellain  d'un  chastelqui  est  nommé 
Casebonne  (1)  ,  mut  contens  et  haine.  Si  s'entredeffioient 
et  assailloient  souvent  l'un  l'autre.  Si  avint  que  le  conte 
d'Armignac  vint  tout  armé  devant  le  chastel  à  toute  sa  com- 
paingnie  ,  et  commença  Girart  à  menacier  et  à  laidir  de  pa- 
rolles.  Quant  Girart  vit  ce,  si  ne  fu  point  lie  de  ce  c|ue  il  le 
venoit  laidir  et  ramposner  si  près  de  son  chastel.  Si  issi  hors 
à  tant  de  gent  comme  il  pot  avoir,  et  se  férit  entre  ses  enne- 
mis fort  et  hardiement ,  et  encontra  tout  premièrement  le 
frère  (2)  au  conte,  si  le  féri  d'une  lance  si  grant  cop  qu'il  luy 
perça  tout  oultre  le  haubert ,  et  luy  trencha  tout  le  foie  et 
le  cuer,  et  chéy  à  terre  tout  mort. 

Après,  il  courut  sus  à  luy  et  aux  siens  et  chaplèrent  grant 
pièce  les  uns  sur  les  autres  ;  à  la  parfm  ,  il  tint  le  conte  si 
court  que  il  convint  par  force  qu'il  s'enfouist  :  et  Girart 
s'en  retourna  en  son  chastel.  Après  ce ,  ne  demoura  gaires 
que  le  conte  d'Armignac  fu  entalenté  de  vengier  sa  honte 
et  la  mort  de  son  frère  :  si  manda  tous  les  plus  puissans  et  les 
plus  nobles  hommes  de  son  lignage  ,  entre  lesquiels  le 
conte  de  Fois  fu  l'un  des  meilleurs  et  des  plus  riches  ,  si 
prindrent  conseil  ensemble  qu'il  iroient  tresbuchier  le 
chastel  de  Casabonne ,  et  destruiroient  Girart  et  toute  sa 
mesnie. 


(1)  Casebonne.  Casaubon. 

(2)  Le  frire.  Nommé  Arnaud. 


(127;2.)  PHELIPEE  III.  33 

A  Girait  fu  dit  et  conté  la  grant  gent  qui  venoient  sus 
luy  et  dévoient  venir  ,  et  que  le  conte  de  Fois  estoit  venu 
eu  l'aide  le  conte  d'Aiinignac.  Si  vit  bien  qu'il  ne  pour- 
roit  durer  contre  si  grant  geut ,  si  se  transmua  et  se  mist  en 
la  garde  et  en  la  deffense  du  roy  de  France,  et  de  ses  senes- 
cliaux  et  de  ses  baillifs  qui  représentoient  la  personne  du 
roy  de  France  ,  qui  gardoient  et  deffendoient  le  pays  ;  et  se 
soubniist  du  tout  à  eux,  et  que  il  congneussent  du  foit  et  de 
la  cause,  et  en  voulloit  estre  jugié  par  eux.  Si  s'en  vint  de- 
mourer  en  un  chastel  qui  estoit  au  roy  de  France  ,  et  y  fist 
venir  sa  femme  et  ses  enfans  et  tous  ses  biens ,  et  cuidoit 
bien  qvi'il  n'osassent  le  chastel  assaillir  pour  la  double  au 
roy  de  France.  Mais  le  conte  de  Fois  et  sa  suite  ne  laisslèrent 
oncques  ,  pour  la  gent  le  roy  ,  à  venir  vers  le  chastel. Il  as- 
saillirent de  toutes  pars  et  tresbuchièrent  les  murs  et  aba- 
tirent  les  portes  ,  et  entrèrent  ens  ,  et  occistrent  assez  de  la 
gent  le  roy  et  de  la  gent  Girart  ;  et  commencièrent  à  querre 
Girart  à  mont  et  aval ,  mais  Girart  s'enfouy  repostement , 
si  que  il  ne  le  poreut  ocire. 

Ne  demouia  gaires  que  les  nouvelles  en  vindrent  en 
France  au  roy  :  quant  il  oï  ce  ,  le  cuer  si  luy  angroissa  , 
et  conçut  moult  grant  indignacion  de  ce  fait,  etineismemeut 
de  son  règne.  Si  assembla  ses  barons  et  manda  son  ost  si 
grant  que  il  deust  toute  terre  faire  frémir.  Le  roy  et  sa  gent 
furent  assemblés  à  Tlioulouse ,  et  fu  commandé  que  l'en 
entrast  en  la  terre  au  conte  de  Fois  et  que  l'en  despoillast 
et  gastast  tout.  Ainsi  fu  fait  comme  il  fu  commandé  ,  et 
alèrent  tant  qu'il  vindrent  aux  montaignes ,  si  les  montè- 
rent et  vindrent  tout  en  haut  et  vindrent  près  du  chastel 
de  Fois ,  si  tendirent  leur  tentes  et  leur  pa veillons  tout 
environ. 

Le  conte  de  Fois  et  avec  luy  sa  feiïime  et  toute  sa  mesnic 
estoienttout  asseur  avec  grant  foison  d'Albigois,  si  comme 


34  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

il  levtr  estoit  advis,  et  cuidoient  que  le  chastel  ne  deust  estre 
pris  en  nville  manière  ,  et  que  bien  se  tenist  contre  tous. 
Le  roy  et  sa  gent  regardoient  qu'il  ne  se  povoient  pas  tant 
approcliier  du  chastel  si  comme  il  voudroient  ;  si  s'esmut  le 
roy  qui  estoit  degrant  courage,  et  jura  cjue  jamais  ne  s'en 
partiroit  jusques  à  tant  qu'il  eust  le  chastel  tresbucliié  et  mis 
par  terre  ou  que  il  luy  seroit  rendu.  Si  se  conseilla  cornent  il 
en  pourroit  exploitier.  Si  luy  fu  loé  qu'il  mandast  ouvriers 
qui  trébuchassent  la  roche  et  que  il  féissent  la  voie  large, 
si  que  sa  gent  peussent  aler  à  pie  et  à  cheval. 

Si  commencièrent  les  ouvriers  à  trencliier  la  roche  et  à 
faire  la  voie  grant  et  large,  si  que  la  gent  à  pied  et  à  cheval 
y  porent  passer.  Quant  le  conte  de  Fois  vit  ce  que  le  roy 
estoit  si  ferme  en  son  propos,  il  se  conseilla  qu'il  pourroit 
faire  et  coment  il  pourroit  eschiver  ce  péril.  Si  luy  fu  con- 
seillié  c|u'il  s'accordast  au  roy  hastivement  :  il  prist  mes- 
sages et  les  envoia  au  roy,  et  luy  pria  et  supplia  qu'il  luy 
pardonnast  son  mautalent,  et  que  il  mettroit  luy  et  tous 
ses  biens  en  sa  mercy  pour  en  faire  sa  volenté. 

Le  roy  oï  ses  messages  et  luy  mandast  qu'il  venist  à  luy 
en  telle  manière  comme  il  avoit  mandé.  Tantost  le  conte 
vint  devant  le  roy  et  s'agenouilla  et  luy  requist  mercy,  et  le 
roy  luy  dist  que  il  luy  feroit  plus  de  bien  que  il  n'avoit  des- 
servi. Tantost  fu  pris  et  lié  et  mené  à  Biauquesne  (1),  et 
demoura  là  un  an  tout  entier  Le  roy  prist  toute  sa  terre  en 
sa  main  ,  sa  femme  et  tous  ses  enfans  ;  puis  retourna  en 
France.  Quant  un  an  fu  accompli,  le  conte  fu  mis  hors  de 
piison  et  servit  à  court  les  autres  nobles  hommes ,  et  ot  la 
grâce  du  roy  tant  que  il  le  fist  chevalier  et  luy  donna  armes, 
et  l'envoia  aux  tournoiemens  pour  aprendre  le  fait  des  ar- 
mes (2).  Après  toutes  ces  choses,  le  roy  rendi  au  conte  de 

(1)  Biauquesne.  Sans-doulc  Beaucairc.  Le  laliii  dil  :  Dellum  quercurn. 

(2)  Le  latin  offre  ici  dans  le  sens  quelque  différence  :  «  Tantani  gra- 


(1272.)  PHEUPPE  m.  35 

Fois  toute  sa  terre  franchement  et  quitement,  et  luy  donna 
congié  de  retourner  en  son  pais. 


XVIII. 

De  Raoul  d'Aussoy  qui  Jii  couronné  à  roy  (V Alemaigne. 

L'an  de  grâce  mil  deux  cens  soixante  et  douze ,  Raoul 
d'Aussoy  (1)  fu  couronné  à  roy  d'Alemaingne.  Henry  le  roy 
de  Navarre  espousa  la  suer  le  conte  d'Artois  ,  de  laquelle  il 
engendra  madame  Jelianne  qui  puis  fu  royne  de  France. 
Le  conte  d'Alençon  espousa  la  fdle  au  conte  de  Blois.  En 
celle  année  meisme  vint  l'apostole  Grégoire  à  Lyon  sur  le 
Rosne ,  droit  environ  caresme  et  fist  un  concile  général  où 
il  ot  moult  grant  assemblée  de  prélas  et  de  barons.  Le  roy 
de  France  vint  à  Lyon  et  visita  l'apostole  et  le  salua  moult 
courtoisement  et  lui  fist  grant  honneur  comme  à  son  père 
espirituel ,  et  parlèrent  ensemble  d'aucunes  besoignes  cjui 
appartenoient  au  ]oyaume  de  France. 

Quant  il  orent  ordonné  des  besoignes  du  royaume  et  des 
choses  prouffitables,  l'apostole  luy  donna  sa  bénéiçon,  et  luy 
pria  moult  que  il  gouvernast  si  son  royaume  cpie  ce  feust  au 
prouffit  et  au  sauvement  de  s'ame.  Le  roy  prist  congié  et 
s'en  retourna  en  France  pour  ce  que  l'apostole  vouloit  illec 
séjourner  et  tenoit  concile  général.   Le  roy  Phellppe  luy 


»  liam  apud  rcgcni  oblinuit  ut  ipsnni  noviini  militcm  facerct,  et  magistros 
»  ac  custodes  in  armis  iraderet  ad  tyrocinia  exerccnda.  »  On  peut  être 
surpris  de  voir  le  comte  de  Foix,  après  avoir  fait  ses  preuves  d'homme 
de  guerre,  venir  apprendre  à  Paris  l'art  de  soutenir  une  joute.  Peut-être 
faut-il  attribuer  cette  ignorance  à  l'effet  des  ordonnances  de  saint  Louis 
contre  les  tournois. 

(1)  Raoul  d  Aiissoy  ou  d'Aliace.  C'est  Rodolplie  de  Hapsbourg,  déjà  re- 
connu pins  haut  dans  la  vie  de  saint  Fiouls,  cli.  100. 


m  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

laissa  grant  foison  de  chevaliers  et  de  sergens  d'armes,  pour 
garder  l'apostole  et  ses  cardinaulx  et  tous  ceux  de  la 
court ,  que  nul  encombrement  ne  leur  feust  fait  ;  et  com- 
manda le  roy  que  l'apostole  eust  trois  fors  chasteaulx  et 
defîensables  qui  feussent  en  son  commandement ,  qui  sont 
des  appartenances  et  de  la  seigneurie  du  royaume  de 
France,  assis  assez  près  de  Lyon',  pour  son  propre  corps 
garder  etdeffendre,  se  mestier  feust  (1). 

Le  concile  général  commença  dès  les  kalendes  de  may 
et  dura  jusques  à  la  Magdaleine.  En  ce  concile  général  ot 
fait  moult  de  bonnes  besoignes  et  prouffitables.  L'en  or- 
denna  premièrement  et  establi  que  l'apostole  fust  esleu  des 
cardinaulx  et  en  pou  de  temps ,  ou  que  l'en  les  méist  en 
prison  fermée,  et  que  l'en  leur  donnast  pou  viandes  jus- 
ques à  taut  qu'ils  se  feussent  accordés. 

Après  ce,  il  fu  accordé  que  la  dixième  partie  des  biens  de 
saincte  eglyse  feussent  donnés  et  octroies  jusques  à  six  ans 
pour  soustenir  et  deffendre  la  terre  d'Oultre-mer.  En  ce 
meisme  concile  furent  quassées  aucunes  religions  qui  vi- 
voient  d'aumosnes  ;  (  si  comme  les  frères  des  Sacs  et  les  fi'ères 
des  Prés  et  pluseurs  autres),  et  les  bigames  (2) furent  cassés 
et  mis  hors  de  tous  privilèges  de  clerc,  et  furent  abandon- 
nés à  laie  justice  ainsi  comme  laie  gent.  En  la  fin  du  concile 
vindrent  les  messages  des  Griex  (3)  courtoisement  et  bien  no- 
blement, et  distrent  et  promistrent  qu'il  estoient  de  la  court 
de  saincte  églyse  et  confessèrent  le  Père  ,  le  Fils  et  le  Sainct 

(1)  Ce  don  de  trois  chdleaux  fait  au  pape  n'est  pas  mentionné  dans  le 
latin. 

(2)  Lei  bigames.  Ceux  qui  nprcs  avoir  eu  deux  femmes  se  rendoicnt 
religieux.  «  A  celuy  concilie  furent  cil  qui  avoient  cspousé  famés  vcves, 
>-  ou  qui  se  marioient  par  deux  fois,  condampnésà estrc  bigames.  «(Texte 
d'.i  msc.  8396-3.)  — Pour  les  frères  des  Sacs,  \oy.  plus  haut,  Vie  de  saint 
I-ouis,  chap.  80. 

(3)  Des  Griex,  Le  latin  ajoute  :  El  TarUo-orum,  p.  .';2S. 


(1272.)  PHELIPPE  III.  37 

Esperit,  et  chantèrent  en  plein  concile,  à  haiilte  voix  :  credo 
in  Denm. 

Le  nombre  des  archevesques  et  des  évesques  qui  en  ce 
concile  furent  assemblés  fu  estimé  à  cinq  cens,  et  des  abbés 
croces  portant  jusques  à  soixante,  et  d'autres  prélas  jusques 
à  mil. 


XIX. 


De  la  rojiie  Marie ,  femme  le  roy  Phelippe ,  et  de  la  mort  le  roy 
Henry  de  Navarre. 

Le  roy  Plielippe  ot  conseil  de  soy  marier  et  de  prendre 
femme.  Si  luy  fu  parlé  de  pluseurs  femmes  de  liaulte  lin- 
gniée  et  de  hault  parage.  Entre  les  autres  dames  luy  vin- 
drent  nouvelles  de  damoiselle  Marie,  fille  au  ducdeBreban, 
pour  ce  qu'elle  estolt  belle  et  sage  et  plaine  de  bonne 
meurs.  Si  fu  accordé  que  le  roy  la  préist  à  femme ,  si  la 
manda  par  ses  messages.  Quant  le  duc  Jehan  oï  la  nou- 
velle, si  fu  moult  lie  et  reçut  les  messages  tant  honnoura- 
blement  come  il  pot ,  et  luy  envoia  sa  fille  aournée  de 
joiaulx  et  de  riche  atour  ,  si  comme  il  appartenoit  à  telle 
dame.  Le  roy  espousa  la  dame  et  la  cueilli  en  grant  amour. 
Pierre  de  la  Broce ,  maistre  chambellenc  du  roy,  moult 
enflé  et  desdaigneux  de  ce  que  le  roy  amolt  tant  sa  femme, 
ot  trop  grant  envie  (1),  et  luy  fu  avis  qu'il  ne  seroit  plus  si 
privé  de  luy  comme  il  estoit  devant ,  et  que  la  graut  haul- 
tesce  où  il  estoit  monté  pourroit  bien  abaissier. 

Si  pourpensa  de  jour  en  jour  coment  il  pourroit  ape- 
ticier  l'amour  cjui  estoit  entre  le  roy  et  la  royne  ;  né  ne  re- 
gardoit  point  le  lieu  dont  il  estoit  venu  né  le  bas  estât  où 

(1)  Les  Gesla  ajoalcnl  ici  :  IH  uliiini  udjirutnbani. 

TOM.  Y.  4 


38  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

il  avoit  esté  ;  car  ,  quant  il  vint  à  la  court  le  roy  Loys  ,  il  es- 
toit  un  povre  cirurgien  et  estoit  né  de  Touraine  (I)  :  si  monta 
tant  en  hault  que  le  royPhelippe  en  fist  son  cliambellanc, 
et  que  il  ne  fesoit  riens  fors  par  son  conseil  ;  né  les  barons 
né  les  prélas  ne  faisoient  riens  à  court  séné  li  faisoientgrans 
préseus  et  grans  dons. 

Geste  chose  desplut  moult  aux  barons  ,  et  orent  grant  in- 
dignacion  de  ce  que  il  avoit  si  grant  puissance  devers  le  roy , 
et  faisoit  si  sa  volenté  ;  né  ne  demandoit  riens  au  roy  ,  tant 
feust  grand  chose,  qui  de  riens  lui  feust  esconduit.  Il 
requist  au  roy  que  maistre  Pierre  de  Bavay ,  cousin  sa  femme, 
feust  évesque  de  Baieux  ,  et  tantost  le  roy  voult  et  com- 
manda qu'il  feust  évesque  ;  le  chapitre  de  Baieux  ne  l'osa 
contredii'e  pour  la  doubtance  du  roy.  Le  roy  maria  ses  fils 
et  ses  filles  là  où  il  voult  demander  et  commander  ,  et  tout 
à  sa  volenté. 

Henry,  conte  de  Champaigne  et  roy  de  Navarre,  mourut 
celle  année  meisme.  Sa  femme  demeura  veuve  et  ot  une 
fille  de  luy  qui  avoit  nom  Jehanne  ,  et  estoit  si  petite  que 
elle  gisoit  au  bercueil.  Quant  elle  o'i  la  mort  de  son  sei- 
gneur, si  se  hasta  moult  de  porter  son  enfant  en  France 
pour  la  doubtance  de  ceux  de  Navarre ,  qu'il  ne  luy  en 
féissent  ennuy  ou  aucun  contraire.  Le  roy  Phelippe  re- 
ceut  l'enfant  doulcement  et  volentiers  ,  et  le  fist  nourrir 
à  sa  court  avec  ses  gens  et  ses  enians,  tant  que  elle  feust  en 
aage  que  il  la  peust  donner  à  aucun  hault  homme  à  marier. 

Pour  ceste  chose  faire  et  accomplir  au  prouffit  de  l'enfant, 
le  roy  euvoia  maistre  Huilasse  de  Biaumarchais  en  Na- 
varre ,  et  si  luy  commanda  qu'il  receust  en  son   nom  et 

(1)  Plusieurs  aclos  conlcmpornins  prouvent  que  Pierre  de  la  Brosse 
ctoit  d'une  naissance  plus  relevée  qu'on  ne  le  supposolt  après  sa  mort. 
Voyez  les  pièces  jus'.ificalivcs  rie  la  Complainte  de  Pierre  de  la  Brosse, 
publiée  par  M.  Jubinal. 


(1274.)  PHELIPPE  III.  39 

comme  tuteur  et  garde  de  l'enfant,  les  hommages  des  barons 
de  Navarre.  Monseigneur  Huitasse  se  hasta  moult  de  faire 
son  commandement,  et  vint  au  plus  tost  qu'il  pot  en  la 
contrée  de  Navarre  ,  et  monstra  le  commandement  le  roy 
de  France  aux  barons  et  aux  bourgois  du  pais  ;  et  s'arresla 
tout  premièrement  en  la  cité  de  Pampelune  et  fist  illec  sa 
garnison  des  François  et  de  sa  gent  (1)  ;  et  s'en  ala  par  chas- 
teaulx  et  par  cités  en  faisant  le  prouffit  et  l'honneur  du 
roy  au  mielx  qu'il  pot  et  qu'il  sot,  en  recevant  les  hommages 
et  les  sermens  des  barons  du  païs. 


XX. 


Dit  couronnemenl  la  royne  Marie. 

Prélas  et  barons  du  royaume  de  France  et  d'Alemaigne(2) 
s'assemblèrent  et  vindrent  à  Paris ,  et  de  pluseurs  autres 
nacions ,  pour  ce  que  la  royne  Marie  devoit  estre  couron- 
née. Si  fu  l'assemblée  moult  grant  et  moult  belle  de  hauLv 
princes,  de  haulx  hommes  et  de  moult  grans  barons.  L'ar- 
chevesque  de  Rains  chanta  la  grant  messe  ;  après  ce  que  il 
Tôt  chantée  ,  il  mist  la  couroinie  sur  le  chief  la  royne  Ma- 
rie ,  et  la  sacra  et  benéy  ainsi  comme  il  ont  acoustumé  eu 
France ,  et  fu  droitement  le  jour  de  la  feste  saint  Jehan- 
Baptiste,  l'an  de  grâce  mil  deux  cens  soixante  et  quinze. 

La  feste  fu  moult  noble  et  moult  belle  ,  si  que  à  paines  le 


(1)  Sa  cjarimon  des  François  el  de  sa  gent.  «  Perlransiensque  usquè 
»  ad  Pampilionem  regni  illius  regiam  civila'.em ,  garnisionem  suam  cl 
»  gcntes  suas  Francigcnas  luliori  loco  quô  potuit,  sagaciler  introdiixit.  i> 
(GcslaPhil.  m.) 

(2)  Par  Allemagne  il  faut  entendre  ici  sans  doute  le  Brabanl  et  le 
Hainaut,  qu'on  désignoit  également  sous  le  nom  général  de  Pays  Tliiois. 


40  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

pomrolt  nul  raconter.  Les  chevaliers  estoient  vestus  de 
dras  de  diverses  couleurs.  Une  fois  estoient  en  vair  et  l'au- 
ti'e  en  gris,  en  vert  ou  en  escarlate ,  et  en  pluseurs  autres  no- 
bles couleurs  ;  les  ferniaus  d'or  es  poitrines  ,  et  sus  les  cs- 
paules  de  grosses  pierres  précieuses  ,  si  comme  esmcraudes, 
saphirs,  jacintes ,  pelles,  rubis  et  pluseurs  autres  pierres 
précieuses  de  pluseurs  autres  manières.  Si  avoient  aniaux 
d'or  es  dois  aournés  de  riches  diamans  et  de  riches  topazes, 
et  estoient  leur  chefs  (1)  aournés  de  riches  treçoirs  et  de  ri- 
ches guimples  toutes  tissuesà  fin  or  et  couvertes  de  pelles  et 
autres  pierres. 

Les  bourgois  de  Paris  firent  feste  moult  grant  et  moult 
soUempnel ,  et  encourtinèrent  la  ville  de  riches  dras  de 
diverses  couleurs  et  de  pailes  et  de  cendaux.  Les  dames  et 
les  pucelles  s'esbaudissoient  en  chantant  diverses  chançons 
et  diverses  motés.  Quant  la  feste  fu  passée,  l'arcevesque  de 
Sens  vint  devant  le  légat  Simon,  prestre  et  cardinal  de 
l'églyse  de  Saincte-Cécile  ,  et  dist  au  légat ,  en  complaiu- 
gnant,  que  il  luy  féist  droit  de  l'arcevesque  de  Rains  qui 
luy  faisoit  tort  de  ce  cpie  il  avoit  couronnée  la  royne  Marie 
de  France  en  sa  diocèse,  et  que  à  luy  n'appartenoit  riens  de 
ce  faire  ,  se  ce  n'estoit  en  sa  province,  en  la  cité  de  Rains  ; 
et  monstra  l'arcevesque  de  Sens  une  épistre,  qui  pièce  a  fu 
accomplie  et  confennée  par  Yvon  évesque  de  Chartres  ,  en 
laquelle  il  estoit  contenu  que  l'arcevesque  de  Rains  ne  se 
doit  entremestre  du  couronnement  au  roy  de  France  de 
nulle  riens  hors  de  sa  province.  Si  fu  respondu  de  par  le 
roy  de  France  à  l'arcevesque  que  à  tort  et  sans  raison  s'en 
plaingnoit,  car  la  chapelle  le  roy  qui  est  à  Paris  où  la  royne  fu 
couronnée,  est  exempte  et  n'est  de  riens  en  sa  juridiccion. 

(1)  Et  estaient  leur  cMefs.  Le  msc.  n»  6,  Sup.  fr.,  porte  :  «  Et  estoient 
»  leurs  atournés  de  riches  (juimpes.  »  Il  faudroil,  je  crois,  partout  :  Et  es- 
toient leur  femmes ,  etc.  —  Pelles.  Perles. 


(1276.)  PHELIPPE  III.  41 

XXI. 

De  la  mort  Fcnaal  d'Espaigne. 

Celle  aiint'e  meisine  mourut  Ferrant ,  l'ainsné  fils  au 
roy  de  Castelle.  Ce  Ferrant  avoit  espousce  Blanche  ,  la  fille 
au  roy  Loys ,  en  celle  fourme  et  en  celle  manière  que  se 
Blanche  avoit  hoirs  du  fils  au  roy  d'Espaigne  ,  c|ue  le 
royaume  venroit ,  après  la  mort  du  père  et  de  l'aiol ,  aux 
enfans  de  ladite  Blanche  entièrement.  Quant  Ferrant  fu 
mort ,  Blanche  sa  femme  demoura  veufve  à  tout  deux  en- 
fans  que  elle  ot  de  luy  ,  Ferrant  et  Alphonse,  qui  dévoient 
par  droit  après  la  mort  de  leur  aiol ,  avoir  le  royaume  d'Es- 
paigne ,  si  comme  il  avoit  esté  en  convent  entre  le  sainct 
roy  Loys  et  le  roy  de  Castelle.  Pour  ce  furent  ces  choses 
affermées  et  octroiées  des  deux  roys  et  des  barons  d'Espai- 
gne; car  le  roy  saint  Loys  avoit  aucun  droit  au  royaume 
d'Espaigne  de  par  madame  Blanche  sa  mère  qui  fu  fille  du 
roy  de  Castelle  qui  jadis  fu. 

De  toutes  les  convenances  que  le  roy  de  Castelle  avoit 
jurées  à  tenir  il  n'en  fu  rien  ,  ains  manda  les  barons  de  son 
royaume  et  leur  pria  qu'il  féisscnt  hommage  à  Sanse  son 
fils,  et  qu'il  estoit  enferme  de  son  corps  et  paralitique,  et 
que  il  ne  povoit  plus  le  royaume  maintenir. 

En  celle  manière  déshérita  les  enfans  de  son  premier  fils, 
né  à  Blanche  leur  mère  il  ne  donna  né  rente  né  douaire 
né  nulle  autre  chose  dont  elle  péust  vivre.  La  bonne  dame 
demoura  toute  esbahie  et  toute  esgarée  entre  les  Espaignols 
qui  guaires  ne  l'avoient  chière. 

Le  roy  de  France  sot  bien  le  povre  estât  où  sa  suer  es- 
toit  ,  et  comment  ses  ncpveus  estoient  déshérités  :  si  en  fu 
moult  durement  dolent  et  couroucié.  Si  se  conseilla  co- 

4. 


42  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

ment  et  eu  quelle  manière  il  poui'ioit  avoir  sa  suer,  né  oster 
tle  la  chetivelé  où  elle  estoit.  Si  envoia  au  roy  d'Espaigne 
uicssire  Jehan  d'Acre  bouteillier  de  France ,  et  luy  manda 
que  il  gardast  bien  c]ue  le  douaire  de  Blanche  sa  suer  ne 
feust  par  luy  né  par  autre  troublé  et  enipeschié  ,  et  que  le 
droit  que  ses  nepveux  avoient  au  royaume  de  Castelle  leur 
feust  gardé  ;  et  se  il  ne  voulloit  ce  faire,  au  moins  qu'il  luy 
envoiast  sa  suer  et  ses  deux  enfans  ,  et  qu'il  leur  livrast  sauf 
conduit  juscjues  à  tant  qu'ils  feussent  retoui-nés  en  France. 

Au  roy  d'Espaigne  vindrent  les  messages  et  luy  racon- 
tèrent mot  à  mot  ce  que  leur  seigneur  leur  avoit  commandé. 
Mais  il  refusa  tout,  et  dist  qu'il  n'en  feroit  riens  ,  et  fu  en- 
flé et  couroucié  de  ce  que  le  roy  de  France  luy  avoit  mandé. 
Les  évesques  qui  apperceurent  la  tricherie  du  roy ,  lui  re- 
quisrent  cjue  puisque  autre  chose  n'en  voulloit  faire,  qu'il 
en  laissast  aller  Blanche  et  ses  deux  enfans  au  roy  de  France 
son  frère.  Il  c}ui  fu  courroucié  et  enflé  d'aucunes  paroles 
qu'il  luy  avoient  dites,  respondi  tout  estrousséement  (1)  que 
il  l'emmenassent  quelle  partcju'il  voudroient,  et  qu'il  n'en 
faisoit  force  (2). 

Quant  il  orent  ainsi  estrivé  par  paroles  de  ramposnes,  les 
messages  s'en  jiartirent  et  se  mistrent  au  chemin  et  emmenè- 
rent Blanche. Les  messages  se  doubtèrent  moult  que  le  roy 
ne  leur  féist  aucun  agait  et  aucun  encombrement  ;  si 
se  hastèrent  de  chevauchier  et  d'aler  par  jour  et  par 
nuit ,  tant  qu'il  vindrent  à  un  pas  qu'il  ne  povoient  eschi- 
ver ,  et  passèrent  tout  oultre  sans  nul  péril  :  car  les  espies  au 
roy  d'Espaigne  ne  se  sorent  tant  haster  qu'il  leur  peussent 
venir  au  devant. 

Ainsi  eschapèrent  des  mains  à  leur  ennemis ,  sans  perte 
et  sans  dommage.  Aucuns    des  barons  d'Espaigne  virent 

(1)  EstroiisséeiueiU,  ou  .-l  eslrous.  Violemment. 

{'i)  Il  >i' en  faisoil  force.  Il  n'y  mctloit  pas  d'obstacle. 


(1275.)  I'HIlLIPPE  III.  43 

que  le  roy  leur  seigneur  aloit  contre  son  serement  de  ce 
qu'il  avoit  en  convenant  au  roy  de  France  ,  si  ne  vouldrent 
faire  hommage  à  Sanse  son  fils  qui  jà  estoit  en  possession 
du  royaume  d'Espaigne  :  entre  lesquels  Jehan  Monge(l) 
en  ful'un.  Pour  la  raison  de  ce,  le  roy  d'Espaigne  luy  toUi 
toute  sa  terre  ;  et  cil  s'en  vint  en  France  au  roy  Phelippe, 
et  lui  dist  qu'il  estoit  prest  et  appareillié  d'aler  contre  le 
roy  d'Espaigne  et  de  luy  grever  tant  comme  il  pourroit, 
comme  cil  qui  estoit  parjure  et  qui  avoit  faussé  son  serement. 
Le  roy  Phelippe  qui  bien  sot  la  vérité,  le  reçut  moult 
honnourablement ,  et  luy  dist  qu'il  ne  s'esmaiast  point,  et 
luy  donna  grans  dons  et  luy  fist  admenistrer  une  grant 
somme  d'argent  pour  faire  ses  despens.  Jasoit  ce  que  le 
roy  fu  moult  esmeu  d'aler  contre  le  royaume  d'Espaigne  , 
ne  voult-il  pas  assembler  son  ost  jusques  à  tant  qu'il  feust 
conseillié  aux  prélas  et  aux  barons  de  son  royaume  et  que 
il  eust  autres  messages  envoies  au  roy  d'Espaigne,  pour 
savoir  s'il  feust  hors  de  son  mauvais  propos. 

Incidence.  —  Robert  conte  d'Artois  ala  visiter  le  roy  de  Se- 
cile,  Charles  son  oncle,  et  demoura  avec  luy  une  pièce  de 
temps  en  Puille  et  en  Calabre;  tant  que  il  luy  prist  talent 
de  retourner  en  France.  A  Rome  vint  pour  visiter  les  apos- 
Ires;  sa  femme  qu'il  ot  avec  luy  amenée,  acoucha  malade 
et  mourut ,  et  fu  enterrée  en  l'églyse  Sainct-Pierre  l'apos- 
tre.  Le  conte  Robert  fu  moult  dolent  de  sa  femuîe ,  car 
elle  estoit  plaine  de  grant  bonté  et  sage  et  de  grant  parage. 
Deux  enfansen  demoura  au  conte;  Phelippe  et  Robert,  et 
une  fille  qui  puis  fu  femme  Ancelin  de  Bourgoigne  (2). 
Ainsois  que  le  conte  d'Artois  fust  retourné  en  son  pays,  le 

(1)  Monrje.  «  Joanncs  Nunnii  miIesstrenu)Ssimus.)>(Geslarcg.Philippiiii, 
pag.  531.)  isunnim,  c'est  le  ISunhs  espagnol. 

(2)  Ancelin  de  iourçjoiijnc.  «  Othcllnus  cornes  Burgundiœ.  »  (Id.)  Olhon 
ou  oihelin. 


4i  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

loy  Phelippe  donna  sa  seur  qui  fu  (1)  femme  au  roy  Henry  de 
Navarre  ,  à  Aimont,  frère  le  roy  Edouart  d'Angleterre,  par 
le  conseil  la  royne  Marguerite  sa  mère.  Quant  le  conte  d'Ar- 
tois le  sot,  si  luy  desplut  moult  et  en  fu  forment  couroucié, 
car  il  pensoit  bien  que  le  roy  d'Angleterre  n'avoit  nulle 
amour  au  roy  de  France. 

En  ce  contemple,  Amaury,  clerc,  fils  le  conte  Simou  de 
Montfort  qui  avoit  été  occis  si  comme  nous  avons  dit  des- 
sus (2),  menoit  par  mer  une  sienne  seur  qu'il  avoit,  au  conte 
de  Gales,  pour  ce  que  le  conte  de  Gales  la  devoit  prendre 
à  femme.  Si  comme  il  estoient  en  haute  mer ,  les  espies  au 
roy  d'Angleterre  luy  vindrent  au  devant,  et  les  emmenèrent 
pris  et  liés  devant  le  roy  ;  le  dit  Edouart  le  fist  mettre  en 
prison,  et  luy  tint  longuement.  Quant  Léolin,  le  prince  de 
Gales  le  sot ,  si  en  fu  moult  dolent  ;  si  manda  au  roy  d'An- 
gleterre que  il  luy  rendist  sa  femme  ,  et  s'il  ne  vouloit  ce 
faire,  il  seroit  son  ennemi  et  son  contraire  en  toutes  manières. 

Le  roy  d'Angleterre  luy  manda  cju'il  venist  à  luy  ainsi 
comme  son  homme,  et  il  auroit  conseil  qu'il  en  devoit  faire. 
Léolin  ne  voult  de  riens  obéir  à  son  commandement,  ains 
assembla  sa  gent  et  garni  ses  chastiaux  et  ses  marches  et 
meismement  une  montaigne  fort  et  delFensable ,  garnie  de 
chastiaux  et  de  forteresces  que  on  appelloit  Senandonne  (3). 

Au  roy  Edouart  fu  conté  et  dit  coment  il  se  garnissoit ,  et 
coment  il  occioit  tous  les  Anglois  qui  venoient  en  sa  terre. 
Il  assembla  son  ost  et  se  féri  en  Gales  et  en  chaça  Léolin 
jusques  au  Senandonne,  et  gasta  et  ardi  tout  le  pays.  Plus 
avant  ne  pot  aler  pour  la  montaigne  qui  estoit  enclose  de 

(1)  Sa  srAif  qui  fu.  La  sœur  du  comte,  qui  alors  étoit  veuve  de  Henry 
roi  de  Navarre,  Jehanne  d'Artois. 

(2)  Voy.  Vie  de  saint  Louis,  chap.  89. 

(3)  Senaiidoime.w  Snowdon,  qui  servoit  ordinairement  d'asile  aux  Gallois, 
quand  ils  cloicnt  poursuivis  par  les  Anglois.  »(RapinThoyras,  ad  ann.  1277.) 


(1270.)  PHELIPPE  IIF.  46 

mareschières  et  de  palus  tout  environ  ,  et  pour  la  niontai- 
gne  qui  estoit  fort  et  aspre. 

Ilec  denioura  et  assist  la  montaigne  tout  environ  ,  et  les 
Galois  se  deffendirent  bien  et  asprenient ,  et  se  férirent  par 
maintes  fois  es  Angiois  et  en  tuèrent  assez,  et  emmenèrent 
par  maintes  fois  la  proie  au  roy  d'Angleterre.  A  la  parfin  les 
tint  le  roy  si  court  que  Léolin  vint  à  inercy  ;  mais  ce  ne  fu 
point  sans  grant  perte  de  sa  gent  pour  l'y  ver  qui  estoit  fort  et 
plain  de  pluie  et  de  vent.  Si  fu  accordé  que  Lcolin  auroit 
sa  femme  et  que  ses  hoirs  c|ui  estoient  de  luy  ne  seroieut 
seigneurs  de  Gales  ainsi  comme  leur  devanciers  avolent  esté, 
et  que  Léolin  seroit  sans  plus  tenu  pour  prince  tant  comme 
il  vivroit.  En  telle  manière  rendit  à  Léolin  sa  femme  et 
l'espousa  en  sa  présence  ;  et  puis  rendi  Amaury ,  pour  ce 
qu'il  estoit  clerc,  aux  prélas  d'Angleterre  et  leur  commanda 
le  roy  qu'il  fust  bien  gardé  ,  et  que  se  il  issoit  hors  sans 
congié ,  que  il  les  puniroit  et  en  souffreroient  paine.  Mais 
il  fu  puis  délivré  par  le  commandement  l'apostole  et  vint  en 
France  demourer. 


XXII. 

De  la  mort  Loys,  le  premier  fils  le  roy  Phelippe. 

L'an  de  grâce  mil  deux  cens  soixante  seize ^  avint  que  Loys 
le  premier  fils  le  roy  Phelippe  mouru  et  fu  empoisonné  , 
ainsi  comme  aucuns  dient.  Le  roy  en  fu  en  souspeçon,  et  ceste 
souspeçon  mist  en  son  cuer  Pierre  de  la  Broce,  son  maistre 
chambellenc  :  car  il  inaintenoit  et  disoit  en  derrenier  que  ce 
avoit  fait  la  royne,  et  que  elle  feroit,  se  elle  povoit,  mourir  les 
autres,  pour  ce  que  le  royaume  peust  venir  aux  enfans  qui 
estoient  de  son  corps.  La  court  de  France  en  fu  toute  esmeue 


4C  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

et  en  luunnui oient  plnseurs  (l),  tant  que  le  roy  de  France  le 
sot.  Quant  le  roy  oï  telles  parolles  ,  si  fu  moult  pensis  qui 
povoit  avoir  fait  telles  traïsons;  et  se  pensa  moult  en  quelle 
manière  né  cornent  il  le  pourroit  savoir.  Si  luy  fu  dit  et 
conté  que  à  Nivelle  avoit  une  béguine  qui  estoit  devine  ,  et 
qui  disoit  nouvelles  des  choses  passées  et  à  venir,  et  se  con- 
tenoit  comme  saincte  femme  et  de  bonne  vie  (2). 

Et  aussi  avoit  à  Laon  un  homme  qui  estoit  devin  et  vi- 
dame  de  l'églyse  de  Laon,  qui  par  art  de  nigiomance  savoit 
moult  de  choses  secrètes  ;  et  plus  avant  vers  Alemaigne 
estoit  un  convers  qui  Sarrasin  avoit  esté  ,  qui  grant  maistre 
et  sage  se  faisoit  de  teles  besoignes ,  et  disoit  moult  de 
choses  qui  sont  à  avenir.  «  Par  Dieu  »  ,  distle  roy,  «  aucun 
»  trouvera -l'en  qui  nous  dira  nouvelles  de  ce  fait.  »  Si 
appella  son  clerc  cjui  bien  estoit  privé  et  homme  secret, 
et  luy  pria  qu'il  alast  vers  Laon  et  à  Nivelle  pour  savoir  le- 
quel de  ces  deux  prophètes  estoit  le  plus  sage ,  et  qui  mieux 
et  plus  certainement  diroit  la  vérité  de  ce  que  l'en  li  deman- 
deroit. 

Le  clerc ala  à  Laon  et  à  Nivelle,  et  enquist  et  demanda,  au 
phis  sagement  cju'il  pot ,  lequel  estoit  tenu  au  plus  sage  de 
telle  besoigne.  Si  trouva  que  la  béguine  estoit  mieux  creue 
que  les  autres  de  ce  que  elle  disoit.  Au  roy  de  France  s'en 
retourna  et  conta  tout  ce  qu'il  avoit  trouvé.  Le  roy  manda 
l'abbé  de  Saint-Denys  qui  estoit  nommé  Macy,  car  il  se  fioit 
moult  en  luy,  et  Pierre  évesquede  Baieux,  qui  estoit  cousin 


(1)  C'est-à-dire  que  l'on  soupçonnoit  généralement  la  reine.  C'éloil  à 
lort,  sans  doule;  mais  Pierre  de  la  Brosse  n'avoit  peul-êire  fait  que  prê- 
ter l'oreille  à  des  bruits  dont  on  ne  crut  bien  rcconnoitre  la  fausselé,  il 
l'aut  le  dire,  qu'après  la  déclaration  d'une  vieille  sorcière. 

(2)  «  Erant  lune  duo  pseudoproplietre  in  Francid ,  Viccdominus  Lau- 
duncnsis  ecclesia; ,  et  quidam  sarabita  pessimus  ;  qua;dam  beguina  Nivcl- 
Icnsis  tertia  pseudoi>rophctissa.  Qui  nulla  religione  approbali,  Deo 
mentili,  etc.,  etc.  »  (Gesla  Pli.  III,  pag.532.) 


(1276.)  PHELIPPE  Ilf.  47 

Pierre  de  la  Broce  de  par  sa  femme  ;  et  puis  leur  commanda 
qu'il  alassent  à  celle  béguine  ;  et  que  il  enquérissent  bien  et 
diligemment  de  celle  besoigne  de  son  fils.  Au  chemin  se 
mistrent  et  vindrent  à  Nivelle  :  si  comme  il  furent  descen- 
dus ,  l'évesque  s'en  parti  de  la  compaignie  à  l'abbé  et  fist 
semblant  qu'il  voulloit  dire  son  service  :  si  s'en  ala  à  celle 
dame  et  luy  fist  pluseurs  demandes  de  l'enfant  le  roy  qui 
avoit  esté  empoisonné ,  et  luy  pria  moult  cju'elle  n'en  dist 
riens  à  l'abbé  de  Saint-Denys  en  France  qui  avec  luy  estoit 
envoie. 

L'abbé  vint  après  et  luy  demanda  de  l'enfant,  coment 
il  estoit  aie.  Et  elle  respondi  :  «  J'ai  parlé  à  l'évesque  vostre 
>)  compaignon,  et  luy  ay  bien  dit  la  vérité  de  quanqu'il  m'a 
»  demandé  ,  né  plus  né  autre  chose  ne  m'en  demandés  ,  car 
»  nulle  riens  ne  vous  en  diroie.  » 

Quant  l'abbé  oï  telles  parolles ,  il  en  f  u  moult  couroucié 
et  si  pensa  qu'il  y  avoit  traïson.  Lors  s'en  retournèrent  là  où 
le  roy  estoit  :  et  le  roy  parla  premièrement  à  l'abbé  et  luy 
demanda  qu'il  avoit  trouvé  de  celle  femme,  et  que  elle  avoit 
dit?  et  il  respondi  que  l'évesque  y  estoit  premièrement  aie 
que  luy  ,  et  que  ,  quant  il  y  ala  après  ,  elle  ne  luy  voult  au- 
cune chose  dire.  Le  roy  manda  tantost  l'évesque  et  luy  de- 
manda que  il  âvoit  fait ,  et  coment  celle  femme  avoit  parlé 
à  luy  ?  L'évesque  respondi  :  «  Certes,  monseigneur,  ce  qu'elle 
»  m'a  dit  est  en  confession,  si  que  pour  nulle  riens  ne  le  vous 
»  oseroie  desclorre  né  dire.  » 

Quant  le  roy  oï  telles  parolles,  si  fu  irié  et  plain  de  mauta- 
lent ,  et  luy  dist  :  «  Par  mon  chief,  Dant  évesque,  je  ne  vous 
»  avoie  point  envoie  pour  la  confesser  ;  et  par  Dieu  qui  me 
»  fist,  j'en  sauray  la  vérité  ,  né  atant  ne  le  layray  pas.  »  Le 
roy  manda  Thibaut  évesque  de  Dol  en  Bretaigne ,  et  frère 
Aruoul  de  Iluisemalle  ,  chevalier  de  l'ordre  du  Temple  ,  et 
leur  commanda  qu'il  alassent  à  celle  devine  hastivcmcnt ,  et 


48  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

que  il  parlassent  ensemble  à  elle.  Lors  se  liastèrent  moult  les 
niessagiers  et  vimlrent  à  la  béguine  ;  et  luy  distrent  qu'il 
estoient  messagiers  au  roy  de  France  et  que,  pour  Dieu,  elle 
leur  dist  vérité  de  quanqu.'il  luy  demanderoient. 

Pluseurs  demandes  firent  auxquelles  elle  respondi  ; 
quant  A" int  à  la  fin  ,  elle  leur  dist  :  «  Dictes  au  roy  de  France 
»  monseigneur,  que  il  ne  croie  pas  mauvaises  paroles  sus  sa 
»  femme  ,  car  elle  est  bonne  envers  li  et  loial  envers  tous  les 
«  siens,  et  de  ijon  cuer  entièrement.  »  Les  messages  s'en  vin- 
drent  au  roy  de  France  leur  seigneur ,  et  luy  racontèrent 
toutes  les  paroles  que  elle  leur  avolt  dit ,  bien  et  loiaument 
et  toute  la  pure  vérité.  Dont  pensa  le  roy  qu'il  avoit  aucuns 
en  sa  court  et  en  son  service  qui  ne  luy  estoient  né  bons  né 
loiaux  ;  sagement  se  contint  et  fist  semblant  à  sa  chière  et 
à  sa  contenance  qu'il  ne  luy  en  fust  riens. 


XXIII 

De  la  mtielc  que  le  roy  ftst  pour  alcr  à  Saui'cterre. 

Le  roy  Phelippe  ne  mist  pas  en  oubli  la  félonnie  et  la 
desloyauté  que  le  roy  Alfons  d'Espalgne  avoit  fait  à  sa  suer  : 
si  luy  envoia  messages  et  luy  manda  cju'il  luy  envoiast  ses 
nepveux  ,  et  que  il  assenast  douaire  souffisant  à  sa  suer  ;  et 
se  il  ne  vouloit  ce  faire,  il  luy  mandoit  bien  qu'il  courroit 
sur  sa  terre  et  cpie  il  en  prendroit  vengeance. 

Les  messages  vindrent  au  roy  d'Espaigne ,  et  luy  rec|ui- 
vent,  de  par  leur  seigneur,  qu'il  envoiast  les  enfans  au  roy  de 
France  leur  oncle  et  que  il  tint  les  convenances  que  il  leur 
avoit  juré  et  promis.  Quant  le  roy  ot  oi  les  messages,  il  res- 
pondi paroles  d'orgueil  et  de  beuban,  et  dist  qu'il  ne  feroit 
riens  de  quanqucs  le  roy  de  France  li  niandoit.  Les  mes- 


(127G.)  PHELIPPE  III.  49 

sages  le  def fièrent  et  luy  distrent  bien  qu'il  en  venoit 
sa  terre  gastée  et  arse.  Lors  se  mistrent  au  chemin  et  rapor- 
tèrent  nouvelles  au  roy  de  ce  qu'il  avoient  trouvé. 

Le  roy  manda  tantost  tous  les  haulx  hommes  de  son 
royaume,  et  il  vindrent  de  toutes  pars  ;  néis  (1)  pluseurs  ba- 
rons d'Alemaigne  y  vindrent  pour  la  grant  amour  qu'il 
avoient  au  roy  de  France  :  si  comme  le  conte  de  Bar , 
le  duc  de  Breban ,  le  conte  de  Julliers  ,  le  conte  de 
Lussembourc  et  pluseurs  autres.  Quant  le  roy  ot  apresté  sa 
besoigne  ,  il  vint  à  son  patron ,  monseigneur  saint  Denys, 
et  prist  congié  à  luy  ,  et  demanda  l'oriflambe  :  l'abbé  luy 
mist  en  la  main,  et  luy  dist  que  Noslre-Seigneur  luy  don- 
nast  force  et  victoire  d'abaissier  l'orgueil  de  ses  ennemis. 
Tantost  s'arrouta  l'ost  et  passa  tout  oultre  parmi  Poitou  et 
parmi  Gascoigne. 

Quant  il  vindrent  à  l'entrée  de  Gascoigne ,  là  s'arrestè- 
rent  pour  ordener  de  leur  besoigne.  Si  comme  il  estoient 
ilec  ,  les  messages  au  roy  d'Espaigne  vindrent  au  roy,  mais 
il  fu  avant  huit  jours  passés  qu'il  peussent  parler  à  luy. 
Quant  11  vindrent  devant  le  roy  si  commencièrent  à  parler 
grossement ,  ainsi  comme  en  maintenant  menaces  ;  et  luy 
distrent  qu'il  ne  fust  si  hardi  c[u'il  entrast  en  Espaigne. 
Pour  chose  qu'il  déissent,  le  roy  ne  s'esmut  né  leur  dit 
paroles  villaine  né  honteuse  ;  ainsois  leur  dist  qu'il  pensoit 
à  aler  en  Navarre  et  de  passer  oultre  se  il  povoit.  Les  mes- 
sages le  deffièrent  de  par  le  roy  d'Espaigne  leur  seigneur  ; 
puis  s'en  retournèrent  en  levu-  pays.  Tant  ala  l'ost  avant 
qu'il  vint  à  une  ville  que  on  appelle  Sauveterre  en  la  terre 
Gascon  de  Biart  (2),  assez  près  d'Espaigne. 

Là  s'assemblèrent  toute  la  gent  au  roy  de  France  de  tou- 

(1)  Kéis.  Même. 

(2)  Gnscon  de  Biart.  Gaston  do  hùaii).—-  Saiicclene ,  sur  les  frontières 
de  la  Basse-Navarre  et  du  Béarn. 

5 
/ 


50  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

tes  pars  ;  si  furent  si  grant  multitude  qu'il  n'estoit  nul  qui 
les  peust  nombrer.  Viande  commença  à  apeticier  et  à  faillir 
en  l'ost ,  né  ne  porent  avoir  clievance  pour  les  chevaux  , 
car  il  furent  mal  pourveus  avant  qu'il  venissent  au 
port,  né  que  il  peussent  passer  les  montaignes.  Si  atten- 
dirent et  séjournèrent  ;  et  endemen tiers,  yver  commença  à 
approchier,  les  vens  à  haucier  et  les  froidures  à  venir  plai- 
nes de  pluie,  de  nois  (1)  et  de  gelée.  Si  comme  l'ost  estoit  eu 
tel  point,  aucuns  traiteurs  s'appi'ochièrent  devers  le  roy  et 
luy  firent  entendant  qu'il  seroit  bon  de  retourner ,  et  qu'il 
donnast  congié  à  sa  gent  jusques  au  printemps  ,  et  que  ses 
garnisons  fussent  plus  sagement  ordonnées ,  pourveues  et 
atirées.  IMoult  fu  grant  dommage  et  grant  perte  quant  l'ost 
n'ala  oïdtre  ,  car  il  eussent  prise  toute  Espaigne  à  leur  vo- 
lenté. 

XXIV. 

De  Robert  cl'yirlois  qui  fu  cru'oic  en  Navarre  de  par  le  roy  de 
France. 

Pou  avant  que  le  roy  meust  pour  aler  en  Sauveterre , 
nouvelles  vindrent  que  Huitasse  de  Biaumarchais  estoit 
assis  au  cliastiau  de  Pampelune  des  barons  de  Navarre,  pour 
ce  que  Huitasse  qui  la  terre  gardoit  de  par  le  roy  de  France 
les  voulloit  corrigier  d'aucunes  mauvaises  coustumes  qu'il 
maintenoient  au  pays.  Si  envoia  liastivement  Robert,  conte 
d'Artois  et  Imbert  de  Biaujeu(2),  et  leur  commanda  qu'il 
secourussent  liastivement  son  chevalier  et  sa  gent,  qui  de 
par  luy  y  estoient  aies,  et  que  il  préissent  en  leur  aide  ceux 

(1)  Kois.  Neiges. 

(2)  Imbert  de  Bi  au  jeu.  «  Francix  concstabularium.  »  (  Gesta  Pli.  Ilf,, 
pag.  534.) 


(V116.)  PHELIPPE   III.  51 

de  Tlioulouse  et  de  Carcassonne  et  de  Pierregort ,  et  qu'il 
appelassent  eu  leur  aide  Gascon  de  Biart  et  le  conte  de  Foy. 
Le  conte  d'Artois  se  liasta  moult  et  mena  avec  luy  vingt 
mille  hommes,  que  à  pie  que  à  cheval. Tant  alèrent  qu'il  vin- 
drent  à  un  chastel  qui  est  nommé  Molans  (1)  et  s'arrestèrent 
ilec  tant  qu'il  fussent  conseilliés  coment  né  par  quel  voie 
il  pourroient  entrer  en  Navarre.  Endementiers  qu'd  es- 
toient  en  tel  point ,  un  prince  de  Navarre  qui  estoit  nommé 
Sanse  (2)  s'apperceut  et  avisa  qu'il  avoit  mespris  de  ce  qu'il 
avoit  esté  contre  le  roy  de  France  ;  si  ne  voult  plus  estre 
contraire  à  la  gent  le  roy  né  faire  nul  encombrement.  Garse 
Morans  (3)  si  fu  couroucié  de  ce  qu'il  s'estoit  ainsi  tourné 
devers  le  roy  de  France  ,  si  le  fist  espier  afin  cju'il  le  peust 
trouver  en  tel  point  qu'il  le  peust  occire.  Si  avint  que  Pierre 
Sanse  estoit  couchié  en  son  lit  :  tant  fist  cherchier  qu'il  le 
trouva  et  l'occist  et  les  chevaliers  qui  estoient  de  sa  mes- 
nie.  Quant  sa  femme  et  ses  enfans  sorent  sa  mort ,  si  man- 
dèrentà  monseigneur  Huitasse  que  il  luy  aideroient  en  toutes 
manières  ,  mais  il  leur  promist  que  il  leur  alderoit  à  vengier 
la  mort  de  Pierre  Sanse.  Ainsi  comme  il  estoient  en  tel  bri- 
gue et  en  tel  descort ,  le  conte  d'Artois  se  tenoit  près  des 
pors  (4)  à  grant  foison  de  gent  à  pié  et  à  cheval  ;  et  ala 
tant  qu'il  laissa  les  pors ,  et  s'en  vint  par  les  mous  de 
Pirène  et  passa  tout  oultre  par  la  terre  d'Arragon  et  en- 
tra au  royaume  de  Navarre  luy  et  tout  son  ost.  Tant  che- 
vaucha et  ala  avant  qu'il  vint  devant  la  cité  de  Pampelune, 


(1)  Molans.  Versus  fincm  terrœ  Gasconis  de  Biardo ,  in  castello  ipsius 
quod  Mollans  nuncupatur.  »  [UL,  id.)  Ce  duit  être  Mauléon. 

(2)  Sanse.  «  Petrus  Sances.  » 

(3)  Garse  Morans...  «  Garsium  Morani ,  régis  Franciae  adversariorum 
principem  et  capilaneum...  »  {id.,  id.) 

(4)  Des  Pors.  C'est-à-dire  près  des  clicniins  par  lesquels  on  pénélroit 
dans  les  Pyrénées.  De  là,  la  ville  de  Saint- Jean-Pied-de  Port . 


62  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

droitement  la  veille  de  Nostre-Dame  en  septembre,  et  assié- 
gea la'ville  environ  à  tout  son  ost. 

Garse  Morans  qvii  avoit  occis  Pierre  Sanse  esloit 
en  la  cité,  maistre  et  capitaine  de  tous  :  avec  luy  estoient 
pluseurs  barons  de  Navarre  qui  par  pluseurs  fois  avoient 
assailli  messire  Huitasse  ;  et  messire  Huitasse  leur  donnoit 
souvent  grans  assaus  et  les  faisoit  moult  souvent  reculer. 
Quant  le  conte  d'Artois  vit  qu'il  ne  voulloient  issir  hors  né 
venir  en  bataille  contre  luy,  si  fist  ses  engins  drecier,  et  si  fist 
jecter  pierres  et  mangonniaux  qui  abatoient  devant  eux 
quanqu'il  trouvoient,  maisons,  sales  et  palais.  Si  orent  ceux 
de  dedcns  grant  paour ,  si  qu'il  ne  sorent  que  faire  né  que 
devenir ,  né  n'avoient  nulle  espérance  de  sauveté  se  ce 
n'estoit  par  fuite  :  et  vindrent  à  Garse  Morant,  si  luy  de- 
mandèrent qu'il  pourroient  faire  ,  et  il  leur  dist  qu'il  ne 
se  esbahissent  de  riens  et  que  le  matin  il  cliasceroit  les 
François  du  siège. 

Quant  ce  vint  à  l'anuitier ,  il  fist  grans  caroles  et  grans 
tresches(Ii,  et  chanter  à  haute  voix  ^  pour  donner 
cuer  à  ses  bourgois  qui  moult  forment  s'espoven- 
toient  :  si  disoit  et  maintenoit  qu'il  avoit  trop  grant  désir 
de  combatre  à  ses  ennemis.  Si  comme  vint  entour  mienuit , 
que  la  nuit  fu  bien  obscure  et  le  peuple  fu  acoisié ,  Garse 
Morsant  et  Golsant  et  les  autres  plus  nobles  de  Navarre 
issirent  de  Pampelune  le  plus  seriement  cju'il  porent  et 
tournèrent  en  fuie. 

Garse  n'osa  demourer  en  Navarre  pour  le  lignage  de  Pierre 
Sanse  ,  ains  s'en  fouy  tant  comme  il  pot  au  roy  de  Castelle 
qui  le  reçut  et  prist  à  garantir  contre  ses  ennemis.  Le  peuple 
de  Pampelune  fu  moult  troublé  et  les  bourgois  esbahis 
quant  il  sorent  que  ceux  qui  les  dévoient  garantir  s'en  es- 

(1)  Tresches.  Rondes,  sarabandes. 


(1-276.)  PHELIPPE  HI.  5â 

toient  fouys  ;  les  nouvelles  en  vindient  au  conte  d'Artois 
qu'il  s'en  estoient  ainsi  aies ,  si  en  fu  moult  courroucié  , 
car  il  avoit  enpensé  qu'il  les  piésenteroit  au  loy  de 
France. 

Les  esclievins  de  Panipelune  mandèrent  au  conte  d'Artois 
que  moult  volentiers  s'accorderoient  à  luy.  Quant  le  conte 
oï  ce ,  si  envoia  le  connestable  de  son  ost  à  Pampelune.  Si 
comme  il  parloient  ensemble,  en  quelle  fourme  il  feroient 
paix  et  en  quelle  manière  ,  la  piétaille  coururent  aux 
armes  et  aux  murs  et  aux  defFenses  de  la  cité ,  pour  ce 
que  l'en  parloit  de  paix;  si  entrèrent  eus  malgré  leur 
capitaines  ,  cjui  les  encontredirent  tant  comme  il  poreut  ; 
si  robèrent  et  prisrent  quanqu'il  porent  trouver  ,  et 
occirent  hommes  et  femmes ,  ainsi  comme  se  ce  feussent 
Sarrasins.  Et  prenoient  à  force  les  veufves  femmes  et  les 
pucelles  etsecouchièrentavec  elles,  et  puis  les  despoillèrent 
et  toUirent  quanqu'il  avoient  ;  et  n'espargnièrent  né  églyse 
né  moustier ,  ains  s'en  vindrent  à  la  tombe  du  roy  Henry 
qui  gisoit  en  l'églyse  Nostre-Dame ,  et  cuidèrent  qu'elle 
fust  d'or  et  d'argent ,  si  la  despecièrent  toute  et  esracliièrent 
par  pièces  et  par  morceaux.  Le  conte  d'Artois  fist  crier  à 
ban ,  par  tout  l'ost  et  en  la  cité ,  qu'il  se  tenissent  en  paix 
et  se  souffrissent  de  mal  faire  ,  ou  il  les  puniroit  des  corps. 
Adoncques  se  restraindrent  et  tindrent  de  mal  faire  , 
pour  la  doubtance  qu'il  avoient  du  conte  d'Artois  qui 
forment  les  menaçoit.  Le  conte  d'Artois  rasseura  les 
bourgois  et  les  prist  en  sa  garde  et  en  sa  deffense  ,  et  leur 
rendi  tant  comme  il  pot  de  ce  c|ui  leur  avoit  esté  tollu. 
Quant  la  cité  fu  prise,  le  conte  d'Artois  la  fist  garnir  de  .sa 
gent ,  et  les  fist  entrer  es  forteresces  pour  deffendre  et  gar- 
der la  cité  de  leur  ennemis.  D'ilec  se  parti  et  ala  partout  le 
royaume  de  Navarre  et  prist  tout  en  sa  main  ,  né  ne  fu 
nul  qui  li  osast  contredire  né  qui  contre  luy  peust  durer. 

5. 


64  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 


XXV. 

Content  le  conle  d'Artois  ala  parler  au  roy  d'Espaione. 

Quant  Painpelune  et  toute  la  terre  de  Navarre  fu  en  la  inaiu 
du  conte  d'Artois,  nouvelles  en  vindrent  au  roy  d'Espaigne;  si 
se  doubta  moult  de  luy  et  de  son  royaume.  Si  manda  au 
conte  d'Artois  ,  comme  à  son  cliier  cousin  ,  salut  et  bonne 
amour ,  et  luy  manda  que  volentiers  parleroit  à  luy  et  le 
verroit.  Le  conte  d'Artois  reçut  les  messages  moult  courtoi- 
sement et  les  fist  demourer  avecques  luy  tant  qu'il  se  fust 
conseilllé.  Tantost  prist  vui  message  ,  et  envoia  au  roy  de 
France  ce  que  le  roy  d'Espaigne  luy  requeroit  (1) ,  et  que 
riens  ne  vouldroit  faire  sans  son  congié. 

Le  roy  de  France  luy  manda  que  bien  luy  plaisoit  que  il 
y  alast,  comme  cil  qu'il  tenoit  pour  bon  et  pour  loial,  et  que 
moult  se  fîoit  en  luy.  Quant  le  conte  d'Artois  ot  congié,  si 
se  mist  a  u  chemin  et  ala  au  roy  d'Espaigne  qui  le  reçut  moult 
liement  et  à  grant  feste  ;  et  parlèrent  ensemble  de  moult  de 
choses.  Et  moult  luy  pria  le  roy  qu'il  fist  la  paix  de  luy  et 
du  roy  de  France.  Le  conle  respondi  que  volentiers  le  fe- 
roit.  Ainsi  comme  il  estoient  ensemble,  vint  un  message  qui 
aporta  tout  Testât  et  tout  le  secré  et  tout  le  pensé  du  roy 
de  France.  Quant  le  roy  ot  oï  le  message  ,  si  dlst  au  conte 
d'Artois  :  «  Biau  cousin,  je  ne  suy  point  sans  amis  à  la  court 
»  de  France  ,  et  ainsi  me  devriez-vous  obéir  et  aidier,  par 
»  raison   de  lignage  ;    j'ay  tels  amis  qui  bien  me   savent 


(I)  Ce  que  le  roy ,  clc.  C'est-à-dire  :  Pour  lui  donner  avis  de  l'invitation 
que  lui  faisoit  le  roi  d'Espagne  cl  pour  le  prévenir  qu'il  attcndroit  s;i 
permission  pour  s'y  rendre. 


(127G.)  PïIELIPrK   lir.  55 

»  mander  tout  son  couvine  ,  et  qu'il  veut  faire  et  qu'il  a  en 
»  pensé.   » 

Ainsi  furent  ensemble  ne  scay  quans  joui'S  le  roy  et  le  conte, 
et  se  déduisoient  ensemble  et  se  esbatoient  ;  tant  que  le  conte 
demanda  congié  et  le  roy  luy  donna  volentiers.  Et  puis  le 
convoia  et  fist  honneur  et  courtoisie,  tant  comme  il  pot.  Le 
conte  d'Artois  s'en  vint  tout  droit  en  Navarre ,  et  pensa 
moult  en  ce  que  le  roy  d'Espaigne  savoit  Testât  et  le  secré 
du  roy  de  France  ;  si  chéy  en  souspeçon  que  ce  venist  de 
Pierre  de  la  Broce.  Lors  se  conseilla  à  ses  amis  se  ce 
estoit  bon  qu'il  s'en  alast  en  France  où  il  demourast  ; 
si  luy  fu  loé  cjue  il  pourroit  seurement  laissier  la  terre  à 
garder  aux  chevaliers  de  Pierre  Sanse  et  à  messire  Huitasse 
de  Biauniarcliais,  et  aller  en  France  s'il  luy  plaisoit.  Le  conte 
prist  les  seremens  des  chevaliers  de  Pierre  Sanse  ,  et  leur 
pria  moult  de  garder  la  terre  en  telle  manière  qu'il  y  eus- 
sent honneur.  A  tant  se  départi  et  chevaucha  tant  qu'il 
vint  en  France  ;  et  dist  et  raconta  au  roy  Phelippc  tout  ce 
qu'il  avoit  oi  et  veu  du  roy  d'Espaigne.  Le  roy  pensa  bien 
que  ce  venoit  d'aucuns  de  ses  privés  qui  estoient  en  son  ser- 
vice. Pour  ceste  chose  fu-il  moult  en  doubtance  à  quels 
gens  né  à  quels  personnes  il  se  pourroit  conseillier  né  dire 
son  secret. 

Incidence.  —  Assez  tost  après ,  vindrent  en  France  les 
messages  du  royaume  de  Tharse ,  et  denoncièrent  au  roy 
Phelippe  de  par  le  roy  de  Tharse,  leur  seigneur ,  que  se  il 
vouloit  aler  Oultre  mer  sur  Sarrasins,  que  volentiers  luy 
aideroit  en  toutes  les  manières  cju'il  pourroit ,  et  degent  et 
de  conseil  et  de  toutes  autres  choses  dont  il  le  pourroit 
nidier.  Ces  messages  qui  vindrent  de  Tharse  n'estoient 
mie  Tartarins  ,  ains  estoient  Géorgiens.  Les  Géorgiens 
sont  près  voisins  aux  Tartarins  ,  et  sont  en  leur  subjection 
et  en  leur  commandement,  et  croient  en  Nostrc-Seigncur 


50  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

Jhésucrist.  Il  vindient  à  Saint-Denys  en  France  célébrer  la 

Pasque  par  le  comniandcuient  le  roy ,   comme  bons  cres- 

tiens  et  parfais ,  selonc  ce  qu'il  monstroient  et  le  faisoient 

assavoir. 

Quant  il  orent  séjourné  en  France  tant  comme  il  leur 
plut ,  si  s'en  repairèrent  et  retournèrent ,  et  alèrent  en  An- 
gleterre et  distrent  au  roy  d'Angleterre  ce  meisnie  que  il 
avoient  dit  au  roy  de  France.  L'an  de  grâce  mil  deux  cens 
soixante  dix  et  sept,  l'apostole  Johan  ,  qui  devant  estoit 
nommé  Pierre  L'Espaingnol  (1) ,  se  vantoit  assez  souvent 
quant  il  estoit  avec  ses  plus  privés  qu'il  devoit  vivre  lon- 
guement ,  et  que  bien  le  savoit ,  selon  la  science  de  géomé- 
trie et  d'astronomie  ;  mais  il  ala  tout  autrement  que  il  ne 
disoit.  Car  si  comme  il  séjournoit  à  Yiterbe,  il  fist  faire 
une  chambre  d'encoste  le  palais.  Si  comme  il  ala  veoir  la 
besoigne  coment  elle  se  faisoit,  une  solive  tresbucha  de 
liaut  et  cliéy  sur  luy,  et  le  debrisa  et  quassa  tant  qu'il  mou- 
rut dedens  les  six  jours  de  celle  froissure  :  si  fu  enterré  en 
l'église  Saiiït-Laurens  ,  eu  la  cité  meisme. 


XXVI. 

Cornent  Pierre  de  la  Brocefu  pris  et  pendu. 

En  ce  temps  meisme  advint  cjue  un  message  qui  portoit 
unes  lettres  acoucha  malade  à  une  abbaye.  Si  le  sousprit  le 
malc|ueil  vit  bien  que  il  luy  convenoit  mourir.  Si  appela 
ceux  de  l'abbaye,  et  leur  ûst  promettre  et  jurer  que  il  ne  bail- 
leroient  les  lettres  à  nulle  personne  vivant  né  à  nul  homme 


(1)   Pierre   L'EspaUjnol.  «  Joannes  XX   nalioiie  Hispanus.  »  (  Gesta 
rii,  III,  pag.  630.)  Pierre  d'Espagne  étoit  grand  médecin. 


(1277.)  THELIPPE  111.  57 

fors  à  la  propre  personne  du  loy  de  Fiance.  Quant  le  nies- 
sagier  fu  mort ,  un  moine  de  laiens  prist  les  lettres  par  le 
congié  de  son  prieur ,  et  les  porta  tout  droit  au  roy  de 
France  à  Meleun  sur  Saine  où  il  estoit. 

Le  roy  reçut  le  moine  liement  et  luy  fist  bonne  chière, 
puis  entra  en  une  chambre  pour  estre  plus  privéement ,  et 
appela  aucuns  de  ses  privés,  et  fist  ouvrir  la  boi.ste,  et  aussi 
regarder  de  quel  séel  elle  estoit  séellée.  Si  trouva-l'en 
que  c'estoitle  séel  Pierre  de  la  Broce.  Si  ouvri-on  les  lectres, 
mais  ce  qui  dedens  estoit  escript  ne  vouU-on  point  descripre 
né  faire  assavoir  (1).  Moult  se  merveillèrent  ceux  qui  les 
lectres  virent  de  ce  qui  estoit  dedens.  Tantost  le  roy  se 
parti  de  Meleun  et  s'en  vint  à  Paris ,  et  séjourna  ilec  trois 
jours.  D'ilec  se  parti  et  ala  au  bois  de  Yincennes.  Là  fu 
mandé  Pierre  de  la  Broce ,  et  pris  et  mené  en  prison  ; 
après  il  fu  mené  à  Yanville  (2),  et  fu  mis  en  la  maistre  tour. 

Nouvelles  vindrent  à  l'évesque  de  Baieux  que  Pierre  de 
la  Broce  son  cousin  estoit  en  prison.  Si  s'en  ala  au  plus  tost 
qu'il  pot  à  la  court  de  Romme ,  et  se  mist  en  la  garde  de 
l'apostole.  Ne  demoura  guaires  que  Pierre  de  la  Broce  fu 
mené  à  Paris.  Si  furent  mandés  pluseurs  des  barons  de 
France  pour  oïr  le  jugement  Pieri-e  de  la  Broce,  et  pourquoy 
c'estoit  et  comment  il  avoit  desservi  mort. 

Quant  les  barons  furent  assemblés  ,  Pierre  fu  tantost 
délivré  au  bourrel  de  Paris  qui  peut  les  larrons  ,  à  un  bien 
matin  ,  ains  souleil  levant.  Si  le  convoièrent  au  gibet  les 
ducs  de  Bourgoigne  et  de  Breban  et  le  conte  d'Artois ,  et 
pluseurs  autres  barons  et  hommes  nobles.  Le  commun  peu- 
ple de  Paris  s'esmut  de  toutes  pars  ,  et  coururent  hommes 
et  femmes  après;  car  il  ne  povoient  croire  que  homme 

(1)  Ne  voult-on  point  faire  assavoir.  «  Et  adhuc  est  ignoratuni.  »  (Gcsla 
Ph.  111.) 

(2)  Yanville.  Janvillc,  dans  le  Beauvaisis. 


68  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

de  si  hault  estât  fust  dévalé  au  bas.  Le  bounel  luy  mist 
la  corde  entour  le  col ,  et  luy  demanda  s'il  vouUoit  riens 
dire,  et  il  dit  que  nennil.  Tantost  le bourrel  osta  l'escliielle, 
et  le  laissa  aler  entre  les  larrons. 

Nul  ne  se  doit  fier  en  hautesce  mondainne  né  en  son 
grant  estât.  Car  la  roe  de  fortune  qui  ne  se  tient  en  un  point 
né  en  un  estât  l'aura  tantost  dévalé  et  mis  au  bas.  Tous 
ceux  que  Pierre  de  la  Broce  avoit  mis  à  court  né  de  riens 
avanciés  furent  boutés  bors  du  service ,  né  nul  n'en  de- 
moura  que  l'en  péust  savoir  (I). 


(1)  Le  chroniqueur  de  Saint-Denis  ,  dans  toule  l'hisloire  de  Pierre  de 
la  Brosse  ,  a  omis  celles  des  réflexions  de  Nangis  qui  pouvoient  rendre 
problématique  le  crime  de  cet  infortuné  favori.  «  Cujus  mortis  causa 
»  apud  \u\guii  iiicoçiiiiia ,  magnam  cunclis  qui  audierunt  admirationem  et 
»  murmuralionis  maleriam  minislravit.  »  Ce  qu'il  y  eut  de  mieux  prouvé 
dans  toute  l'affaire  ,  ce  fut  la  haine  vouée  par  tous  les  grands  à  Pierre  de 
la  Broce.  Les  révélations  de  la  béguine  de  Nivelle,  les  propos  du  comte 
d'Artois  ,  les  mystérieuses  dépêches  apportées  par  un  moine  dont  on  ne 
cite  pas  même  l'abbaye,  tout  avoit  été  mis  en  usage  auprès  du  plus  crédule 
des  rois,  tandis  que  Marie  de  Brabant  faisoit  aisément  tourner  contre  le 
favori  le  crédit  que  lui  donnoit  l'amour  de  son  époux.  Cependant,  tous 
nos  historiens  modernes  ont,  à  qui  mieux  mieux,  déversé  l'injure  sur  le 
malheureux  Pierre  de  la  Brosse.  Il  faut  pourtant  en  excepter  ÎM.  Daunou, 
Histoire  lia  retire,  t.  xix,  pag.  407  et  408,  et  M.  Achille  Jubinul,  éditeur 
d'un  recueil  curieux  de  pièces  de  vers  faites  à  l'occasion  de  cette  illustre 
disgrâce.  C'est  pourtant  une  réhabilitation  possible  que  celle  du  ministre 
de  Philippe-le-Hardi  :  indépendamment  de  l'auteur  des  Cesla,  nous  avons 
le  témoignage  d'un  contemporain  bien  plus  illustre,  de  Dante  lui-même 
qui  se  trouvoil  à  Paris  i)eu  d'années  après  l'événement.  Dante  a  placé 
Pierre  de  la  Brosse  dans  son  Purgatoire  parmi  les  négligens  :  voici  la 
précieuse  mention  qu'il  lui  a  consacrée  : 

Vidi l'anima  divisa 

Dal  corpo  suo  per  astie  et  per  invcggia, 
(Come  dicea,)  non  per  colpa  commisa  ; 
Pier  délia  Broccia  dico  ,  c  qui  proveggia 
3Ientr'é  di  qua  la  donna  di  Bri'banle, 
Si  chc  i)ero  non  sia  di  peggior  grcggia. 

«  Je  vis  l'amc  qui  fu  séparée  du  corps  par  ressentiment  et  par  envie, 
»  ainsi  qu'on  le  disoit.  Je  parle  do  Pierre  de  la  Brossej  et  puisse  la  dame 


(1278.)  PHELIPPE  III.  59 

XXVII. 

Dn  Soudan  de  Bahiloine. 

Bondodar,  le  Soudan  de  Babiloine,  avolt  destruit  la  cité 
d'Antioche ,  puis  se  tourna  devers  les  clirestiens,  et  leur 
fist  assez  de  maulx  et  de  grief.  Eu  ce  temps  nieisme  que 
Pierre  de  la  Broce  fu  destruit,  les  Tartarins  furent  moult 
courouciés  de  ce  c[ue  Bondodar  menoit  si  grant  niaistrie  en 
la  terre  d'Oultre-nier,  si  assaillirent  Turquie  et  luy  mandè- 
rent bataille.  Le  soudan  assembla  tant  de  gent  comme  il  pot 
avoir,  et  vint  contre  eulx  en  bataille;  les  Tartarins  leur 
coururent  sus  et  en  detrenchièrent  et  occistrent  une  grant 
partie  ;  le  soudan  meisme  fu  navré  à  mort ,  et  se  fit  porter 
à  Damas  :  ilec  mourut  des  plaies  qu'il  ot  eues.  Son  fils  fu 
élu  à  Soudan  après  la  mort  de  son  père  :  mais  il  ne  le  tint 
mie  longuement  en  paix  ,  car  pluseurs  admiraulx  firent 
consjiiration  contre  luy,  et  le  assistrent  en  un  chastel  que 
l'en  nomme  le  Crac  qui  siet  assez  près  de  Babdoine  :  tant 
crut  et  moulteplia  le  descort  entre  eux  que  l'une  partie 
occis t  l'autre. 

XXVIII. 

De  la  voie  que  le  roy  de  France  fist  au  Mont  de  Marchant. 

Le  roy  Phelippe  assembla  grant  partie  de  ses  barons  et 
s'en  ala  en  Gascoigne  à  une  ville  qui  est  nommée  le  Mont 
de  Marchant  (1).  D'autre  part  vint  le  roy  d'Espaigne  avec  des 

»  de  Brabant,  pendant  qu'elle  vit  encore,  pourvoir  à   ne   pas  être  un 
>>  jour  rejetée  dans  une  plus  coupable  Iroupe.  » 

Ce  tercet  du  Dante  suffit  pour  faire  pencher  la  balance  en  faveur  de  la 
Brosse. 

(!)  Monl  de  Marchant.  Mont-de-Marsan. 


60  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

plus  nobles  hommes  de  son  pais  et  commencièreiit  à  parler 
de  l'injure  et  du  descort  que  le  roy  d'Espaigne  faisoit  à 
ma  dame  Blanche  et  à  ses  enfans.  Le  roy  d'Espaigne  estoit 
à  séjour  à  Bayonne ,  si  comme  messages  aloient  et  venoient 
d'une  part  et  d'autre.  Si  comme  les  deux  roys  estoient 
ainsi  comme  à  accort ,  les  messages  vindrent  et  apportè- 
rent commandement  de  l'apostole  que  les  deux  roys  féissent 
paix  et  s'accordassent  ensemble  bonnement  sus  paine 
d'escomnieniement ,  si  que  ce  fust  au  prouffit  et  à  louange 
de  saincte  églyse. 

Quant  le  roy  de  France  oï  tels  paroles  ,  si  ne  voult  qu'il 
en  fust  parlé ,  ains  se  départi  tantost  du  Mont  de  Mar- 
chant ,  et  s'en  ala  tantost  à  Thoulouse.  Si  luy  vint  le  roy 
d'Arragon  ,  luy  et  grant  compaignie  de  nobles  hommes , 
pour  l'y  faire  révérance  et  honneur.  Le  roy  le  receut  moult 
lienient  et  luy  donna  grans  dons  ,  et  luy  fist  grant  courtoi- 
sie. Quant  le  roy  d'Arragon  ot  esté  avec  le  roy  de  France 
tant  comme  il  luy  plut ,  si  prist  congié  et  s'en  retourna  en 
sa  terre ,  et  trouva  sa  femme  qui  avoit  nom  Constance , 
fdle  de  Mainfroy  le  dampné  et  l'escommenié  :  si  luy  dit  (1) 
cornent  et  en  quel  manière  il  porroit  avoir  le  royaume  de 
Secile.  Et  le  roy  Pierre  luy  demanda  se  elle  avoit  oï  nulle 
nouvelle  certaine  de  Palerme  et  Messines?  et  celle  luy  res- 
pondi  que  si  il  les  voulloit  aidier  que  il  le  recevroient  à 
seigneur  et  à  roy ,  et  seroient  de  tout  leur  povoir  contre 
le  roy  Charles  ,  né  jamais  né  le  tendroient  à  seigneur. 

(1)  si  luy  dit.  \lors  Constance  lui  dit. 


(1280.)  PHELIPPE  III.  Ui 

XXIX. 

Incident  du  fleuve  de  Saine. 

Selon  le  temps  de  grâce  mil  deux  cens  quatre  vins  ,  le 
fleuve  de  Saine  issy  hors  de  son  chanel  et  espandi  par  tout 
le  pais.  Et  vint  à  si  grant  ravine  à  Paris ,  qu'elle  rompi  la 
maistre  arche  de  Grand  pont  et  quassa  et  froissa  des  aultres 
jusques  à  six  ,  et  rompi  de  Petit  pont  lagreigneur  partie  ,  et 
enclost  Paris  de  toutes  pars,  si  que  nul  ne  pooit  aler  né  venir 
fors  que  par  iiavie. 

L'an  de  grâce  mil  deux  cens  quatre  ving  et  un  ,  monsei- 
gneur de  Mont  Pincien  (1)  en  Brie  ,  prestre  et  cardinal  de 
Saincte-Cecile,  fu  sacré  à  apostole ,  et  fu  appelle  Martin. 

XXX. 

Cornent  ceulx  de  Secile  se  retournèrent  contre  le  roy  Charles. 

Celle  année  meisme  ,  Pierre  roy  d'Arragon  fu  moult  en- 
talenté  (2)  des  malices  sa  femme ,  et  la  crut  de  quanque 
elle  disoit.  Elle  affermoit  certainement  et  faisoit  enten- 
dant à  son  baron  qu'elle  estoit  hoir  du  royaume  de  Secile  , 
et  le  tenoit  pour  trop  failly ,  pour  ce  qu'il  ne  s'offroit  à 
eux  pour  estre  leur  seigneur ,  comme  ceux  qui  le  recjue- 
roient  chascun  jour. 

Quant  le  roy  ot  oi  et  sceu  et  escouté  teles  paroles,  si 

(1)  Monl  Pincien.  «  Montpincem  »  vel  «  Monspicii.  »  Variantes:  Monl- 
pnyen.  Il  s'agit  ici  de  Martin  IV  (Simon  de  Brie,  de  Moy.tpencien ,  ou  de 
1\lnnt\nlloy,  en  Champagne. 

(2)  Entalenté.  Excité  ,  anime  ,  aiguillonné  par. 

6 


(i2  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

envoia  deux  clievaliPis  pour  veoir  la  contenance  et  la  ma- 
nière du  pays  ;  et  furent  moult  bien  receus  et  honnou- 
rés  des  plus  haulx  hommes  de  la  contrc'e ,  et  promis- 
trent  et  jurèrent  que  il  recevroient  le  roy  comme  leur  sei- 
gneur. Quant  les  messages  orent  fournie  leur  besoigne  ,  si 
s'en  retournèrent  et  emmenèrent  avec  eux  des  plus  haulx 
hommes  et  des  plus  renommés  de  Secile,  pour  mieux  affer- 
mer et  entériner  la  besoigne.  Si  tost  comme  la  chose  fu 
affermée  et  asseurée  d'une  part  et  d'autre  ,  ceux  de  Palerme 
et  de  Messines  et  des  autres  bonnes  villes,  signèrent  (1)  les 
huis  des  François  par  nuit  ;  et  quant  ce  vint  au  point  du 
jour,  qu'il  porent  environ  eux  veoir,  si  occirent  tous  ceux 
qu'il  porent  trouver,  né  n'en  furent  espargniés  né  vieulx 
né  jeunes,  que  tous  ne  feussent  mis  à  l'espée,  néis  les  fem- 
mes enceintes  des  François  furent  toutes  occises  ,  que  nulle 
n'en  demoura. 

Aucuns  en  y  avoit  qui ,  par  grant  félonnie,  les  aouvroient 
par  les  costés ,  et  en  sachoient  les  jeunes  créatures  et  les 
jectoient  contre  les  parois  et  en  faisoicnt  hors  issir  les  en- 
trailles. Leroy  (2)  appareilla  sa  navie  et  tant  de  gent  comme 
il  pot  avoir  pour  aidier  au  roy  de  Secile  ,  contre  le  roy 
Charles,  se  mestier  en  feust  ;  si  envoia  endementiers  à  l'a- 
postole  qu'il  luy  félst  secours  et  aide,  et  que  il  luy  octroiast 
les  dismes  de  saiucte  églyse  en  son  royaume;  que  son 
propos  estoit  d'aler  oultre-mer  sur  les  Sarrasins. 

L'apostole  qui  jà  se  doubtoit  de  luy  né  ne  savoit  s'il  di- 
soit  voir  ou  non ,  luy  respondi  que  moult  volentiers  luy 
aideroit  des  biens  de  la  crestienté  et  de  saincte  églyse , 
mais  que  il  commençast  la  besoigne  ,  et  que  il  peust  ap- 
percevoir  la  fin  où  iltendoit. 

(1)  Siaiièreiit.  Marqueront. 
{"2)  Le  roij.  Pierre  d'Aragon. 


(1282.)  PHELIPPE  III.  63 

XXXI. 

De  la  venue  au  roy  cV Arragon  en  Secile, 

Quant  Pierre  d'Arragon  ot  oi  et  veu  la  voleiité  l'apostole  , 
il  entra  en  mer ,  et  furent  les  voiles  dreciées.  Les  vens  ne 
luy  furent  de  riens  contraires ,  si  s'en  vint  tout  droit  au 
port  de  Thunes  devers  les  destrois  des  niontaignes.  Si  trouva 
ilec  moult  gi-ant  foison  de  Sarrasins  qui  vouldrent  deflendre 
le  port ,  car  il  cuidoient  qu'il  voulsissent  prendre  port  à 
terre,  si  combatirent  à  luy  :  en  ce  poindre  il  perdi  trois  mille 
hommes  par  nombre. 

Ilec  demoura  et  actendi  ne  say  quans  jours ,  et  manda 
ceux  de  Messines  et  de  Palerme  qu'ils  ne  se  doubtassent 
de  riens  du  roy  Charles ,  car  il  avoit  bien  si  grant  gent  et  si 
grant  force  qu'il  estoit  certain  d'avoir  la  victoire  et  la  sei- 
gneurie. Si  comme  ces  choses  estoient  en  tel  point,  nouvelles 
vindrent  au  roy  de  Secile  que  tous  les  François  avoient  esté 
occis  qui  estoient  en  Secile ,  et  que  toute  Secile  estoit  tour- 
née contre  kiy,  et  que  le  roy  d'Arragon  estoit  en  possession 
du  royaume  de  Secile.  Il  manda  tantost  toutes  ces  choses  à 
l'apostole  Martin,  et  à  son  nepveule  roy  de  France.  L'apos- 
tole ala  tantost  à  Orbetine  (1)  et  assembla  tout  le  peuple  du 
pais  et  leur  admonesta  et  dist  que  nul  fust  contre  le  roy 
Charles  né  de  riens  son  contraire,  car  le  royaume  tenoit-il  et 
devoit  tenir  de  l'églyse  de  Romme ,  et  que  en  l'aide  de  ceux 
de  Secile  né  en  leur  commandement  ne  fussent  en  riens 
obéissans  en  nulle  manière  ;  et  ce  commandoit-il  et  voulloit 
que  ce  fust,  sus  paine  de  sentence  d'escommeniement. 

(1)  Orbetine,  «  Urbcm  velerem.  »  C'est  Orvicte. 


Ci  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

Quant  il  ot  ainsi  sernioné  et  amonesté  le  peuple ,  si 
envoia  un  de  ses  cardinaulx  eu  la  contrée,  niaistie  Girait 
de  Parme ,  évesque  de  Saincte-Sabine ,  pour  ce  qu'il  rap- 
pellast  ceux  du  royaume  de  Secile  à  paix  et  à  concorde 
envers  le  roy  Charles.  Si  comme  ce  cardinal  vint  vers  le  ri- 
vage de  la  mer ,  ceux  de  Messines  et  de  Palcrme  luy  vin- 
drent  au  devant  à  l'encontre ,  pour  ce  qu'il  ne  vouldrenl 
en  nule  manière  qu'il  passast  oultre  ;  et  luy  distrent  que  le 
roy  d'Arragon  estoit  tourné  et  entré  en  Secile ,  et  avoit 
tous  le  pais  tourné  à  luy  pour  la  raison  de  sa  femme  qui 
déust  estre  droit  hoir  du  royaume. 

Le  cardinal  vit  bien  que  ceux  de  Secile  tenoient  le  roy 
d'Arragon  pour  leur  seigneur  ,  et  que  nulle  paix  né  nulle 
amour  ne  trouveroit  à  eux  ;  si  s'en  retourna  et  raconta  à 
1  apostole  coment  les  choses  estoient  alées  ;  et  avec  tout  ce  , 
la  plus  grant  partie  de  la  Calabre  s'estoit  à  eux  accordée. 


XXXII. 

Coment  Messines  fu  assise  du  roy  Charles. 

Si  comme  ces  choses  estoient  en  ce  point,  le  roy  Charles 
envoia  son  fils ,  prince  de  Salerne ,  pour  avoir  secours  et 
aide  contre  ses  ennemis.  Avec  ce,  il  assembla  tant  de  gent 
et  tels  comme  il  pot  avoir,  si  passa  le  far  de  Messines. 
Les  bourgois  de  la  ville  furent  sousprins  et  esbahis  de  sa 
venue,  nén'estoient  point  garnis  d'armes  né  d'autres  cho- 
ses deffensables.  Si  fu  bien  dit  et  raconté  au  roy  et  à  sa  gent 
qu'il  pourroit  de  legier  prendre  la  ville ,  mais  le  roy  ot 
pitié  de  destruire  si  noble  cité,  si  envoia  à  ceux  de  dedens 
messagiers  ,  et  leur  fist  dire  qu'il  leur  seroit  assez  débon- 
naire   et  leur  pardonneroit  de   legier  son    maniaient.  Les 


(1282.)  PHELIPPE  III.  (i5 

bourgois  reqùistrent  et  demandèrent  espace  tant  qn'il  eus- 
sent parlé  ensemble  ;  le  roy  leur  octroia  volentiers. 

Endementiers  ,  il  se  garnirent  d'armes  et  mandèrent  se- 
cours par  toute  la  terre  de  Secile  ,  tant  qu'il  furent  garnis  ; 
et  quant  il  furent  garnis,  si  ne  vouldrent  fiiire  chose  que  le 
roy  leur  requist.  Le  roy  avoit  mauvaisement  retenu  ce 
proverbe  que  on  dit  en  France  :  «  Qui  ne  fait  quant  il  puefe 
»  ne  fait  mie  quant  il  vuelt.  » 

Le  roy  commanda  que  la  cité  fust  assaillie  ,  mais  nulle 
riens  n'y  porent  mesfaire ,  tant  que  le  roy  ot  conseil  du 
conte  de  l'Aceurre  (1)  cjui  puis  fu  prouvé  pour  traitre 
comme  il  apparut  puis  le  décès  du  roy  Charles ,  qu'il 
s'en  retournast  en  Calabre.  Lors  se  traïst  le  roy  arrières,  et 
se  mist  es  plains  Saint-Martin,  que  ceux  de  Puille  né  de  Ca- 
labre ne  se  retournassent  contre  luy  ;  et  ilec  attendist  tant 
cjue  son  fils  fust  retourné  de  querre  le  secours  de  France.  Et 
fist  despecier  toutes  les  nefs  qui  estoient  sur  le  rivage  du 
Far ,  garnies  d'armes  et  d'autres  biens  poui'  secourre  la 
terre  d'Oultre-mer  ;  que  il  ne  venissent  par  aucune  aventure 
es  mains  de  ses  ennemis. 

Quant  le  roy  Charles  ot  laissié  le  siège  de  Messines  ,  le 
roy  d'Arragon  plain  de  orgueil  et  de  beuban  se  fist  couron- 
ner du  royaume  de  Secile  en  despit  de  luy,  et  luy  manda 
par  ses  lettres  que  il  ne  feust  si  hardi  sur  sa  vie  perdre  que 
plus  y  demeurast.  Les  nouvelles  en  vindrent  à  l'apostole  , 
si  se  conseilla  à  ses  cardinaulx  que  il  pourroit  faire  du  roy 
d'Arragon  qui  tant  estoit  contraire  à  saincte  églyse  :  et  si 
l'escommenia  et  condempna  du  royaume  d'Arragon ,  et  le 
donna  à   Charles   conte   de  Valois ,  fils  au   roy  Phelippe 

de  France  ,  et  en  fist  lettres  sceellées  de  tous  les  sceauLx  des 

cardinaulx  de  Rome. 

(1)  De  l'Aceurre  ou  d'Acerrea,  «  Conùlis  Accrrariim.  » 


ee  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

XXXIII. 

Du  poisson  semblable  au  lyon. 

Il  avilit  ,  au  mois  de  février  en  l'an  de  grâce  mil 
deux  cens  quatre- vingt  et  un,  que  un  poisson  fu  pris  en 
la  mer  qui  avoit  semblance  de  lyon.  Il  fu  aporté  devant 
l'apostole  à  Orbetine  ,  et  disoient  les  mariniers  quant  il  fu 
pris  qu'il  jectoit  merveilleusement  horribles  et  espoventa- 
bles  cris. 

En  ce  meisme  temps  il  fu  si  grant  descort,  à  Paris,  entre 
les  nations  des  Anglois  et  des  Picars  escoliers,  que  l'en  cuidoit 
bien  que  l'estude  se  deust  du  tout  départir  de  Paris  ;  et 
furent  mis  en  prison  au  chastelet  de  Paris,  pour  la  doubtance 
qu'il  ne  s'entre  océissent. 

Le  Soudan  de  Babiloine  se  combati  aux  Sarrasins ,  si  fu 
occis  de  sa  gent  jusques  à  cinquante  mil ,  et  le  chacièrent 
huit  journées  dedens  sa  terre.  Le  Soudan  rassembla  sa 
gent  et  tout  son  povoir  ,  et  se  combati  de  rechief  aux  Tar- 
tarins.  Tant  se  combatirent  c|ue  les  Tartarins  furent  vain- 
cus ,  et  perdirent  de  leur  gens  environ  trente  mille. 

En  celle  saison  et  en  ce  temps  commença  saint  Loys  àfaire 
miracles  au  rovaume  de  France. 


XXXIV. 

Du  secours  qui  vint  de  France  au  roy  Charles. 

Pierre  conte  d'Alençon,  frère  du  roy  de  France,  et  Ro- 
bert conte  d'Artois ,  le  duc  de  Bourgoigne  (1),  le  conte  de 

(1)  «  Olhelinus,  )> 


(1283.)  PHELIPPE  HI.  G7 

Dainpmartin  (1),  le  conte  de  Bouloigne,  le  seigneur  de  Mont- 
morency (2)  et  moult  d'autres  nobles  hommes,  avec  giant  foi- 
son de  gens  de  pie ,  vindrent  en  icel  temps  nieisme  pour 
secourre  le  roy  Charles  de  Secile  ;  et  passèrent  tout  oultre 
parmi  Lombardie  à  bannières  desploiées  ,  sans  nul  encom- 
brement. Tant  chevauchièrent  c[u'll  vindrent  es  plaines  de 
Saint-Martin  où  le  roy  estoit. 

Le  roy  fu  moult  lie  de  leur  venue  :  si  s'appareilla  tantost 
et  ordonna  ses  batailles  rengiëes,  et  passa  tout  oultre  parmi 
Calabre  jusques  à  la  Gatonne  (3),  et  se  mist  en  grant  painc 
de  trouver  ses  ennemis.  Ses  adversaires  qui  bien  savoient 
sa  venue ,  né  s'osèrent  combatre  né  approchier  d'eux , 
ains  fuioient  dès  que  il  les  véoient  venir  aux  chastiaux  et 
aux  forteresces.  Les  autres  qui  estoient  en  leur  navies ,  si  se 
boutoient  en  leur  galies  et  puis  tournoient  en  fuie.  Le 
roy  d'Arragon  qui  bien  savoit  le  pouvoir  du  roy  Charles 
et  la  hardiesce  des  François ,  se  pourpensa  par  quel 
barat  né  cornent  il  le  pourroit  concilier  né  décevoir  ;  car 
il  n'avoit  talent  d'aler  contre  luy  à  bataille.  Si  luy  manda 
que  s'il  estoit  si  osé  né  si  hardi,  que  volenliers  se  combatroit 
à  luy  corps  à  corps  ;  et  que  il  prist  cent  chevaliei-s  des  plus 
hardis  qu'il  pourroit  trouver  qui  se  combatroient  contre 
cent  des  plus  esleus  de  son  royaume  ,  et  que  ce  fust  le  pre- 
mier jour  de  juing,  es  landes  de  Bordeaux,  et  que  celui  qui 
seroit  vaincu  jamais  n'eust  point  d'honneur ,  né  ne  por- 
tast  couronne.  Quant  le  roy  de  Secile  oi  ce  ,  si  en  fu  moult 
lie  et  respondi  tantost  que  bien  le  vouloit. 

Les  convenances  furent  jurées  et  promises  de  chascune 
partie.  Tantost,  le  roy  Charles  manda  toute  l'affaire  au  roy 


(!)  «  Johannes.  » 

(2)  «  Malliaeiis.  (Gosta  Pli.  lU,  p.  .Vil.) 

(3)  A  la  Gatonne.  «  Usque  Alagatonne  cl  alibi  c(|uilabal.  " 


G8  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

de  Fiance ,  et  luy  manda  qu'il  fist  faire  cent  ai meiues  de 
for,  les  plus  belles  et  les  meilleures  que  l'en  pourroit  trouver 
né  soubtillier.  L'apostole  Martin  qui  bien  sot  la  besoigne 
n'en  fu  point  lie ,  car  il  se  doubta  moult  et  pensa  que  le 
roy  d'Arragon  ne  le  faisoit  fors  par  boisdie  (1). 


XXXV. 

Conieiil  le  roy  Charles  vint  à  Bordiaux  contre  le  roy  cVArrogon. 

Quant  le  roy  de  France  ot  entendu  ce  que  son  oncle  luy 
mandoit ,  si  se  merveilla  moult  coment  le  roy  d'Arragon 
osoit  emprendre  si  grant  besoigne  contre  le  roy  Charles , 
né  contre  les  nobles  combateurs  qui  tant  de  biaux  fais  de 
chevalerie  avoient  fais.  Si  fist  tantost  aprester  ce  qu'il  luy 
avoit  mandé,  et  se  garni  de  chevaux  et  d'armes,  et  fist 
assavoir  à  sa  baronnie  la  besoigne  si  comme  elle  aloit.  Et 
si  leur  manda  qu'il  fussent  avec  luy  à  l'encontre  de  son 
oncle,  au  jour  nommé  qui  cstoit  assigné  aux  deux  parties. 
Le  roy  Charles  bailla  en  garde  sa  terre  au  prince  de  Salerne 
son  fils ,  et  au  conte  d'Alençon  et  au  conte  d'Artois  ;  si  s'en 
vint  droit  à  Ronae.  L'apostole  Martin  le  blasma  moult  for- 
ment de  celle  besoigne  qu'il  avoit  ainsi  emprise  ,  et  les 
cardinaux  luy  monstrèrc-nt  qu'il  povoit  bien  la  chose  lais- 
sier  este  r. 

Quant  l'apostole  vit  qu'il  n'en  laisseroit  riens  à  faire  ,  si 
luy  bailla  Jehan  Colet  (2)  prestre  et  cardinal  de  saincte  églyse 
et  de  saincte  Cécile ,  et  luy  donna  plain  povoir  d'escomme- 
nier  et  de  condeinpner  le  roy  d'Arragon  ,  se  il  ne  faisoit 
satisfacion  des  injures  que  il  faisoit  à  saincte  églyse. 


(1)  Boisdk.  Simuhilion.  Variante  :  Loberie.  (Msc.  9G50.) 

(2)  Colcl.  Ou  Choltei. 


(1:283.)  PHELIPPE   III.  C9 

L'an  de  giace  mil  deux  cens  quatre-vings  et  trois  vint  le 
roy  Charles  es  landes  de  Bordiaux  ,  au  lieu  et  en  la  place 
qui  avoit  esté  accordée  et  jurée  des  deux  parties.  En  la  pré- 
sence du  roy  de  France  et  de  ses  barons  se  ofFri  et  présenta 
par  devant  le  seneschal  de  Gascoigne  qui  tenoit  la  court 
contre  le  roy  d'Arragon.  Mais  le  roy  d'Arragon  ne  vint  né 
ne  contremanda  né  ne  s'excusa  de  riens  ,  fors  que  tant  que, 
la  nuit  de  devant,  il  estoit  venu  au  sénesclial  reposteinent, 
né  n'avoit  avec  luy  que  deux  chevaliers  et  luy  dist  qu'il  ve- 
noit  acquiter  son  serement  ,  et  qu'il  n'oseroit  plus  de- 
meurer pour  la  doubtance  du  roy  de  France  ;  né  plus  n'en 
fist,  ains  s'en  parti  tantost. 

Le  roy  Charles  et  ses  barons  attendirent  celle  journée 
sa  venue ,  et  tonte  la  nuit  et  toute  la  sepniaine.  Quant 
le  roy  de  France  vit  ce  ,  si  en  fu  moult  courroucié  ,  si  com- 
manda à  Jehan  Nougne  qui  des  parties  d'Espaigne  estoit 
venu,  ainsi  comme  nous  avons  devant  dit ,  qu'il  entrast  en 
Arragon  et  qu'il  prist  chevaliers  et  sergens  tant  comiue  il 
vouldroit.  Celluy  Jehan  Nougne  s'en  ala  en  Navarre  et  se 
féri  au  royaume  d'Arragon ,  et  ardi  et  prist  et  roba  tout 
avant  luy;  hommes  et  femmes  s'en  fuirent  devant  luy,  et 
laissierent  leur  biens  et  leur  maisons,  car  garde  ne  se  don- 
noient  de  telle  venue. 

Tant  ala  avant,  luy  et  sa  gent,  qu'il  trouvèrent  une  tour 
bien  garnie  de  biens  ,  si  se  férirent  ens  et  robèrent  quan- 
qu'il  trouvèrent,  qu'il  n'y  laissierent  riens  :  puis  boutèrent 
le  feu  dedens  et  la  tresbucliièrent  à  terre.  Bien  est  la  vérité 
que  se  il  fussent  aies  plus  avant ,  il  eussent  tout  pris  le 
royaume  d'Arragon  ,  carie  roy  Pierre  ne  s'en  donnoit garde- 
né  n'estoit  de  riens  pourvéu. 


70  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 


XXXVl. 

De  Gui  de  Monlfort. 

Ainsi  comme  entour  celle  saison,  Guy  de  Montfort,  fils  le 
conte  de  Lincestre,  fu  mis  hors  de  prison  oi\  il  avoit  esté  lon- 
guement pour  Henry  d'Alemaigne  que  il  avoit  occis  au  mous- 
tier  saint  Laurent  à  Yiterbej  et  luy  commanda  l'apostoleque 
ilalast  contre  Guy  deFreulemont  (1)  c[ui  voulloit  oster  etfor- 
traire  aucunes  églyses  qui  appartenoient  à  l'églyse  de  Rome. 
Guy  de  Montfort  s'appareilla  et  vint  contre  Guy  de  Freu- 
temont.  Quant  Guy  de  Freutemont  sot  sa  venue,  si  se  doubta 
moult ,  pour  la  grant  paour  qui  estoit  en  luy  ;  si  luy  rendi 
toute  la  terre  qui  appartenoit  à  l'églyse  de  Rome  ,  et- se 
soubniist  et  mist  du  tout  à  faire  sa  volenté  et  de  l'églyse  , 
et  de  son  connnandcment  ;  et  par  ceste  manière  conquist 
Guy  de  Montfort  toute  la  terre  qui  appartenoit  à  l'églyse  de 
Rome,  fors  une  cité  qui  est  nommée  Urbaine  (2).  Le  conte  Guy 
de  Montfort  assist  la  cité.  Si  comnîe  il  tenoit  le  siège,  nou- 
velles luy  vindrent  cjue  le  père  sa  femme  estoit  mort ,  si  se 
parti  du  siège  et  vint  contre  le  conte  de  Saint-Flore  qui  sa 
terre  troubloit  et  empeschoit  comme  il  povoit. 

En  icelluy  meisme  temps,  Pierre  conte  d'Alençon  qui  es- 
toit en  Pullle  pour  garder  la  terre  trespassa  de  cest  siècle ,  et 
reçut  mort;  et  fu  enterré  en  une  abbaye  de  moines  blans 
que  le  roy  Charles  y  avoit  fondée  qui  est  nommée  Mont 
Roial.  Les  os  et  le  cuer  furent  aportés  aux  frères  meneurs 
à  Paris  ,  et  mis  en  sépulture.  Madame  Jehanne  contesse  de 
Blois  sa  femme  demoura  vefve  ,  plaine  de  saincte  vie  et  de 

(1)  Freutemont.  »  De  Monte  Fellri.  » 

(2)  Urbaine.  »  Urbinati  civilas.  »  C'est  Urbin. 


(1283.)  PHELIPPE  III.  7( 

grant  bonté.  Le  roy  de  France  tint  celle  année  parlement  à 
Paris  des  barons  de  France  pour  ce  que  il  sceussent  que  le 
royaume  d'Arragonestoit  donné  à  Charles  son  fds,  de  par  la 
court  de  Rome.  Monseigneur  Collet,  cardinal,  prescha  de 
la  croix  pour  aler  sur  le  roy  d'Arragon,  si  comme  homme 
dampné  et  escommenié  cjue  il  estoit. 


XXXVII. 

Cornent  le  prince  de  Salerne  fa  pris. 

Puis  que  le  roy  Phelippe  fu  croisié  pour  aler  en  Arragon, 
le  roy  Charles  prist  congié  et  luy  dist  qu'il  estoit  temps  de 
retourner  à  son  fds  et  aux  barons  qui  l'attendoient ,  et  le 
roy  luy  donna  volentiers  et  de  gré  :  si  se  mist  au  che- 
min ,  et  vint  en  Provence.  Ilec  prist  messages  et  leur  bailla 
lettres  es  quelles  il  estoit  contenu  qu'il  mandoit  salus  à  son 
fds  Charles,  et  luy  mandoit  cjue  pour  riens  du  monde  cspe- 
ciaument,  il  ne  se  combatist  à  ses  ennemis  en  mer  ;  et  qu'il 
avoit  grant  nombre  de  galies  au  port  de  Marseille  qui  toutes 
estoient  appareilliés  de  venir  prochainement  à  luy.  Ainsi 
comme  les  messages  s'en  alèrent  hastivement  par  mer ,  les 
espies  de  Secile  leur  vindrent  à  l'encontre ,  si  les  pristrent 
et  trouvèrent  toute  la  priveté  et  le  secret  du  roy  Charles , 
et  qu'il  vouloit  faire  et  coment.  Dont  se  hastèrent  moult 
huit  galies  d'armes  et  de  gent ,  si  vindrent  bien  près  de 
Naples  ;  et  commencièrent  à  crier  et  à  menacier,  pour  savoir 
se  il  peussentà  ce  esmouvoir  les  François  qu'd  venissentà 
eux  combatre. 

Les  François  et  le  prince  qui  ilec  estoit  demouré,pour  ce  que 
le  conte  d'Artois  estoit  aie  en  Calabre  pour  certaine  cause, 
si  fu  moult  csnieu  de  leur  cri  et  de  la  noise  qu'il  deme- 


72  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

noient  ;  si  prist  trop  grant  hardiesce  en  luy  et  entra  avec 
les  François  combaleurs  en  mer.  Mais  il  ne  se  sorent 
ainsi  aidier  de  bataille  comme  s'il  fenssent  à  terre,  si  furent 
tantost  pris  et  menés  à  Messines ,  et  moult  bien  empri- 
sonnés et  gardés  de  nuit  et  de  jour.  La  nouvelle  en  vint  à 
Constance,  la  femme  au  roy  d'Arragon,  qui  demouroit  à  Sa- 
lerne  avec  ses  enfans  Jaques  et  Maiiifroy  :  si  les  fist  mener 
bien  tost  près  de  Naples  et  dire  à  ceux  qui  menoient  le 
prince  par  mer  :  «  Rendez  nous  la  suer  ma  dame  Constance 
)'  que  vous  tenez,  ou  nous  couperons  de  maintenant  la  teste  au 
»  prince  ».  Adonc  en  y  ot  un  qui  prist  une  hache,  et  mist  la 
teste  au  prince  sur  le  bort  de  sa  nef  ainsi  comme  s'il  luy 
voulsist  couper  :  la  femme  au  prince  qui  trop  grant  paour  ot 
que  ou  ne  coupast  la  teste  à  son  baron  ,  si  leur  manda  que 
volentiers  la  leur  rendroit,  mais  pour  Dieu  que  son  seigneur 
ne  receust  mort.  Si  la  leur  rendi  et  délivra. 

Au  quart  jour  après  que  le  conte  fu  pris,  vint  le  roy  Char- 
les à  Naples;  et  trouva  que  la  greigneur  partie  de  ceux  de 
Naples  s'estoient  jà  tournée  contre  luy  ,  et  avoientles  Fran- 
çois boutés  hors  de  la  cité.  Il  sot  toute  leur  mauvaistié ,  si 
les  chastia  moult  horriblement^  car  il  les  fist  pendre  et 
trainer  et  mourir  de  divers  tourmens  :  puis  se  parti  d'ilec  et 
s'en  vint  en  Calabre,  là  où  son  nepveu  estoit,  le  bon  conte 
d'Artois  ;  et  convoita  moult  cornent  il  pcust  passer  le  Far 
pour  asseoir  Messines.  Mais  il  ne  luy  fu  point  loé  ,  pour 
les  vens  qui  estoient  conimenciés ,  et  si  estoieut  grans  et 
horribles  ,  et  aussi  pour  l'yver.  Si  fist  venir  ses  nefs  au  port 
de  Brandis  que  elles  ne  fussent  prises  de  ses  ennemis.  Ne 
demoura  guaires  que  une  maladie  le  prist  dont  il  mourut 
l'an  de  grâce  mil  deux  cens  quatre  vings  et  quatre  ;  et  fu  le 
corps  apparcillié  et  enterré  en  la  cité  de  Naples ,  en  la 
maistre  églysc. 

Nouvelles  en   vindrent  à    l'apostole    Martin  cjui  en   fu 


(1284.)  PHELIPPE  III.  73 

moult  dolent,  pour  lagvant  loiaulté  et  valeur  qui  estoient 
en  luy.  Si  se  revesti  et  célébra  son  service.  Quant  la  chose 
fu  ainsi  avenue,  l'en  fist  tuteur  et  deffenseur  le  conte  d'Artois 
de  tout  le  royaume  de  Secile.  Après,  tant  comme  il  fu  au 
pays,  les  ennemis  ne  furent  oncques  si  osés  qu'il  y  méissent 
pie  né  n'osèrent  oncques  venir  à  bataille  contre  luy  ;  et 
dist-on  communément  que  s'il  ne  fust  au  pays  dcmouré , 
que  toute  Puille  et  toute  Calabre  se  fust  tournée. 

En  celle  année  meisme ,  le  premier  fds  au  roy  Plielippe 
c|ui  ot  à  nom  Phelippe,  espousa  madame  Jehanne,  fille  au 
roy  de  Navarre  et  conte  de  Champaigne. 

XXXVIIL 

De  la  mort  l'aposlolc   Martin  :  après  luy  fu  esleu  pape 
Honnoré. 

L'an  de  grâce  mil  deux  cens  quatre  vings  et  cinq,  le  jour 
de  l'Annonciation  Nostre-Dame,  qui  fu  le  jour  de  Pasques, 
l'apostole  Martin  chanta  la  messe.  Si  comme  il  ot  chanté, 
une  trop  grief  maladie  le  prist ,  si  vit  bien  qu'il  luy  conve- 
noit  mourir  :  ses  phisiciens  le  vindrent  veoir  ,  si  congnurent 
moult  obscurément  et  moult  troublement  la  cause  de  la 
maladie  et  affermèrent  et  distrent  que  nul  signe  de  mort  ne 
apparolt  en  luy  ;  et  il  mourut  le  mercredi  ensuivant ,  envi- 
ron la  quatrième  heure  de  la  nuit.  Il  apparu  bien  que  nos- 
tre  sire  l'ama  ,  car  pluseurs  malades  et  enfermes  qui  le  re- 
queroient  de  bon  cœur,  garissoient  de  leur  maladies.  Après 
luy  fu  fait  pape  messire  Jeroime(l)  de  l'ordre  des  Frères 
meneurs,  si  fu  appelle  Honnoré.  Moult  volentiers  et  moult 
doucement  admenistra,  et  envoia  au  conte  d'Artois  et  à  sa 

(l)  Jérôme  Ou  plutôt  Jacques  Savclli.  C'est  son  successeur,  Nicolas  IV, 
qui  se  nommoit  Jérôme  d'Ascoii. 

TOM.  V.  7 


74  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

suite  des  biens  de  l'églyse,  pour  parfaire  et  pour  garder  la 

besoigne  qu'il  avoient  emprise. 

XXXIX. 

Cornent  le  roj  Phclippe  de  France  assembla  granl  ost  pour  aler 
au  royaume  d' Arragon. 

Assez  tost  après,  en  l'an  de  grâce  mil  deux  cens  quatre 
vings  et  six  (1),  Phelippc  le  roy  de  France  assembla  environ 
la  Pentliecouste  à  Thoulouse  si  grant  multitude  de  gent 
que  c'estoit  merveille  à  veoir  ;  pour  ce  qu'il  vouloit  entrer 
en  Arragon  qui  avoit  été  donné  à  Charles  son  fils  et  octroie. 
S'entente  estoit  d'avoir  tantost  besoignié  au  royavuue  d'Ar- 
ragon  ,  et  puis  de  passer  tout  oultre  au  royaume  d'Espai- 
gne,  pour  la  grant  injure  que  le  roy  Alphons  ,  roy  d'Es- 
paigne ,  luy  avoit  faicte  de  Blanche  sa  suer.  Avec  le  roy 
ala  messire  Jehan  Colet  (2),  cardinal  de  Rome  ,  et  toute  la 
noble  chevalerie  de  France.  Si  fu  l'ost  moult  bien  garnie 
par  devers  la  mer  de  galies  et  de  vitailles  et  de  toutes  au- 
tres choses  cj[ui  mestier  leur  avoient.  Le  roy  laissa  la  royne 
Marie  sa  femme  à  Carcassonne  avec  grant  foison  de  nobles 
dames  qui  aloient  avec  leur  barons  ;  si  s'en  ala  à  Narbonne, 
illec  atendi  tant  que  toute  sa  gent  fust  assemblée.  Si  fu 
commandé  que  tous  ississent  de  Narbonne  et  alassent  tous 
armés  à  bannières  desploiées  tous  prests  de  combatre.  Si 
entrèrent  premièrement  en  la  terre  au  roy  de  Maillorgues 
le  frère  Pierre  le  roy  d' Arragon,  qui  se  tenoit  à  la  partie  au 
roy  de  France  et  saincte  églyse. 

Si  tost  qu'il  sot  sa  venue,  si  s'en  vint  contre  le  roy  au  plus 
lionnourablement  qu'il  pot ,  et  envoia  ses  deux  nepveus  en 

(1)  Il  falloit  :  1285.  Le  laliii  dit  seulement  :  «  Anno  posleriùs  annolalo.  » 

(2)  Colet.  Cliolct. 


(1285.)  FHELIPPE  lU.  75 

la  ville  de  Perpignan  ,  et  leur  fist  feste  ethoniieur.  Au  roy 
d'Arragon  vindrent  messages  en  Secile  où  il  estoit ,  et 
luy  dénoncièient  que  le  roy  de  France  venoit  en  son 
royaume  d'Arragon  à  si  grant  gent  que  nul  ne  les  povoit 
nombrer  né  esmer  ;  si  dist  à  Constance  qu'elle  gardast  bien 
le  prince  de  Salerne  et  sa  terre  ,  et  il  iroit  defFendre  son 
royaume  contre  le  roy  de  France.  Il  se  niist  en  mer,  si  ot 
bon  vent  ;  si  entra  en  sa  terre,  et  garni  les  entrées  par  devers 
ses  adversaires  au  mieux  qu'il  pot.  Quant  Constance  fu  de- 
mourée  ,  si  se  mist  en  moult  grant  paine de  garder  la  terre 
et  le  pays  et  de  savoir  la  volenté  et  le  couvine  de  ceux  de 
Secile  ;  si  s'apparçut  bien  que  ceux  de  Secile  se  réconcilias- 
sent volentiers  à  leur  seigneur  ;  lors  se  pourpensa  qu'il  es- 
tolent  plains  de  faulseté  et  qu'il  n'estoient  point  estables  ; 
si  fist  mètre  le  prince  en  une  galle  et  l'envoia  en  Arragon 
où  il  fu  estroictement  gardé  une  pièce  de  temps. 

XL. 

Cornent  la  cité  de   Gennes  fu  des Ir aide. 

Tant  ala  l'ost  de  France  qu'il  vindrent  à  Perpignan  ;  si  se 
conseilla  le  roy  par  cjuelle  part  il  entreroit  mieux  en  Arra- 
gon. Si  luy  fu  conseillé  c[ue  son  ost  alast  droit  à  Gennes  (1) 
l'orgueilleuse  ,  pour  ce  que  elle  se  tenoit  à  Pierre  d'Arra- 
gon, et  elle  estoit  et  elle  devoit  estre  au  roy  de  Maillorgues, 
et  que  l'en  tournast  celle  part.  Celle  teire  est  assise  en  la 
terre  de  Roussillon  et  en  la  contrée.  Quant  le  roy  de 
France  sot  que  le  roy  d'Arragon  avoit  ainsi  tollu  et  soustrait 
à  son  frère  celle  terre ,  si  commanda  que  l'on  alast  celle 
part.  Ceux  de  Gennes  virent  bien  et  aperceurent  que  l'ost 
venoit  vers  eux  ,  si  se  traistent  aux  portes  et  coururent  aux 

(1)  Genues.  « Urbcm  Januani cognoniinalam.  «  Je  crois  qu'il  fauclroit  liio 
ici  Elne.  C'est  a.ussi  l'avis  de  M.  de  Marca. 


7G  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

murs  et  aux  deffenses ,  et  monstrèrent  qu'il  la  voulolent 
tenir  et  defîendre.  Tantost  que  le  roy  fu  venu,  il  fist  faire 
commandement  que  l'en  alast  à  l'assaut  ;  ceux  de  dedens  se 
defFendirent  bien  et  viguereusement ,  si  que  riens  n'y  per- 
dirent celle  journée  ;  mais  l'endemain  joar  matin  les  Fran- 
çois coururent  à  l'assaut.  Quant  ceux  de  la  ville  virent  ce  , 
si  requistrent  et  demandèrent  au  roy  qu'il  leur  donnast  re- 
pis  jusques  à  trois  jours,  tant  qu'il  eussent  parlé  ensemble  , 
et  qu'il  fussent  tous  d'un  accort  :  et  puis  si  livreroient  la 
ville  au  roy  et  à  son  commandement.  Le  roy  leur  octroia 
volentiers.  Endementres  que  les  trièves  duroient  et  qu'ils 
ne  furent  point  assaillis ,  il  se  mistrent  au  plus  haut  de  la 
ville  et  mistrent  le  feu  sur  une  tour,  si  que  le  roy  d'Arragon 
le  peust  veoir  qui  n'estoit  pas  moult  loing  d'ilec  ;  car  il 
avoient  espérance  qu'il  les  venroit  secourir.  Quant  le  roy 
apperceut  leur  barat ,  si  conxmanda  tantost  que  on  alast  à 
l'assaut  ;  le  légat  sermonna  et  prescha  aux  François ,  et 
prist  tous  leur  pécliiés  sur  luy  qu'il  avoient  oncques  fais 
en  toute  leur  vie ,  mais  que  il  alassent  sus  les  ennemis  de 
la  crestienté,  bien  et  hardiement,  et  que  il  n'y  cspargnassent 
riens,  comme  ceux  qui  estoient  escommeniés  et  dampnés 
de  la  foy  crestienne. 

Quant  les  François  oirent  ce,  si  crièrent  à  l'assaut  à  pié  et 
à  cheval,  et  jettèrent  et  lancièrent  à  ceux  de  dedens.  Tant 
approchièrent  des  murs  qu'il  y  furent  :  si  drecièrent  les 
eschieles  contre  mont  ,  et  hurlèrent  aux  murs  tant  qu'il  en 
firent  tresbuchier  une  grant  pièce  et  un  grant  quartier.  Il 
brisièrent  les  portes  et  abatirent  les  murs  en  pluseurs  lieux, 
si  se  boutèrent  eus  de  toutes  pars ,  et  si  commencièrent  à 
crier  :  A  mort  !  et  à  occire  hommes  et  femmes  sans  espargnier . 

Quant  le  peuple  de  la  cité  se  vit  ainsi  surpris,  si  commen- 
cièrent à  courre  vers  la  maistre  tour  ou  églyse,  où  il  Guidè- 
rent avoir  garant  :  mais  riens  ne  leur  valut ,  car  les  portes 


(12S5.)  PHELIPPE  III.  77 

furent  tanlost  brisiées.  Si  se  féiirent  en  eux  les  François 
et  n'y  espargnièrent  hommes  né  femmes,  né  viel  né  jeune  , 
que  tout  ne  missent  à  mort  fors  que  un  tout  seul  escuier 
qui  estoit  nommé  le  bastart  de  Roussillon,  qui  monta  haut 
sus  le  clocher  du  moustler.  Avec  luy  avoit  ne  scay  quans 
corapaignons  qui  se  defïendoient  merveilleusement  bien  et 
asprement.  Tantost  conimanda  le  roy  que  il  fust  espargnié 
se  il  se  vouloit  rendre.  Tantost  il  se  rendi  et  pria  que  l'en  luy 
sauvast  la  vie.  En  celle  manière  fu  la  cité  destruicte ,  et  le 
peuple  afolé  et  mort.  Bien  estoient  ceux  de  Gennes  deceus 
et  engigniés  qui  s'estoient  apuyés  à  l'aart  de  seu  (1)  qui 
faut  au  besoing,  et  s'estoient  en  riens  fiés  au  roy  d'Arragon. 

XLl. 

Cornent  François  passèrent  les  nions  de  Pircne. 

Sitost  comme  la  cité  de  Gennes  fu  destruicte,  le  roy  et  son 
ost  se  mistrent  tantost  à  la  voie  pour  aler  vers  les  mous  de 
Pirène.  Adonc  se  conseillèrent  les  barons  là  où  il  pour- 
voient plus  légièrement  passer  les  montaignes  et  à  moins  de 
péril  :  car  les  montaignes  estoient  si  hautes  qu'il  sembloit 
qu'elles  se  tenissent  avi  ciel  ;  né  au  pas  de  l'Ecluse  ne  pou- 
voient-il  riens  faire  né  passer ,  qui  estoit  le  droit  chemin 
qui  peust  entrer  eus.  Mais  les  Arragonnois  avoient  mis  au 
devant  tonniaux  tous  plains  de  sablon  et  de  gravelle  et  de 
pierres  grosses,  si  que  en  nulle  manière  les  gens  n'y  povoient 
passer  fors  en  péril  de  mort.  Et  avec  tout  ce,  ceux  d'Arragon 
avoient  toutes  leur  tentes  et  leur  paveillons  tendus  sus  les 
montaignes ,  dont  il  povoient  apperlenient  veoir  l'ost  des 

(0  A  l'aart  de  scu.  A  la  branche  de  jonc.  «  SluUas  cl  insipiens 
»  populus  qui  se  super  baculuiii  arundineuia  roiKiuassaniiuin,  cilô  Pe- 
»  trum  de  AingoniiiA  imiUfljat.  »  (Gesla  Pli.  II!,  p.  bib.) 

7. 


78  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

François  :  et  moult  bien  Guidèrent  que  les  François  déus- 

sent  passer  par  ce  pas  de  l'Ecluse  qui  tant  est  périlleux. 

Si  comme  il  estoient  en  grant  pensée  qu'il  feroient ,  le 
devant  dit  bastart  dist  qu'il  savoit  bien  un  passage  un  pou 
loing  de  l'Ecluse  par  où  tout  l'ost  pourroit  seurement 
passer  sans  nul  péril.  Le  roy  le  sot  :  si  fist  faire  seuîblantà  sa 
gent  qu'il  voulsissent  passer  par  le  pas ,  si  que  ceux  d'Arra- 
gon  qui  estoient  sus  les  montaignes  les  peussent  véoir  :  le 
roy  prist  avec  luy  de  ses  chevaliers  et  de  ses  gens  d'armes, 
et  se  mist  au  chemin  avecques  le  bastart  de  Roussillon  ,  et 
vindrent  au  lieu  que  le  bastart  avoit  nommé  ;  si  n'estoit 
l'ost  que  par  vme  mille  loing. 

Lebastart  ala  devantet  le  roy  après,  par  une  voie  si  estrange, 
plaine  d'espines  et  de  ronces,  qu'il  sembloit  que  oncques 
homme  n'y  eust  aie.  Tant  alèrent  à  grant  paine  et  à  grans 
travaux  qu'il  vindrent  par  dessus  les  montaignes,  et  par 
ilec  fuent  passer  tout  l'ost  sans  nul  dommage  ,  que  ce  seiu- 
bloit  bien  que  ce  fust  impossible.  Ceux  d'Arragon  qui  le 
pas  de  l'Ecluse  gardoient ,  regardèrent  par  devers  les 
montaignes  ,  si  apperceurent  l'ost  de  France  qui  jà  estoit 
au  dessus,  si  furent  tous  esbahis  et  orent  si  grant  paour 
que  il  tournèrent  en  fuie  né  n'en  porent  riens  porter, 
tant  se  hastèrent.  Les  François  vindrent  à  leur  paveillons 
et  prindrent  quanqu'il  trouvèrent ,  et  puis  tendirent  leur 
tentes  et  leur  paveillons  au  plus  haut  des  montaignes  , 
mais  déboire  et  de  mengier  orent  il  assez  pou.  Si  se  tindrent 
illec  trois  jours  et  se  reposèrent  pour  le  grant  travail  qu'il 
a  voient  eu.  Si  comme  il  orent  passé  ce  pas  et  il  se  furent 
reposés,  le  roy  commanda  que  on  alast  droit  à  une  ville 
que  l'en  nomme  Pierre  Late.  Il  approchièrent  de  la  ville  ; 
ceux  qui  bien  les  virent  fermèrent  les  portes  et  firent 
semblant  que  il  voient  grant  volenlé  d'eux  tenir  contre  les 
François. 


(1285.)  PHELIPPE  III.  79 

Tantost  fii  la  ville  assise  et  tendireiat  leur  lentes  le  soir. 
L'endemain  fu  accordé  qu'il  assaillissent ,  pour  ce  que 
l'en  disoit  que  le  roy  d'Arragon  estoit  en  la  ville.  Quant 
ceux  de  Pierre  Late  virent  la  grant  puissance  ,  si  leur  fu 
avis  qu'il  ne  se  pourroient  tenir  né  defïendre  :  si  attendirent 
tant  que  l'ost  des  François  fu  acoisié  ,  si  s'en  issirent  par 
devers  les  courtils  environ  mie  nuit ,  et  boutèrent  le  feu  en 
la  ville,  pour  ce  qu'il  vouloient  que  les  biens  qui  demou- 
roient  en  la  ville  si  fussent  perdus  et  ars  et  que  les  François 
n'en  peussent  avoir  prouffit  né  aucun  amendement. 

Les  François  virent  le  feu  de  leur  tentes ,  si  s'armèrent 
dès  maintenant  et  vindrent  courant  là  où  le  feu  estoit.  Si 
ne  trouvèrent  qui  de  riens  leur  fust  à  l'encontre  :  si  pris- 
drent  la  ville  et  la  mistrent  en  la  seigneurie  et  en  la  puis- 
sance du  roy  de  France.  Endenientres  qu'il  se  contenoient 
ainsi,  le  roy  de  Navarre  ,  le  premier  fds  au  roy  de  France  , 
assailli  bien  et  asprement  une  ville  qui  a  nom  Figuières  ,  et 
la  tint  si  court  qu'il  vindrent  à  sa  mercy,  et  il  les  envoia 
à  son  père  le  roy  de  France  poiu'  en  faire  sa  volenté. 


XLII. 

Cuinenl  le  roy  de  France  assisl  Gù'onnc. 

Quant  Pierre  Late  fu  prise  et  Figuières  ,  si  fu  commandé 
que  on  chevauchast  droit  à  une  ville  qui  estoit  nommée  Gi- 
vonne.  L'ost  s'arrouta  et  errèrent  tant  que  il  vindrent  à  un 
petit  fleuve.  Si  ne  porent  passer  pour  ce  qu'il  estoit  creu 
des  iaucs  qui  descendoient  des  montaignes.  Si  s'arrestè- 
rent  ilcc  et  demeurèrent  trois  jours.  Quant  il  fu  descreu  et 
apeticié  ,  si  approcliièrent  tant  comme  il  porent  de  la  cité 
de  Gironne.  Quant  ceux  de  la  cité  virent  les  François,  si 


80  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

boutèrent  le  feu  es  forbours  et  ardirent  tout  ;  pour  ce  le 
firent  que  la  cité  fust  plus  fort  et  mieux  cleffensable  contre 
ses  ennemis.  Les  François  s'approcliièrent  de  la  cité  et  ten- 
dirent tentes  et  paveillons ,  et  avironnèrent  la  ville  de  toutes 
pars.  Par  maintes  fois  assaillirent  la  ville  et  souvent ,  et  si 
n'y  fourfirent  oncques  la  montance  d'un  festu  ,  car  la  ville 
estoit  trop  merveilleusement  fort ,  et  la  gent  qui  dedens 
estoient  se  defFendoient  trop  merveilleusement  bien.  Le 
clievetaine  de  tous  ceux  estoit  nommé  Raimon  Rogier  (1) 
Cjui  estoit  chevalier  au  conte  de  Fois.  Cil  deffendoit  la  ville 
si  bien  que  tous  les  François  le  tenoieiit  à  bon  cbevalier  et 
à  vaillant. 

Le  conte  de  Fois  et  Raimon  Rogier  aïoient  souvent  parler 
en  la  cité  à  Raimon  de  Cerdonne ,  et  faisoient  semblant 
qu'il  y  aloient  pour  le  prouffit  le  roy  :  mais  ce  ne  pot-on 
savoir  certainement ,  ains  disoit  le  commun  de  l'ost  qu'il  y 
aloient  pour  le  proufFit  de  la  ville.  Le  roy  de  France  vit 
bien  que  tous  les  assaus  que  l'en  faisoit  ne  po voient  de 
riens  empirier  la  ville,  si  fist  aprester  un  engin  si  subtil  et 
si  bon  qu.e  il  peust  abatre  les  murs  de  la  cité. 

Quant  l'engin  fu  fait,  ceux  de  la  ville  espièrent  tant  c[u'il 
fu  nuit ,  et  issirent  de  la  cité  et  vindrent  à  l'engin  et  bou- 
tèrent le  feu  dedens.  Quant  l'engin  fu  embrasé,  il  jectèrent 
dedens  le  maistre  qui  l'a  voit  fait ,  pour  ce  qu'il  ne  vouloient 
mie  qu'il  en  fist  jamais  un  autre  tel.  Quant  le  roy  oi  ce,  il 
en  fu  si  très  couroucié  qu'il  jura  que  jamais  ne  laisse roit 
le  siège  jusques  à  tant  qu'il  eust  prinse  la  ville.  Si  comme 
il  estoit  devant  la  cité,  laquelle  il  cuida  aft'amer,  son  ost 


(1)  Les  scribes  ont  fait  ici  une  lacune  qui  rend  les  phrases  suivantes 
inexplicables.  Il  falloil  :  «  Le  clievetaine  estoit  nommé  Raimon  de  Cer- 
»  donne  (ou  Cardonne),  qui  estoit  clievalicr  au  conte  de  Foix  et  parent 
»  au  chevalier  du  roi  Riiiaion  Rogier ,  etc.  »  Ainsi  lit-ou  dans  les  Ccsia 
l'it.  ni,  p.  546. 


(12S5.)  PHELIPPE  ni.  81 

commença  à  empirier  ,  et  à  soustenir  labour  de  chaut  et  de 
pueur  des  cliaroignes  parmi  les  champs  mortes ,  et  les 
mousches  qui  les  mordoieiit  toutes  plainnes  de  venin  :  si 
commencièrent  à  mourir  en  l'ost  et  homines  et  enfans  ,  et 
femmes  et  chevaulx  ;  et  l'air  y  devint  si  corrompu  que  à 
paine  y  demouroit  nul  homme  sain. 

Pierre  d'Arragon  estoit  en  aguait  reposteraent  cornent 
et  en  qu'elle  manière  il  porroit  grever  ceux  qui  aportoient  le 
sommage  (I)  en  l'ost.  Si  advenoit  souvent  qu'il  en  venoit 
sans  conduit ,  et  tantost  il  les  preaoient  et  les  metoient  à 
mort  et  emportoient  le  sommage.  Le  port  de  Rose  estoit  à 
trois  milles  de  l'ost,  là  avoit  le  roy  sa  navie  qui  administroit 
l'ost  de  quanque  il  falloit  pour  vivre. 

XLIII. 

Delà  mort  Pierre  d  Arragon  la  veille  de  l'assomption  Nostre- 
Dame. 

Pierre  le  roy  d'Arragon  estoit  en  moult  grant  aguait  par 
quelle  manière  et  coment  il  peust  soustraire  et  oster  la 
vitaille  qui  venoit  du  port  de  Rose  au  roy  de  France.  Si 
avint  un  jour  qu'il  assembla  sa  gent  à  pie  et  à  cheval  ;  et 
furent  bien  trois  cens  à  cheval  et  deux  mille  à  pie  ,  et  s'en 
vint  celle  part  où  il  cuidoit  mieulx  trouver  le  sommage.  Et 
se  tint  ilec  repostement  tant  que  il  peust  trouver  ou  atten- 
dre ce  que  il  queroit.  Une  espie  apperceu^t  bien  tout  son 
affaire  et  son  contenement ,  et  s'en  vint  hastivement  au 
connestable  de  France  qui  avoit  à  nom  Raoul  d'Eu ,  et  à 
Jehan  de  Harecourt  qui  estoit  mareschal  de  l'ost ,  et  leur 
dlst  la  place  et  le  lieu  où  il  estoit  en  aguait. 

(I)  le  sommage.  F.es  provisions. 


S2  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

Quant  il  orent  ce  oi ,  si  prisrent  avec  eux  le  conte  de  la 
Marche  et  bien  jusques  à  cinq  cens  hommes  armés  de  fer , 
et  vindrent  là  où  le  roy  d'Arragon  estoit  en  aguait.  Quant 
il  furent  près,  si  congnm-ent  bien  que  le  roy  d'Arragon  avoit 
trop  greigneur  nombre  de  gent  que  il  n'estoient  ;  et  avec 
tout  ce  il  ne  cuidoient  point  né  ne  savoientque  le  roy  d'Ar- 
ragon fust  en  la  compaignie.  Si  ne  sorent  que  faire  ou  de 
combatre  ou  de  laissier.  Quant  Mahieu  de  Roye  chevalier 
preux  et  sage  leur  dist  :  «  Seigneur  ,  véez-la  nos  ennemis 
»  que  nous  avons  trouvés ,  et  il  est  veille  de  l'assumption 
»  Nostre-Dame,  la  doulce  vierge  pucelle  Marie  qui  à  la  jour- 
»  née  d'huy  nous  aidera  ;  prenez  bon  cuer  en  vous,  car  il 
»  sont  escommeniés  et  dessevrés  de  la  compaignie  de 
»  saincte  églyse  ;  il  ne  nous  convient  point  aler  Oultre- 
»  mer  pour  sauver  nos  âmes,  car  cy  les  poons-nous  savi- 
»  ver.  » 

Adonc  s'accoi'dèreut  tous  à  ce  qu'il  disoit ,  et  coururent 
sus  à  leur  ennemis  moult  fièrement.  Si  commença  la  besoi- 
gne  fort  et  aspre ,  et  s'entredonnèrent  moult  de  grans  co- 
lées.  Le  fais  de  la  bataille  chéy  sur  les  Arragonnois,  il  tour- 
nèrent en  fuye  ;  mais  les  François  les  tindrent  court  et  les  en- 
chacierent  de  près  :  si  en  navrèrent  moult,  et  en  demoura  au 
champ  jusques  à  cent  de  mors  ,  sans  ceux  qui  furent  navrés 
en  fuiant.  Le  roy  Pierre  fu  navré  à  mort  né  ne  pot  es- 
tre  prins  né  retenu  ;  car  luy-meisme  coupa  les  resnes  de 
son  cheval  et  se  mist  à  la  fuie.  Ne  demoura  guaires  qu'il 
mourut  de  la  plaie  qui  luy  fu  faite.  Les  François  se  parti- 
rent du  champ  et  s'en  vindrent  à  leur  tentes  et  gardèrent 
combien  il  leur  failloit  de  leur  gent  ;  si  ti'ouvèrent  qu'il 
n'en  y  avoit  occis  que  deux  tant  seulement. 

De  ce  furent-il  moult  lies  et  contèrent  au  roy  la  manière 
et  coment  il  avoient  ouvré ,  et  quelle  manière  de  gent  il 
avoient  trouvé.  Le  roy  en  fu  moult  merveilleusement  lie, 


(1285.)  PHELIPPE  IN.  83 

et  mcrcia  la  doulcc  dame  de  l'onneur  et  de  la  victoire  que 
Nostre-Seigneur  luy  avoit  donnée  à  luy  et  à  sa  gent  ;  encore 
eust-il  esté  plus  lie  se  il  eust  sceu  que  le  roy  Pierre  eusl  esté 
iiavré  à  mort. 

XLIV. 

Cometit  G ironne  fu  rendue. 

Si  comme  le  siège  estoit  devant  Gironne ,  viande  com- 
mença à  apeticier  à  ceux  de  la  cité.  Le  conte  de  Fois  et  Rai- 
mon  Rogier  savoient  bien  tout  leur  couvine  et  cornent  il 
leur  estoit ,  et  que  il  ne  se  povoient  plus  tenir  né  durer.  Si 
s'en  vindrent  au  roy  et  luy  distrent  que,  s'il  luy  plaisoit,  que 
on  parlast  à  ceux  de  la  cité  et  aux  chevetains,  savoir  mon  se 
il  se  vouldroient  rendre  né  venir  à  mercy.  Le  roy  leur 
octroia  par  le  conseil  de  ses  barons  :  si  s'en  alèrent  en  la  cité 
et  entrèrent  ens  et  contèrent  leur  l'aison  et  qu'il  queroient. 
Quant  il  orent  parlé  ensemble  ,  le  conte  de  Fois  et  Raimon 
Rogier  vindrent  au  roy  et  luy  distrent  de  par  ceux  de  la  cité 
qu'il  leur  donnast  trièves  jasques  à  tant  qu'il  eussent  mandé 
au  roy  d'Arragon  s'il  les  vendroit  secourre  né  delFendre  ; 
et  se  il  ne  leur  vouloit  aidier  ou  ne  povoit,  il  luy  rendroient 
volentiers  la  cité,  et  se  mettroient  de  tout  en  son  comman- 
dement. Le  roy  leur  donna  trièves  moult  volentiers,  et  il 
envoièrent  tantost  au  roy  d'Arragon  c|u'il  les  venist  se- 
courre et  aidier ,  ou  il  les  couvenoit  rendre  la  cité,  né  ne 
la  povoient  plus  tenir  contre  le  roy  de  France ,  car  il  n'a- 
voient  de  quoy  vivre  né  de  quoy  il  feussent  soustenus.  Les 
messages  trouvèrent  que  le  roy  Pierre  estoit  mort  et  plu- 
seurs  autres  de  ses  nobles  hommes  ;  si  en  furent  moult 
esbahis  et  moult  courouciés  :  arrière  s'en  retournèrent  et 
contèrent  à    Raimon  de    Cerdonne  et  à    autres    pluscurs 


84  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

barons ,  cornent  le   roy  leur  seigneur  estoit  mort ,  et  de 

la  bataille  qu'il  avoit  faicte  contre  les  François ,  et  avoit 

perdu  tous  les  meilleurs   chevaliers  qu'il  eust  jusques  à 

cent. 

Quant  ceux  de  la  cité  sorent  ces  nouvelles,  si  mandèrent 
au  l'oy  que  volentiers  se  rendroient  sauves  leur  vies  ,  mais 
que  ce  fust  en  telle  manière  qu'il  emportassent  tous  leur 
biens  seui-ement  et  tous  les  harnois  et  toutes  leur  choses.  Le 
roy  qui  pas  ne  savoit  la  povreté  de  la  vitaille  qu'il  avoient , 
s'i  accorda  par  le  conseil  au  conte  de  Fois  et  Raimon  Ro- 
gier. 

Tantost  comme  la  paix  fu  faicte  et  ordennée,  les  François 
entrèrent  ens  et  regardèrent  à  mont  et  à  val  cornent  il  leur 
estoit  :  si  ne  trouvèrent  point  vitaille  laiens  dont  il  peussent 
vivre  trois  mois.  Par  ce  peut-on  veoir  appartement  que  le 
roy  de  France  fu  deceu  et  traliy  ,  dont  le  conte  de  Fois  et 
Raimon  Rogier  furent  très  faulx  et  très  mauvais  ;  car  il 
savoient  bien  tout  Testât  de  la  cité  et  coment  il  leur  estoit. 


XLV. 

Du  trépassemcnt  le  roj  Phelippe  de  France  et  de  sa  sépidlure. 

Après  ce  que  la  cité  fu  rendue,  le  roy  commanda  que  elle 
fust  garnie  et  enforciée  de  gent  d'armes  et  de  vitaille ,  car 
il  avoit  en  propos  de  soi  yverner  es  parties  de  Thoulouse. 
Cecy  fu  loé  au  roy  d'aucuns  qui  guaires  n'amoient  son  pro- 
fit ;  et  que  il  donnast  congié  à  la  grelgneur  partie  de  sa 
navie  qui  estoit  au  port  de  Rose.  Si  comme  pi useurs  des  galies 
se  furent  parties,  la  gent  et  ceux  d'environ  coururent  sus  à 
celles  qui  leur  estoient  demourées,  et  prisrent  armes  et  quan- 
qu'il  y  avoit  dedens  ,  et  firent  grant  bataille  et  fort  contre 


(1285.)  PHELIPPE  III.  85 

les  autres.  Si  occistrent  grant  foison  de  François ,  et  pris- 
rent  à  force  l'amirant  des  galles,  qui  estoit  nommé  Enguer- 
ran  de  Baiole ,  noble  chevalier  et  vaillant  ;  et  Aubert  de 
Longueval  fu  occis,  chevalier  esprové  en  armes  qui  se  mist 
trop  avant  sus  les  Arragonnois  ;  car  il  se  fioit  es  autres  che- 
valiers qui  assés  près  de  luy  estoient  ;  mais  le  seigneur  de 
Harecourt  qui  estoit  mareschal  de  l'ost  le  laissa  occire  pour 
ce  qu'il  le  haioit. 

Quant  la  gent  le  roy  virent  et  apperceurent  qu'il  ne  pour- 
voient pas  ilec  longuement  demourer,  si  rachatèrent  Enguer- 
ran  une  somme  d'argent,  et  puis  boutèrent  le  feu  es  garni- 
sons ,  et  embrasèrent  toute  la  ville  de  Rose.  Si  comme  il 
estoient  au  chemin  et  si  comme  il  s'en  aloient,  si  graiit 
ravine  de  pluie  les  prist  que  à  paines  se  povoient-il  sous- 
tenir  né  à  pié  né  à  cheval  ;  n'en  leur  paveillons  ne  povoient- 
il  demourer,  tant  estoient  grevés.  Le  roy  fu  moult  dolent  et 
moult  courroucié  de  ce  qu'il  avoit  pou  ou  noient  fait  en 
Arragon  ;  car  il  luy  estoit  bien  advis  qu'il  deust  avoir  pris 
tout  Arragon  et  toute  Espaigne,  à  ce  cju'il  avoit  tant  de 
bonne  chevalerie  et  si  avoit  grant  peuple  mené  avec  luy  : 
si  fu  moult  pensis  dont  ce  povoit  venir,  ou  par  aventure, 
par  mauvais  conseil  ou  par  fortune. 

Ainsi  qu'il  estoit  en  telle  pensée,  si  chéy  en  une  fièvre  ,  si 
qu'il  ne  pot  chevauchler  ;  et  convint  qu'il  fust  porté  en 
une  litière.  La  fièvre  crut  et  mouteplia  si  que  pour  l'air 
qui  tant  estoit  desatrempés  et  plain  de  pluie ,  il  luy  en- 
gregea,  et  puis  devint  plus  fort  malade.  Tantalèrent  et  che- 
vauchièrent  qu'il  vindrent  au  pas  de  l'Ecluse  qui  est  avi- 
ronnée  toute  de  montaignes  qui  sont  nommées  les  nions  de 
Pirène.  Haut  au  dessus  des  montaignes  estoient  les  Arragon- 
nois qu^i  estoient  en  aguait  cornent  il  pourroient  grever  les 
François  :  quant  aucun  pou  se  esloingnoient  de  l'ost  ou  dix 
ou    douze ,   tantost  leur  couroient  sus   et  les  occioient  et 

8 


86  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

ravissolenl    tout    quanqu'il    povoient   tollir    ou    trouver. 

A  grant  douleur  et  à  grant  paine  vindrent  jusques  à 
Perpignan  ;  ilec  s'arrestèrent  pour  reposer.  Le  roy  Phelippe 
fu  moult  forment  malade  et  enferme  ,  si  ne  voult  point  tant 
attendre  qu'il  perdist  son  sens  et  son  avis  ,  si  fist  son  testa- 
ment comme  bon  chrestien  et  ordenna  :  après  il  l'eceut 
en  grant  devocion  le  sacrement  de  saincte  églyse.  Tantost 
comme  il  ot  eu  toutes  ses  droictures  ,  il  rendi  la  vie  et  s'ac- 
quita  du  treu  de  nature  qui  est  une  commune  debte  à  toute 
créature.  Les  barons  de  France  furent  moult  dolens  et 
moult  courouciés  de  sa  mort ,  car  de  jour  en  jour  courage 
et  volenté  luy  mouteplioit  de  bien  faire  et  grever  ses  en- 
nemis. Nul  ne  pourroit  penser  la  douleur  que  la  royne 
sa  femme  ot  au  cucr ,  né  les  plains  né  les  larmes  que  elle 
rendi;  tant  mena  grant  dueil  et  si  longuement  que  à  paine 
pot  avoir  remède  de  sa  vie. 

Le  roy  fu  conroié  si  comme  il  affiert  à  tel  prince  :  les 
entrailles  furent  enterrées  en  la  maistre  églyse  de  Narbon- 
ne  ;  lesossemens  en  furent  apportés  à  Saint-Denis  en  France 
et  furent  mis  en  sépulture  d'encoste  son  père ,  le  saint  roy 
Loys.  Mais  ainsois  qu'il  fussent  mis  en  sépulture,  grant  dis- 
cencion  et  grant  descort  s'esmut  entre  les  moines  de  Saint- 
Denis  et  les  frères  Prescheurs  de  Paris  ;  la  cause  fu  pour 
ce  que  le  roy  Phelippe,  le  fds  du  bon  roy,  avoit  donné  et  oc- 
troie, ainsi  comme  despourveuement ,  à  un  frère  de  l'or- 
dre des  Prescheurs  le  cuer  son  père  pour  ce  que  il  fust  mis 
au  moustier  des  frères  Prescheurs  de  Paris. 

Les  moines  de  Saint-Denis  le  vouloient  avoir,  et  disoient 
que  puisqu'il  avoit  esleu  sa  sépulture  en  l'églyse  de  Saint- 
Denis ,  son  cuer  ne  de  voit  point  reposer  ailleurs  né  gésir. 
Mais  le  jeune  roy  ne  voult  point  estre  desdit  à  son  commen- 
cement, si  commanda  qu'il  fust  baillié  et  délivré  aux  frères 
Prescheurs  de  Paris. 


(I58G.)  PHELIPFE   111.  87 

(1)  Pour  ceste  chose  furent  lueues  à  Paris  pluseurs  ques- 
tions entre  les  niaistres  en  théologies  :  assavoir  mon  se  leroy 
]wvoit  donner  et  octroier  le  cuer  de  son  père  propre  sans 
la  dispensaciou  de  son  évesque  souverain.  Et  après  ce,  les  os- 
semens  furent  enterrés  à  Saint- Denis  en  France  delez  son 
père,  le  saint  roy  Loys  ,  joignant  sa  femme  Ysabcau  d'Ar- 
ragon  royne  de  France.  Lesquels  Phelippe  et  Ysabeau  sont 
maintenant  eslevés  de  terre  par  deus  pies  ou  environ ,  eu 
belle  tombe  de  marbre  bis ,  en  biaux  ymages  d'alebastre  , 
richement  et  merveilleusement  ouvrés  de  très  noble  et  gentil 
œuvre.  Lesquels  aucuns  venans  à  l'églyse  de  Saint-Denis  en 
France  peuvent  veoir  ainsi  gentement  mis  à  la  destre  partie 
du  moustier  en  une  huche,  delès  saint  Loys.  Duquel  cuerau 
roy  Phelippe  il  fu  après  déterminé  par  pluseurs  maistres  en 
théologie  que  le  roy  né  les  moines  ne  le  pourroient  donner 
sans  la  dispensation  du  pape. 

Et  lors  après,  Phelippe,  successeur  de  son  père,  fu  cou- 
ronné à  Rains  ,  entre  luy  et  la  royne  Jehanne  sa  femme  ,  en 
roy  de  France  ,  le  jour  de  la  Tiphaine.  Icelluy  roi  Phelippe 
qui  mourut  en  Arragon  ot  deux  femmes ,  dont  la  première 
fu  la  royne  Ysabel ,  fille  le  roy  d'Airagon,  dont  il  ot  trois  en- 
fans  :  Loys  qui  mourut  en  son  enfance ,  Phelippe-le-Bel  qui 
régna  après  luy  ,  et  Charles  conte  de  Valois.  Iceste  royne 
Ysabel  mourut  au  retourner  de  Tunes  ,  et  furent  ses  os  en- 
terrés en  l'églyse  monseigneur  saint  Denis  en  France  ,  si 
comme  je  vous  ay  dit  devant  ;  l'autre  royne  cpie  ce  roy 
Phelippe  ot  après  fu  la  royne  Marie,  fille  le  duc  de  Bre- 
ban. 

Duquel  roy  demourèrent  à  la  royne  trois  enfans  :  Loys  le 
conte  delà  cité  d'Evreux  ,  Marguerite  la  royne  d'Angleter- 
re, et  madame  Blanche  cjui  fu  mariée  au  duc  d'Austeriche 

(I)  Les  détails  suivans  ne  se  retrouvent  plus  dans  les  Gesla  Pkilipin 
Icrlii  qui   s'arrêtent  avec  le  précédent  alinéa. 


88  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

qui  fu  fils  au  roy  Aubert  (1)  d'Alemaigne.  Quinze  ans  régna 
icelluy  roy  Phelippe  et  fu  enterré  en  l'églyse  monseigneur 
saint  Denis  en  France ,  delès  son  père  le  roy  saint  Loys  ,  en 
la  manière  que  je  vous  ay  dit  dessus. 


(1)  Aubert.  Albert. 


Cj  fcnist  Cistoire  du  roy  Phelippe ,  fils  saint  Loys. 


CI  GOMENGE  L'HISTOIRE  DU  ROY 
PHELIPPE-LE-BEL. 


Cornent  Edouart,Jits  au  roy  d' Angleterre.,  fist  hommage  au  roy 
de  France. 

(1)  Après  le  i-oy  Phellppe  qui  fu  fils  monseigneur  saint  Loys, 
ri'gna  en  France  Phelippe  le  biau  son  fils,  et  régna  vingt- 
liuit  ans,  et  comença  à  régner  en  l'an  de  l'Incarnacion 
Nostre-Seigneur  Jesu-crist  mil  deux  cens  quatre  vings  et 
six.  Et  en  ceste  année,  Alphons,  fils  du  roy  d'Arragon,  co- 
mença à  régner  au  royaume  d'Arragon  après  la  mort  son 
père  ;  et  Jaques  son  frère  avec  Constance  sa  mère  occupa  la 
terre  de  Secile,  contre  l'inibition  et  le  comandement  de 
l'églyse  de  Rome  Eu  ce  temps  ensement,  pape  Honnoré 
la  sentence  que  son  devancier  avoit  prononciée  contre 
Pierre  d'Arragon  et  Alphons  son  fils,  et  Jaques  et  Cons- 
tance leur  mère,  en  icelle  fermeté  et  en  tel  enditement  (2) 
confirma.  En  ce  meisme  an,  Edouart,  fils  au  roy  d'Angle- 
terre, fist  hommage  au  roy  de  France  de  la  duchié  d'Acqui- 

(1)  Une  partie  de  celle  vie  de  Philippe-le-Bel  semble  Iraduitede  ta  Chro- 
nique universelle  de  Nangis.  J'indiquerai  par  des  parenllièses  ou  (lar  des 
notes  les  additions  cl  les  points  originaux.  Voyez  le  latin  de  Nangis  dans  le 
Spicilège  d'Achery,  in-f»,  tome  m  ,  p.  47.  Le  texte  françois  esl  bien 
moins  naturel  que  celui  qui  précède,  et  je  ne  puis  me  persuader  qu'il  soil 
également  l'ouvrage  de  Nangis.  Il  accuse  un  écrivain  qui  connoissoit  mal 
le  génie  de  l'idiome  vulgaire  cl  qui,  nourri  dans  les  cloîtres,  vouloit  lui 
donner  \gs  formes  de  la  langue  latine,  dont  il  ne  connoissoit  pas  très  bien 
le/o//d. 

(2)  En  icelle  fermeté...  «  liàdem  lirmilatc  et  ediclo  simili  conlirmavit,  » 

8. 


90  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

taine  et  de  toutes  autres  qu'il  avoit  au  royaume  de  France, 
et  que  de  ce  roy  y  tenoit  et  possédoit  ;  et  puis  celuy  Edouart 
s'en  vint  à  Bourdiaux  la  maistre  cité  de  Gascoigue ,  et  y 
tint  un  grant  parlement  :  au  quel  lieu  il  reçut  pluseurs  mes- 
sages d'Arragon,  Secile  et  Espaigne^  et  fu  souspeçonné  qu'il 
ne  pourchaçassent  aucune  traïsou  envers  le  roy  Phclippe 
de  France  de  son  royaume  ;  mais  toute  voies  procura  icelluy 
Edouart  la  délivrance  du  prince  de  Salerne  son  cousin  qui 
estoit  pris  des  Seciliens  ,  envers  Alfons,  le  roy  d'Arragon, 
qui  tenoit  icelluy  en  sa  prison.  Et  en  cest  an  ensement,  au 
mois  de  septembre  ,  trespassa  de  ce  siècle  l'abbé  Blaby  de 
Saint-Denis  en  France,  et  principal  conseillier  du  royaume 
de  France.  Lequel  abbé  Mahy,  le  moustier  de  Saint-Denis, 
de  moult  de  temps  devant  passé  comencié  de  merveillable 
et  coutable  œuvre,  à  par  un  pou  de  la  moitoienne  partie 
jusques  au  derenier  consumma  ;  et  parfist  s'abbaie  laquelle 
en  moult  de  choses  et  en  édifices  avoit  trouvée  ainsi  comme 
degastée  de  nouviaux  murs  et  de  maisons  et  de  salles  ;  et 
de  belle  et  noble  œuvre  rappareilla,  et  la  rendi  en  son  temps 
ainsi  amendée  et  enrichie,  de  moult  bonnes  rentes  l'acrut 
et  esleva  :  par  l'endoctrinement  duquel  et  meismement  de 
sa  religion  les  moines  embeus  et  entechiés,  furent  pluseurs 
après  ce  establis  et  fais  abbés  en  divers  moustiers.  (  Après 
lequel  fu  abbé  de  Saint-Denis  monseigneur  Regnaut  Gif- 
fart  de  la  nascion  de  Paris.  ) 

II. 

Cornent  le  roy  de  CJiiprc  fu  couronné. 

En  l'an  de  grâce  après  ensuivant,  mil  deux  cens  quatre- 
vings  et  sept,  à  Acre  la  cité  de  Surie,  le  roy  de  Chipre  (  I  )  se  fist , 

[^)  Le  roy  de  Cliiprc.  Henry,  frère  du  dernier  roi,  Jean. 


(1287.)  PHELIPPE-LE-BEL.  9l 

au  préjudice  du  roy  de  Secile,  couronner  en  roy  de  Jhéru- 
saleni.  Et  pour  ce  que  ieelle  chose  les  Templiers  et  les  frères 
de  rOspital  l'avoient  souffert,  leur  choses  et  leur  biens  qu'il 
avoient  par  Puille  et  par  la  terre  du  royaume  de  Secile  fu- 
rent pris  en  la  main  le  roy  (I). 


m. 

De  la  bataille  de  Lemhourc. 

(2)  En  celuy  an,  quant  niessire  Henry  de  Lucembourc  fu 
mort,  il  luy  demoura  trois  fils,  des  quiex  l'ainsné  estoit  conte 
de  Lucembourg,  etavoità  femme  la  fille  monseigneur  Jehan 
d'Avesnes  ,  de  laquelle  il  ot  le  très  noble  empereur  Henry 
conte  de  Lucembourc.  Et  les  autres  deux  frères,  par  l'enor- 
tement  de  leur  deux  sœurs,  la  contesse  de  Flandres  et  la 
contesse  de  Hainaut ,  se  traistrent  à  leur  oncle  le  conte  de 
Guérie  (3),  et  luy  requistrent  que,  pour  Dieu,  il  leur  voulsist 
aidier  encontre  le  duc  Jehan  de  Breban,  c|ui  par  force  leur 
tolloit  la  conté  de  Lembourc  (4),  et  ne  leur  en  vouloit  faire 

(1)  En  la  main  le  roij.  Celui  de  Naples.  Pour  comprendre  le  mécon- 
Icalcment  du  roy,  i[  faul  consuller,  à  la  date  de  1^78,  la  Chronique 
universelle  de  Nangis,  qu'alors  ne  suivoit  pas  noire  Chroni(iue  de 
Saint-Denis.  «  Filia  principis  Anliochiae  Maria  dicta ,  de  Jérusalem  in 
i>  Franciâ  exulans ,  jus  regni  Jérusalem  quod  sibi  compclebat  Carolo 
M  régi  Sicili;e  contulit,  eo  pacio  quod  quamdiù  ipsa  viveret,  ipse  eidem 
»  annualim  quatuor  niillia  librarum  Turonensium,  super  provcntus  red- 
»  diluum  comilatùs  sui  Andcgaviaî  assignaret.  »  (Achery,  S(iicile(je,  t.  ni, 
p.  44.) 

(2)  Ce  troisième  chapitre  ne  se  trouve  pas  dans  la  Chronique  univer- 
selle de  Nangis;  il  justiOe  le  récit  des  Chroniques  de  Flandres. 

(3)  Guérie.  Gueldres.  En  latin  Gelria. 

(4)  Lembourc.  El  non  pas  Luxembourg,  comme  ont  mis  sottement  les 
éditions  gothiques.  C'est  la  première  fois  que  je  relève  leurs  bévues,  et 
certainement  je  pouvois  en  retrouver  l'occasion  à  chaque  page.  J'ai  tenté 
de  faire  mieux,  et  si  plus  tard  quelques  hommes  studieux  profitent  de 
mes  veilles,  ils  me  rendront  la  justice  que  je  n'obtiens  pas  encore. 


92  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

nulle  raison.  Tantost  le  conte  de  Guérie,  qui  à  cuer  prist 
ceste  chose,  manda  tous  ses  parens  et  amis,  et  assembla  si 
très  grant  ost  que  ce  fu  merveille  à  veoir;  et  estoit  s'enten- 
cion  de  destruire  la  ducliié  de  Breban  ;  car  l'en  tenoit  le 
conte  de  Guérie  pour  un  des  plus  riches  hommes  d'Alemai- 
gne.  Quant  le  duc  de  Breban  sot  que  si  grant  geut  venoient 
sur  lui,  tantost  assembla  tant  de  gent  comme  il  pot  avoir, 
et  se  traist  vers  Lembourc  en  une  ville  que  on  nomme  Ou- 
ronne  (1).  Quant  le  conte  Guy  de  Flandres  vit  les  gi'ans  assem- 
blées des  deux  parties,  si  parla  â  sa  femme  et  à  la  contesse 
de  Hainaut,  lesquelles  soustenoient  de  corps  et  d'avoir  leur 
frères,  et  eust  moult  volentiers  traictié  delà  paix,  car  moult 
faisoient  leur  frères  par  leur  conseil.  Et  les  contesses  respon- 
dirent  au  conte  :  «  Sire,  pour  Dieu,  ne  vous  en  mellés,  encore 
»  n'est-il  mie  temps  de  parler  de  la  paix ,  né  encore  ne  sont  pas 
»  fèves  meures  »  ;  et  le  conte  n'en  parla  plus.  Si  approchiè- 
rent  les  deux  osts  qui  haioient  l'un  l'autre  de  mortel  haine. 
Quant  les  batailles  furent  rengiées  les  unes  contre  les  autres, 
le  conte  de  Guérie  commanda  à  ses  banières  qu'il  alassent 
avant ,  et  le  duc  de  Breban  si  fist  les  siennes  aler  avant  ; 
ilec  comença  la  bataille  fort  et  crueuse  et  dura  grant  pièce, 
mais  à  un  poindre  que  le  conte  de  Lucembourc  fist ,  fu 
abatu  de  son  cheval  et  illec  fu  tué.  Combien  que  le  conte 
de  Guérie  eust  plus  de  gens  assés  que  le  duc  de  Breban 
n'avoit ,  ainsi  comme  Dieu  le  voult  se  tourna  la  descon- 
fiture sur  luy,  et  furent  les  trois  fds  de  Lucembourc  mors 
en  la  bataille ,  et  pluseurs  autres  chevaliers  ;  et  y  fu  pris 
l'archevesque  de  Couloigiie.  Et  quant  le  conte  de  Guérie 
vit  la  desconfiture,  si  tourna  en  fuie  ;  mais  Guy  de  Saint- 
Pol  vit  qu'il  s'enfuioit  et  le  suivi  luy  douziesme  de  com- 


(1)  Ouionne.  Ce  doit  être  Tf'cr'nuj  sur  le  Rhin,  entre  Cologne  et  Dus- 
scldorj. 


(12870  PHELIPPE-LE-BEL.  93 

paignons,  et  le  prist  en  fuiant  et  l'amena  en  prison  au  duc. 
Quant  le  duc  ot  eue  celle  victoire  et  conquis  Lembouvc  par 
bataille  ,  tantost  fist  escarteler  les  armes  de  Lembourc 
aux  siennes  et  laissa  son  cri  de  Loiivain  et  cria  Lembourc  à 
celuy  qui  Ca  conquis.  Quant  le  conte  Guy  de  Flandres  oï  les 
nouvelles  ,  tantost  vint  à  la  contesse  qui  riens  n'en  savoit, 
etele  luy  dit  :  «  Sire,  avez-vous  oï  nulles  nouvelles?  »  Le  conte 
respondi  :  «  Certes,  dame  ,  oïl ,  mauvaises  ;  les  fèves  sont 
»  meures,  car  vos  frères  sont  mors.  »  Tantost  s'en  courut  la 
contesse  en  sa  chambre,  faisant  le  plus  grant  deuil  du 
monde.  Mais  les  amis  qui  virent  la  guerre  mal  séant,  firent 
traictier  de  la  paix,  et  apiès  ce  long  traictié  fu  la  pais  accor- 
dée et  faicte  par  telle  manière  :  Que  Henry ,  le  fils  au  conte  de 
Lucembourc  qui  avoit  esté  mort  en  la  bataille,  prendroit  à 
femme  la  fille  au  duc  de  Breban.  Et  en  ot  le  dit  Henry  un 
fils  et  une  fille  ;  et  fu  le  fils  appelé  Jehan  et  ot  à  femme  la 
roine  de  Behaigne  (1),  et  la  fille  fu  mariée  au  roy  Charles  de 
France.  Et  le  conte  de  Guérie  et  l'arcevesque  de  Couloigne 
se  rançonnèrent  ("2)  de  grant  avoir  et  partant  furent  délivrés. 
Cette  bataille  fu  faicte  à  Ouronne  en  Breban,  l'an  de  l'incar- 
nation mil  deux  cens  quatre  vingt  et  sept  selon  aucunes 
croniques,  et,  selon  les  autres,  luil  deux  cens  quatre  vingt 
et  huit  (3). 

En  ce  meisme  an,  les  Gréjois  se  départirent  de  la  subjec- 
tiondu  pape  et  de  toute  la  court  de  Rome,  et  firent  un  pape 
nouvel  et  cardinals  nouviaux.  En  ce  meisme  an,  en  la  cité  de 
Triple^  fu  veue  d'un  abbé  (4)  de  Cistiaux  et  de  deux  moines 
avec  luy  une  vision  merveilleuse  de  la  main  d'un  escrivant 


(1)  Behaigne.  Bohême. 

(2)  Se  rançonnèrent    Se  rachetèrent. 

(3)  Vcly,  qui  n'a  connu  d'autre  rùcit  delà  bataille  que  celui  de  Villani 
a  fait  ici  autant  d'erreurs  que  de  plirascs. 

(4)  D'un  abbé.  Par  un  abbé. 


94  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

sus  le  corporal,  là  où  le  moine  avoit  devant  soy  le  corps 
Jhésucliiist  consacré  ;  et  estoit  escript  de  la  dicte  main  sus 
le  corpoial  une  pronostication  de  pluseuis  choses  à  venir 
moult  merveilleuse  et  forment  obscure. 

IV. 

Content  le  prince  de  Salernefu  dclh'ré  de  prison. 

Après ,  en  l'an  de  grâce  ensuivant  mil  deux  cens  quatre 
vingt  et  huit,  Charles  le  prince  de  Salerne,  environ  la  Puri- 
fication à  la  benoicte  vierge  Marie,  mère  Nostre-Seigneur, 
fu  délivré  de  la  prison  au  roy  d'Arragon,  en  telle  manière 
qu'il  li  rendroit  une  grande  somme  de  pécune,  et  la  paix 
de  ses  Arragonnois  envers  l'églyse  de  Rome  et  le  roy  de 
France  à  son  povoir  procureroit  ;  laquelle  chose  s'il  ne  po- 
voit  procurer  dedens  trois  ans  ,  si  comme  il  en  fu  contraint 
à  jurer,  retourneroit  arrières  en  prison  jusques  à  tant  que 
il  eust  ces  choses  accomplies.  Si  fu  pourforcié  à  baillier 
hostages,  c'est  assavoir  trois  de  ses  fils  et  quarante  nobles 
hommes  qui  pour  luy  deinourèrent. 

En  cel  an  meisme  (1),  une  cité  d'Oultre-mer  qui  est  appel- 
lée  Triple  fu  prise  du  Soudan  de  Babiloine  et  destruite,  où  il 
y  ot  moult  de  crestiens  occis  et  les  autres  furent  achétivés. 
De  laquelle  prise  la  cité  d'Acre  et  ceux  dedens  furent  moult 
espoventés.  Si  requistrent  lors  trêve  de  deux  ans  du  sou- 
dan,  et  les  orent  par  son  octroi. 

En  ice  meisme  an,  environ  l'ascension  Nostre-Seigneur, 
l'en  fist  assembler  une  grant  multitude  de  galies  pour  guer- 
roier  les  Sicles  de  la  cité  de  Néapole  (2)  ;  et  y  ot  un  chevalier 

(1  )  Le  26  avril  1289.  (Voy.  M.  Michaud,  llhi.  des  Croisades,  t.  v.  p.  157. 
(2)  On  voit  que  Naiigis  n'a  pu  mcUrc  en  pareil  françois  la  phrase  sui- 
vante de  sa  chronique  latine:  «  Multis  undecumquc  galeis,  circà  Asccn- 


(1288.)  PHELIPPE  LE-BEL.  95 

de  Paille  appelé  Régnant  de  Avelle,  lequel  chevalier,  parle 
conseil  et  commandement  du  conte  d'Artois,  entra  en  mer 
es  dites  galies  avec  grant  quantité  de  gent  d'armes,  et  fist 
siège  devantCatliinense(l),  une  cité  deSecile,etlaprist  et  la 
garni  de  ses  gens,  et  puis  fist  retourner  ses  galies  à  Néapole, 
qui  estoient  voides,  afin  que  pluseurs  gens  d'armes  qui  à  luy 
dévoient  venir  trouvassent  vaissiaux  plus  près  :  car  il  avoit 
pou  de  gent  tant  pour  mètre  en  garnison  que  pour  com- 
batre  ;  si  atendoit  aide.  Mais  endementiers  qu'il  attendoit 
son  aide,  les  Sicliens  asségièrent  ledit  chevalier  en  la  cité  où 
il  estoit.  Adonc  se  comença  le  chevalier  à  deffendre  vigue- 
reusement  ;  mais  en  la  fin,  il  fu  si  asprement  mené  qu'il  se 
rendi,  sauve  sa  vie  et  tous  ses  biens.  Si  venoit  en  son  aide  le 
conte  deBregne(2),  Guy  de  Montfort,  Phelippe  fils  au  conte 
de  Flandres  et  pluseurs  autres  batailleurs  du  royaume  de 
France.  Les  quiex  furent  rencontrés  des  Sicliens  en  mer,  et 
se  combatirent  :  mais  les  François  furent  desconfis  et  furent 
prisde  Rogier  de  Laure  (3),  lequel  estoit  amirant  des  Sicliens, 
et  les  fist  mètre  en  diverses  prisons.  IMais  tost  après  il  fu- 
rent rachetés  tous,  excepté  Guy  de  Montfoit  que  l'on  ne 
voult  délivrer  pour  nul  pris  ;  et  disoit-on  que  cestoit  à  la 
prière  le  roy  d'Angleterre  qui  avoit  ledit  Guy  de  Montfort 
en  haine,  et  morut  prisonnier. 

(En  ce  meisme  an  morut  Ranulphe,  évesque  de  Paris,  et 
puis  après  li  fu  Adeulphe,  lequel  morut  dedens  un  an.  ) 


1)  sioncm  Domini  apud  Ncapolim  ,  ad  expugnandum  Siculos,  congrcgalis 
»  Apuliaî,  etc.  »  (S[)icilcg.  t.  iii,  p.  48.) 

(1)  Catliineiise.  «  Calhinensem  civilatcm.  »  C'est  Catane. 

(2)  Bregne.  «  De  Bregna.  »  C'est  Drienne. 

(3)  De  Laure.  «  De  Laurea.  »  C'est  le  fameux  amiral  ou  Amirante  sici- 
lien que  nos  historiens  françois  appellent  Doria,  mais  qucles  Italiens  écri- 
vent mieux  de  Lauri, 


96  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 


Cornent  les  chresliens  rompirent  les  trwes  aux  Sarrasins. 

Après,  en  l'an  de  grâce  mil  cinc  cens  quatre  vingt  et 
neuf,  mil  deux  cens  soudoiers,  en  sccoui's  de  la  Terre  Saincte, 
du  pape  Nicolas  furent  envoies  en  Acre  ;  les  quels  tantost, 
contre  lavolenté  de  ceux  du  Temple  armés,  avec  belle  com- 
pagnie de  chevaliers  issirent  d'Acie et  rompirent  les  trives  du 
Soudan  ottroiées  ;  et  puis  coururent  vers  les  manoirs  et  les 
chastiaux  des  Sarrasins,  et,  sans  miséricorde,  les  Sarrasins 
de  chascun  sexe  ,  et  uns  et  autres  qu'ils  trouvèrent ,  occis- 
trent,  qui  se  cuidoient  reposer  sevuement  et  paisiblement 
sus  les  trives  baillées  entre  evix  et  les  crestiens.  Et  en  icel 
an,  Charles  prince  de  Salerne,  délivré  de  la  prison  au  roy 
d'Arragon,  vint  à  Rome  ;  et,  ilec  le  jour  de  Penthecoste,  fu 
couronné  en  roy  de  Secile  du  pape  Nicolas,  et  fu  absous 
du  serement  qu'il  avoit  fait  au  roy  des  Arragonois. 

En  icel  an  aussi,  Jacques  l'occupeur  de  Secile,  avec  grant 
ost  entrant  en  la  terre  de  Calabre,  assistla  cité  de  Jayette  (1), 
contre  lequel  le  roy  Charles  courut  hastivcment  et  délivra 
ceux  qui  estoient  asségiés  :  car,  comme  il  s'appareillassent 
d'une  part  et  d'autre  pour  batilller,  si  vint  un  chevalier  de 
par  le  roy  d'Angleterre  qui  procura  trives  entre  eux  deux, 
jusques  à  deux  ans. 

Et,  après,  en  ce  meisnie  an,  le  Soudan  de  Babiloine  (2) 
quant  il  cognut  et  sot  ce  que  les  crestiens  avoient  fait  vers 
Acre  à  sesserjans,  si  fu  moult  dolent  et  manda  maintenant  à 
ceux  d'Acre  que  s'il  ne  lu  y  vendoient   ceux  qui  avoient 

(1)  Jmjette.  G.iëlc. 

(2)  Le  sottdan  de  Uabiloine.  Kalauun. 


((?90.)  PHELIPPE-LE-BEL.  97 

tk'liuit  et  occis  de  sa  gent ,  que  (letkns  l'an  leur  cité  ame- 
neroit  à  ruine,  et  trébiicheroit  autressi  comme  il  avoit  fait 
Triple  ;  laquelle  chose  il  ne  voudrent  faire ,  et  pour  ce,  il 
coururent  en  l'ire  et  au  courrous  merveilleusement  du 
Soudan . 

En  icel  an  ensenient,  Loys  l'aisné  fils  le  roy  Phelippe  de 
France ,  et  de  Jehanne  sa  femme  ,  royne  de  Navarre  ,  fu 
né  en  la  quarte  none  d'octobre. 

VI. 

Cornent  Acre  fu  dclruiie  par  le  soudan  de  Ba6ilnîne. 

Après,  en  l'an  de  grâce  ensuivant  mil  deux  cens  quatre 
vingt  et  dix ,  au  temps  d^iceluy  roy  de  France ,  en  l'an 
de  son  règne  quatriesme,  avint  ce  qui  s'en  suit  ci  après: 
Quant  le  terme  fu  approchié  que  le  soudan  de  Babiloine 
avoit  menacé  ceux  d'Acre  à  guerroier,  si  s'en  issi  hors  de 
Babiloine  pour  aler  à  Acre,  et  se  hasta  moult  avec  grant 
multitude  infinie  de  gent  inescrcant.  Mais  comme  il  fu  jà 
en  une  voie,  il  fu  contraint  d'une  grant  maladie,  et  chéi 
malade  au  lit  de  la  mort  ;  et  lors  pour  ce  n'oublia  pas  la 
besoigne  qu'd  avoit  emprise ,  ainsois  envoia  vers  Acre  sept 
admirais  des  quiex  chacun  de  eux  avoit  dessous  luy  quati*e 
mille  hommes  à  cheval  et  vingt  mille  hommes  à  pié  bien 
armés  :  lesquiex  environ  mi-mars  vinrent  à  Acre  et  l'assail- 
lirent et  travaillèrent  de  moult  divers  assaus,  j  usques  à  l'autre 
moitié  de  l'autre  mois  ensuivant  :  mais  rien  digne  de  mé- 
moire n'i  firent  ;  et  lors  endementiers,  comme  le  Soudan  re- 
gardast  et  aperçut  la  mort  venir  à  luy  prochaine,  si  appella 
tous  ses  amis  et  tous  les  admirais  de  son  ost,  et  fist  sous- 
lever  son  fils(l),  qui  ilec  estoit  présent,  en  son  lieu,  prince, 

(1)  Soii/il'i.  Rhalli. 


ns  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

soudaa  et  gouverneur  principal  de  toute  sa  gent  ;  et,  ce  fait, 
assez  tost  après  morut.  Aclonc  le  nouviau  Soudan  quant  il 
ot  son  père  mis  en  terre,  dès  maintenant  avec  un  merveil- 
leux et  innombrable  ost  esmut  sa  voie  vers  Acre  et  apro- 
clia  une  lieue  près  de  la  cité ,  et  ilec  fist  tendre  et  fichier 
ses  tentes,  et  ses  instrumens  fist  apareillier  entour  la  cité 
et  assaillir  les  crestiens  qui  dedens  estoient,  du  quart  jour 
de  inay  par  dix  jours ,  continuelment  envoiant  et  gettant 
dedens  la  cité  grosses   pierres ,   à  perrlères    et    à   engins  , 
dont  il  leur   firent  grand  dommage ,  et  lessièrent  avoir  à 
ceux  de  la  cité  moult  petit  de  repos,  pour  laquelle  chose 
il  furent  durement  espoventés.    Et  lors  firent   transpor- 
ter en  Cliipre  par  la  navie  les  trésors  de  la  cité,  avec  les 
merceries  et  les   saine  tes  reliques  ,  les    viels  hommes  et 
les  vielles  femmes  et  les  petis  enfans ,  et  tous  ceux  qui  à 
bataillicr   n'avoient  mestier.   Et  moult  en  y  ot,  cjuant  il 
apperçurent   qu'il  y  avoit  discorde  et  contcns  entre  ceux 
de  la  cité,  si  s'en  départirent  tant  à  pié  comme  à  cheval, 
avec  tous  leur  biens  que  avec  eux  emportèrent  ;  et  ainsi  ne 
demoura  en  la  cité  d'Acre  c|ue  douze  mille  hommes  ou  en- 
viion,  descjuels  il  en  y  avoit  cinq  cens  à  cheval  et  le  de- 
mourant  à  pié  nobles  batailleurs.  Adonques  au  quinziesme 
jour  du  mois  de  may,  les  maistres  des  Sarrasins  donnèrent  à 
gvant  empointe   un  si  très  grant  assaut  à  ceux  qui  gar- 
doicnt  les  murs  et  les  deffenses  de  la  cité,  que,  par  un  pou, 
la  garde  au  roy  de  Chipre  ottroiant,  se  la  nuit  très  oscure 
ne  fust  Avenue ,  et  une  empointe  d'aucune  defFense  d'autre 
part  ne  les  eust  secourus,  certainement  les  adversaires  fus- 
sent entrés  en  la  cité.   Adonc  en   celle   nuit ,  le   roy  de 
Chipre  bailla  sa  garde  à  deffendre  au  menistre  de  la  che- 
valerie des  Tyois(l);  et,  si  comme  il  disoit  qu'il  devoit  reve- 

(1)  Des  Tyois.  C'est-à-dire  :  Au  chef  de  la  milice  des  chevaliers  Teu- 
toniques.  «  Teutonicorum  miliiiœ  ministre.  » 


(1291.)  PHELIPPE-LE-BEL.  99 

uir  reiidemain  au  matin  prochain  avec  tous  les  siens,  ù  par 
un  pou  avec  trois  mille  d'autres  s'en  fui  par  mer  laidement 
et  vilainement.  Et  lors  à  l'endemain,  les  Sarrasins  venant 
de  toutes  pars  pour  la  cité  assaillir,  quant  il  virent  pou  de 
defFendeurs  de  la  garde  au  roy  de  Cliipre  qui  aux  cre- 
niauxné  aux  deflenses  fussent,  si  s'atournèrent  ilec  de  toutes 
pars  pour  la  cité  assaillir,  et  emplirent  les  fossés  tout  en- 
tour  de  bois  et  d'autres  choses ,  et  percièrent  tantost  les 
murs.  Adonc  entrèrent  communément  en  la  cité,  et  declia- 
cièrent  et  boutèrent  les  crestiens  par  un  pou  jusques  au  mi- 
lieu de  la  cité  ;  mais  ainsois  ot  fait  de  çà  et  de  là  grant  abatéis 
et  occision  de  leur  gent,  et  furent  déboutés  et  chaciés  hors 
de  la  cité  en  la  vesprée  d'iceluy  jour,  par  le  mareschal  et  le 
menistre  de  la  chevalerie  de  l'Ospital  ;  et  ensement  le 
firent  le  jour  ensuivant  ainsi.  Et  adecertes,  au  tiers  jour 
ensuivant ,  les  Sarrasins  revenans  de  toutes  pars  entrè- 
rent à  l'assaut  en  la  cité  par  la  porte  Saint-Anthoine,  et 
aux  Templiers  et  aux  Ospitaliers  se  combatirent  viguereu- 
sement,  et  les  craventèrent  de  tous  poins  et  occistrent  le 
peuple.  Et  ainsi  les  desloiaux  mescréans  pristent  la  cité 
et  la  trébuchièrent  et  destruirent,  avec  les  murs  et  les 
tours  et  les  maisons  et  les  églyses  jusques  aux  fonde- 
inens  tout  ce  dessus  dessous  ;  dont  ce  fu  très  grant  domage. 
Et  lors  les  patriarches  et  les  menistres  de  l'Ospital  qui  na- 
vrés estoient  à  mort  fouirent  au  repaire  avec  pluseurs 
autres,  et  périrent  en  la  mer.  Et  ainsi  Acre  la  cité  qui  estoit 
le  secours  et  l'aide  de  crestienté  en  ycelles  parties  d'Oui tre- 
mer ,  par  nos  péchiés  ce  requérant ,  fu  destruite  des  en- 
nemis de  la  foy  ;  car  il  ne  fu  de  tous  les  crestiens  qui  à  ses 
angoisses  secouréust  (1),  dont  ce  fu  duel  et  pitié. 


(1)  Qui  à  ses  angoisses  secouréust.  «  Non  fuil  qui  ejus  succurrerct  an- 
B  gusluc,  ex  omnibus  clirislianis.  » 


100  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

Et  eu  icest  au  ensement ,  Charles  le  conte  de  Valois , 
frère  le  roy  Plielippe,  à  Charles  le  roy  de  Secile  quita  le 
droit  qu'il  avoit  es  royaumes  d'Arragon  et  de  Valence  ;  et 
lors  espousa  une  des  filles  à  ce  roy  Charles,  au  chastel  de 
Corbueil,  au  jour  de  l'endemaia  de  l'Assompcion  à  la  be- 
noîte vierge  Marie  que  l'en  dist  la  nii-aoust  :  pour  lequel 
mariage  faire  et  ensement  le  quitement  des  deux  royaumes 
fait  du  conte  Charles,  donna  iceluy  roy  de  Secile  à  iceluy 
Charles  les  contés  d'Anjou  et  du  Maine  à  perpétuité  tenir. 

(1)  En  ice  meisme  an,  en  la  kalande  de  juignet,  il  ot  un  juif 
à  Paris  en  la  paroisse  de  Saint-Jehan  en  Grève  (2),  lequel  fit 
tant  par  devers  une  femme  crestienne  que  elle  li  aporta  le 
corps  de  Jhésucrist  en  une  oeste  (3)  sacrée,  laquelle  elle  avoit 
reçue  en  la  sepmaine  peneiise  en  laavommichant,  et  la  bailla 
au  juif.  Quant  le  juif  l'ot  par  devers  soy,  si  mist  ladite  oeste 
en  plaine  chaudière  de  yaue  chaude,  le  jour  du  vendredi 
aouré  ;  et  quant  ladite  oeste  fu  en  l'yaue  boullant,  il  la  com- 
mença à  poindre  de  son  coutel,  et  lors  devint  l'yaue  aussi 
comme  toute  vermeille.  Et  après  ce  ,  il  osta  ladite  oeste  de 
la  chaudière,  et  la  commexiça  à  batre  d'une  verge  :  laquelle 
chose  fu  toute  prouvée  contre  le  juif  par  l'évesque  Symon 
Matiffait.  Si  avint  que  du  conseil  et  de  l'assentement  des 
preudeshommes  qui  à  Paris  estoient  régens  en  théologie  et 
en  décret,  ledit  juif  fu  condamné  à  mourir  et  fu  ars  devant 
tout  le  peuple  ;  et  estoit  appelle  Le  bon  juif,  et  sa  femme 
avoit  à  non  Bellatine ,  laquelle  avoit  une  fille  à  l'aage  de 
douze  ans  ou  environ,  que  ledit  évescpie  Simon  fist  bapti- 
sier;  et  la  fist  demourer  avec  les  Filles-Dieu  à  Paris. 


(1)  Cet  alinéa  n'est  pas  dans  le  texte  lalin  de  Guillaume  de  Nangis. 

(2)  Il  demeuroit  dans  la  rue  des  Jardins,  nommée  depuis  des  Billeltes. 

(3)  Oeste.  Hostie. 


(1291.)  PHELIPPE- LE-BEL.  UH 


VII. 


Cornent  pape  Nicholas  envoia  ses  messages  aux  prclus  cl  aux 
barons  de  France,  et  de  leur  rcsponses. 

En  l'an  de  grâce  en  suivant  mil  deux  cens  quatre  vingt  et 
onze,  pape  Nicolas,  quant  il  ot  sceu  et  cogneu  la  destruction 
d'Acre  la  cité  d'Oultre-nier,  si  se  conseilla  par  ses  lettres  ap- 
parans  (1)  aux  prélas  du  royaume  de  France  qu'il  li  démons- 
trassent  quelle  chose  seroit  mieux  profitable  et  nécessaire 
avi  recours  et  au  recouvrement  de  la  Saincte  Terre  ;  et  les 
depria  humblement  que  à  ce  esmeussent  le  roy  de  France, 
les  barons  et  les  chevaliers  et  eux  meisines,  et  nommcement 
le  menu  peuple,  pour  la  Saincte  Terre  recouvrer.  Auxquiex 
commandemens  et  prières  les  arcevesques  et  les  prélas 
très  doucement  octroians,  chascun  maistre  (2)  par  sa  diocèse, 
les  évesques,  les  abbés,  les  prieui's  et  les  sages  clers  assem- 
bla ;  et  lors  quant  leur  concile  fu  ainsi  assemblé  et  célébré, 
si  mandèrent  au  pape  ce  qu'il  avoient  fait,  et  conseillèrent 
en  ceste  manière  :  c'est  à  savoir  qu'il  convendroit  pre- 
mièrement, les  princes  et  les  barons  de  toute  crestienté 
ensemble  comméus(3)  à  paix  et  à  concorde  rappeler  ;  et  meis- 
mementrapaisier  les  Grieux,  les  Seciliens  et  les  Arragonois  ; 
et  ainsi  dès  maintenant  ce  fait ,  se  le  souverain  l'ottroioit 
ou  jugeoit  estre  chose  nécessaire,  la  croix  de  son  auctorité 
par  tout  l'empire  de  crestienté  seroit  preschiée  et  à  prendre 
admonestée. 

En  icest  an,  les  gens  de  Valentianes  en  Haynant,  se  rebellè- 


(1)  Apparaiis.  Palenles. 

(2)  Maistre.  «  Melropolitanus.  w 

(3)  Comméus.  Excites.  «  Commotos.  » 


102  LES  GRANDES  CHllONIQUES. 

rent  contre  leur  conte,  pour  ce  qu'il  s'efForçoit  de  les  grever 
sans  cause  ;  et  se  tindrent  grant  pièce  contie  li,  et  boutèrent 
les  gens  dudit  conte  hors  de  leur  ville  ;  et  en  firent  protec- 
teur et  advoué  Guillaume  le  fils  au  conte  de  Flandres. 

Et  en  ce  meisnie  an,  puis  que  Jehanne,  contesse  de  Blois 
et  d'Alençon  fust  morte  ,  ses  cousins,  c'est  à  savoir  Hue  de 
Saint-Pol  et  ses  frères  et  messire  Gauthier  de  Chastillon, 
partirent  ensemble  l'héritage  de  la  dite  dame  ;  et  depuis,  le 
dit  Hue  conte  de  Saint-Pol  laissa  à  Guy  son  frère  la  dite 
conté  de  Saint-Pol,  et  fu  fait  le  dit  messire  Hue  conte  de 
Blois. 

En  ce  meisme  tenis  le  pape  Nicolas  mouru,  et  fu  l'églyse 
de  Rome  vacant  par  deux  ans  et  plus  de  pasteur. 

Et  en  cest  an  meisme  Raoul  de  Sacony  (1),  roy  d'Alemai- 
gne,  morii,  et  fu  après  luy  roy  d'Alemaigne  Adolphe  (2). 


VHT. 

Cornent  la  ge/U  au  roy  d" Anglcicvrc  entrèrent  soudainement 
aa  pais  de  Normendie  et  ailleurs. 

Après,  en  l'an  de  grâce  ensuivant  mil  deux  cent  quatre 
vingt  et  douze,  Edouart,  le  roy  d'Angleterre,  de  malice  et  de 
fraude  c[ue  il  avant  et  de  grant  pièce  avoit  conceu,  si  comme 
aucuns  disoient,  fist  un  grant  appareil,  en  feignant  que  il 
vouloit  aler  hastivement  en  la  Terre  saincte,  et  là  endroit 
profiter  (3)  ;  et  par  ses  hommes  de  Baionne,  une  cité  de  Gas- 
coigne,  et  autres  pluseurs  de  son  l'oyaume,  à  nefs  et  à  ga- 


(1)  Raoul  de  Sacony.  Rodulphe  de  Hapsbourg. 

(2)  Adolphe.  C'est  Àdoliihe  de  Nassau.  Ce  dernier  alinéa  n'est  pas  dans 
Naiigis. 

(3)  Profiler.  Aller,  se  diriger,  (v  Celeriler  prolicisci,  » 


(1292.)  PHELIPPE-LE-BEL.  103 

lies,  à  appareil  batailleur  en  graut  mullitude,  fist  les  subgiés 
du  roy  Plielippe  de  France  de  la  ten'C  de  Normendie  et 
des  autres  lieux,  par  mer  et  par  terre  f  élonneusement  as- 
saillir et  traîtreusement  envaïr ,  en  occiant  moult  de  eux , 
et  en  prenant  moult  grant  foison  et  détenant  pluseurs  de 
leur  nefs  et  fraignant  et  despeçant ,  et  les  maistres  des 
galies,  avecques  leur  biens  et  leur  merceries,  en  Angleterre 
menèrent  et  transportèrent.  Et  ensement  les  devant  dis 
hommes  du  roy  d'Angleterre  envaïrent  traîtreusement  et 
faussement  une  ville  du  royaume  de  France  que  on  appelle 
la  Rochelle,  et  y  firent  pluseurs  assaus,  en  occiant  aucuns 
de  la  ville  :  et  en  icelle  ville  firent  pluseurs  dommages. 
Laquelle  chose  comme  elle  venist  en  la  connoissance  au  roy 
de  France,  si  manda  au  roy  d'Angleterre  et  avix  tenans  son 
lieu  en  Gascoigne,  que  certain  nombre  des  devant  dis  mau- 
faiteurs  hommes  qui  ainsi  avoient  sa  gent  occis  et  mehaigniés, 
envoiast  à  Pierregort  (l)en  sa  prison,  pour  faire  de  eux  ce  que 
raison  diroit  et  justice  requeroit.  Auquel  mandement  le 
roy  d'Angleterre  et  sa  gent  furent  négligens  d'obéir,  et  par 
contumace  et  en  despit  le  refusèrent  ;  pour  laquelle  chose  le 
roy  de  France  fist  par  son  connestable  Raoul,  seigneur  de 
Neele  ,  en  sa  main  toute  Gascoigne  saisir,  ainsi  comme  ap- 
partenant au  fié  de  son  royaume;  et  fist  semondre  Edouart 
le  roy  d'Angleterre  à  venir  en  son  parlement.  Et  en  icest 
an  ensement,  comme  Jehan  le  conte  de  Hainaut  delez  la 
confinité  de  sa  terre,  les  gens  et  les  sougiés  du  roy  de  France 
et  les  églyses  en  sa  garde  establies  molestast  et  grevast ,  né 
ne  les  voulsist  aux  prières  né  au  commendement  du  roy 
amender  ,  Charles  de  Valois  ,  frère  au  roy  Phelippe  de 
France,  assembla  à  Saint-Quentin,  un  chastel  de  Verman- 
dois,  grant  osl  contre  le  conte ,  par  le  commendement  du 

(I)  rknujurl,  Pùrigucux, 


J04  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

loy  Phelippe  :  lequel  Charles,  comme  ildéust  de  bataille  as- 
saillir, Jeliau  le  conte  de  Hainaut  la  puissance  du  roy  de 
France  doubtant,  vint  sans  armes  dévotement  à  Charles  ;  et 
s'en  vint  à  Paris  avec  luy  au  roy,  et  tout  ce  qu'il  avoit  mef- 
fait  envers  luy  et  envers  ses  soujets,  à  tout  son  bon  plaisir 
luy  amenda  et  à  sa  plaine  volenté. 

Et  en  ce  meisme  an,  en  la  cité  de  Roen  en  Normendie  , 
pour  les  exactions  que  on  appelle  maie  toulte  (1)  desquelles 
le  peuple  estoit  moult  durement  grevé,  contre  les  maistres  de 
l'eschiquier  ministres  le  roy  de  France  le  menu  peuple  s'es- 
mut  et  s'eslevaj  et  dès  maintenant  les  cueilleurs  de  celle 
pécune  bâtirent  et  les  deniers  par  places  espandirent ,  et 
au  chastel  de  la  cité  les  menistres  et  les  maistres  assis- 
trent.  Mais  après  ce,  par  le  maire  (ou  baillif),  et  les  plus 
riches  hommes  de  la  ville,  furent  apaisiés  et  se  retrais- 
trent;  et  lors  en  y  ot  pluseurs  de  pendus  et  moult  par  di- 
verses prisons  du  royaume  de  France  furent  emprisonnés. 


IX. 


De  la  bataille  du  conte  d'Armignac  et  du  conte  de  Fois. 

En  l'an  de  grâce  mil  deux  cens  et  quatre  vingt  et  treize, 
le  conte  d'Armignac  contre  le  conte  Raymont  Bernart  de 
Fois,  lequel  il  avoit  appelle  de  traïson  à  Gisors,  environ  la 
Penthecoste,  devant  Phelippe  le  roy  de  France  et  les  ba- 
rons ,  fu  contraint  à  combattre  encontre  le  dit  conte  de 
Fois  en  champ,  seul  à  seul.  Mais  aux  prières  du  conte  Ro- 
bert d'Artois,  la  besoigne  et  le  descort  d'iceux  le  roy  de 
France  pristsurluy,  et  de  la  bataille  qu'il  avoient  jà  com- 
menciée  les  fist  retraire. 

(1)  Mak  touUe,  «  Malam  lollani  »  De  là  le  rcsiiectablc  nom  de  inalciolc. 


(f293.)  PHELIPPE-LE-BEL.  105 

Et  adecertes  en  cest  an,  Edouart  le  roy  d'Angleterre  plu- 
seurs  fois  et  solenipnellement  à  la  court  le  roy  de  France 
fu  semons,  pour  les  injures  et  malefaçons  les  quelles  ses 
hommes  avoient  faites  aux  hommes  du  royaume  de  France 
et  de  Normendie  et  d'ailleurs  ;  venir  n'i  voult,  ainsois  au 
cominandement  le  roy  de  France  despit  et  contredit.  Mais 
pour  ce  que  à  fausse  conscience  et  à  conseil  plain  de  fraude 
peust  l'iniquité  qu'il  avoit  commenciée  parfaire,  dist-l'eu 
qu'il  manda  au  roy  de  France  que  il  tuy  quittoit  quelconque 
chose  qu'il  tenoit  de  luy  en  fié  né  poursivoit  ;  car  il  cui- 
doit  et  espéroit  ce  et  plus  par  force  d'armes  acquerre 
et  ce,  sans  hommage  de  quiconc[ue,  dès  ore  mes  tenir.  Et 
en  cest  an  ensement ,  au  mois  de  juignet  ,  Noion,  une 
cité  de  France ,  fu  toute  arse  et  embrasée  fors  les  abbaïes 
de  Sainct-Eloi  et  de  Sainct-Barthclemi.  Et  aussi  en  icest 
an  meisme  ,  Henri  d'Espaigne  ,  lequel  le  roy  de  Secile 
avoit  tenu  en  prison  par  l'espace  de  vint-six  ans,  s'en  alà  à 
son  neveu  Sancion  (1)  le  roy  d'Espaigne.  Et  en  ice  meismes 
an,  Guillaume  l'évesque  d'Aucuerre  moru,  auquel  succéda 
en  la  dite  éveschié  Pierre  évesque  d'Orliens  ,  et  renonça  à 
l'éveschié  d'Orliens  :  et  fu  mis  en  sa  place  Frédéric  le  fils 
au  duc  de  Lorraine  ,  qui  en  discorde  avoit  esté  esleu  éves- 
que d'Aucuerre,  ajîrès  la  promocioii  du  devant  dit  Pierre. 

(I)  Sancion.  Sanclie,  roi  de  Gaslille. 


lOG  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 


X. 

Cornent  le  roj  Edouart  s'csmut,  cl  conient  le  conte  d'Accrre  (1) 
fu  deslruit  pour  ses  mesfais. 

Après,  eu  l'an  de  grâce  mil  deux  cens  quatre  vingt  qua- 
torze, Edouart  le  roy  d'Angleterre  contre  le  roy  Plielippe 
de  France  apertenient  et  puissamment  s'esnuit ,  et  envoya 
en  Gascoigne,  par  navie,  moult  très  grant  foison  de  sa  gent 
les  quiex  l'ile  de  Ré  vers  La  Rochelle  en  Poitou,  qui  de  la 
part  le  roy  de  France  se  tenoit ,  destruirent  toute  ,  et 
occirent  la  gent  et  l'embrasèrent  et  brûlèrent  par  feu.  Et 
puis  d'ilec  versBourdiaus  nagièrent  (2)  les  Anglois,  et  le  chas- 
tiau  de  Blaives  et  trois  villes  ou  cliastiaus  sus  la  mer  occu- 
pèi'ent  et  prisrent,  et  les  gens  du  roy  de  France  cpii  les  gar- 
doient  descliacièrent  et  gettèrent  vilainement ,  en  occiant 
aucuns  par  la  tricherie  des  Gascons.  Et  comme  après  il  ve- 
iiissent  à  Bourdiaus ,  né  ilec  pour  Raoul ,  le  seigneur  de 
Neelle,  connestable  de  France  qui  dedens  estoit,  ne  péusseut 
aucune  chose  attempter  né  faire,  lors  vers  la  cité  de  Baionne 
retournèrent  leur  navie,  laquelle,  parla  tra'ison  de  ceux  qui 
C3toient  ens  la  cité  ,  reçurent  dès  maintenant  abandon , 
et  assaillirent  longuement  les  François  qui  en  la  forteresse 
du  chastel  estoient  ;  et  à  la  fin  après  ce  d'ilec  les  encha- 
cièrent. 

Et  en  icelui  an  aussi  ,  le  conte  d'Acerre  en  Puille , 
lequel  Charles,  le  roy  de  Secile,  avoit  establi  garde  de  sa 
conté  de  Prouvence,  fu  trouvé  et  esprouvé  très  pesme  (3) 

(1)  h'Acerre.  Nangis  le  nomme  «  Comcs  Accrraruni  in  Apuliâ.  »  La 
ville  d'Acerrcs  ou  l'Accrrcs  est  en  effet  dans  la  Pouille.  (Voyez  déjà  plus 
haut,  vie  de  Philippe  III,  §  35.) 

(2)  NcKjièrcut.  Naviguèrent. 

(3)  Pesme.  Très-mauvais.  «  Pcssimus.  » 


(1294.)  PHELIPPE-LE-BEL.  107 

socloinite  et  traître  de  son  seigneur;  et  fu  pris  par  le  com- 
mandement du  roy  ,  et  fu  de  son  derrière  (1)  jusques  ù  la 
bonclie  en  une  broclie  de  fer  ardant  transfichié,  et  après  fu 
ars.  Adonques  en  icel  tourment  regéhi  cornent  Charles 
le  roy  de  Secile  ,  père  d'icelui  Cliarles,  il  avoit  retrait  par 
traison  do  la  cité  de  Messines  qu'il  avoit  assegic'e  ;  et  co- 
rnent, après  Cliarles  prince  de  Salerne  son  fils,  s'estoit  laissié 
prendre  (2)  ;  et  coment  il  destourna  les  Seciliens  qui  icelui 
prince  pris  vouloient  restablir  en  honneur  royal,  et  les  Ar- 
ragonois  aussi  de  leur  terre  cliacier  les  desloa. 


XI. 


Comcnl  le  conte  de  Flandres  s'alla  an  roy  d'yfnglelerre^ 

En  cest  an  ensemcnt,  Gui  le  conte  de  Flandres,  occulte- 
ment  et  célûement ,  contre  son  seigneur  le  roy  de  France 
au  roy  d'Angleterre  alié  ,  vint  avec  sa  fille  à  Paris  ;  laquelle 
il  vouloit  envoier  en  Angleterre  pour  espouser  au  roy  d'An- 
gleterre Edouart.  Lors  par  le  commandement  le  roy  Plie- 
lippe  roy  de  France  ,  avec  icelle  furent  détenus  en  garde , 
mais  icelle  fille  après  ce  demoura  avec  les  enfans  le  roy, 
pour  estre  enseigniée  et  noui'rie  avec  eux  ;  et  le  conte  assez 
tost  après  fu  délivré. 


(()  Derrière.  Les  éditions  golliiqucs  ont  subslituc  clos.  Nnngis  dit  :  «  A 
»  postcrioribus.  »  (  Si)icilcg.,  t.  m,  p.  -jO.)  Doux  lignes  plus  bas,  au  lieu 
de  En  icel  Coimnetii  recjehi,  elles  portent:  «  En  celle  gehinc  rccongneut.  » 
Et  les fuiscnrs  de  Glossaire?  d'enregistrer,  sur  cette  autorité,  le  substantif 
rjehine  pour  géhenne'. 

(2)  S'estoit  laissié  prendre.  Et  commcnl  il  s'éloit  laissé  prendre  avec  le 
prince  de  Salerne ,  pour  mieux  nuire  à  ce  dernier.  Ce  crime  est  peu 
probable. 


lOS  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

XII. 

Cornent  Charles  de  Valois  ala  en  Gascoigne. 

Et  ensemeut  en  cest  an , Charles  de  Valois,  frère  Phelippe  le 
roycleFrance,en  Gascoigne,  à  moult  grantost,  fu  de  par  son 
frère  destiné  et  envoie.  Rions  (1),  un  cliastel  très  fort,  lequel 
les  Anglois  pai*  la  traïson  des  Gascoins  dctenoient ,  clost 
lors  par  siège,  et  avec  sa  gent  viguereusenient  et  appertement 
assega.  Et  adecertes  ilec  estoient  Jehan  de  Saint-Jehan  (2)  et 
Jehan  de  Bretaigne  et  moult  d'autres  de  par  le  roy  d'Angle- 
terre nobles  batailleurs. 

(3)  Et  en  cest  an,  Jehan  duc  de  Brebant ,  qui  semons  avoit 
esté  aux  noces  de  une  des  fdles  au  roy  d'Angleterre  laquelle 
Henry  conte  de  Bar  prenoit  à  femme ,  en  joustant  contre 
un  chevalier  qui  estoit  nommé  Bourgondes  fu  féru  d'un 
eop  de  lance  à  la  moi  t ,  et  mourust  dedens  six  jours  en  un 
cliastel  qui  est  appelle  Bar  en  Lorraine. 

Et  en  icel  an  meisme,  depuis  que  l'église  de  Rome  ot  vaqué 
de  pasteur  par  l'espace  de  deux  ans,  de  trois  mois  et  de  deux 
jours,  il  y  ot  un  pape  qui  fu  appelle  Célestin.  Ycelui  Célestin 
fu  de  la  nascion  de  Puille  et  fu  moine  et  père  d'une  petite 
religion  (4)  laquelle  par  luy  avoit  esté  instituée  et  estoit  appe- 
lée Saint-Benoist  es  montaignes(5)  ;  et  là  menolt  moult  âpre 
vie  d'ermite.  Iceluy  Célestin  estoit  appelle  frère  Pierre  de 


(1)  Rions.  Les  manuscrits  de  la  Chronique  françoise  de  Nangis  portent 
La  Riole  et  Riel.  Mais  ce  doit  être,  d'après  le  latin  Uionsium,  la  petite 
ville  de  Rions,  entre  Bordeaux  et  La  Réole. 

(2)  Jean  de  Saint-Jean,  lieutenant  des  Anglois  en  Gascogne. 

(3)  Cet  alinéa  n'est  pas  traduit  do  Nangis. 

(4)  Religion,  Maison  religieuse. 

(6)  Ces  religieux,  du  nom  adoptif  de  leur  fondateur,  prirent  le  nom 
de  CéleslinK. 


(129i.)  PHELIPPE-LE-BEL.  tOD 

Monon  avant  qu'il  fust  esleii  à  pape  ,  et  estoit  homme  de 
grand  humilité  et  de  grande  renommée  et  de  piteuse  et 
saincte  conversation.  Si  avint  en  ce  temps  que  les  cardinals 
qui  moult  estoient  obstinés  en  l'élection  d'un  pape  ,  si 
comme  il  sembloit ,  en  une  journée  se  fussent  assemblés  en 
consistoire,  non  pas  pour  le  eslire,  car  en  traitant  de  l'élec- 
tion oncc^ues  n'a  voit  esté  faite  dudit  frère  Pierre  mencion  ;  si 
avint  que  d'aventure  un  cardinal  en  plain  consistoire  com- 
mença à  raconter  de  la  saincte  vie  et  de  la  renommée  dudit 
frère  Pierre  ;  et  adoncques,  par  divine  inspiration,  si  comme 
l'en  croit ,  tous  les  cardinals ,  à  un  seul  veu  et  à  une  voix  , 
avec  grant  effusion  de  larmes  se  consentirent  audit  frère 
Pierre ,  et  fu  esleu  en  pape ,  et  avoit  bien  largement  sois- 
sante-neuf  ans  d'aage.  Mais  encore  estoit-il  sain  et  haitié 
et  assez  fort  ;  il  n'estoit  pas  grant  clerc  ,  mais  il  estoit  de  très 
grant  discrécion.  Icestuy  pape  ordena  douze  cardinals,  outre 
le  nombre  qui  y  estoit  ;  et  la  décrétale  que  son  prédécesseur 
avoit  fait  sus  l'eslection  du  pape  ,  laquelle  estoit  demourée 
en  suspense  ,  il  la  confirma  et  voult  c[ue  elle  fust  tenue  et 
gardée. 

Item  environ  l'advent  Nostre-Seigneur ,  ledit  pape  en 
plain  consistoire,  devant  tous,  renonça  à  tout  office  et  béné- 
fice de  papalité.  Après  lequel  fuBoniface  le  huitième,  né  de 
Cliampaigne  (  1  ),lequel  fu  le  cent  quatre-vingt  et  dix-septième 
pape.  Or  avint  que  le  dit  Célestin  qui  pape  avoit  esté  s'en 
vouloit  retourner  au  lieu  dont  il  estoit  venu  ,  et  le  pape 
Boniface  sou  successeur  ne  le  voult  pas  souffrir  :  mais  le  fist 
honnestement  et  à  très  grande  diligence  en  honneste  lieu 
esti'e  gardé. 

Et  en  ce  meisme  au,  Raoul  de  Grantville,  de  l'ordre  des 
Prescheuis,  lequel ,  par  le  commandement  du  pape  Célestin 

(()  cliampaigne.  Camp.Tiiic. 

TOM.     V.  10 


no  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

déposé,  avoit  esté  à  Paris  consacré  en  patriarche  de  Jhérusa- 

lem:,  quant  il  vint  à  Rome  lu  de  parle  pape  Boniface  dégi-adé. 

En  iceluy  an  mourut  le  roy  d'Alemaigne.  Si  s'assemblè- 
rent les  esliseurs  à  Coulogne  ,  et  s'accordèrent  tous  et  esli- 
rent  vm  vaillant  homme  ,  mais  il  n'estoit  mie  moult  riche  , 
et  fu  appelle  Adovdphe(l).Tantost  comme  llfucoronéàAis, 
si  fist  assemble!' les  barons  d'Alemaigne  et  leur  monstra  que 
le  roy  de  France  avoit  grant  partie  de  l'empire  par  devers 
luy ,  laquelle  chose  il  ne  pooit  soufrir  pour  le  serrement 
qu'il  avoit  à  l'empire  fait.  Et  tantost  eslurent  deux  cheva- 
liers, et  leur  baillèrent  des  lettres  au  roy  ,  et  les  envoièrent 
par  devers  le  roy  de  France  à  Corbuel.  Ilec  luy  présentèrent 
les  lettres  de  par  le  roy  d'Alemaigne  ,  lesquelles  estoient 
sus  ceste  forme  : 

«  Adoulphe,  par  la  grâce  de  Dieu  ,  roy  des  Romains  tous 
»  dis  accroissans  (2),  à  très  grant  prince  et  puissant  seigneur 
»  Phelippon  roy  de  France.  Comme,  par  vous,  les  posses- 
»  sions ,  les  droitures,  les  jurisdictions  et  les  traites  des 
»  terres  de  nostre  empire,  par  empeeschement  noient  conve- 
»  nable,  sont  détenus  par  movdt  de  temps ,  et  follement 
»  sont  fortraites ,  si  comme  il  apert  clerement  en  divers 
»  lieux  ;  nous  signifions  à  vous  par  ces  présentes  lettres , 
»  que  nous  ordennerons  à  aler  contre  vous  avec  toute 
»  nostre  puissance ,  en  poursuivement  de  si  grant  injure 
»  cjue  nous  ne  poons  souffrir.  Donné  à  Nurenberge  la  se- 
»  coude  kalende  de  novembre  ,  l'an  de  l'Incarnacion  mil 
»  deux  cent  quatre-vingt  et  quatorze.  » 


(1)  C'est  ici  la  répélilion  de  la  mcnlion  de  l'élection  d'Adolphe  de 
Nassau.  —  Le  latin  de  Nangis  dit  seulement ,  au  lieu  du  long  récit 
qui  va  suivre  :  «  Romanorum  rox  Adulplius,  régi  Angllœ  Eduardo  pecu- 
»  nia  contra  regem  Francise  confederalus,  fecit  regem  Franciœ  ex  parle 
»suâ,  post  oclavas  Nativilalis  Doniinicre  diffiderc;  scd  auxiiiarlis  sibi 
»  dcQcienlibus,  ncquivit  pcrficcrc  quod  optabat.  »  (Spicileg,  t.  m,  p.  60.) 

(2)  Tous    accroissant.  «  Semper  Augustus.  » 


(1294)  PHELIPPE-LE-DEL.  111 

Quand  le  roy  de  France  ot  receus  ses  lettres ,  si  manda 
son  conseil  par  grant  déliÎDeracion ,  et  leur  bailla  la  réponse 
de  leur  lettres.  Tantost  les  chevaliers  se  départirent  de 
court  et  vindrent  à  leur  seigneur,  et  luy  baillèrent  la  lettre  de 
réponse.  Il  brisa  le  seel  de  la  lettre  qui  moult  estoit  grande; 
et  quant  elle  fu  ouverte ,  il  n'y  trouva  riens  escript,  fors 
Troup  Alemanl.  Et  ceste  réponse  fu  donnée  par  le  conte 
Robert  d'Artois  ,  avec  le  grant  conseil  du  roy.  Si  avint  que 
le  roy  d'Angleterre  qui  guerre  avoit  au  roy  de  France 
envoia  par  devant  ledit  Adoulplie,  roy  des  Romains,  en  luy 
requérant  que,  pour  une  somme  de  deniers ,  il  se  vôulsist 
aler  avec  luy  contre  le  roy  de  France.  Lequel  Adoulphe  luy 
ottroia  ,  car  il  avoit  bien  en  mémoire  la  response  des  lettres 
cju'il  avoit  envoiées  au  roy  de  France  ,  comme  dessus  est 
devisé.  Si  envoia  deffier  le  roy  de  Fi-ance  de  par  luy  (1);  mais 
quant  il  cuida  assembler  grant  quantité  de  gens  d'armes 
pour  accomplir  ce  qu'emprins  avoit,  pluseurs  luy  défailli- 
rent c|ui  ne  vouloient  pas  estre  avec  le  roy  d'Angleterre.  (Si  ne 
pot  parfaire  ce  cju'il  avoit  empris  en  son  entencion.  Mais, 

(1)  Le  récit  de  nos  chroniques  contredit  celui  des  Iiisloriens  modernes, 
qui  présentent  les  premières  lettres  de  l'empereur  comme  un  effet  du 
traité  lionteux  fait  par  lui  avec  le  roi  d'Angleterre.  —  Au  reste  ,  je  dois 
à  l'obligeance  de  M.  Miclielet,  chef  de  la  section  historique  aux  archives 
du  royaume,  la  preuve  que  notre  cln-oniqucur  a  suivi  un  bruit  populaire 
mal  fondé  ,  en  citant  le  mot  encore  aujourd'hui  célèbre  de  Philippc-lc- 
Bel.  L'original  de  la  véritable  réponse  de  ce  prince  est  conserve  dans 
le  Trésor  des  Chartes.  (J.  G:0,  n"  14.)  «  Philippus  d.  g.  Fr.  rex  , 
»  magniDco  principi  A.  régi  Alcmannia2.  Nupcr  vestras,  ut  prima  facic 
»  apparcbat,  patentes  rccei)imus  litteras,  in  hœc  verba  :  Adoli>hus,  etc. 
»  (comme  i)lus  haut.)  Quarc  miltimus  ad  vos,  religiosos  viros  dilectos 
»  nostros  fratres  Simonem  de  ordine  hospilalis...  ac  Galclierum  de  ordinc 
»  militiie  Templi  de  Remis  domoruni  prcceptores,  ad  sciendum  si  à  vobis 
»  laies  litteras  processerunt.  Quœ  si  de  vcslrâ  conscientiâ  emanarint,  nisi 
»  de  contrario  nos  ccrtiflcaveritis,  cum  câ  earum  tcnore  diflidalionis  nia- 
»  Icria  coUigatur,  vobis  inlimamus  quod  tanquam  diflUlati  à  vobis  dcin- 
»  ceps  crga  vos  proponimus  nos  habcro.  Datum  Parisiis  ,  die  Mcrcurii  , 
»  antè  mediam  quridragcsimam,  anno  Doniini  M«  CC»  nonagesimo  quarto. 
»  (1295.)  Il  Sccl  en  cire  blanche  pendanl  sur  simple  queue. 


112  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

après  une  pièce  de  temps,  se  fist  la  pais  entre  le  roy  de 
France  et  ledit  Adoulphe,  par  ceste  manière  que  ledit  Adoul- 
])he  aurolt  à  femme  la  sœur  au  roy  de  France  ;  et  par  tant 
(u  la  paix  confermée). 

XIII. 

Content  Charles  le  frère  au  roy  de  France  fi  si  pendre  pluscurs 
Gascoins  dc^'ant  le  chas  tel  de  Rions,  et  cornent  il  l'nssisl. 

L'an  de  grâce  ensuivant  mil  deux  cent  quatre-vins  et 
quinze ,  Raoul ,  le  seigneur  de  Neelle ,  connestable  de 
France,  ■ —  qui  de  Bourdiaux,  en  l'aide  de  Charles  le  frère  le 
roy  de  France  Phelippe,  à  Rions  venoit  par  une  ville  des 
Anglois  garnie  que  l'en  appelloit  Podency,  à  laquielle  il  avoit 
tenu  le  siège  par  huit  jours, — fist  convenance  aux  Anglois  c[ui 
avec  les  Gascons  la  defFendoient,  que  s'en  iroient  seurement, 
leur  vies  sauves.  Et  lors  ,  ce  fait ,  si  la  reçut  le  jour  des 
grans  Pasques ,  dont  laissa  aler  les  Anglois,  et  amena  les 
Gascons  par  nombre  soixante  ,  à  Rions  à  messire  Charles  ; 
lesquiels  celuy  Charles  ,  au  quinziesme  jour  après  Pasques, 
fist  tous  en  gibet,  devant  les  portes  de  Rions,  pendre  et 
encrouer  au  vent.  Et  quant  ceux  du  chastel  virent  ce  et 
cognurent  ce ,  et  sorent  que  à  Podency  les  Anglois  eussent 
trahi ,  lors  envers  la  gent  du  roy  d'Angleterre,  qui  dedens 
le  chastel  estoientavec  eux,  s'esmurent  à  grant  despit  et  des- 
daing.  Pour  laquielle  chose  Jehan  de  Saint-Jehan  et  Jehan 
de  Rretaigne  ,  comme  la  nuit  fu  venue,  en  leur  nefs  faians 
par  mer  s'en  eschapèreiit.  Mais  il  furent  ensuivis  des  Gas- 
cons ,  et  pluseurs  des  Anglois  aiiisois  qu'il  entrassent  es  nés 
furent  occis. 

Adonc  ,  au  vendredi  ensuivant ,  les  François  appercevaus 
en  celle  nuit  avoir  eu  discorde  et  contens  au  chastel,  et 


(1295.)  PHELIPPE-LE-BEL,  113 

que  pou  estoieiît  aux  deffenses,  assaillirent  le  chastel  aperte- 
nient  et  dès  uiaintenaut  y  entrèrent ,  et  occireut  moult  des 
Gascons  ,  et  si  soubniistrezit  la  ville  et  le  chastel  et  toute  la 
seigneurie  en  la  seigneurie  au  roy  de  France. 

Après  ce ,  Charles  ,  conte  de  Valois ,  après  la  prise  du 
chastel  de  Rions  ,  assist  la  ville  de  Saint-Sever  ,  et  l'assailli 
tout  le  tems  d'esté  par  divers  assaus ,  et  fist  tant  que  par 
force  il  la  fist  venir  abandon.  Mais  après  ce,  quant  il  s'en  fu 
retourné  en  France  ,  la  gent  de  la  ville  tricheresse  repre- 
nant l'esperit  de  rebellement ,  de  la  féauté  et  seigneurie  de 
France  rassaillirent  (1). 

Et  en  ce  tems  ,  Sancion  ,  le  roy  de  Castelle ,  mourut. 
Du  quiel  deux  enfans  petis  d'aage  qu'il  avoit  engendré  de 
une  nonain  (2)  qu'il  avoit  joint  à  luy  par  mariage,  Henri  son 
oncle  du  quiel  nous  avons  dit  dessus,  qui  estoit  eschapé  de 
la  prison  au  roy  de  Secile  ,  garda  et  delïendi  conume  tuteur. 


XIV. 


De  la  nai^ie  ait  roy  de  France  qui  s'esmul  pour  alcr  en  Angle- 
terre. 

En  celluy  an  nieisme,  la  navie  au  roy  de  France  à  Douvre 
un  port  d'Angleterre  appliquant,  tout  ce  qui  estoit  hors  des 
murs  ravi.  Et  comme  iceluy  grant  navie peust  de  legier  toute 
Angleterre  prendre  et  occuper,  si  fu  desvée  à  aler  oultre,  de 
l'autorité  Malii  de  Momorenci  et  de  Jehan  de  Harcourt , 
mareschaux  tie  cette  navie ,   et  furent    déboutés  à    eux 

(1)  Rassaillirenl.  Mauvaise  traduclion  du  latin  de  Nangis  :  «  Gens  villae 
à  ûdclitate  régi  Franciœ  pollicità,  resilivit.  » 

(2)  Une  nonain.  Je  crois  qu'avec  le  latin  notre  chroniqueur  a  pris  le 
nom  propre  delà  reine  Marie  de  Moliua,  pour  l'indication  de  sa  prol'cs- 
fion  de  religieuse.  «  Pucrus  de  quâdam  ■iuiictiinoniali  (cmiuà.  » 

10. 


114  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

retourner  sans  rien  faire.  Et  adecertes  ,  en  cesl  an  ,  la 
royne  Marguerite  ,  femme  monseigneur  saint  Loys,  mou- 
rut à  Paris  ;  et  en  l'église  Saint-Denis,  devant  son  seigneur, 
fu  honnorablement  enterrée.  Et  icelle  royne  Margue- 
rite ,  ainsois  que  elle  mourust ,  establi  et  fonda  à  Paris , 
devant  St-Marcel,  une  abbaie  de  Seurs  meneurs  (1),  où  elle 
très  honnorablement  vesqui  (2).  Et  en  cest  an  ensement 
Alfons  le  roy  d'Arragon  mourut  ;  et  lors  Jaques  l'occupeur 
de  Secile,  son  frère,  se  transporta  en  Arragon  et  reçut  la 
hautesce  de  la  dignité  royale  :  lequel ,  quant  il  ot  fait  pais 
au  roy  de  Secile  Charles ,  si  espousa  une  de  ses  fdles,  et  les 
ostages  que  Alfons  son  frère,  le  roy  nouvellement  mort, 
avoit  receu  du  roy  de  Secile,  délivra  ;  et  l'autre  son  frère 
Frédéric  occupa  Secile  après  luy. 


XV. 


Comenl  le  roy  cT Escocc  fa  pris  et  amené  au  roj  d' Anglclerre.  Et 
parle  après  de  phisciirs  incidences. 

Après ,  en  l'an  de  grâce  ensuivant  mil  deux  cent  quatre- 
vingt  et  seize  ,  les  Escos  au  roy  de  France  aliés  envahirent 
le  royaume  d'Angleterre  et  dégastèrent  ;  et  ainsi  comme  i\ 
s'en  revenoient  d'iceluy  envaissement ,  Jehan  leur  roy,  traï 
d'aucuns,  fu  pris  et  au  roy  d'Angleterre  envoie. 

Et  en  icest  an  ensement,  Alfons  et  Ferrant  fils  Blanche 
fille  du  saint  roy  Loys  de  France,  et  de  Ferrant  l'ainsné  fils 
au  roy  de  Castelle  ,  de  long-temps  mort ,  qui  du  droit  de  la 


(1)  Les  cordelières. 

(2)  M.  Gcraud  ,  dans  son  Paris  sous  Philippe-le-Bel,  a  eu  tort  de  con- 
tester tous  CCS  faits,  qui  sont  également  rapportes  par  le  conlinuateur  de 
Nangis. 


(1296.)  PHELIPPE-LE  BEL.  ((5 

dignité  royale  et  de  excellence  à  eux  donné  par  Alfons  leur 
aïeul ,  estoient  du  tout  en  tout  privés  et  degetés,  et  pour  ce 
en  France  estoient  comme  essiliés;  quant  il  entendirent  du 
roy  leur  oncle  qui  mort  estoit ,  si  prisrcnt  leur  erre  (1)  et 
requistrent  et  envaïrent  Espaigne  ;  et  firent  convenances  à 
Jaques  le  roy  d'Arragon.  ht  lors  par  l'aide  de  luy  et  de  son 
frère  Pierre,  et  ensement  du  fils  Jehan  le  petit  (2)  d'Espai- 
gne,  le  royaume  de  Légions  (3)  premièrement  envairent ,  et 
à  eux  du  tout  en  tout  le  soumistrent  ;  lequel  Alfons  l'ainsné 
à  Jelian  son  oncle,  qui  en  s'aide  estoit  venu  par  mer,  ottroia 
et  donna  à  tenir  de  luy  en  fié.  Pour  ce  fait ,  il  attrait 
merveilleusement  les  cuers  de  sa  gent  à  luy. 

En  ce  meisme  an  mourut  pape  Célestin  qui  déposé  s'estoit 
par  avant  de  la  papalité  ;  et  en  icel  an  Pierre  et  Jaques  dits 
de  la  Colompne,  cardinals,  afermoient  la  déposition  du 
pape  Célestin  avoir  esté  indeuement  faite  ;  et  que  la  pro- 
mocion  de  Boniface  estoit  injuste  et  irraysonnable  :  et  par 
ce  maintenoient  la  cour  de  Rome  estre  en  erreur.  Quant  le 
pape  Boniface  sot  ce ,  si  les  priva  de  tout  honnevir  et  office 
de  cardinalté  et  de  tous  bénéfices  de  saincte  églyse. 

En  ce  meisme  an,  Florent  le  duc  de  Hollande,  et  assez 
tost  après  son  fils,  furent  d'un  chevalier  traiteusement  tués. 
Laquelle  mort  Jean  conte  de  Haynaut  voult  vengier  par 
droit  d'affinité  et  de  lignage ,  et  fist  tant  qu'il  conquist  à  soy 
Frise  et  Hollande. 

Et  en  iceluy  meisme  an,  la  cité  de  Pamers  fu  séparée  de 
l'éveschié  de  Thoulouse,  et  en  y  ot  propre  évesque  en  la 
dite  cité  par  l'autorité  du  pape  Boniface. 

(1)  En-e.  Course.  Variante  du  msc.  9650  :  Cuer. 

(2)  Le  petit.  Erreur  de  Nangis.  «  Johanniminimi.  »  C'est  le  JcanNunes 
dont  il  a  déjà  été  parlé. 

(3)  Lefjions.  Léon. 


116  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

XYL 

De  la  baillie  du  cenlicme  cl  du  cinquantième. 

En  icest  au  ensement,  fut  une  exaction  que  l'en  ap|3elle 
nialetoulte,  par  le  royaume  de  France,  premièrement  seule- 
ment des  marcheans  ;  de  recliief  le  centième  et  le  cinquan- 
tième de  tous  les  biens  de  chascun  ,  tant  de  clers  comme 
de  lais ,  pour  cause  de  la  guerre  en  ice  temps  décovuant 
entre  le  roy  Plielippe  de  France  et  le  roy  d'Angleterre  ,  fu 
commencit'e  Pour  laquelle  cliose ,  pape  Boniface  fist  un 
décret  par  sentence  que  se  les  roys  et  les  barons  de  toute 
crestienté,  dès  lors  en  avant,  des  prélas  ou  des  abbés  ou  du 
clergié,  sans  le  conseil  de  l'églyse  de  Rome,  telles  exactions 
prenoient ,  ou  les  évescjues  ,  abbés  ou  clergié  telles  choses 
leur  donnoient ,  la  sentence  et  excommeniement  par  ice 
fait  encourroient  ;  de  laquelle,  fors  au  péril  de  la  mort,  ne 
pourroient  de  nul  estre  absols  fors  que  du  pape  de  Rome 
ou  de  son  commandement  espécial. 

XVII. 

De  la  prise  Jehan  de  Sainl-Jclian  et  de  pluseurs  aulrc.t. 

En  icest  an  ensement,  Emons ,  le  frère  au  roy  d'An- 
gleterre qui  estoit  envoyé  en  Gascoigne  contre  la  gent  au 
roy  de  France  ,  mourut  ii  Rayonne.  Après  la  mort  ducjuel 
endementiers  cpie  les  villes  et  les  cliastiaux  ,  les  gens  au 
roy  d'Angleterre  tenans  sa  partie  appareilloient  à  gaimir 
de  vitaille  ,  Robert  conte  d'Artois  qui  un  pou  devant  avoit 


(I29G.)  PHELIPPE-LE-BEL.  117 

esté  envoyé  du  roy  de  France,  estoit  là  venu.  Quant  il  en- 
tendi  ce  par  ses  espieurs  ,  il  empescha  incontinent  et  isnel- 
lement  les  Gascons  et  gens  du  roy  d'Angleterre.  Car  comme 
il  fussent  sept  cents  hommes  à  cheval  et  cinq  mille  à  pié  , 
le  gentil  conte  avec  sa  gent  qu'il  amenoit  fors  batailleurs , 
si  fort  envaï  l'ost  des  ennemis  que  les  Gascons  s'enfuirent  ; 
et  les  enchaça  ,  et  des  greignevu's  d'Angleterre  à  mort  ac- 
craventa  bien  cent  ou  environ  ;  et  ilec  fu  pris  Jehan  de  Saint- 
Jehan  ,  et  Guillaume  le  jeune  de  Mortemer  avec  autres 
nobles  d'Angleterre  ;  et  furent  envoies  ainsi  comme  chaitis 
en  France.  Adont  le  conte  de  Lincole  et  Jehan  de  Bretai- 
gne  furent  chaciés  de  la  bataille ,  et  là  laissièrent  et  per- 
dirent toute  leur  garnison  avec  leur  appareil  de  bataille 
que  il  menoient  ;  et  pour  certain  se  la  nuit  ne  feust  si  tost 
venue  et  les  bois  n'eussent  esté  si  près,  nul  de  ceste  multi- 
tude de  gent  n'en  fust  eschapé.  Adont  ne  fu  dès  lors  en 
avant  qui  envers  le  conte  d'Artois  où  les  François  osassent 
en  bataille  aler  né  venir. 

XVIII. 

Du  renoncement  Robert  fils  au  conte  de  Flandres  à  l'omagc  le 
roy  de  France. 

En  cest  an  ensement ,  Gui  le  conte  de  Flandres  ,  par 
Robert  son  fils  déceu  si  comme  l'en  dit ,  appareilla  apper- 
tement  à  soi  mouvoir  et  eslever  contre  son  seigneur  le  roy 
de  France  Phelippe,  et  luy  manda  par  ses  patentes  lettres  à 
Paris  que  nulle  chose  il  ne  tenoit  de  luy  en  fié,  né  en  autre 
quelconque  chose  ou  manière  il  ne  se  réputoit  à  luy  estre 
sougiet. 

Et  en  cest  au  ensement,  au  moys  de  décendjrc,  en  la  veille 
Saint-Thomas  apostre  ,  avint  aussi  à  Paris  que  le  fleuve  de 


118  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

Seine  s'escrut  en  tele  manière  que  de  nul  aage  né  remem- 
biance  de  home  ne  treuve  l'en  en  escript  si  grant  croissance 
né  ravine  d'iaue  à  Paris  avoir  ondoie  :  car  toute  la  citéfu 
si  de  toutes  pars  raemplie  ,  ençainte  et  avironnée  ,  que  de 
nulle  part  en  la  ville  sans  navie  l'en  ne  pooit  entrer ,  né 
par  un  pou  par  toutes  les  rues  ne  pooit  aucun  aler  sans 
aide  debatiaux.  Et  lors  pour  la  pesanteur  de  l'yaue  et  la 
grant  ravine  du  fleuve ,  les  deux  pons  de  pierre  ,  et  avec  ce 
les  moulins  qui  dessus  estoient  fondés  et  fais  ,  et  le  Chas- 
tellet  de  Petit  pont,  de  tout  en  tout  trébuchièrent  et  chéi- 
rent  ;  et  lors  il  convint  par  huit  jours  des  viandes  de  hors 
aporter  es  nefs  et  es  batiaux ,  pour  secourre  à  ceux  de  la 
cité  de  Paris. 

XIX. 

Cornent  Alfons  d' Espaigne  rendi  tout  pour  deln'rcr  son  oncle 
de  la  prison. 

En  l'an  de  grâce  après  ensuivant  mil  cent  et  quatre-vingt 
et  dix-sept ,  Alfons  et  Ferrant  frères,  et  neveus  le  saint  roy 
Loys ,  viguereusement  et  forment  envaissans  Espaigne 
embatirent  paour  à  tous  les  ennemis  de  leur  renom  et  de 
leur  advènement  ;  auxquiels  vint  lors  leur  oncle  messire 
Jehan  qui  escrut  et  enforça  moult  et  eux  et  leur  gent  :  car 
par  iceluy  reçurent  abandon  villes  et  chastiaux  pluseurs  ; 
lequel  messire  Jehan  ,  comme  follement  après  alast  sur  les 
anemis,  il  fu  pris  :  et  Alfons  le  sien  neveu  noble  et  gentil  ne 
le  pot  autrement  ravoir  se  toutes  les  choses  qu'il  avoit  con- 
quises ne  rendist  et  restablist.  Et  lors,  par  la  grant  libéralité 
et  franchise  de  son  cuer  trait  et  démené  ,  pour  iceluy  rendi 
tout ,  estimant  greigneurs  estre  les  richesses  d'amis  que 
de  avoir  des  choses  de  ce  monde  muable  copie  né  habon- 


(1207.)  PHELIPPE-LE-BEL.  119 

dance  (1).  Lequel  Jeliau ,  le  vice  d'ingratitude  encou- 
rant, s'en  vint  droit  à  ses  ennemis  et  le  royaume  de  Légions 
qu'il  avoit  pris  du  don  de  son  nepveu  rendi  aux  aneniis  d'ice- 
luy  Alfons.  Adonques  Alfons  ,  quant  il  ot  toutes  ces  choses 
perdues ,  par  son  grant  courage  seurniontoit  toutes  choses 
adverses ,  ramenant  à  mémoire  le  très  haut  lignage  des  rois 
de  France  dont  il  estoit  descendu.  Comme  il  n'eust  ville 
né  chastel  où  il  trouvast  refuge ,  lors  ,  contre  l'opinion 
des  siens  qui  conseil  luy  avoient  donné  de  retourner  en 
France  ou  en  Arragon,  aux  chams  devant  un  chastel  se  mist 
et  arresta ,  et  fist  tendre  ses  très  et  fichier  ses  tentes  ;  mieux 
voulant ,  pour  droit  et  pour  justice  et  son  droit  requérant, 
mourir  que  retourner  sans  honneur  et  sans  victoire.  Duquel 
Alfons  le  seigneur  du  chastel  apercevant  la  sagesce,  luy  et  sa 
gent,  par  sa  pitié,  introduit  et  mena  en  son  chastel,  par  l'aide 
duquel  Alfons  après  ce  fist  moult  de  dommages  à  ses  ane- 
mis.  Et  endementiers  qu'il  estrivoit  à  ses  anemis  et  moult 
forment  les  guerroioit.  Ferrant  son  frère  s'en  vint  en  France 
requerre  aide  ;  et  d'ilcc  ala  à  la  cour  de  Rome  pour  aide 
et  secours  aussi  querre  ,  mais  d'une  part  et  d'autre  pou  de 
profit  en  raporta. 

XX. 

Comcnl  le  conte  de  Bar  entra  en  Champaigne  à  armes. 

Enicestan,  Henri  conte  de  Bar  qui  avoit  la  fille  au  roy 
Edouart  d'Angleterre  espousée ,  avec  grant  multitude  de 

(1)  Piien  de  plus  mauvais  que  ccUe  traduction  du  continuateur  de  Nan- 
gis.  Il  faut  entendre  ici  :  «  Estimant  plus  grandes  les  richesses  d'amis  que 
»  l'abondance  des  choses  de  ce  monde.  »  Cette  pensée  étoit  alors  une  espèce 
de  proverbe;  on  la  reconnoît  dans  les  beaux  vers  de  Gnrin  le  Lohcrain  : 

N'est  pas  richesse  et  de  vair  et  de  gris, 

Mais  est  richesse  de  parens  et  d'amis  : 

Li  cuers  d'un  home  vaut  tout  l'or  d'un  pais. 


120  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

geut  année  en  la  terre  de  Clianipaigne  ,  qui  appartenoit  par 
droit  héritage  à  tenir  à  Jelianne  royne  de  France  ,  comme 
anemi  entra  et  occist  moult  d'hommes,  et  meismement  une 
ville  embrasa  et  ardi.  Auquel  fol  efïorcement  réprimer  et 
retargier  fu  envoie  par  Phehppe  roy  de  France  Gauchier 
de  Cressi  ,  seigneur  de  Chatlllon  ,  qui  avoit  en  sa  compai- 
gnie  les  Champenois  ;  et  par  force  et  par  feu,  la  terre  au 
conte  de  Bar  dégasta  ;  et  ainsi  le  fist  retourner  pour  sa  terre 
garder. 

XXI. 

Coinenl  le  roj  Phclippe  assisl  Lille  en  Flandres. 

Et  en  icest  an  meisme,  Phellppe  le  Bel  roy  de  France, 
contre  Gui  le  conte  de  Flandres  qui  de  sa  féauté  estoit 
départi  ,  assembla  à  Compiègne  moult  grant  ost.  Et  ilec  en 
la  feste  de  Penthecoste  Loys  sou  frère  conte  de  la  ci  lé 
d'Evreux  ,  et  l'autre  Loys  ainsné  fils  Robert  conte  de  Clei- 
mont,  avec  six  vings  autres,  fist  nouviaux  chevaliers.  Et  ce 
fait ,  d'ilec  s'en  ala  en  Flandres ,  et  maugi-é  les  ennemis 
entra  en  la  terre  appertement  et  viguereusement ,  et  assist 
Lille  ,  en  la  vigile  monseigneur  saint  Jehan  l'apostre.  Et 
lors  fu  détruite  une  abbaie  de  nonnains  que  l'en  appelloit 
Marqueté  (1).  Et  environ  Lille  jusquesà  quatre  lieues,  Fran- 
çois par  fer  et  par  feu  tout  dégastèrent.  Et  lors  Gui 
conte  de  Saint-Paul ,  et  Raoul  seigneur  de  Neelle  connes- 
table  de  France  ,  et  Guy  son  frère  mareschal  ,  avec  grant 
foison  d'autres  ,  esloignèrent  l'ost  environ  quatre  lieues  sur 
le  fleuve  (2)  de  la  ville  de  Commines ,  et  se  combatirent 


(1)  Mayqucie  ou  Wo)Yy«e,  entre  Bouvines  et  Mons  en  Pucllc. 

(2)  l,e  fleuve.  La  Lys, 


(1297.)  PHELIPPE-LE-BEL.  12  J 

à  leur  ennemis ,  et  de  eux  cinq  cens  en  vainquirent  et 
plus,  et  pluseurs  en  occistrent ,  et  leur  tentes  retindrent , 
et  pristrent  pluseurs  soudoiers  du  royaume  d'Alemagne 
chevaliers  et  escuiers  de  grant  renom  ,  lesquiels  avec  eux 
amenèrent  au  roy  de  France  présentement. 


XXII. 

Comenl  Robert  conte  d* Artois  se  combati  à  Fumes  contre  les 
Flamans. 

En  ce  meisme  temps,  pape  Boniface  canonisa  à  Sienne  la 
vieille  (1)  le  saint  roy  Loys  de  France.  Et  en  icest  an  ensement, 
comme  le  roy  Phelippe-le-Biau  fust  devant  Lille,  Robert  no- 
ble conte  d'Artois  laissa  Gascoigne  à  nobles  et  loyaux  hom- 
mes du  royaume  de  France,  et  lors  vers  St-Omer  ,  sa  terre 
propre,  se  reçut  et  revint,  et  appellaavecluy  son  filsPhelippe 
avec  grant  plenté  de  chevaliers  et  nobles  hommes.  Lequel 
conte  Robert  envahi  Flandres  de  celle  part.  Contre  lequel 
Guy  conte  de  Flandres  envoia  tant  à  cheval  comme  à  pie 
grant  multitude  de  gens  d'armes,  et  de  costé  la  ville  deFurnes 
se  combalirent  contre  le  conte  d'Artois.  Lors  ilec,  les  batailles 
orclent'es  de  \ine  part  et  d'autre  fu  moult  la  bataille  aspre 
et  merveilleuse.  Mais  les  Flamans  ,  combien  que  il  fussent 
six  cents  à  cheval ,  et  seize  mille  à  pié  ,  de  la  gent  au  conte 
d'Artois  furent  tous  occis  ;  car  le  gentil  conte  noblement  se 
prouva,  si  que  moult,  tant  chevaliers  comme  escuiers,  avec 
Guillaume  de  Juillers  ,  et  Henri  conte  d'Aubemont  furent 
pris.  Lesquiels,  conroiés  à  Paris  en  charctes,  et  ailleurs  par 
diverses  prisons  envoies,  à  la  loenge  et  a.  la  victoire  de  noble 

(1)  Sienne  la  vieille.  C'est  la  leçon  du  n»  218  ;  les  autres  portent  :  A  sa 
viC;  et  le  latin  :  «  Apud  urbeni  vetercm.  »  Orvicto. 

11 


122  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

homme  monsieur  Robert  conte  d'Artois,  chevalier  esmeré  (1), 
avoient  mis  devant  lem-  visage ,  la  banière  et  l'enseigne  au 
bon  conte.  Et  lors  le  conte  d'Artois  prist  la  ville  de  Furnes 
l'endemain  ;  et  après  ce  ,  occupa  Cassel  avec  toute  la  vallée. 
Adonc  endementiers  ceux  de  Lille  qui  moult  estoient  gre- 
vés et  traveilliés  de  divers  assaus  de  la  gent  au  roy  de  France , 
comme  il  véissent  souventes  fois  leur  murs  rompre  et  quas- 
serà  pierres  ;  né  Robert,  l'ainsné  fils  au  conte  de  Flandres 
qui  avec  eux  estoit  au  chastiau,  n'osast  contre  les  François 
issir  à  batailles  ,  si  firent  lors  convenances  au  roy  de  France 
que  de  leur  biens  né  de  leur  vies  ne  fussent  privés ,  né  ne 
fussent  sousinis  né  malmenés  né  maumis  ;  et  sousmistrent 
eux  et  leur  biens  au  roy  de  France.  Mais  Robert,  cjui  pou  de 
chevaliers  avoit,  issi  de  la  ville  et  à  Bruges  où  son  père  es- 
toit  tout  oiseux  se  reçut.  Adecerles ,  le  roy  d'Angleterre 
Edouart  qui  estoit  venu  avec  le  conte  de  Flandres  ,  fu  dé- 
ceu  ,  si  comme  aucuns  dient;  car  pour  certain  il  luy  avoit 
mandé  qu'd  tenoit  pris  le  conte  Robert  d'Artois  et  Charles 
de  Valois  ,  le  frère  au  roy  de  France  ;  lesquiels  il  devoit  te- 
nir à  Bruges  en  prison  ,  si  comme  il  disoit,  ou  pour  ce  que 
plus  sauvement  peust  estre  cru.  Iceluy  roy  d'Angleterre  es- 
toit là  venu  pour  aidier  le  conte  de  Flandres  en  sa  guerre. 
Et  lors  quant  le  roy  de  France  o'i  les  nouvelles  de  l'ad- 
vènement  au  roy  d'Angleterre ,  si  garni  Lille  de  sa  gent  et 
s'esmut  pour  aler  vers  le  chastel  de  Courtray ,  lequel  dès 
maintenant  il  prist  abandon  :  et  d'ilec  après  se  hasta  pour 
aler  Bruges  asseoir.  Et  endementiers,  Edouart  roy  d'Angle- 
terre et  Gui  le  conte  de  Flandres  laissièrent  Bruges,  et 
avec  leur  gent  alèrent  à  Gant  pour  la  forteresse  du  lieu  , 
où  il  furent  receus  ;  de  laquelle  chose  ceux  de  Bruges  fu- 
rent espoventéà  ,  et  au  roy  humbles  et  dévos  coururent, 

(1)  Esmeré,  Eprouvé. 


(1297.)  PHELIPPE-LE-BEL.  123 

et  eux  et  leur  ville  en  sa  puissance  sousmistrent.  En  laquelle 
ville  le  roy  de  France  fist  un  pou  son  ost  prendre  récréa- 
tion ,  et  puis  prist  isnelement  son  erre  pour  aler  vers  Gant. 
Mais  si  comme  il  s'en  alast  ainsi  à  une  petite  vilete ,  luy 
vindrent  messages  de  par  le  roy  d'Angleterre  requerans 
trièves  ,  auquel,  pour  cause  de  y  ver  prochain  ,  et  pour  l'a- 
mour du  roy  de  Secile ,  qui  pour  ce  venoit  en  France, 
à  paines,  jusques  à  deux  ans,  à  luy  et  au  conte  de  Flandres 
octroia  trièves  :  et  lors,  ce  fait,  environ  la  feste  de  Tous- 
sains  ,  le  noble  roy  de  France  Phelippe-le-Biau  retourna 
en  France. 

XXIII. 

Cornent  le  pape  Boniface  envola  au  roy  de  France  la  régale. 

Et  en  icest  an  ensement,  quant  les  prélas  du  royaume  de 
France  furent  à  Paris  assemblés,  sileurmonstra  le  roy  Plie- 
lippe  lettres  contenant  cornent  pape  Boniface  à  luy  et  à  son 
premier  Loir,  successeur  au  royaume  de  France,  avoit  ot- 
troié  à  prendre  et  à  lever  les  dismes  des  églyses,  toutes  fois 
cjue  leur  conscience  les  jugeroit  et  créroit  estre  nécessaire, 
ou  le  vouldroient  faire  ;  et  derechief  comme  iceluy  pape , 
en  l'aide  de  ses  despens  qu'il  avoit  fait  en  sa  guerre,  toutes 
les  rentes  lui  concédoit  de  l'églyse  que  l'on  appelle  n'gale, 
les  escheoites  et  les  obventions  d'un  an  des  prouvendcs,  des 
prévostés,  des  archidyaconés,  des  doiennés,  des  bénéfices, 
des  églyses,  et  de  quelconc^ues  dignités  ecclésiastiques  par 
tout  le  royaume  de  France ,  la  guerre  durant  et  vacant , 
excepté  les  évescliiés,  les  moustiei's  et  les  abbaïes.  Après,  en 
icest  an  ensement,  pape  Boniface  aucunes  constitucions 
nouvelles,  lesquelles  avec  courage  diligent  et  avecques  grand 
cure,  pour  Testât  et  pour  le  profist  de  l'universelle  églyse 


124  LES  GRANDES  CHROKIQUES. 

avoit  fait  compiler  et  ordener  par  sages  gens  en  droit  canon 
et  en  droit  civil,  au  mois  de  niay  le  tiers  jour,  en  plein  con- 
sistoire et  devant  tous  cjui  présens  estoient,  à  lire  bailla  :  et 
lors  c[uant  ces  constitucions  furent  parleues  souventes  fois 
pargrant  diligence,  des  cardiaals  approuvées,  fist  son  décret 
iceluy  pape,  et  ordenna  que  au  cinquiesme  livre  des  Dé- 
crétales  (si  comme  au  tems  présent  le  povez  encore  véoir), 
ces  constitutions  fussent  ajoustées. 

Et  eu  icest  an  meisme,  les  deux  devant  dis  cardinals  de  la 
Columne,  déposés  par  le  pape  Boniface  se  transportèrent  en 
une  cité  deTuscie  (1),  laquelle  est  appelée  Nepesie  ,  contre 
les  quiex  pape  Boniface  fist  croiserie  et  envoia  un  grant  ost 
de  ceux  de  Italie,  et  escomenia  les  deux  devant  dis  de  la  Co- 
lumne et  les  réputa  et  les  condampna  comme  scismatiques. 
Et  en  ice  meisme  an,  en  la  vieille  cité  (2)  sainct  Loys  jadis 
roy  de  France  fu  par  le  pape  Boniface  canonizé.  En  icest 
an  meisme,  Aubert  duc  d'Austrie  en  bataille  tua  Adolphe 
le  roy  d'Alemaigne,  et  fu  roy  d'Alemaigne  après  luy,  et  régna 
douze  ans  ou  environ. 


XXIV. 

Cornent  pape  Boniface  voult  que  ceux  qui  se  confessaient  aux 
frères  Prcschenrs  se  reconfessassent  à  leur  curés. 

En  l'an  de  grâce  ensuivant  mil  deux  cens  quatre  vingt  et 
dix-huit ,  le  privilège  donné  aux  frères  Meneurs  et  aux 
frères  Prescheurs  de  confessions  oïr,  de  pape  Boniface  fu 
rapellé,  et  fist  sou  décret  iceluy  pape  que  celui  qui  se  con- 


(1)  Tuscie.  Toscane.  —  Nepesie.  Nepi. 

(2)  La  vieille  ciié.  C'est-à-dire  en  Orvieto.  «  Apud  Lrbem  velerem.  »  — 
Rcpclilion. 


(U08.)  PHELIPPE-LE-BEL.  125 

fesseroit  à  ces  frères,  se  confessast  derecliief  et  regehist  ces 
meismes  péchiés  à  son  propre  prestre  et  curé. 

XXV. 

Cornent  saincl  Loys  fu  levé  de  terre. 

Eu  icest  an  euseuieut  ci  devant  nommé ,  sainct  Loys  , 
jadis  glorieux  roy  de  France,  qui  en  l'an  devant  prochain 
avoit  esté  escript  au  catologue  des  Saincts  et  canonisié  avec 
ti'ès  grant  liesce  et  exaltacion  du  roy  de  France  Plielippe- 
le-Biau  et  des  princes  et  prélas  de  tout  le  royaume ,  avec 
grant  multitude  de  peuple  à  Sainct-Denis  en  France  assem- 
blés, l'endemain  de  sainct  Barthélemi  l'apostre ,  de  terre 
fu  eslevé ,  passé  vingt-huit  ans  que  au  royaume  de  Tunes 
dessous  Cartage  s'endormi  en  sa  derrenière  fin  en  Nostre- 
Seigneur.  Lequel  sainct  roy,  glorieux  confesseur  de  Nostre- 
Seigneur,  de  come  grant  mérite  il  fu  et  eust  esté  envers 
Dieu ,  les  miracles  pleinement  fais  le  démonstrèrent  ;  et 
toutes  voies  plus  espéciaument  après  l'exaltacion  de  son 
corps  eslevé  de  terre,  en  diverses  parties  du  monde  est  dé- 
monstré.  Car  si  grant  grâce  de  curacion  de  malades  s'escrut 
que  n'estoit  nul  qui  de  luy  requerre  eust  fiance  et  loyau- 
ment  santé  et  aide  luy  requist,  que,  sans  demeure,  ne  se 
aperceust  de  la  requeste  qu'il  avoit  faite. 

XXVL 

De  la  mort  Phelippe  fils  Robert  le  conte  d' Artois. 

En  icest  an  ensement,  moru  Phelippe,  le  fils  au  noble 
i:ontc  Robert  d'Artois  qui  plus  de  fils  n'avoit  ;  et  en  l'é- 
glysc  des  frères  Prescheurs  à  Paris  fu  enterré  et  enseveli. 

11. 


Ue  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

Et  icelui,  de  sa  femme  Blanche  fille  de  Jehan  duc  de  Bre- 
taigne ,  laissa  deux  fils  et  deux  filles  :  une  en  fu  mariée 
après  à  Loys  conte  de  la  cité  d'Evreux ,  frère  le  roy  de 
France;  et  l'autre  fille  prist  à  mari  Gasce  (1)  fils  Raymon 
Bernart  conte  de  Fois.  Et  aussi  en  icest  an,  Robert  conte 
d'Artois  prist  la  tierce  femme  à  mariage,  la  fille  Jehan  conte 
de  Hainaut. 

Et  en  cest  an  ensement,  en  la  fête  sainct  Andri  apostre, 
avint  en  une  cité  d'Italie  en  laquelle  le  pape  demeuroit 
pour  le  temps,  laquelle  est  appelée  Reate  (2),  si  grant  et  si 
horrible  mouvement  de  terre  que  l'en  cuidoit  que  les  murs 
de  la  ville  et  les  maisons  deussent  chéoir  ;  et  s'en  f  uioient  les 
gens  de  la  cité  aux  champs. 

Et  en  ce  meisme  an ,  Raoul  le  fils  aisné  au  roy  d'Ale- 
maigne  Aubert  ,  prist  à  femme  madame  Blanche  seur 
au  roy  de  France  Phelippe  de  par  son  père. 

XXVII. 

Cornent  le  fils  au  roy  de  Sccile  ent'oia  en  Secile,  et  de  la  prise 
au  prince  de  Tarcntc. 

Après,  en  l'an  de  grâce  ensuivant  mil  deux  cens  quatre 
vingt  et  dix-neuf,  le  duc  de  Calabre  Robert,  fils  Charles  le 
roy  de  Secile,  à  galies  et  à  gens  armés  et  apparellliés,  en  Se- 
cile  entra;  et  ilec  occupant  plusieurs  chastiaux ,  les  gens 
estant  en  iceux  maintenant  introduisit  et  mist  à  sa  volonté. 
Duquel  la  beneurée  haultesce  comme  son  frère ,  Phelippe 
jnince  de  Tarente,  attendist,  endementicrs  que  icelui  le 
suivoit  sans  conseil,  avec  toute  sa  gent,  en  mer,  des  Seci- 
liens  fu  pris. 

(1)  Gasce.  Ou  pliilôl  Gaston.  «  Gaslo.   » 

(2)  Reale.  «  Rcala,  »  Sans  doute  Rkli. 


(1299.)  PHELIPPE-LE-BEL.  127 

XXVIII. 

De  la  paix  entre  le  roy  Phe  lippe  de  France  et  Edouart  d'An- 
gleterre, 

En  icest  au  cnsement,  entre  le  roy  Phelippe  et  le  roy 
Edouart  d'Angleterre  par  aucunes  condicions  fu  pais  faite  ; 
et  lors  icekii  roi  d'Angleterre  Marguerite  seur  au  roy  de 
France  à  Cantorbie  espousa  :  de  laquelle  il  engendra  un 
fils  qui  ot  nom  Thomas. 

XXIX. 

Cornent  le  roy  des  Tar  tarins  fu  crestiennc. 

En  icest  an  ensement,  le  l'oy  des  Tartarins  Cassahan  qui 
grant  Champ  (1)  estoit  appelle,  merveilleusement  et  par  mi- 
racle, si  conime  l'en  dit,  à  la  foi  crestienne  avec  grant  mul- 
titude de  sa  gent  fu  converti  par  la  fille  le  roy  d'Arménie 
qui  estoit  crestienne  ,  qu'il  avoit  espousée.  Lors  avint  que 
un  innombi-able  ost  et  merveilleux  assembla  contre  les  Sarra- 
sins ,  et  ot  son  mareschal  de  tout  son  ost  le  roy  d'Arménie 
crestien;  et  premièrement  vers  Halappe  se  combati  à  eux, 
et  après  à  Camel ,  et  non  pas  sans  grant  occision  et  abatéis 
de  sa  gent ,  et  en  rapporta  victoire.  Et  puis  quant  il  ot 
son  ost  rappareillié  et  rassemblé  et  ses  forces  reprises  ,  i 
ensuivi  les  Sarrasins  jusques  à  Damas  où  le  Soudan  avoit 
cueilli  et  amené  grant  ost  :  et  lors  icelui  roy  des  Tartarins 

(1)  Grant  Champ.  Grant  Kan.  «  Magnus  canis.  »  Le  bruit  de  la  conver- 
sion deCasan  étoit  gcnoralcnient  répandu  ,  et  il  faut  avouer  que  son  ar- 
deur pour  les  intérêts  du  clirislianisnie  justifioit  parfaitement  cette 
opinion.  (Voy.  Uaijion,  liistoirc  de  l'Orient,  Cl  M.  Michaud,  Histoire  des 
croisades,  toni,  v,  p.  207  et  suiv.) 


128  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

ot  ilec  encontre  le  souJan  et  ses  Sarrasins  moult  merveil- 
leuse bataille  et  aspre  ;  cent  mille  des  Sarrasins  et  moult 
plus  furent  détrenchiés  et  occis,  et  le  Soudan  chacié  de  la 
bataille,  avec  pou  de  sa  gent  en  Babiloine  se  receut.  Et  ainsi 
les  Sarrasins  furent  par  la  volenté  de  Dieu  du  règne  de 
Surie  gettés,  et  icelle  Sainte  Terre  fu  sousmise  en  la  main 
des  Tartarins  et  en  leur  subjection.  Et  à  Pasques  ensuivant,  si 
comme  l'en  dit,  en  Jérusalem  le  service  de  Dieu  les  crestiens 
.avec  exaltacion  de  grant  joie  célébrèrent. 

XXX. 

Du  parlement  le  roj  de  France  et  de  Aubcrt  roy  d' Alemaigne. 

En  celui  an,  Aubert  le  l'oy  des  Romains  et  Phelippe-le- 
Biau  roy  de  France,  environ  l'A  vent  Nostre- Seigneur,  à 
Yalcoulour  assemblés  avec  les  nobles  de  l'un  et  de  l'autre 
royaume,  abances  constituèrent;  ilec,  otroiant  le  roy  Au- 
bert et  les  barons  et  les  prélas  du  royaume  d' Alemaigne,  fu 
dit  avoir  esté  ottroié  que  le  royaume  de  France  qui  seule- 
ment jusques  au  fleuve  de  Muese  en  icelles  parties  s'es- 
tent, des  ore  en  avant  jusques  au  Rin  esloignast  les  termes 
de  sa  puissance.  Et  ilec  ensement,  à  Henri  conte  de  Bar  fu- 
rent ottroiées  trêves  du  roy  de  Fj  ance  jusques  à  un  an  seu- 
lement. 

XXXI. 

Cornent  Charles  conte  de  Valois  prist  Donay  et  Bcthunc,  et 
desconfit  Robert  fils  du  conte  de  Flandres. 

En  icest  an  ensement,  quant  le  terme  des  trêves  fu  passé 
qui  estoit  entre  le  roy  de  France  et  le  conte  de  Flandres, 
Ciiarles  conte  de  Valois  fu  envoie  de  par  sou  frère  le  roy  de 


(1299.)  PHELIPPE-LE-BEL.  joy 

France  Phelippe  en  Flandres,  après  la  Nativité  Nostre-Sei- 
gneur,  à  tout  grant  ost  des  François  :  et  tost  comme  là  en- 
droit fust  venu,  il  reçut  Douay  et  Bt'tliune  abandon.  Et 
après  vers  Bruges  à  toute  sa  gent,  assés  près  de  Dam  un 
port  de  mer,  contre  Robert  fds  au  conte  de  Flandres  ot 
aspre  et  cruelle  bataUle  ;  et  comme  d'une  part  et  d'autre 
pluseurs  fussent  navrés ,  toutes  voies  les  Flamens  fuirent 
de  bataille,  et  à  Gant  tantost  se  reçurent. 

Et  en  ice  tems,  Ferri  l'évesque  d'Orliens  fu  occis  d'un 
chevalier,  duquel  il  avoit  la  fille  corrompue  ,  si  comme  l'en 
disoit ,  laquelle  estoit  par  avant  vierge.  Auquel  succéda 
maistre  Bertaut  de  Sainct-Denis,  docteur  en  théologie,  re- 
nommé entre  tous  en  son  tems,  lequel  estoit  par  avant  ar- 
cédiacre  de  Reins. 

XXXII. 

Content  le  coule  de  Flandres  cl  ses  deux  fils  se  rendirent. 

Après,  en  l'an  de  grâce  ensuivant  mil  trois  cens,  Charles 
de  Valois,  frère  le  roy  Phelippe  de  France,  quant  il  ot  pris 
le  Dam,  un  port  de  Flandres,  et  comme  il  ordenast  à  asseoir 
Gant,  Gui  le  conte  de  Flandres  lors  apercevant  son  orgueil, 
à  celuy  Charles  avec  ses  deux  fils,  Robert  et  Guillaume,  s'en 
vint  humblement,  et  le  remenant  de  sa  terre  rendi  en  la 
main  de  Charles  conte  de  Valois,  par  aucunes  convenances 
entregettées.  Lesquiex  ,  amenés  à  Paris  au  roy  de  France , 
requistrent  pardon  de  leurs  meffais  et  miséricorde  ;  et  il  la 
receurent  très  piteusement  :  mais  jusques  au  tems  d'avoir 
jniséracion  et  pardon  furent  mis  par  divers  lieux  en  prison 
sous  gardes. 


130  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

XXXIII. 

Du  grant  pardon  de  R^ome. 

Et  adeceites  en  cest  an,  pape  Boniface  fist  indulgence  et 
pardon  général,  et  ottroia  plénière  indulgence  de  tous  les 
pécliiés  à  tous  vrais  repentans  et  confés,  venans,  par  l'es- 
pace de  ce  présent  an  et  par  chascun  an  centiesme  à  venir, 
es  églyses  des  benois  apostres  sainct  Père  et  sainct  Pol  à 
la  cité  de  Rome,  par  veu  de  pèlerinage,  humblement  et  dé- 
votement. 

XXXIV. 

Cornent  le  duc  d'Osferic/ie  prist  BlancJie ,   la  seur  au  roy  de 
France^  et  de  V absolucion  llogicr  de  Lor. 

En  icest  an  ensement,  Raoul  duc  d'Ostericlie,  fils  Aubert 
roy  des  Romains,  espousa  à  Paris  Blanche  la  seur  au  roy  de 
France  Phelippe-le-Biau,  Et  aussi  en  icest  an ,  Rogier  de 
Lor  qui  de  piéça  pour  les  Seciliens  ,  envers  le  roy  de  Secile 
et  ses  gens  avoit  guerroie,  fu  maintenant  absout  du  pape,  et 
fu  fait  amirant  de  la  navie  au  roy  de  Secile  :  et  lors  vingt 
galies  des  Seciliens  en  mer  assailli  et  débati,  et  cinq  cens 
de  eux  et  jdIus  occist. 

XXXV. 

Cornent  Charles  de  Valois  prist  à  femme  Vcmpereris. 

En  icest  an  ensement,  Charles  de  Valois,  quant  sa  pre- 
mière femme  fu  morte  ,  prist,  après,  la  seconde  ,  c'est  à  sa- 
voir Katherine  fille  Plielippe  fils  Baudoin ,  jadis  empereur 
de  Grèce,  essillié  et  débouté  ;  à  laquelle  Raterine  atouchoit 
le  droit  de  l'empire  de  Constantinoble. 


[1300.)  PHELIPPE-LE-BEL.  131 


XXXVI. 

Cornent  le<t  Sarrasins  de  Lucerc  furent  occis. 

Adecertes  eu  icest  an,  les  Sarrasins  de  Lucere  (1)  une  cité 
de  Puille,  qui  ilec  du  tenis  de  l'empereur  de  Rome  Fédéric 
assemblés,  sous  le  treu  des  roys  de  Secile  vivolent  selon  leur 
lois,  de  Charles  roy  de  Secile  furent  livrés  à  mort  ceux  qui 
crestlens  ne  vouldient  devenir. 

XXXVII. 

ConienL  le  soiulan  de  Bahiloine  sousmit  à  luy  toute  la  Saincte 
Terre. 

Et  aussi  en  icest  an,  le  soudan  de  Babiloine,  quant  il  ot 
repris  son  pooir  et  rassemblée  sa  gent ,  les  Sarrasins ,  les 
Crestlens  et  les  Hermines  (2)  du  royaume  de  Jliérusalem  et 
de  Surie  enchaça  par  force,  et  la  terre  sousmist  en  sa  sei- 
gneurie (3). 

En  icelui  an  meisme ,  le  jour  du  vendredi  aouré ,  les 
Juis  de  la  province  de  Madaburges  firent  tant  par  dons 
et  par  promesses   par  devers  une  nourrice ,  que  elle  leur 

(1)  Lucere.  «  Luccriae  civitalis  Appuliœ.  »  Aujourd'liui  Lucei-a. 

(2)  Hermines.  Arméniens. 

(3)  Ici  s'arrête  la  chronique  de  Guillaume  de  iVangis  dont  les  continua- 
lions  sont  anonymes.  Nous  indiquerons,  par  des  parcnihèscs  ou  par 
autant  de  notes,  les  passages  de  notre  texte  qu'on  ne  retrouve  pas  dans 
CCS  continuations  latines  publiées  par  Achery ,  Spicilege,  tome  m,  in-folio, 
page  54  et  suivantes.  —  Ainsi ,  la  fin  de  ce  chapitre  semble  appartenir  en 
propre  au  chroniqueur  françois  de  Saint-Denis;  et  l'on  pourroit  assez 
bien  démontrer  combien  on  avoit  peu  l'Iiabilude  de  consulter  ce  fa- 
meux travail  on  rappelant  que  la  légende  du  Juif  de  Magdebourg  a 
dérouté  l'attention  si  multiple  de  M  Francisque  Michel,  quand  dans  son 
introduction  aux  ballades  d'ilugues  de  Lincoln  il  entreprit  de  citer  toutes 
les  histoires  analogues,  racontées  par  les  écrivains  du  moycn-ftgc. 


132  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

livra  un  petit  enfant  de  l'aage  de  deux  ans  et  demi  ou  en- 
viron, à  faire  leur  volenté  ;  et  estoit  le  dit  enfant  fds  d'un 
chevalier  puissant  lioninie.  Quant  les  Juis  orent  le  petit 
enfant  receu  de  la  dite  nourrice  pour  en  faire  leur  volenté, 
si  le  crucifièrent  et  le  firent  mourir.  Quant  le  père  sot  la 
mort  de  son  enfant ,  si  fu  moult  courroucié  et  fist  se- 
mondre  tous  ses  amis ,  pour  vengier  la  mort  de  son  fils  : 
dont  il  avint  que  le  dit  chevalier  sot  que  les  Juis  estoient 
assemblés  :  si  s'en  ala  par  nuit  où  il  estoient  à  toute  sa 
compaignie ,  et  fist  garder  que  nul  n'en  escliapast  de  tous 
ceux  qui  estoient  assemblés,  et  tantost  fist  mettre  le  feu  en 
toutes  les  maisons  là  où  il  estoient  assemblés,  et  ilec  furent 
ars  trois  cens  Juis  ou  environ,  et  aucuns  Crestiens  avec  eux, 
les  quiex  il  tenoient  prisonniers  en  leur  maisons  pour 
debtes.  Si  avint  que  le  prince  de  celle  région  sot  que  l'en 
avoit  ainsi  ars  les  Juis  et  aucuns  Crestiens  ,  si  en  fu  cour- 
roucié, et  condamna  le  dit  chevalier  père  du  dit  enfant  et 
tous  ceux  c|ui  participans  avoientesté  de  la  mort  des  Juis, 
par  certain  tenis  à  estre  essilliés  et  povres  et  vivre  d'au- 
mosnes. 

XXXVIII. 

Comenl  Charles  de  P'alois  ala  à  Rome. 

Après,  en  l'an  de  grâce  ensuivant  mil  trois  cens  et  un,  le 
frère  le  roy  de  France  Loys,  conte  de  la  cité  de  Evreux,  la 
fille  Plielippe  fils  au  noble  conte  d'Artois  qui  Marguerite 
avoit  non  espousa.  Et  en  icest  an  ensement,  Charles  conte 
de  Valois  avec  moult  de  nobles,  environ  la  Penthecoste,  se 
parti  de  France  et  vint  à  Rome,  ordenant(l)  après  de  l'em- 
pire de  Constantinoble  gnerroier,  qui  à  sa  femme  apparte- 
noit,  se  le  pape  l'ottroioit.  Lequel  conte  Charles  du  pape  Bo- 

(1)  Ordenant.  Se  pr6i)arant  ii. 


(1301.)  riIELirPE-LE-BEL.  133 

nifacc  et  des  cardinaux  avec  très  grant  lionncvir  et  révé- 
rence fil  reçu,  vicaire  et  deffendeur  de  l'églyse  fu  establi  ; 
et  par  tout  l'an  les  adversaires  de  l'églyse  de  Rome  en 
Touscane  guerroia. 

XXXIX. 

Comcnl  le  roy  de  France  reçut  les  hommages  de  ceux  de  Flandres. 

En  icest  an  aussi ,  Phelippe-le-Biau  le  roy  de  France 
visita  le  conte  de  Flandres  ;  et  de  ceux  des  chastiaux  et  des 
villes,  et  des  nobles  du  pays  reçut  les  feaultés  et  les  hom- 
mages, et  puis  Jaques  de  Sainct-Pol,  chevetaine,  laissa  garde 
de  tout  le  pais;  et  ce  fait,  il  s'en  i-etourna  en  France.  Et  en 
icest  an,  le  conte  de  Bar  Henry,  quant  il  cognut  et  sot  ce 
que  Plielippe-le-Biau ,  roy  de  France  ,  oi'denoit  pour  en- 
A'oier  gi'ant  ost  en  sa  terre  degaster,  si  s'en  vint  à  luy  hum- 
blement et  dévotement,  requérant  pardon  de  ses  forfais. 
(Et  luy  offri  pour  l'amende,  se  il  la  voulolt  prendre,  que  il 
iroit  avec  Charles  de  Valois  en  son  voyage  de  Constantino- 
ble ,  ou  ailleurs  en  la  terre  d'Oultremer  à  tout  deux  cens 
hommes ,  à  ses  despens ,  par  l'espace  de  deux  ans,  ou  en 
terme  tel  comme  la  bénigne  volenté  du  roy  le  rappelleroit.) 

Et  en  icest  an  vraiment,  une  comète  par  pluseurs  jours 
au  moys  de  septembre  au  royaume  de  France  fu  veùe  droit 
à  l'anuitier,  dresçant  et  estendant  sa  queue  vers  Orient. 

Et  en  icest  an,  le  roy  d'Angleterre  contre  les  Escos  en 
Escoce  pou  ou  noient  tout  le  tems  d'esté  profita  ;  si  s'en 
revint  sans  riens  faire,  inglorieux  et  sans  honneur. 


12 


134  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 


XL. 


Cornent  l'éi'esqiic  de  P  amies  fa  mis  en  prison. 

Et  aussi  en  icest  an,  le  premier  évesque  de  Pamiés  (1)  qui 
du  l'oy  de  France  paroles  contumelieuses  et  plaines  de  blasnie 
et  de  diffame  en  moult  de  lieux  avoit  semé,  et  pluseurs, 
si  comme  l'en  disoit ,  avoit  fait  esmouvoir  contre  sa  ma- 
jesté, pour  ce  fu  appelle  à  la  court  le  roy,  et  jusquesà  tant 
que  il  se  fust  espurgié  ,  sous  le  nom  de  l'archevesque  de 
Nerbonne,  de  sa  volenté,  fu  en  sa  garde  détenu  (2).  Et  jasoit 
que  contre  cel  évesque  les  amis  du  roy  de  France  fussent 
griefment  esmeus,  toutes-voies  le  roy  de  sa  bénignité  ne 
souffri  pas  icelui  évesque  en  aucune  chose  estre  molesté  né 
malmis,  sachant  et  entendant  de  grant  courage  estre  injurié 
en  la  souveraine  poesté  et  le  souff'rir,  né  en  seurquetout  le 
prince  estre  blescié,  aucun  estre  blescié,  glorieux  (3).  Et  en 
icest  an  ensement,  au  moys  de  février,  l'aichédiacre  de  Ner- 
bonne envoie  de  par  le  pape  Boniface ,  vint  en  France  dé- 
nonçant de  par  ice  pape  au  roy  de  France  qu'il  rendist  icelui 
évesque  sans  delay  ;  et  luy  monstra  les  lettres  es  quelles  le 
pape  de  Rome  mandoit  au  roy  de  France  que  il  vouloit 
qu'il  sceut  tant  es  temporelles  choses  comme  es  spirituelles 
estre  soumis  en  la  jurisdiction  du  pape  de  Rome,  et  ensement 
au  roy  dist ,  si  comme  es  lettres  estoit  contenu ,  que  des 

(1)  Pointers.  Bernard  de  Saisset. 

(2)  En  sa  garde  détenu.  «  Dùm  aliquandiu,  subnomine  Narbonncnsis  Ar- 
»  ctiicpiscopifuisscl  delentus,  tandem,  de  mandate  Régis,  papx  rcstilui- 
»  tur,  ac  de  regno  reccderc  sub  débita  et  indictà  sibi  ccleritate  jubelur.  » 
Le  reste  de  l'alinéa  ne  se  retrouve  pas  dans  le  latin,  et  prouve  que  no- 
tre moine  de  Saint-Denis  n'avoit  pas  besoin  de  traduire,  pour  écrire 
péniblement  en  francois. 

(3)  C'est-à-dire  :  Sachant  et  comprenant  que  c'étoil  le  fait  d'un  grand 
cœur  de  souffrir  des  injures,  quand  on  étoit  tout  puissant  ;  et  que  sur- 
tout il  éloil  glorieux  à  un  prince  de  ne  laisser  blesser  nul  autre  que  lui- 
même. 


(1301.)  PHELIPPE-LE-BEL.  135 

églyses  des  ore  mais  en  avant  né  des  provendes  vacans  en 
son  royaume,  jasoit  ce  qu'il  eust  la  garde  de  eux,  les  usu- 
fruits, les  profis  ou  les  rentes  à  luy  ne  préist  né  présumast 
détenir,  et  que  tout  ce  gardast  le  roy  aux  successeurs  des 
mors  ;  et,  avec  tout  ce,  rappelloit  celui  souverain  pape  de 
Rome  toutes  les  faveurs  ,  grâces  et  indulgences  lesquelles 
pour  l'aide  du  royaume  de  France  au  roy  avoit  ottroié,  pour 
l;i  raison  de  la  guerre,  en  dénéant  luy  que  aucune  collacion  de 
provendes  ou  de  bénéfices  ne  entrepris!  à  lui  usurper,  tenir 
et  poursuir  ;  laquelle  chose  des  ore  en  avant  se  faisoit,  le 
pape  tout  ce  vain  et  faux  tenoit,et  luy  et  ceux  qui  à  ce  se- 
roient  consentans  hérites  les  réputoit.  Et  lors  icelui  arcé- 
diacre  devant  dit,  message  du  pape  Boniface,  semont  tous 
les  prélas  du  royaume  de  France,  avecques  aucuns  abbés 
et  maistres  en  théologie  et  de  droit  canon  et  civil,  à  venir 
à  Rome  es  kalendes  de  novembre  prochain  venant,  perso- 
nclment  pour  eux  devant  le  pape  comparoir.  Et  en  icest 
an  ensement ,  au  moys  de  janvier,  l'éclipsé  de  la  lune  du 
tout  en  tout  horriblement  fu  faicte.  Et  après  ce,  Phellppe 
roy  de  France  rendi  au  message  le  pape  l'évesque  de  Pamiés, 
et  leur  commenda  que  hastivement  de  son  royaume  dépar- 
tissent. Et  après  ce,  en  la  mi-caresme  ensuivant,  icelui  roy  de 
France  Phelippe-le-Biau  assembla  à  Paris  tous  les  barons 
chevaliers  nobles ,  tous  les  prélas  ,  les  frères  Meneurs ,  les 
maistres  et  le  clergié  de  tout  le  royaume  de  France,  aux- 
quels il  commanda  que  il  déissent  et  demandassent  vraie- 
ment  et  privéeinent  aux  personnes  ecclésiastiques  de  qui 
il  tenoient  leur  temporel  ecclésiastique,  et  aux  barons  et 
chevaliers  de  qui  leur  fiés  appelloient  né  disoient  à  tenir  : 
car  adecertes  la  magesté  royale  doubtoit ,  pour  ce  que  le 
pape  luy  avoit  mandé  tant  des  temporels  comme  des  espi- 
riluels  à  luy  cstre  sousmis,  que  ne  voulsist  le  pape  de  Rome 
dire  que  le  royaume  de  France  fust  tenu  de  l'églyse  de 


136  LES  GUANDES  CHRONIQUES. 

Rome.  Et  comme  tous  les  prélas  et  ecclésiastiques  déisseut 
avoir  tenu  du  royaume  de  France,  lors  le  roy  leur  en  rendi 
grâces ,  et  promist  que  son  corps  et  toutes  les  choses  qu'il 
avoit  exposeroit  et  mettroit ,  pour  la  liberté  et  franchise 
du  royaume  en  toute  manière  garder.  Les  barons  et  les 
chevaliers,  par  la  bouche  du  noble  conte  d'Artois,  après 
ce  respondirent  ,  disans  que  de  toutes  leur  forces  estoient 
près  et  appareilliés  pour  la  couronne  de  France  ,  encontre 
tous  adversaires,  estriver  et  deffendre.  Et  ainsi  c|uant 
celui  concile  fu  deslié  et  fine ,  fist  lors  crier  la  magesté 
royale  que  or  né  argent  né  c|uelconquc  marchandise  du 
royaume  de  France  ne  fussent  transportés;  et  cil  qui 
contre  ce  feroit  tout  perclroit  ,  et  toutes-voies  à  tout  le 
moins,  en  grant  amende  ou  en  grant  paine  de  corps  seroit 
puni.  Et  dès  lors  en  avant  fist  le  roy  les  issues  et  les  pas 
et  les  contrées  du  royaume  de  France  très  sagement  garder. 

Et  en  icest  an  ensement,  quant  les  fils  de  Sancion,  le  roy 
d'Espaigne  pieça  mors  ,  furent  légitimés  par  le  pape  Boni- 
face,  Ferrant  l'aisné  tint  le  royaume  paternel.  Mais  Alfons 
et  Ferrant  neveus  au  roy  Loys  de  France  de  sa  fille,  deba- 
tans  vigueureusement  leur  droit ,  celui  Ferrant  laissièrent 
petitement  régner  en  repos  né  paisiblement,  mais  tous  joiu-s 
viguereusement  contre  luy  guerroièrent. 

En  cest  an  meime  resplendissoient  en  France  deux 
nobles  dames  veuves  :  c'est  assavoir  Blanche  jadis  fille 
monseigneur  saint  Loys,  laquelle  habitoit  et  demouroit  en 
saincte  conversacion  à  Saint-Marcel  près  Paris ,  ilec  va- 
cant au  service  de  Dieu  et  en  oroison  :  et  à  Tonnère  en 
Bou.rgoigne  estoit  Marguerite  ,  seconde  femme  du  premier 
Charles  roy  de  Secile  ,  en  l'hospital  des  povres  ,  lequel  elle 
avoit  fait  faire  ;  et  là  faisoit  service  aux  povres  dudit  bospi- 
tal ,  et  leur  administroit  partie  de  leur  nécessaire,  en  pro- 
pre personne  ,  très  dévotement  et  en  grant  humilité. 


(1302.)       •  PHELIPPE-LE-BEL.  137 

(Et  en  ce  ineisnie  au,  le  mardi  après  Noël  devant  le  point 

du  jour,  pluseurs  maisons  hautes,  fortes  et  garnies  de  moult 

de  biens  furent  ars  et  gastées  par  mcschief ,  en  la  rue  de 

Saint-Germain-l'Anxerrois  (1)  à  Paris. 

De  l'occisicii  de  Bruges  et  de  Ici  faite  Jacques  de  Saint -Pvl. 

En  l'an  après  ensuivant  mil  trois  cent  et  deux  ,  Charles 
conte  de  Yalois  ,  par  le  commandement  de  pape  Boniface  , 
de  Touscane  s'en  ala  en  Secile  ,  et  le  chastel  de  Termes  (2) 
le  jour  d'un  mardi  devant  l'Ascension  INostre-Seigneur  il 
reçut  abandon  ,  endementiers  qu'il  appareilloit  à  luy 
faire  assaut. 

Et  en  icest  an  ensement ,  à  Courtray  (3)  un  chastel  en 
Flandres,  par  les  exactions  non  deues  qu'il  appellent  male- 
toute ,  les  gens  du  pays  ,  parle  gardien  de  Flandres,  Jac- 
ques de  Saint  -  Pol  chevalier,  contre  le  commandement 
du  roy  et  la  coustume  de  ce  pays ,  estoient  contrains  et 
grevés.  Et  comme  ne  peust  la  clameur  du  peuple  souventes 
fois  estre  oie  envers  le  roy  de  France ,  pour  le  très  haut 
linage  du  devant  dit  Jacques  ;  si  en  advint  que  le  menu 
peuple  s'esmut  pour  celle  cause  envers  les  grans  et  esleva  , 
dont  il  y  ot  grant  plenté  de  sanc  espandu  ;  et  tant  de  povres 
gens  comme  de  riches  furent  occis  les  mis  des  autres.  Des- 
quic'ls  aspretés  et  mouvemens  fais ,  se  il  peust  estre  fait 
apaisier ,  comme  Phelippe-le-Biau  roy  de  France  eust 
destiné  et  envoie  nobles  hommes  mil  et  plus  ,  appareilliés 

(1)  Saint-Germain.  Le  manuscrit  8380  porte  :  En  la  rue  de  l'Excole- 
Sainl- Germain. 

(2)  Termes.  Ce  doit  être  Taormino. 

(3)  .1  Gourlrarj.  Il  seniblo  qu'on  dcvroil  lire  ici  :  .1  Brur/es  ,  conimo 
dauo  la  conlinualion  lulinc  de  Kangis. 

12. 


138  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

de  toutes  armes  ,  avec  Jacques  de  Sahit-Pol  ;  et  fussent  de 
ceux  de  Bruges,  à  grant  révérence,  dedens  la  ville  paisi- 
blement introduis  ;  et  disoient  les  Flamens  de  Bruges  eux 
vouloir  de  toutes  choses  au  commandement  du  roy  de 
France  pour  bonne  vclenté  et  courage  obéir  :  hélas  I  en  icelle 
nuit  du  jour  ensuivant  que  nos  François  estoient  venus , 
comme  il  se  reposassent  et  dormissent  seurement ,  et  ceux 
qui  leur  armes  avoient  ostées ,  par  un  pou  furent  tous 
traitreusement  occis.  Car  adecertes  ,  si  comme  l'en  dit , 
ceux  de  Bruges ,  en  ce  soir  avoient  entendu  Jacques  de 
Saint-Pol  de  Flandres  soi  avoir  vanté  que  l'endemain  il 
devoit  pluseurs  de  eux  faire  pendre  au  gibet  Pour  ceci 
ainsi  comme  tous  desespérés  de  très  grant  paour,  pré- 
sumèrent et  enlrepristrent  à  faire  telle  desloyale  felon- 
nie  :  et  toutes  fois  s'en  eschapa  le  dit  Jacques,  par  qui  celle 
rage  estoit  esmeue,  avec  pou  de  compaignie,  céléement  et 
occultement ,  fuiant  hors  de  la  ville.  Et  lors  ainsi  ceux  de 
Bruges  reprenant  l'esprit  du  rebellement,  la  gent  d'un  port 
de  mer  prochain  (que  l'en  appelle  Dam)  à  eux  tantost  s'accor- 
dèrent ,  et  de  maintenant  degastèrent  et  chacièrent  d'avec 
eux  les  gens  du  roy  vilainement  qui  députés  estoient  et 
establis  à  la  garde  du  port.  Et  lors  après  ce  fait,  les  Flamens 
de  Bruges  et  aucuns  autres  Flamens ,  Guy  de  Namur  fils 
Guy  conte  de  Flandres  qui  en  France  tenoit  prison  appellè- 
rent  pour  venir  en  leur  aide  ,  et  icelui  comme  defFendeur 
et  seigneur  receurent  ;  lequel  enforcié  de  grant  multitude 
de  soudoiers  Alemens  et  Tyois  venans  à  eux,  les  encouragea 
à  eux  plus  fort  rebeller  ;  et  en  toutes  les  manières  qu'il  jwt 
les  esmut  et  atisa  et  donna  conseil  à  eux  esmouvoir. 


(1303.)  PHELIPPE-LE-BKL.  l.'iO 

XLII. 

De  la  bataille  de  Courlray. 

Adoncques  endenientiers,  comme  ceux  de  Bruges  s'ap- 
paieilloient  à  deffendre,querans  de  toutes  pars  aides  et  sou- 
doiei'S  ,  Robert  noble  conte  d'Artois  fu  envoie  du  roy  de 
France  avec  moult  grant  chevalerie  des  francs  hommes  et 
grant  multitude  de  gent  à  pie  et  vint  en  Flandres  ,  et  entre 
Bruges  et  Courtray  tendirent  paveillons  et  très  ;  (  car  ade- 
certes  il  ne  pooient  passer,  pour  l'yaue  du  fleuve  près  d'ilec 
courant ,  sur  laquelle  yaue  les  Flaniens  avoient  rompu  un 
pont.  Et  lors  endenientiers  comme  les  François  entendis- 
sent à  appareillier  le  pont  )  ceux  de  Bruges  ,  souventes  fois 
à  bataille  ordenée  encontre  courans,  à  l'euvre,  si  comme  il 
pooient,  destourbans  tous  les  jours,  les  François  appelloient 
à  bataille;  et  lors,  voulsissent  ou  non,  le  pont  après  ce 
rappareillié  (  à  un  mercredi ,  septiesme  jour  du  mois  de 
juillet),  de  l'accort  de  l'une  partie  et  de  l'autre,  venir  à 
bataille  deussent.  Ceux  de  Bruges,  si  comme  l'en  dit, 
estudians  et  cuidans  mourir  pour  la  justice,  libéralité,  et 
franchise  du  pays  (  premièrement  confessèrent  leur  péchiés 
humblement  et  dévotement ,  le  corps  de  Nostre-Seigneur 
Jhésucrist  reçurent ,  portant  avec  eux  ensement  aucunes 
reliques  de  sains  ,  et  à  glaives  ,  ta  lances  ,  espées  bonnes, 
haches  et  goudendars  (1)  ,  serréement  et  espessement  or- 
denés  vindrent  au  champ  à  pié  par  un  pou  tous.  Adonc- 
ques les  chevaliers  françois ,  qui  trop  en  leur  force  se  fioient, 
voiant  contre  eux  iceux  Flamens  du  tout  en  tout  venir, 
si  les  orent  en  despit ,  si  comme  (foulons,  tisserans  et) 

(1)  Goudendars.  «  Ciim  lanccis  adjunclis  cl  cx(iiiisiti  gencris  quod  go- 
llienclar  vulgô  nppellant.  » 


140  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

liommes  ouvraus  d'aucuns  autres  mestiers  ;  et  lors  les  de- 
vant dis  François  chevaliers  contredaignans ,  leur  gent  de 
pie  (1)  cjui  devant  eux  estoicnt  et  aloieut,  et  qui  viguereu- 
sement  les  assailloient  et  moult  bien  se  contenoient , 
firent  retraire,  et  es  Flamens  pompeusement  et  sans  ordre 
s'embatirent.  Lesquiels  chevaliers  gentils  François,  ceux  de 
Bruges  ,  à  lances  agues  ,  forment  empaignans  et  deboutans, 
gettèrent  et  abatirent  à  terre  du  tout  en  tout  ceux  qui  à 
celle  empointe  furent  à  l'encontre.  Desquels  la  ruine  tant 
soudaine  voiant  le  noble  conte  d'Artois  Robert  qui  onc- 
ques  n'avoit  acoustumé  à  fuir ,  avec  la  compaignie  des 
nobles  fors  et  viguereux ,  ainsi  comme  lyon  rangent  (2) 
et  esragié ,  se  plonga  es  Flamens.  Mais  pour  la  multi- 
tude des  lances  que  les  Flamens  espessement  et  serrcement 
tendent ,  ne  le  pot  le  gentil  conte  Robert  tresforer  né 
Irespercier.  Et  lors  adecertes  ceux  de  Bruges ,  ainsi  comme 
s'il  fussent  convertis  et  mués  en  tigres ,  nulle  ame  n'espar- 
gnièrent,  né  haut  né  bas  ne  déportèrent,  mais  aux  lances 
agues  bien  ancorées  (3)  que  l'eli  appelle  bouteshaches  et  go- 
dendars,les  chevaliers  des  chevaux  faisoient  trébuchier  ;  et 
ainsi  comme  il  chéoient  comme  brebis,  les  acraventoient 
sus  la  terre.  Adonc  le  bon  conte  Robert  d'Artois,  vaillant 
et  enforcié  de  toutes  gens,  jasoit  ce  qu'il  fust  navré  de  moult 
de  plaies,  toutes  voies  se  combati-il  forment  et  vigue- 
reusement  (4),  (mieux  voullant  gésir  mort  avec  les  nobles 
liommes  qu'il  voioit  devant  luy  mourir  que  à  ce  vil  et 

(1)  Leur  geut  de  pié.  L'infanterie  françoise  toujours  chargée  de  com- 
mencer le  combat.  C'est  à  cette  retraite  qu'il  fallut  s'en  prendre  de  la 
perte  de  la  bataille. 

(2)  Ruitgeiit.  Rugissant. 

(3)  Ancorées.  Terminées  en  forme  d'ancres,  ii  peu  près  comme  des  hal- 
lebardes. 

(i)  Tout  ce  qui  suit  sur  la  défection  du  reste  de  l'armée  n'est  rem- 
pli dans  la  continuation  latine  de  Nnngis  que  par  la  phrase  suivante  : 


(1302.)  PHELIPPE-LE-BEL.  141 

villain  peuple  rendre  soy  vif  encliaitivé}.  Et  lors,  quant 
les  autres  compaignies  qui  estoient  en  l'ost  des  François , 
tant  à  cheval  comme  à  pie ,  virent  ce,  à  par  un  pou  deux 
mille  liaubers  avec  le  conte  de  Saint-Pol  et  le  conte  de 
Bouloigne,  et  Loys  fils  Robert  de  Clermont  pristrentla  fuite 
très  laide  et  très  honteuse,  laissans  le  conte  d'Artois  avec  les 
autres  honnorables  et  nobles  batailleurs,  Dieu  quel  dommage 
et  quel  doleur  !  es  mains  des  villains  estre  détrenchiés  mors 
et  acraventiés.  Des  quiels  la  fuie  non  espérée  voians  les 
Flamens  adversaires ,  lors  pour  ce  leur  courages  enforciés 
reculèrent ,  et  ceus  qui  par  un  pou  vaincus  s'en  vouloient 
fuir,  requerans  et  venansaux  tentes  des  fuians,  treslout  ravi- 
rent et  pristrent.  Et  adecertes  ilec  avoit  grant  copie  (1)  d'ar- 
mes et  grant  appareil  batailleur.  Par  les  quiels  les  Flamens 
enrichis  et  des  corps  occis  ,  quant  il  les  orent  tous  desnués 
de  leur  armes  et  de  leur  vestemens  ,  et  la  bataille  du  tout 
en  tout  vaincue  ,  à  grant  joie  à  Bruges  s'en  revindrent.  Et 
ainsi  à  grant  doleur  tous  les  corps  desnués,  et  tant  de  nobles 
hommes  demourans  en  la  place  du  champ ,  comme  il  ne 
fust  qui  les  baillast  à  sépulture  ,  les  corps  de  eux  les 
testes  des  champs  ,  les  chiens  et  les  oysiaux  mengièrent  ; 
laquelle  chose  en  dérision  et  escharnissement  et  moquerie 
tourna  au  roy  de  France  ,  et  à  tout  le  lignage  des  mors  en 
1  eproche  perpétuel  en  tous  les  jours.)  Et  adecertes  y  gisoient 
mors  et  acraventés  moult  de  nobles  hommes,  dieux  cjuel  dom- 
mage ;  c'est  à  savoir  :  le  gentil  conte  d'Artois  Robert,  et  Go- 
defroy  de  Breban  son  cousin  avec  son  fils  le  seigneur  de  Vir- 
son  (2),  Adam  le  conte  de  Aubemarle,  Jehan  fils  au  conte  de 


«  Cœteris  aciebus  exercitus  noslri  iti  niulto  majori  numéro  tain  nobi- 
»  liuin  quam  ignobilium  lLiri)issimô  Icrga  verlcntibus ,  cursiiquc  veloci 
I)  fugaiii  arrii)ienlibus...    » 

(1)  Copie.  Abondance. 

(2)  Ici  le  lc\lc  lalin  ajoute  :  Coinile  Augi.  Le  comte  d'Eu. 


142  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

Haynaut,  Raoul  le  seigneur  de  Neelle  connestable  de  France, 
et  Guy  son  frère  maresclial  de  l'ost ,  Re{i;naut  de  Trie  che- 
valier csmeré  (1),  le  cliambellanc  de  Tancarville ,  Pierre 
Flotte  chevalier,  et  Jacques  de  Saint-Pol  chevalier,  monsei- 
gneur Jean  de  Bruillas  maistre  de  arbalestriers,  et  jusques  au 
nombre  de  deux  cents  et  moult  d'escuiers  vaillans  et  preux. 
Toutes  voies  au  tiers  jour  après  ce  fait ,  à  ice  lieu  vint  le 
gardien  des  frères  Meneurs  d'Arras  ,  et  recueilli  le  corps  du 
très  noble  conte  d'Artois  desnué  de  vesleures  et  navré  de 
trente  plaies.  Lequel  gentil  conte  icelui  gardien  en  une 
chapelle  prochaine  d'ilecques  de  femmes  de  religion  no- 
nains  ,  de  petit  édifiement  (2) ,  si  comme  il  pot ,  quant  il 
ot  le  service  célébré  ,  inist  le  corps  en  sépulture.  Et  vraic- 
ment  iceste  instance  et  démollicion  et  maie  aventure  à 
François  à  venir,  icelle  comète  qui  à  la  fin  du  moys  de  sep- 
tembre devant  passé  à  l'anuitier  par  pluseurs  jours  fu 
veue  par  le  royaume  de  France  ,  et  l'éclipsé  au  mois  de 
janvier  faite ,  si  comme  dient  aucuns  ,  le  segnifièrent  et 
demonstrèrent.  Adonqucs  Gui  de  Namur  enhctié  (3)  de  la 
victoire  des  siens  et  lors  son  courage  embrasé  de  l'orgueil 
de  occuper  toute  Flandres  ,  s'efforça  de  tendre  à  greigneurs 
choses  ;  car  après  il  assist  ceux  de  Lille  :  et  maintenant  par 
tricherie  et  fraude,  maintenant  eux  comme  ceux  de  Tour- 
nay  ,  ceux  d'Ypre  ,  ceux  de  Gant,  ceux  de  Douay,  et  les 
autres  villes  de  Flandres  abandon  venir  efforça  et  ense- 
ment  atrait  ;  et  lors  vers  Arras  manda  à  ses  coureurs  et 
fourriers  à  accueillir  la  proie.  Les  quiex  comme  il  s'efforças- 
sent à  proier  et  rober  l'abbaïe  du  mont  Saint-Eloy  ,  par  la 
gent  de  l'évesque  d'Arras  furent  déboutés  et  déchaciés,  si 
C[ue  il  convint  qu'il  retournassent  pour  garder  leur  termes. 

(1)  Esmcré.  Eprouvé,  et  emerito  milite. 

(2)  Le  latin  met  :  Noiulum  dcdicata. 

(3)  Enhetié.  Réjoui. 


(1302.)  PHELIPPE-LE-BEL.  143 

XLIII. 

Des  prc/as  de  France  (ji/i  cni-oicrciit  à  court  de  Rninc. 

En  ce  meismc  temps  les  pvclas  du  royaume  de  France 
qui  en  l'an  devant  prochain  estoient  appelles  et  semons 
de  venir  à  court  de  Rome  ,  si  orent  conseil  ensemble  et 
regardèrent  c|u'il  n'i  pooient  aler,  tant  pour  la  guerre  de 
Flandres  comme  pour  ce  que  ])ar  les  maistres  du  royaume 
de  France  estoit  dévée  porter  or  et  argent  ;  mais  pour  ce 
qu'il  ne  peussent  estre  repris  de  désobéissance  envolèrent 
pour  eux  trois  évescjues  cjui  denonclèrent  pour  eux  au  pape 
Bonlface  la  cause  de  leur  dcmourance.  Et  à  ce  pape  en- 
sement  envoia  le  roy  de  France  l'évesque  d'Aucuerre  Pierre, 
et  luy  pria  que  pour  s'amour  il  regardast  de  la  besoigne 
jiour  lacjuelle  les  dis  évesques  vouloient  assembler  jusques 
à  un  temps  miex  convenable. 

XLIV. 

De  l'ost  de  France  qui  fa  à  Arras  sans  rien  faire. 

Après  ce  que  le  bon  conte  Robert  d'Artois  fu  mort,  Plie- 
lippe- le-Biau  roy  de  France,  qui  moult  en  estoit  dolent, 
après  la  feste  de  l'Assumpcion  Nostre-Dame ,  mère  de 
nostre  Seigneur ,  laquelle  fcste  on  appelle  la  mi-aoust ,  à 
la  cité  d'Arras  assembla  ,  pour  aler  contre  les  Flamens , 
si  grant  et  si  merveilleux  ost  cju'il  peust  estre  nombre 
jusc^ues  à  cent  fois  mille  et  quarante  fois  mille  de  gens 
armes  chascun  selon  son  pouvoir.  Et  comme  si  très  bel  et 
si  grant  ost  eust  cuidié  de  maintenant  et  de  légicr  toutes 
Flandres  et  les  Flamens  destruire  ,  je  ne  say  par  quel  con- 
seil des  quiex,  d'ilec  jusques  à  deux  lieues  seulement  avec 


lii  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

jjrant  et  merveilleux  ost ,  nostre  roy  Phellppe  fist  tendre 
ses  tentes  ,  et  f u  veu  tout  le  mois  de  septembre  despendre 
et  dégaster.  Et  comme  il  eust  les  anemls  Flamens  assez 
près  de  ses  ieux  par  l'espace  de  tant  de  temps,  qui  leur  tentes 
y  avoient  fichices,  et  si  estoient  logiés  au  plus  près,  ne  laissa 
oncques  à  faire  à  eux  un  assaut  né  aucune  ville  de  ses  anemis 
ne  laissa  onccjues  né  ne  soulTri  à  assaillir.  Mais  de  maintenant 
donna  congié  de  départir  à  icest  noble  ost  qui  légièrement 
peust  sousmettie  tout  le  monde  se  il  fust  noblement  et  à 
droit  gouverné  ,  et  s'en  revint  sans  riens  l'aire  et  inglorieux 
en  France  arrière.  Laquelle  chose  fu  honte  aux  chevaliers 
et  les  esmut  en  pluseurs  escharnissemens  et  meismement 
les  anemis  de  la  gent  au  roy  de  France  à  moquier  eux.  Du- 
quel ost  le  département  cognoissans  les  Flamens  adversaires, 
de  maintenant  à  eux  les  villes  prochaines  et  les  garnisons  de 
la  conté  d'Artois  embrasèrent  etardirent  en  feu  ;  toutes  voies 
dient  aucuns  cjue  par  la  décevance  et  tricherie  Edouart  le  roy 
d'Angleteri'e  qui  la  partie  des  Flamens  nourissoit,  le  roy  de 
France  avoit  esté  déceu ,  si  s'en  départi  ainsi  ;  car  devant 
avoit  faint  ce  gourpil  (1)  par  tricherie  Angloisienneluy  avoir 
très  grant  doleur  dedens  son  cuer  ,  estre  malade  et  cnfirme 
pour  ce  c|u'il  avoit  entendu,  si  comme  il  disoit,  son  serourge 
et  ami,  le  roy  de  France,  estoit  à  estre  baillié  et  livré  de  sa  gent 
meisme  es  mains  de  ses  anemis,  s'il  avenolt  cju'il  eust  bataille 
contre  eux;  laquelle  chose  comme  illeracontastainsi  comme 
à  conseil  à  sa  femme,  comme  cil  c|ui  bien  savoit  c[ue  tantost 
elle  le  manderoit  à  son  frère  :  lors  icelle  qui  cuidoit  celle 
chose  estre  vrai ,  tantost  le  manda  à  son  frère  le  roy  de 
France.  Et  ainsi,  pour  celle  chose,  se  départi  le  roy  avec  le 
merveilleux  et  innombrable  ost  qu'il  avoit  assemblé  (2).  Mais 
toutesvoies,ainsoisqueleroy  s'esmeutnédépartist,ilenvesti 

(1)  Gourpil.  Renard. 

[2)  Au  lieu  (Je   toute  cette  parenllicse,  la  chronique  latine  porte   : 


(1302.)  PHELIPPE-LE-BEL.  145 

et  saisi  le  conte  de  Bonrgoigne  Othelin  de  la  seigneurie  de 
la  conté  d'Artois,  pour  raison  de  Maheut  sa  femme,  fdlc 
seule  du  noble  conte  d'Artois  Robert,  occis  des  Flamens  de 
Bruges  :  sauf  le  droit  que  en  ice  l'equéroient  les  fils  et  les 
enfans  Phelippe  frère  de  celle  Maheut,  c[ui  par  devant  estoit 
mort.  Et  ensement,  le  roy  de  France  laissa  pluseurs  sergens 
et  chevaliers  par  divers  lieux ,  bien  ordenés  et  appareillés  à  ba- 
taille, c|ui  les  eftbrcemens  des  Flamens  et  leur  décours  en  la 
terre  d'Artois  constrainsissent  et  débatissent.  Et  adecertes 
iceux,  api'ès  ce  ,  souventes  fois  à  leur  anemis  orent  assaut,  et 
moult  repristrent  et  restraindrent  leur  efForcemens  :  tant 
que  en  la  veille  de  saint  Nicolas  d'yver,  de  ceux  de  Bruges 
huit  cens  et  plus,  vers  Ayre,  en  une  bataille  en  occistrent. 


XLV. 

De  Caccori  entre  le  roy  de  Secile  et  Feclric  Cocciipciir  deSecile. 

Et  en  ce  temps  ensement,  Charles  conte  de  Valois,  frère 
de  Phelippe  roy  de  France  ,  qui  en  Secile  un  chastel  qui 
est  appelle  Termes  avoit  occupé  sur  les  anemis  du  royaume 
de  Secile ,  tout  le  temps  d'esté  par  la  terre  de  Secile  à 
batailles  ordenées  çà  et  là  aloit ,  mais  nulle  ame  n'en- 
contra  cjui  encontre  luy  courtist  pour  batailler.  Et  adecertes 
les  Seciliens  se  tenoient  es  chastiaux  et  es  cités,  (né  ne  vou- 
loit  Fedric  l'occupeur  de  Secile ,  ou  par  aventure  n'estoit 
tant  hardi  envers  le  conte  Charles,  lequel  estoit  né  de  son 
sanc,  procréé  et  descendu,  tant  faire  que  il  se  osast  contre 
lui  à  bataille  issir.  Mais  à  la  parfin  furent  trièves  données  , 
et  vint  icel  Fedric  à  son  parlement  souplement  et  humble- 

«  malisnorum   ut    croditur  consilio  circuravcnlus.    <>  (Spicileg.,   l.  m, 
p.  55.) 

TOM.     V.  13 


146  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

ment,  les  choses  qui  sont  de  paix  requérant.)  Et  lors  mes- 
sire  Charles  qui  ,  si  comme  l'en  dit ,  avoit  jà  oi  nouvelles 
de  ses  amis  occis  en  Flandres  (  et  que  par  un  pou  avoit 
perdu  tous  ses  chevaux  par  maladie  ,  si  ot  compassion  du 
royaume  de  France  et  de  son  frère  le  roy  Phelippe  ;)  adonc, 
par  le  conseil  de  sa  gent ,  entre  Fedric  et  les  Seciliens 
fist  et  ordena  la  pais  en  telle  manière  qui  s'en  suit ,  c'est  à 
savoir  :  cestui  Fedric  toute  l'ile  de  Secile,  toute  sa  vie,  pai- 
siblement et  à  repos  ,  sans  nom  royal ,  tendroit  et  poursui- 
vroit  ;  et  tout  ce  qui  estoit  en  Calabre  et  en  la  terre  de 
Puille  ,  que  luy  ou  son  frèr«  le  roy  d'Arragon  jadis  avoit 
acquis,  tout  au  roy  de  Secile  laisseroit  ;  iioient-moins  que 
les  chaitis,  qui  de  lonc  temps  ou  de  petit  estoient  en  pri- 
son, seroient  délivrés  sans  nulle  riens  donner,  et  délaissiées 
toutes  rancunes  et  injures  d'une  part  et  d'autre.  Adecertes 
avec  ces  choses,  de  leur  consentement  et  accort,  celui  Fe- 
dric devoit  prendre  à  femme  la  fdle  au  roy  de  Secile  qui 
avoit  nom  Alienor.  Et  selon  leur  povoir  estoient  tenus 
Charles  conte  d'Anjou  et  Robert  duc  de  Calabre ,  fds  le 
roy  de  Secile  qui  lors  y  estoit  présent  avec  Charles , 
labourer  loyaument  envers  le  roy  d'Arragon  et  le  conte  de 
Braine,  que  le  droit  du  royaume  de  Sardaigne,  ensement  le 
droit  au  conte  de  Braine ,  ou  le  droit  du  royaume  de 
Chypre  qui  à  iceux ,  si  comme  l'en  dit ,  apartenoit , 
donroient  et  délaisseroient  du  tout  en  tout  à  Fedric  , 
c'est  assavoir  les  royaumes  dessus  nommés  ou  l'équipol- 
lent  :  cest  otroiement  dessus  ces  choses  le  pape  approu- 
vant. Et  se  celle  chose  ne  povoient  faire  ,  si  seroient  tenus 
iceux  Chailes  et  Robert ,  selon  leur  povoir,  un  autre 
royaume  à  Fedric  acquerre  ,  à  im  d'iceux  royaumes  des- 
sus nommés  équipollent  ;  et  se  ensement  ne  povoient 
ces  choses  acompUr ,  Cliarles  le  roy  de  Secile  seroit  tenu  à 
cent  mille  onces  d'or  donner  après  la  mort  de  Fedric  en 


(1302.)  PHELIPPE-LE-BEL.  147 

amende  de  sa  rente  ,  pour  les  enfans  procréés  de  sa  fille 
Aliénor  ;  et  ainsi  à  la  parfiu  la  terre  de.  Secile  à  luy  paisi- 
blement revendroit.  Et  lors  de  la  pais  et  les  autres  choses 
loyaument  garder  ,  tant  les  barons  de  Secile  comme  Fed- 
ric  et  les  maistres  du  Temple  sur  les  sains  évangiles  jurè- 
rent. Et  y  ainsi  ce  fait ,  si  les  fist  Charles  ,  conte  de  Valois  , 
par  son  chapelain  assoudre  ,  à  qui  le  pape  avoit  commis 
s'auctorité  :  et  puis,  ce  fait,  icelui  Charles,  conte  de  Valois, 
repairant  de  Secile  vint  à  Rome,  et  au  pape  et  aux  cardi- 
naux raconta  tout  ce  qu'il  avoit  fait  ,  et  s'en  retourna  eu 
France  environ  la  purificacion  de  la  benoicte  vierge  Marie 
que  l'en  dist  la  chandeleur.  (  Mais  à  celle  manière  de  pais 
d'entre  Charles  et  Fedric  dient  aucuns  le  pape  Boniface 
avoir  donné  petit  ottroiement  né  assenteuient.) 

XL  VI. 

Du  cardinal  le  Moine  qui  vint  en  France  en  message. 

Et  adecertes  en  cest  an  ensement,  les  prélas  du  royaume 
de  France,  delès  le  mandement  en  l'an  devant  passé,  aux  ka- 
lendes  de  novembre  non  comparans  né  venans,  Boniface 
riens  n'ordena  de  ce  qu'il  avoit  empensé  à  faire  :  et  pour  ce 
que  à  profit  venir  ne  povoient ,  si  comme  devant  avoient 
segnefié  et  mandé,  lors  à  eux  le  pape,  de  Rome  Jehan  le 
Moine,  prestre  et  cardinal  de  l'églyse  de  Rome,  en  France 
envoia  et  destina  ,  qui  à  Paris  au  commencement  du  inois 
de  quaresme  vint.  Quant  le  concile  fu  assemblé  ,  il  orent 
secret  conseil  avec  eux ,  et  au  pape  par  lettres  closes  ce  qu'il 
avoit  o'i  de  eux  manda  ;  et  tant  longuement  demoura  en 
France  jusques  à  tant  que  sur  ces  choses  le  pape  luy 
mandast  sa  volenté  et  son  plaisir. 

Et  en  cest  an  ensement,  enGascoigne,  ceux  de  Bourdiaux 


148  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

qui  jusques  à  maintenant  sous  le  povoir  du  voy  de  France 
paisiblement  et  à  l'epos  s'estoient  tenus ,  quant  il  oïient  son 
repaire  de  Flandres  sans  riens  faire ,  tous  ses  gens  et  les 
François  déboutèrent  et  chacièrent  hors  de  Bourdiaux ,  la 
seigneurie  d'icelle  cité  à  eux,  par  folle  présompcion,  usur- 
pans  et  prenans.  Car  adecertes  il  doubtoient,  si  comme  plu- 
seurs  affermoient ,  que  se  la  paix  du  roy  de  France  et  du 
roy  d'Angleterre  estoit  du  tout  en  tout  faite,  que  il  de  main- 
tenant au  povoir  du  roy  d'Angleterre  ne  fussent  sousmis , 
et  que  tantost  après  il  ne  leur  fist  ainsi  comme  il  avoit  fait 
jadis  à  la  cité  de  Londres.  (Car  l'en  dit  luy  avoir  fait  pendre 
les  bourgois  à  leur  portes.  ) 

XL  VII 

De  ht  batailla  Je  Sainl-Omer. 

En  cest  an  ensement,  Otheliu  le  conte  de  Bourgoigne  et 
d'Artois  clost  sou  derrenier  jour.  Et  en  cest  an  ensement,  en 
Flandres,  le  jeudi  absolu,  quinze  mille  Flamens  par  lagent 
au  roy  de  France  furent  occis  en  bataille  (1):  et  quant  les  au- 
tres compaignies  virent  ce  ,  qui ,  un  pou  devant,  la  terre 
Jehan  conte  de  Hainaut,  laquelle  il  tenoit  du  roy  de  France 
en  fié,  dégastoient  et  uu  sien  chastel  très  fort  que  on  appelle 
Boucliain  avoient  jà  acraventé,  si  donnèrent  trièves  à  ceux 
de  Hainaut  et  s'en  retournèrent  pour  leur  termes  deffendre. 

(1)  «  Ajmd  Sancliiiii-Audomarum.  « 


(1:303.)  PHELIPPE-LE-BEL.  149 

XL  VIII. 

Des  messages  aitx  Tartarins. 

Après,  en  l'an  ensuivant  mil  trois  cens  et  trois  ,  en  la  sep- 
maine  de  Pasques  ,  vindrent  à  Paris  au  roy  de  France  les 
messages  aux  Tartarins,  disans  que  se  le  roy  de  France  et 
les  barons  du  peuple  crestien  leur  gens  en  aide  de  la  Sainte 
Terre  envoioient ,  le  seigneur  de  eux,  le  sire  de  Tartarie, 
aux  Sarrasins  à  toutes  ses  forces  se  combatroit ,  et  seroient 
fait  tant  luy  comme  son  peuple  de  bonne  volenté  cres- 
tiens. 

XLIX. 

De  la  bataille  de  Lille  et  de  V accusement  le  pape  de  Rome. 

En  cest  an  ensement,  à  Lille  un  chastel  en  Flandres,  le 
jour  d'un  jeudi  après  les  octaves  de  Pasques  ,  deux  cens 
hommes  de  cheval  armés  et  trois  cens  hommes  de  pie  des 
Flamens,  furent  tant  occis  comme  pris  de  ceux  de  Tournay 
et  de  Fourquent  de  Melle  (  I  )  mareschal  au  roy  de  France.  Et 
en  cest  an  ensement,  Phelippe-le-Bel  cjui  longuement  avoit 
tenue  et  occupée  la  terre  de  Gascoigne  ,  au  roy  d'Angleterre 
Edoviart  la  restabli,  et  fu  réformée  amiablement  la  paix,  de 
la  quelle  pour  icelle  terre  s'estoient  desjoins.  Et  en  ce  temps, 
les  barons  et  les  prélas  du  royaume  de  France,  par  le  com- 
mandement du  roy,  à  Paris  au  concile  se  assemblèrent ,  et 
ilec  fu  traitié  devant  tous  :  c'est  assavoir  d'aucuns  agravemens 
du  royaume  et  du  roy  et  des  prélas  que  à  eux,  si  comme  l'o- 

(1)  Fourquent  de  Melle.  «  Fiilcando  de  Mala.  »  Variantes  :  du  Melle  t 
seiieaclial  (luss.  8208,  et  218  sup.  fr.),  Fourquault  de  râtelle  (nisc.  'JC50J. 

13. 


150  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

pinion  de  moult  de  gens  estoit  veu  affirmer,  le  pape  de  Rome 
en  prochain  entendoit  faiie  (1).  Et  fu  ensement  icelui  pape 
d'aucuns  chevaliers  devant  les  prélas  et  la  royale  majesté 
de  moult  de  crimes  blasmé,  diffamé  et  accusé  :  c'est  assavoir 
de  hérésie,  de  symonie  et  d'omicide,  et  de  moidt  d'autres  vi- 
lains mesfais  droitement  sur  luy  mis  et  tous  vrais ,  si  comme 
aucuns  disoient.  Et  pom-  ce  que  à  pape  et  à  prélas  hérites  (2) 
selon  ce  que  l'en  treuve  es  sains  canons ,  ne  doit  pas  estre 
paiée  obédience,  f  u  ilec  du  commun  conseil  de  tous  appelle 
jusques  à  tant  que  le  pape  de  ces  crimes  et  de  ces  cas  que  l'en 
luy  avoit  mis  sus  s'espurgast ,  et  qu'il  en  fust  de  tout  en 
tout  purgié.  Et  ainsi  à  la  parfin,  ce  parlement  deslié,  l'abbé 
de  Cistiaux  seul  à  eux  non  assentant  avec  indignacion  et 
desdaing  de  moult  tant  du  roy  comme  des  prélas,  s'en  revint 
à  son  propre  lieu  (3).  Et  lors  le  cardinal  de  Rome  Jehan  le 

(1)  C'est-à-dire  :  De  beaucoup  d'injures  graves  que  le  pape  ,  si  comme 
on  voyoit  beaucoup  de  gens  l'affirmer,  se  proposoil  de  leur  faire  pro^ 
chainenient. 

(2)  Ueriles.  Hérétiques. 

(3)  On  ne  peut  douter,  d'après  le  texte  latin  de  Nangis,  abrégé  peut- 
être  avec  réflexion  par  le  chroniqueur  de  Saint -Denis,  que  cette 
décision  d'une  violence  inouie  et  toujours  excusée  bien  qu'inexcusable, 
n'ait  été  prise  dans  une  assemblée  générale  et  représentative  de  la  nation. 
M.  Sismondi  ne  voit  rien  ici  de  commun  avec  les  Eiais  généraux ,  et , 
suivant  lui ,  ce  qui  prouve  évidemment  que  les  Etats  généraux  n'ont 
pas  une  origine  aussi  ancienne  ,  c'est  que  nul  liisioricn  contemporain 
n'a  fait  la  remarque  d'une  innovation  qui  pourtant  auroit  dû  sembler  de 
la  plus  haute  importance.  Ce  raisonnement,  tendroit  plutôt  à  démontrer 
que  les  Etals  généraux  sont  de  plus  ancienne  date  ;  mais  écoutuns ,  en 
tout  cas,  Nangis  :  «  In  publico  parlamento  Parisius  ,  Prœlalls  ,  Uaronibus  , 
»  capitulis,  convenlibus,  coUegiis ,  communitaiibus  et  universilatibus  villa- 
»  rum  regni  sut ,  necnon  magistris  in  tlieologiâ  et  professoribus  juris 
»  ulriusque  aliisque  sapientibus  et  gravibus  personis  diversarum  partium 
»  ac  rcgnorum  pr.xsentibus,  importunis  denonciatorum  clamoribus  at- 
»  que  frcquentibus  pulsatus  inslanliis,  rex  ad  concilium  générale...  appel- 
»  lavit,  appellalionesque  suas,  die  nativiiatis  bcati  Johannis  Baptislœ , 
>)  in  horto  rcgalis  palalii ,  Parisius ,  coram  ornni  cicro  et  populo  palàni 
»  et  publiée  Icgi  fccit,  »  Etc.,  etc. 

Est-ce  clair';'    ei   sinon    «ju'on    ne    trouve    pas    ici    la    mention    dn 


(1303.)  PHELIPPE-LE-BEL,  151 

Moine  qui  un  pou  devant  ce  avoit  esté  envoie  en  France,  et 
lors  en  pèlerinage  estoit  allé  à  Saint-Martin-de-Tours , 
quant  il  oï  nouvelles  du  pape  ,  au  plus  tost  qu'il  pot  issir  du 
royaume  de  France  s'en  issi.  Et  en  cest  an  ensement,  Robert 
fds  le  conte  de  Bouloigne  et  d'Auvergne  ,  Blanche  la  fdle 
Robert  de  Clermont  fils  du  saint  roy  de  France  Loys, 
espousa. 

V élirjibililé  sous  condition  de  500  francs  d'impôts,  ne  reconnaîtrons- 
nous  pas  une  chambre  représentative  dans  ces  assemblées  dont  se 
servit  le  roi  Phi:ippc-le  Bel,  une  fois  pour  excommunier  \(i  pape,  les 
autres  fois  pour  fonder  la  dette  consolidée  de  la  nation  envers  la  cou- 
ronne? On  me  permettra  d'opposer  encore  à  l'opinion  de  M.  Sismondi 
un  passage  très  curieux  de  la  vie  de  Philippe-le-Bel  publiée  sous  le  nom 
de  Godefroide  Paris  par  M.  Buclion.  Après  avoir  parlé  de  la  défense  faite 
au  clergé  gallican  de  se  rendre  à  Piome  : 

Lors  commencièrent  leur  sermons 
A  faire  chevaliers,  en  France. 
Si  perdirent  leur  audience 
Clers  ,  si  furent  mis  avant  lais  , 
Et  sus  divinité  les  lais; 
Les  bons  derrière  la  charrue  .... 
Et  ce  fu  de  par  Pierre  Flotte 
Qui  dedcns  Paris  commença^ 
A  sermonner;  ainsois  tença, 
Car  son  sermon  tence  sembla  ; 
Je  ne  sais  où  son  tieste  enibla 
Car  en  Bible  ne  fu  pas  pris. 
Toutes  voies  ,  assés  appris 
Avoit  de  sens  et  d'escripture 
Et  bon  sens  avoit  de  nature. 
Mais  l'ordre  de  chevalerie 
Ne  requiert  pas  prescherie  ; 
Et  le  monde  si  se  bistourne, 
Qu'il  convient  que  clergié  se  tourne 
Du  tout  à  fere  le  fet  d'armes... 

Pourquoi  la  statue  de  Pierre  Flotte  ne  décore-l-elle  pas  notre  Chmnbrc 
des  députés?  Du  reste,  vous  voyez  d'après  ces  vers  que  les  contempo- 
rains ont  fait  la  remarque  d'une  innovation  aussi  importante . 


152  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 


L. 

Comenl  le  message  de  pape    Boniface  fu   mis   en    la  prison 
le  rof. 

En  icest  an  ensement ,  un  archédiacre  de  Constance 
nommé  Nicole  de  Bonnefaite  (I),  message  du  pape  Boni- 
face  et  de  luy  en  France  envoyé  pour  ce  que  le  royaume 
supposas!  à  entredit ,  si  comme  pluseurs  l'estlmoient ,  à 
Troies  vme  cité  de  Champagne ,  au  royaume  de  France  , 
fu  pris  et  mis  en  la  prison  le  roy  de  France.  En  cest  an 
ensement,  Plielippe,  fils  le  conte  de  Flandres  Gui,  qui  par 
pluseurs  ans ,  avec  le  roy  de  Secile  Chailes  le  secont  avoit 
demouré,  et  de  maintenant  usant,  si  comme  l'en  disoit,  de 
la  pecune  pape  Boniface  et  de  son  aide,  avec  grant  comi^ai- 
gnie  de  Tyois  et  d'Alemans  soudoieis,  environ  la  saint  Jean- 
Baptiste  ,  appliqua  en  Flandres  ;  duquel  le  peuple  des  Fla- 
mens  accréu  moult  et  enorgueilli,  la  terre  du  roy  de 
France  prist  plus  aigrement  à  envair  que  devant,  et  lors 
le  cliastel  de  Saint-Omer  en  la  conté  d'Artois  dès  mainte- 
nant vouUurent  asseoir.  Et  comme  non  pas  sagement  pas- 
soient  et  aloient  entour  le  cliastel,  dès  leur  en  occistrent 
ceux  du  cliastel  trois  mille  :  de  la  quelle  chose  les  Flamens 
trop  iriés  et  courrouciés,  comme  il  ne  peussent  ilec  profiter 
j)0ur  la  forteresse  du  lieu,  vei's  Terouanne,   une  cité  du 

(I)  De  Bonnefaile.  Variante  :  VaularU  sotj  de  bien  faire  {msc.  9C50). — 
Je  n'ai  pas  trouvé  la  mention  de  ce  fait  dans  la  continuation  de  Nangis. 
La  Mer  des  Histoires  cl  Nicolas  Gilles  après  elle,  ayant  suivi  un  mauvais 
manuscrit  des  Chroniques  de  Sainl-Denis,  ont  fait  deux  individus  de  Nicolas 
de  Beuefraci  et  de  l'archidiacre  de  Constance.  Dupuy,  Baillet  et  Vely  ont 
fait  de  l'arcliidiacre  de  Coulaiice  en  Normandie,  un  certain  Nicolas  Bene- 
fraclo  ,  domestique  du  cardinal  Lemoine.  Nicolas  éloit  plutôt  de  Cons- 
tance, en  Suisse,  si  l'on  fait  attention  à  la  route  qu'il  prenoit  pour  arriver 
à  Paris. 


(1303.)  PHELIPPE-LE-BEL.  153 

royaume  de  France,  menèrent  leur  ost  ;  laquelle  au  mois 
de  juillet  assistrent  et  consommèrent  par  embrasement. 

LI. 

De  l'ost  qui  fii  à  Péronne  et  retourna  sans  riens  faire . 

Et  adecertes  en  icest  an  ,  Edouart,  le  voy  d'Angleterre  , 
des  Escos  à  luy  conticstans  ot  victoire  ;  et  lors  prist  toute 
Escoce  et  la  mist  en  sa  seigneurie ,  exceptés  aucunes  gar- 
nisons assises  en  palus  et  sur  hautesces  de  montaignes  ,  en- 
viron la  confinité  de  la  mer.  Et  en  cest  an  ensement,  Phe- 
lippe-le-Biau  roy  de  France,  environ  le  commencement  du 
mois  de  septembre  ,  proposant  de  rechief  en  sa  propre  per- 
sonne aler  contre  les  Flamens  et  ses  armes  prendre  et 
guerroier-les  avec  un  grant  ost  et  innombrable ,  prist  son 
erre,  et  à  Péroné,  un  cliastel  de  Vermendois  en  la  confinité 
d'icelui  (1),  l'expédicion  de  son  ost  assembla  :  mais  ilec  ,  si 
comme  l'en  dit ,  environné  de  parlement  et  par  l'amoneste- 
ment  du  conte  de  Savoie  (2),  jusques  à  la  Pentecoste  ensui- 
vant trièves  donnant  et  prenant  des  Flamens  seconde  fois, 
sans  gloire  et  sans  honneur  des  Flamens  se  parti. 

LU. 

De  la  mort  le  pape  Boniface. 

Et  en  icest  an  ensement,  quant  le  pape  Boniface  entendi 
les  félonnies  et  les  crimes  de  luy  dit  au  concile  des  Fran- 
çois, et  l'appel  qui  fu  proposé  et  fait  des  prélas,  si  proposa 

(1)  D'icelui.  Du  Vcrmandois. 

(2)  Avironné  de  parlement ,  etc.  «  Sabaudia;  coniilis  maligno  consilio 
»  circumvenlus.  » 


154  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

à  faire  un  concile  pour  remédier  à  ces  choses.  Et  pour  ce 
qu'il  ne  luy  fust  fait  injure  de  pluseius  qu'il  avoit  cour- 
rouciés  et  nieismement  des  cardinals  de  la  Colonipne  qu'il 
avoit  déposés,  si  se  douta  et  lors  s'en  ala  à  la  cité  d'A- 
naigne  (1)  dont  traioit  origine  (2)  et  naissance,  et  sous  la 
garde  de  ceux  de  la  cité  se  reçut ,  en  atraiant  à  lui  par  jour 
les  cardinals  dehors  les  murs ,  et  au  vespre  revenant ,  les 
portes  de  la  cité  closes.  Cliascun  jour  pourchaçoit  et  déli- 
béroit  quelle  chose  seroit  mieux  à  faire  en  si  grant  tourbe 
de  choses  :  mais  comme  il  cuidast  ilec  trouver  seur  refuge 
et  reconfort ,  si  fu  ilee  de  ses  adversaires  maintenant 
assis.  Et  quant  ceux  de  la  cité  virent  ce  ,  si  mandèrent 
aux  Romains  que  iî  receussent  leur  pape,  aux  quiels  quant 
il  furent  venus,  il  fu  tantost  rendu  et  pris  (3)  :  et  eust  été  d'un 
des  chevaliers  de  la  Colonipne  deux  fois  parmi  le  corps  féru 
d'un  glaive  ,  se  un  autre  chevalier  de  France  ne  l'eust  con- 
tresté  :  mais  toutes  fois  de  ce  chevalier  de  la  Colonipne  en 
retraiant  fu  féru  au  visage  ,  si  que  il  en  fu  ensanglanté.  Et 
comme  il  fu  mené  à  Rome  d'un  chevalier  le  roy  de  France 
nommé  monseigneur  Guillaume  de  Nogaret  (4),  il  le  suivi 
humblement  el  dévotement ,  auquiel  pape  l'en  dit  lui  avoir 
reprouvé  et  dit  en  telle  manière  :  »  O  tu  chaitif  pape  ,  voy 
»  et  considère  et  regarde  de  monseigneur  le  roy  de  France 

(1)  D'Anaigne.  Agnani, 

(2)  Doni  traioit  origine.  «  Unde  extrahebat  origincm.  »  Voici  comment 
cette  phrase  est  rendue  dans  les  précédentes  éditions  :  La  cité  d'Araiiies 
où  Origenes  priitst  naissance. 

(3)  On  voit  que  le  vieux  liistoriographe  françois  essaie  de  colorer  la 
violence  faite  au  pape  par  les  satellites  de  Philippe-le-Bel.  Mais  pour 
Vely,  il  va  jusqu'à  nommer  en  cette  occasion  Nogaret  :  «  Le  généreux 
»  françois.  »  On  pourroit  en  dire  presque  autant  des  assassins  de  Tliomas 
Becquet.  Il  faut  voir  le  piquant  et  véridique  récit  de  tout  cela  dans  la 
chronique  métrique  attribuée  à  Godefroy  de  Paris. 

(4)  La  maison  de  La  Valette  prétend  descendre  en  ligne  droite  de  ce 
Nogaret,  dont  l'aieul  avoit  été  brûlé  vif,  comme  hérétique  albigeois;  mais 
les  preuves  ont  toujours  semblé  insuffisantes. 


(1303.)  PHELIPPE-LEBEL.  165 

»  la  bonté,  qui  tant  loing  de  son  royaume  te  garde  par  moi 
»  et  deffent.  »  Duquiel  les  paroles  ice  pape  après  ce  rame- 
nant à  mémoire  ,  comme  il  fii  à  Rome  establi  en  son  con- 
sistoire, la  besoigne  du  roy  de  France  et  de  son  royaume 
commist  à  Mahy-le-Rous  diacre-cai'dinalqiii,  selon  ce  qu'il 
seroit  expédient  et  avenant ,  de  la  devant  dite  besoigne  à  sa 
pleine  volenté  ordeneroit.  Et  quant  il  ot  ce  dit,  au  chastel 
de  Saint-Ange  dedens  Rome  s'en  ala  et  se  reçut  ;  et  par  le 
flux  de  venti-e,  si  comme  l'en  dit ,  cliéi  en  frenaisie  ,  si  qu'il 
mengoit  ses  mains ,  et  furent  oies  de  toutes  pars  par  le 
cliastel  les  tonnerres  et  veues  les  foudres  non  acoustumées 
et  non  apparans  es  contrées  voisines.  Celui  pape  Boniface 
sans  devocion  et  profession  de  foy  (1)  mourut.  Après  laquelle 
chose,  fu  pape  en  l'églyse  de  Rome  le  cent  quatre-vingt  et 
dix-huitiesme  (2),  Benedic  l'onziesme,  de  la  nacion  de  Lom- 
bardie,  de  l'ordre  des  frères  Prescheurs  que  l'en  appelle  Ja- 
cobins. 


LUI. 


Cornent  le  roy  visita  la  terre  d' Aquitaine  et  le  pais  eiwiron. 

En  cest  an  ,  quant  Hue  le  conte  de  la  Marche  fu  mort , 
Phelippe  le  roy  de  France  par  son  don  reçut  la  cité  d'An- 
goult'sme  avec  la  conté  (3).  Et  en  cest  an  ensement ,  Phe- 

(1)  Cette  opinion  est  mal  fondée.  Boniface  dicta  avant  de  mourir  une 
profession  de  foi  très  orthodoxe.  Mais  l'église  gallicane  qui  l'avoit  con- 
damné comme  hérétique  avoit  intérêt  à  dire  le  contraire. 

(2)  Varl  de  vérijier  les  dates,  plus  croyable  ici,  compte  le  cent  quatre- 
vingt-neuvième. 

(•3)  Par  son  don.  C'est-à-dire  par  l'effet  d'une  interprétation  fort  arbi- 
traire donnée  aux  anciennes  dispositions  du  précédent  comte  de  la 
Marche,  Hugues  XIII  de  Lusignan.  Nos  historiens  ne  manquent  jamais 
de  colorer  de  motifs  plausibles  les  usurpations  de  nos  rois  sur  les  grands 
vassaux  de  leur  couronne. 


166  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

lippe-le-Biau,  roy  de  France,  tout  le  temps  d'iver  visita  la 
terre  d'Aquitaine  et  les  provinces  de  Thoulouse  et  d'Al- 
bigois,  et  avironna  le  pais  jusques  à  tant  qu'il  venist  aux 
contrées  des  Narbonnois  ;  et  les  courages  de  moult  de 
gens  tant  du  menu  peuple  comme  des  nobles  et  des  barons, 
qui  jà  estoient  esmeus  par  le  conseil  des  mauvais ,  et  a 
par  un  pou  vouloient  le  roy  deffier,  referma  en  la 
grâce  de  s'amour.  Et  pour  ce  que  il  se  monstra  à  tous 
libéral ,  large  ,  favorable  et  bénigne  ,  fu-il  de  eux  grande- 
ment et  honorablement  receu,  et  de  moult  de  gransdons, 
se  il  les  voulsist  avoir  receus ,  rémunéré  ;  et  attrait  à  luy 
merveilleusement  les  cuers  de  tous.  Et  adecertes  en  pou 
de  temps  en  amour  furent  envers  luy  trestous  attrais,  si  que 
il  luy  promistrent  loyaument  en  effect  luy  faire  aide  de 
toute  leur  vertu  à  leur  propres  despens  contre  tous  les 
adversaires  du  royaume  de  France  et  meismement  contre 
les  Flamens,  les  quiels  le  roy  proposoit  au  temps  d'esté 
ensuivant  de  rechief  guerroicr.  Et  après  ce  que  le  roy  fust 
venu  à  la  noble  cité  de  Thoulouse,  envers  aucuns  frères  de 
l'ordre  des  Prescbeurs  c|ui  ilec  estoient  envoies  pour  encer- 
chier  les  hérites  ,  s'éleva  et  esmut  une  complainte  détes- 
table et  diffamable  :  car ,  si  comme  l'en  disoit  moult,  les 
devant  dis  frères,  tant  nobles  comme  non  nobles  accusoient 
de  hérésie  sans  cause,  et  les  faisoient,  par  les  seneschaux 
et  baillis  le  roy  ou  par  leur  sergens,  par  paines  en  prison 
détenir,  dont  moult  de  fois  avenoit  que  ceux  qui  don- 
noient  pécune  aux  frères  s'en  eschapoient  tantost  sans  estrc 
mal  mis  Des  quielles  félonnies  faites  ,  jasoit  ce  que  le  roy 
par  devant  ce  en  eust  cogneu,  par  un  noble  homme  appelle 
le  Vidame  de  Picjuegni,  chevalier  sage  et  loyal  et  très  gentil 
lequel  en  l'an  devant  passé  avoit  ilec  envoie,  la  vengeance 
à  dissimulacion  proloigna ,  jusques  à  tant  que  de  plus 
sage  et  de  plus  sain  conseil  fust  après  ce  infoimé.  Et  pour 


(130!.)  PHELIPPE- LE-BEL.  167 

ce  que  le  dit  chevalier  aucuns  de  prison  sans  la  volenté  des 
frères  délivra  ,  comme  il  usast  de  l'auclorité  et  légacion 
royal  en  ces  parties  ,  ces  frères  ,  en  ce  point  non  repo- 
sans(l),  dénoncièrent  le  dit  chevalier  par  toute  la  terre 
publiquement ,  et  manifestement  pour  escommenié.  En- 
contre la  sentence  des  quiels ,  cil  chevalier  feit  appel, 
et  lors,  labesoijjnede  son  appel  maintenant  jusques  à  Rome 
ensuivi.  En  la  persécucion  d'icelle  besoigne  comme  moult 
entend ist ,  près  de  Ferreuse  où  lors  la  court  de  Rome  es- 
toit  fu  mort  (2).  Et  ceste  besoigne  fu  puis  menée  devant 
le  pape  Benedic,  et  fu  trouvé  que  les  dis  frères  enquisiteurs 
des  bougres  et  hérites ,  estoient  faussement  encusés  de  la 
procuracion  des  dis  bougres,  et  fu  trouvé  que  le  dit  Vidame 
de  Picjuegni ,  en  donnant  faveur  aux  dis  bougres  contre 
droit  et  contre  les  ordenances  de  l'églyse  de  Rome ,  avoit 
Lrisié  les  prisons  et  délivré  pluseurs  bougres  ,  pour  quoy  il 
fu  dénoncié  pour  escommenié  par  le  commandement  du 
pape. 

LIV. 

De  la  bataille  du  coiwers  cl  du  diable. 

(3)  En  cest  an  meisme ,  le  samedi  devant  Noël ,  un 
convers  du  val  de  Sarnay ,  de  l'ordre  de  Cistiaux,  lequiel 
avoit  nom  Adam  et  estoit  gouverneur  d'une  grandie  qui 
est  appellée  Croches  assez  près  de  Chevreuse  ;  le  qviiel  Adam 
se  leva  devant  le  jour,  le  devant  dit  samedi,  nonobstant  qu'il 

(1)  E()  ce  point  non  reposons.  «  Inquisiloribus  pra^fatis,  id  indigné 
»   l'ercnlibus.  n 

(2)  La  fin  de  cet  alinéa  n'est  pas  traduite  delà  continuation  de  Nangis. 

(3)  Ce  chapitre  n'est  pas  dans  la  continuation  du  Nangis.  Le  Val  de  Ser- 
nay  est  entre  Rambouillet  et  Chevreuse.  —  On  remarquera  d'ailleurs,  à 
compter  d  Ici,  que  noire  chronique  prend  une  autre  allure,  et  révèle, 
non-seiileniont  un  meilleur  écrivain,  mais  un  écrivain  original. 

M 


168  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

culdast  vraiemeiît  qu'il  fust  jour,  et  commença  à  chevau- 
chier  et  estoit  avec  luy  un  varlet  à  pie.  Et  quant  il  ot  un 
pou  clievauchié  ,  il  vit  le  diable  visiblement  en  quatre  ou 
cinq  formes,  assez  loing  de  la  dite  grandie.  Et  ainsi  comme 
il  chevauclioit  en  disant  ses  oroisons  acoustumées  en  lieu 
de  matines  et  de  heures  ,  il  vit  devant  soy  ainsi  comme  un 
grant  arbre  au  chemin  par  le  quiel  il  aloit  ;  et  luy  senibloit 
que  le  dit  arbre  venoit  bien  hastivement  à  l'encontre  de 
luy.  Adonc  commença  son  cheval  à  frémir  et  estre  ainsi 
comme  demi  forsené ,  par  telle  manière  cjue  à  paine  le 
povoit-il  mener  droite  voie  :  et  d'autre  part  son  varlet  com- 
mença à  frémir  et  à  héricier ,  et  avoit  très  grant  horreur  , 
en  telle  manière  que  à  paine  se  povoit-il  soustenir  sur  ses 
pies  né  après  son  maistre  aler.  Si  commença  le  dit  arbre 
à  approuchier  du  dit  convers ,  et ,  quant  il  fu  un  pou  près 
de  luy  ,  il  luy  sembla  qu'il  estoit  brun  et  ainsi  comme  cou- 
vert de  gelée  blanche.  Comme  il  le  regardoit,  il  va  cheolr 
empiès  luy  en  telle  manière  que  oncques  ne  toucha  à  luy  : 
mais  très  grant  puantise  et  corrupcion  du  dit  arbre  issi. 
Loi's  aperçut  le  dit  couvers  que  ce  estoit  le  diable  qui  luy 
vouloit  nuire  ;  adonc  commença  à  appeller  la  benoicte 
vierge  Marie  le  plus  dévotement  qu'il  pot.  Si  avint,  assez 
tost  après  qu'il  se  fust  recommendé  à  Nostre-Dame,  qu'il 
commença  à  chevauchier  moult  lentement  comme  homme 
espoventé  ;  si  vit  de  rechief  le  diable  qui  chevauclioit  après 
luy  à  son  destre  costé  ,  et  estoit  environ  deux  pies  près  du 
dit  convers  en  forme  de  homme,  et  ne  parla  oncques  à  luy. 
Adonc  ledit  convers  prit  en  soy  hardiesce,  et  parla  au  diable 
et  dist  en  celle  manière  :  «  Meschant ,  coment  es-tu  si 
»  hardi  de  moy  faire  assaut  eu  ceste  heure,  que  mes  frères 
»)  chantent  matines  et  loenges  (1) ,  et  prient,  pour  moy   et 

(I)  Loenges.  Laudes. 


(1303.)  PHELIPPE-LE-BEL.  169 

»  pour  les  autres  frères  qui  ne  sont  pas  présens ,  Dieu  et 
»  la  benoicte  vierge  Marie ,  à  la  quielle  caste  benoicte 
»  journée  de  samedi  est  appropriée  ?  Dépars  toi ,  car  nulle 
»  partie  n'as  en  moy,  pour  ce  que  à  la  Vierge  sergent  me 
»  suis  voué.  »  Lors  le  diable  en  pou  d'espace  se  désapparu. 
Tiercement  luy  apparu  le  diable  en  forme  d'un  bomme 
de  très  grant  estature ,  mais  il  avoit  le  col  gresle  et  menu , 
et  estoit  emprès  luy  :  et  lors  le  convers  qui  moult  se  cour- 
rouça de  ce  qu'il  luy  faisoit  tant  de  molestes  et  empesche- 
nrens,  prist  un  petit  glaive  qu'il  portoit,  et  le  commença  à 
fcrir  forment  ;  mais  son  cop  fu  aussi  vain  comme  s'il  eust 
féru  un  drapel  pendu  en  l'air.  De  recliief  et  quartement 
apparu  le  diable  au  dit  frèi'e  Adam,  en  liabit  d'un  homme 
noir  né  trop  grant  né  trop  petit ,  ainsi  comme  se  ce  fust 
un  moine  noir ,  ses  ieux  gros  et  resplandissans  ainsi 
comme  deux  cliauderons  de  cuivre  nouvellement  esclaircis, 
ou  nouvellement  dorés  :  adonqueà  le  dit  convers  cjui  jà 
estoit  moult  lassé  et  troublé  de  l'ennui  que  le  diable  luy 
faisoit ,  si  se  pensa  qu'il  le  ferioit  en  l'un  de  ses  ieux  ;  adonc 
il  esma  (1)  son  cop  pour  le  férir  ;  mais  le  chaperon  luy  chéi 
devant  ses  ieux  ,  si  perdi  son  cop. 

De  rechief  luy  apparu  le  diable  en  forme  d'une  diverse 
beste  et  avoit  les  oreilles  larges  comme  un  asne.  Adont  dit  le 
varlet  du  convers  à  son  maîstre  :  «  Sire  ,  j'ai  oï  dire  que 
»  qui  feroit  un  grant  cercle  ,  et  mettroit  au  milieu  et  tout 
»  environ  le  signe  delà  croix,  le  diable  n'i  oseroit  approchiér. 
»  Ce  meschant  ci  vous  fait  trop  de  moleste  :  si  vous  conseille 
»  que  vous  faciez  ce  que  je  vous  dis.  »  Adonc  le  convers  prist 
son  petit  glaive  qu'il  portoit  à  son  costé,  au  quiel  glaive  avoit 
un  fer  taillant  de  deux  costés  et  fist  un  cercle  ,  et  fist  au  mi- 
lieu et  entour  le  dit  cercle  le  signe  de  la  croix;  et  dedens  le  dit 

(1)  Esma.  Mesura. 


160  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

cercle  fist  entrer  son  cheval  et  son  varlet,  et  se  mist  le  dit 
convers  à  pie  encontre  le  diable ,  et  luy  commença  à  dire 
moult  de  laides  parolles  et  de  reproches  ,  et  en  la  fin  il  luy 
cracha  au  visage.  Lors  le  diable  mua  ses  grans  oreilles  en 
cornes ,  et  sembloit  que  ce  fust  un  asne  cornu.  Quant  le 
convers  ot  ce  apperceu ,  si  luy  voult  copèr  une  de  ses  cor- 
nes et  le  féri ,  mais  son  cop  rebondi  ainsi  comme  s'il  eust 
féru  contre  une  pierre  de  marbre ,  et  ne  luy  fist  nul  mal. 
Lors  le  varlet  du  convers  dit  à  son  maistre  :  «  Sire,  faites  en 
»  vous  le  signe  de  la  croix.  »  Et  adonc  se  signa  ledit  convers, 
et  tantost  le  diable  en  semblance  d'un  gros  tonniau  roullant, 
vers  une  ville  qui  estoit  appellée  Mollières  (1)  qui  assez  près 
estoit  d'ilec  ,  s'en  ala  ;  et  ne  le  vit  plus  le  dit  convers.  Lors 
se  prist  le  dit  convei-s  à  cheminer  ,  car  il  estoit  jà  jour  cler , 
et  s'en  vint  à  son  abbé  au  mieux  qu'il  pot ,  le  quiel  estoit  à 
l'une  des  granches  avecques  autres  abbés  de  leur  ordre  ;  et 
là  estoit  mandé  le  dit  convers  de  son  abbé  pour  disner  avec 
luy.  Et  là  vint  le  dit  convers  assez  matin  ,  et  leur  conta  l'a- 
venture qui  leur  estoit  avenue.  Si  raconte  cestui  qui  fist 
ceste  cronique  et  qui  fu  présent  quant  le  dit  convers  fist  foy 
et  serement  devant  les  abbés  de  son  ordre ,  que  ce  qui  par 
avant  est  escript  luy  estoit  avenu  en  la  forme  et  manière 
que  il  le  dénonçoit.  Et  si  tesmoigne  cestui  qui  fist  ceste 
cronique  qu'il  scet  bien  le  lieu  et  qu'il  vit  le  cheval  qui  par 
avant  estoit  paisible  et  débonnaire  ,  et  depuis  il  estoit  ainsi 
comme  tout  impétueux  et  demi  forsené.  Toutes  les  quielles 
choses  furent  confessées  et  tesmoigniées  par  le  serement 
du  dit  varlet  qui  estoit  avec  le  dit  convers  quant  ces  choses 
luy  avindrent.  Et  fallut  que  le  dit  commis  fust  despouillié 
de  la  robe  qu'il  avoit  vestue,  tant  puoit,  et  qu'il  fust  revestu 
de  l'une  des  robes  aux  autres  frères  (2). 

(1)  Mollières.  Aujourd'hui  Les  Mollières,  a.  deux  lieues  de  Chevrcuse. 

(2)  Celle  légende  bizarre  et  précieuse  ,  surtout  par  la  mention  exacte 


(1303.)  PHELIPPE-LE-BEL.  101 

Et  en  ce  melsme  an,  Giilllaume  le  fils  au  conte  de  Hay- 
naut  et  Gui  évesque  de  Trajette  (1),  son  aïeul  (2),  furent 
desconfis  des  Flamens  ;  les  quiels  avoient  occupé  une  grande 
partie  de  Gerlande  :  et  fu  le  dit  évesque  pris  ,  et  le  dit  Guil- 
laume se  sauva  en  un  chastel. 


LV. 


Du   conte  de  Flandres  et  de  son  fils   qui  furent  menés  en 
Flandres. 

Et  en  cest  an  ensement,  Gui  le  conte  de  Flandres  et  Guil- 
laume son  fils  des  lieux  où  il  estoient  en  garde  furent  déli- 
vrés et  furent  envoies  en  Flandres  pour  le  peuple  apaisier  ; 
mais  il  ne  le  pot  estre  fait.  Et  pour  ce  que  tousjours  en  la 
haine  des  François  montoit  le  fol  orgueil  des  Flamens  , 
s'en  revindrent  arrière  aux  lieux  de  leur  garde  le  devant  dit 
Gui  et  son  fils  sans  riens  faire.  Et  en  ccst  an  ensement,  envi- 
ron la  purification  de  la  benoicte  vierge  Marie,  la  fille  Gui 
conte  de  Flandres  ,  qui  k  Paris  estoit  tenue  noblement  en 
garde  ,  mourut. 

En  cest  an  ensement,  Régnant  GifFartabbé  de  Saint-Denis 
en  France  ,  en  la  veille  de  la  saint  Grégoire  (3)  mourut  : 
après  lequel  le  prieur  d'icelui  lieu  de  la  nacion  de  Pontoise 
fu  abbé. 

qu'il  nous  donne  du  lieu  de  la  scène  ,  a  de  plus  le  mérite  de  nous  prou- 
ver d'une  façon  irrécusable  que  celte  partie  des  Chroniques  de  Saint- 
Denis  est  l'ouvrage  d'un  écrivain  contemporain. 

(1)  Trajelte.  Maeslricht.  «  Trajeclensis  episcopus.  »  —  Gerlande  pour 
Zélande. 

(2)  Son  aïeul.  «  Patruus.  » 

(3)  Le  12  février  1304.  — Son  successeur  fut  Gilles  de  Pontoise. 


li. 


162  LES  GRANDP:S  CHRONIQUES. 

LYI. 

De  la  fausse  heguine  qui  se  faîgnoit  estre  de  saincte  vie. 

L'an  mil  trois  cent  et  quatre  rassembla  le  duc  Guillaume 
de  Ilaynaut  tout  son  povoir  et  se  combati  contre  les  Flamens 
en  la  terre  de  Gcrlande  et  les  vainqui ,  et  si  en  mist  à  mort 
grant  multitude.  Et  en  ce  meisme  an  habitoit  en  Flandres 
une  femme  fausse  propbète  ,  la  quielle  estoit  en  habit  de 
béguine  ,  et  faignoit  estre  femme  de  saincte  vie  ,  et  demou- 
roit  avec  les  béguines  et  faignoit  aucunes  révélacions  fictives 
et  plaines  de  mensonges  par  les  quielles  le  roy,  la  royne  et 
meismement  les  nobles  de  France  elle  trompa;  et  especiau- 
ment  en  ce  temps  que  le  roy  de  France  avoit  einpensé  d'aler 
combatre  les  Flamens.  Et  encore  fist-elle  tant  que  ,  à  la 
requeste  des  Flamens ,  Charles  conte  de  Valois ,  le  quiel 
retournoit  de  Secile,  voult  faire  empoisonner  par  un  jeune 
homme  que  elle  luy  envoia  malicieusement.  Mais  quant 
Charles  o'i  parler  de  celle  femme ,  il  la  fist  prendre  et 
mettre  en  géhenne ,  et  lui  fist  faire  du  feu  es  plentes  des 
pies  ,  et  adonc  confessa  sa  mauvaistié  si  comme  l'en  disoit. 
Et  lors  la  fist  ledit  messire  Charles  mener  en  prison  à  Crespi 
en  A'^alois ,  et  là  fu  une  pièce  de  temps  ;  mais  en  la  fin  il 
la  laissa  aler 

Et  en  cest  an ,  Jehan  de  Pontoise  abbé  de  Citiaux  se 
démist  du  gouvernement  de  ladite  ordre,  pour  ce  que  l'en 
disoit  que  il  ne  s'estoit  voulu  consentir  aux  appiaux  (1)  les- 
quiex  avoient  esté  fais  à  Paris  contre  le  pape.  Car  il  luy 
sambloit  véritablement  et  se  doubtoit  moult  que  parle  roy 

(1)  Aux  appiaux.  <■  Âppellalionibus.  »  On  ne  peut  donner  trop  d'éloges 
à  la  conduite  de  ce  digne  abbé  de  Citeaux. 


(1304.)  PHELIPPE-LE-BEL.  1G3 

OU  ses  menistres  dommage  ne  fust  fait  à  ses  fières  en  la 
temporalité,  et  pour  ceste cause  il  se  démist. 

Et  en  ce  mesme  an,  le  dimenche  devant  la  Nativité  mon- 
seigneur sainct  Jehan  Baptiste,  furent  mises  seurs  de  l'ordre 
des  frères  Presclieurs  à  Poissi ,  en  la  dyocèse  de  Chartres, 
en  une  églyse  (1)  nouvellement  édifiée  du  roy  Phelippe  en 
l'onneur  du  glorievix  confesseur  monseigneur  sainct  Loys 
jadis  roy  de  France. 

Et  en  cestan,  mut  une  très  grant  dissencion  entre  l'Uni- 
versité et  le  prévost  de  Paris.  Car  le  dit  prévost  avoit  fait 
prendre  par  commandement  un  clerc  et  le  fist  mettre  en 
prison,  et  puis  tantost  pendre  au  gibet  :  adonc  cessa  la  lec- 
ture de  toutes  les  facultés  à  Paris  jusques  à  tant  que  par 
commandement  du  roy,  le  dist  prévost  l'amendast  à  l'Uni- 
versité et  que  il  leur  eust  fait  satisfaction  ;  et  fallut  que 
le  dit  prévost  alast  à  Avignon  pour  soy  faire  absoudre  ;  et 
environ  la  feste  de  Toussains  recommencièrent  les  lec- 
tures (2). 

Et  en  ce  mesme  an,  en  la  veille  des  apostx-es  sainct  Pierre 
et  sainct  Pol,  furent  assemblés  en  l'églyse  Nostre-Dame  de 
Paris  grant  qviantité  de  prél.as  et  de  clergié  tout  de  par  le 
roy  mandés.  Et  là  furent  leues,  de  par  le  roy,  lettres  pa- 
pales es  quelles ,  entre  les  autres  choses,  estoit  contenu  : 
que  le  pape  Bénédic  ,  jà  soit  ce  que  sur  ce  de  par  le  roy 
u'eust  esté  requis,  absolvoit  le  roy,  la  royne,  les  enfans, 

(1)  En  une  église.  «  Alonaslcrio.  » 

(2)  Cet  événement  qui  fait  si  bien  connoî're  la  sage  étendue  des  privi- 
lèges de  l'ancienne  Université  ne  nous  est  connu  que  par  les  chroni- 
queurs de  Saint-Denis.  Fleury  et  Vely,  d'après  du  Boulay,  nomment  l'é- 
colier pendu  Philippe  Barbier,  et  le  font  natif  de  Rouen.  Cependant  je 
lis  dans  une  chronique  manuscrite  conservée  à  la  B.R.  sous  le  n°  4G41-B., 
et  présentant  l'histoire  des  années  1270  à  1363,  le  passage  suivant  : 

«  Pou  avant  l'an  1304,  furent  pendus  les  enfans  de  ta  bourfjeoise  de 
n  Paris ,  et ,  celle  heure ,  fu  tué  Gervaisot  Pidoe  ,  et  autres.  Si  fist  le 
»  prévost ,  bien  pou  après,  despcndrc  un  des  enfans  qui  estoit  clerc.  » 


164  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

les  nobles  ,  le  royaume,  et  tous  les  adhérens,  de  toute  seii 
tence  de  escomeniement  et  d'entredit,  se  aucune,  en  eux 
ou  en  l'un  de  eux,  avoit  estégettée  par  le  pape  Boniface  en 
quelque  manière;  et  avec  ce  il  donnoit  au  roy  les  dismes  des 
églyses  du  royaume  jusques  à  deux  ans;  et  encore  luy 
donna-il  les  annuelles  jusques  à  trois  ans  au  royaume  de 
France  pour  ses  guerres  soustenir  :  et  avec  ce  luy  donna-il 
l'auctorité  que  le  chancelier  de  Paris  peust  licencier  les 
maistres  en  théologie  et  en  décret  ;  laquelle  auctorité  le 
pape  avoit  réservée  par  devers  soy,  si  comme  l'en  disoit. 
Et  en  ce  meisme  an,  le  pape  Bénédic  moru  à  Peruse  es 
nones  de  juillet.  Si  avint  que  les  cardinals  n'entendirent  pas 
à  l'eslection,  mais  la  targièrent  au  plus  qu'il  porent  :  mais 
ou  les  fist  enclorre,  selon  la  décrétale  du  pape  Grégoire  X. 
Si  procurèrent  frauduleusement  tant  que  l'en  leur  adminis- 
troit  vivres  occultement  et  ainsi  targa  l'élection  du  pape 
jusques  près  d'un  an.  Et  en  ce  meisme  an,  Gui  de  Namur, 
fils  de  Gui  conte  de  Flandres,  fu  pris  en  bataille  de  navires 
par  Guillaume  fils  du  conte  de  Haynau  et  par  la  gent  le 
roy  de  France  qui  députés  estoient  à  la  garde  des  voies  de 
la  mer  et  des  pors  d'icelle. 


LVII. 

De  la  bataille  de  Mons  en  Pcurc{\)  :  cornent  les  Flamens furent 
desconfis. 

En  ce  meisme  an  ensuivant,  Phelippe-le-Biau,  roy  de 
France,  tierce  fois  après  le  rebellementde  ceux  de  Flandres, 
à  Mons  en  Peure  au  moys  d'aoust  assemlîla  contre  eux 


(1)  Mons  en  Peure.  «  Apud  Monlcm  qui  dicilur  in  Pabiilla.  »  Toutes  les 
anciennes  leçons  nomment  ainsi  Mons-en-Pm'lti. 


(1304.)  PHELIPPE-LE-BEL.  165 

grant  ost.  Adonc,  comme  à  un  jour  du  moys  dessus  dit,  de 
convenance  et  d'acort  fait  de  l'une  partie  à  l'autre  (1)  déus- 
sent  venir  à  bataille,  ceux  de  Bruges  et  les  autres  Flamens, 
dès  maintenant  leur  armes  prises,  toutes  leur  charrètes , 
leur  charios  et  leur  autre  appareil  batailleureux  tout  entour 
eux  espessement  et  ordenéement  mistrent ,  pour  ce  que 
nul  ne  les  peust  trespercier  né  envaïr  sans  grant  péril. 
Et  lors  de  toute  pars  les  François  comme  il  deusseut 
entrer  en  bataille ,  je  ne  sai  par  quel  parlement ,  eux 
ainsi  avironnés,  sans  bataille  et  sans  aucun  assaut  jusques 
vers  vespres  se  tindrent.  Et  adecertes  pluseurs  cuidoient, 
pour  les  messages  d'une  part  et  d'autre  entrevenans  , 
que  paix  fust  du  tout  faicte  et  fermée  ;  et  pour  ce  se  dé- 
partirent et  espandirent  çà  et  là  en  aucune  manière ,  non 
cuidans  en  ce  jour  plus  avoir  bataille  (2).  Lors  les  Flamens 
ce  apercevans  soudainement  s'esmurent ,  et  vindrent  jus- 
ques aux  tentes  du  roy;  et  fu  le  roy  si  près  pi'is  que  à  paines 
pot-il  estre  armé  à  point  ;  et  ainsois  que  il  peust  estre 
monté  sur  son  cheval,  pot-il  véoir  occirre  devant  luy  mes- 
sire  Hue  de  Bouville  chevalier  (3),  et  deux  Bourgois  de  Paris, 


(1)  C'est-à-dire  :  D'un  commun  accord. 

(2)  Le  msc.  du  Suppl.Fr.,  no  218,  offre  ici  de  précieuses  variantes  :  «  Et 
»  comme  adoncques,  toute  jour,  jusques  vers  l'eure  des  vespres  nos 
«François  ainsi  feussent ,  les  Flamens  connurent  par  leur  espieurs 
»  que  le  roy  de  France  feust  en  un  lieu  avec  pou  des  siens,  atendant  eux 
»  venir  humbles  et  bienvcillans,  lequiel  n'estoit  du  tout  armé,  et  encore 
«  n'avoit  son  cliief  armé...  Lors  à  une  grant  multitude  de  compagnies 
»  de  Flamens  vindrent  au  roy  isnclement  et  l'assaillirent.  Et  ilec  Pierre 
»  Gencien  et  Jaques  Gencien  bourgois  de  Paris,  armés  des  armes  royaux, 
»  qui  avoient  aidié  à  armorie  corps  le  roy,  et  monseigneur  Hue  de  Bou- 
»  ville  chevalier,  à  mort  du  tout  en  tout  aux  pies  le  roy  accraventèrent , 
»  et  pluseurs  autres  ensement  occisrent ,  cuidans  le  roy  occire...  Adonc 
»  le  roy  ce  aperceut  :  si  monta  tantost  en  son  cheval  et  son  chief  arma 
»  isnclement,  et  es  Flamens  viguereusement  et  asprcment  du  tôt  en  tôt 
»  s'embati;  et  quanques  à  ycellc  erapointe,  à  s'encontre ,  des  Flamens 
»  venoient,  yceux  à  mort  de  toute  part  acraventoit.  » 

(3)  Chevalier.  «  Militem  suum  sccretarium.  » 


1G6  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

Pierre  et  Jaques  Gencien,  les  qulels  pour  le  bien  qui  estoit 
en  eux  estoient  prochains  du  roy  (1);  mais  quant  il  fu  monté, 
très  fier  et  très  hardi  semblant  monstra  à  ses  anemis. 

Adonc  le  roy  ainsi  noblement  soy  contenant ,  François 
ce  aprenans  qui  jà  ainsi  comme  d'une  paour  se  vouloient 
dessambler  et  départir,  pour  le  roy  secourre  isnelement  se 
hastèrent,  et  du  tout  en  tout  à  la  bataille  s'abandonnèrent, 
et  crièrent  ensamble  :  Le  roy  se  combat!  le  roy  se  combat! 
et  ainsi  la  bataille  constraingnant  et  de  toutes  pars  crois- 
sant, Charles  conte  de  Valois,  Loys  conte  d'Evreux  frères 
Plielippe  le  roy  de  France,  Gui  conte  de  Sainct-Pol,  Jehan 
conte  de  Dammartin,  nobles  chevaliers  et  autres  grans  mais- 
tres,  pluseurs  contes,  ducs  et  barons  et  chevaliers,  avec  les 
autres  nobles  compaignies  à  pié  et  à  cheval,  es  Flamens 
lors  isnelement  se  plungièrent  et  embatirent ,  et  vers  le  roy 
se  traistrent.  Lors  adonc  iceux  nobles ,  estant  avec  leur 
noble  et  forte  compaignie  à  pié  et  à  cheval ,  la  bataille 
entre  eux  merveilleuse  ,  forte  et  aspre  f  u  faicte  ;  mais  les 
Flamens  du  tout  en  tout  furent  rués  jus  et  acraventés,  et  de 
euxfu  faicte  ijrant  occision  et  mortalité,  et  si  grant  abatéis 
qu'il  ne  porent  plus  arrester.  Mais  la  fuite  commencièrent 
très  laide  et  très  honteuse  ,  délaissans  charrètes  et  charios 
et  tout  leur  appareil  bataillereux.  Et  adecertes,  pour  voir, 
se  la  nuit  oscure  venant  n'eust  la  bataille  empeschiée,  pou 
de  si  grant  nombre  de  Flamens  en  fust  eschapé  que  mors 
du  tout  en  tout  ne  fussent.  Et  ainsi ,  la  bataille  parfaicte 
et  fenie ,  nostre  roy  Phelippe,  noble  batailleur,  à  torches 
de  cire  alumées,  de  la  bataille  s'en  revint  aux  tentes  avec 
sa  noble  chevalerie.  Et  ainsi  comme  il  fu  dit  pour  voir,  se 
cil  roy  de  France  Phelippe-le-Biau  ne  se  fust  contenu  si 
noblement  ou  si  vertueusement ,  ou  se  en  aucune  manière 

(I)  «  Fratres  ,qui  pro  suœ  fidelitalis  industriel,  régi  sempcr  adstabanl.» 


(1304.)  PHRLIPPE-LE-BEL.  IG7 

il  eust  montré  la  queue  de  son  cheval  aux  Flamens  pour  soy 
en  retourner,  tout  l'ost  des  François  eust  ramené  ainsi 
comme  à  néant,  ou,  par  aventure,  desconfit.  Adecertes  en 
celle  bataille  des  Flamens  fu  occis  un  noble  chevalier  et 
le  chief  ot  copé  Guillaume  de  Juilliers  (1),  noble  chevalier, 
et  luy  copa  Jehan  de  Dammartin,  et  pluseurs  autres  grans 
Flamens,  et  de  menu  peuple  grant  multitude  y  furent  oc- 
cis, à  par  un  pou  jusques  à  trente  six  mille  (2).  Et  aussi 
en  celle  bataille,  le  conte  d'Aucuerre,  noble  chevalier  Fran- 
çois, par  la  très  grant  chaleur  qui  ilec  estoit,  fu  estaint  de 
soif  (3).  Et  ainsi  Phelippe-le-Biau  roy  de  France  en  l'an 
de  son  règne  dix-huit,  à  Mons  en  Peure  en  Flandres,  usant 
de  l'aide  de  Dieu,  de  ces  Flamens,  sans  grant  péril  de  luy 
meisme,  loable  victoire  en  rapporta  ;  et  à  Paris  environ  la 
Sainct-Denis,  à  grant  joie  et  inestimable  revint. 

Et  en  cest  an,  au  moys  de  décembre ,  les  os  de  Robert, 
jadis  conte  d'Artois  ,  lequel  avoit  esté  tué  en  Flandres , 
furent  aportés  à  Pontoise,  et  en  l'églyse  de  Maubuisson 
près  Pontoise  furent  enterrés. 

Et  en  ce  meisme  an,  après  Noël,  l'en  commença  à  traic- 
tier  en  parlement  à  Paris  de  la  paix  des  Flamens,  mais  il 
n'i  ot  rien  consommé  né  parfait. 


(1)  Guillaume  de  Julliers.  «  Comitis  Flandrensis  ncpos  ex  filiâ,  tolius 
»  cxcrcilùs  dux  et  capitaneus  priiicipalis.  »  Le  continuateur  de  Nangis 
ne  dit  pas  qu'il  ait  eu  la  tête  coupée. 

(2)  Trente-six  mille.  Ainsi  portent  le  plus  grand  nombre  des  manuscrits. 
Cependant  le  n°  218  porte  deux  mille;  c'est  trop  peu  sans  doute. 

(3)  Estaint  de  soif.  «  Illic  autem  de  noslris  Guillcrmus  cornes  Autis- 
»  siodorcnsis  et  Ancellus  cornes,  dominus  Caprusia;  (seigneur  de 
»  Clievrcuse),  vir  fidelis  ac  strenuus,  probat.-B  militiœ,  régis  vcxillifer  seu 
H  déferons  auriflammam  ,  extincli ,  ut  crcdilur ,  calore  nimio  vcl  etiam 
•  pressura.  » 


168  I.ES  GRANDES  CHRONIQUES. 

LYIII. 

De  la  mort  la  royne  Jehanne,jcmme  PhcUppe  le  roy  de  France. 

En  cest  an  ensement  ,  au  moys  de  févriei' ,  le  conte 
Gui  de  Flandres ,  en  la  prison  le  roy  de  France  détenu , 
moru  à  Complègne ,  et  par  le  congié  du  roy  fu  son  corps 
porté  en  Flandres,  et  en  Marqueté  (1)  avec  ses  ancesseux'S  fu 
enterré.  Et  en  ce  nieisme  an,  Blanclie,  duchesse  d'Austrie, 
seur  du  roy  de  par  son  père,  laquelle  avoit  un  fds  du  duc, 
fu  empoisonnée  par  le  dit  duc,  si  comme  l'en  disoit,  et 
moru  au  moys  de  mars.  Et  en  cest  an  ensement,  moru 
Jehanne  royue  de  France  et  de  Navarre ,  femme  de  Plie- 
lippe-le-Biau  ,  et  en  l'églyse  des  frères  Meneurs  fu  hon- 
noiablement  enterrée.  Et  fu  vraiement  si  cliière  année  et 
si  chier  marcliié  de  blé  que  le  sextier  de  froment  valoit 
cent  sols  parisis ,  de  la  foible  monnoie  decourrant  lors  à 
Paris  et  ailleurs  ;  et  dura  la  cliierté  près  d'un  an.  Et  en  cest 
an  ensement,  Edouart  le  viel  roy  d'Angleterre  moru,  après 
lequel  fu  couronné  en  roy  Edouart  son  fds  le  jeune,  lequel, 
après  un  pou  de  tems  passé,  prist  à  femme  Tsabel  la  fille 
le  roy  Phelippe  de  France. 

LIX. 

Du  couronnement  le  pape  Clinieiit. 

L'an  de  grâce  après  ensuivant  mil  trois  cens  et  cinq , 
entre  le  roy  de  France  et  les  Flamcns  fu  faicte  une  compo- 

M)  Marqueie.  »  Marqiictœ.  »  Ou  Marque,  \>yc&  de  Lille. 


(I.IO:..)  PHELIPPE-LE-BEL.  «09 

sicion  de  paix  ,  laquelle  toutes  fois  dura  petit  :  et  lors 
Robert  de  Béthune  et  Guillaume  sou  frère ,  fils  le 
conte  de  Flandres  en  l'an  précédent  trespassé ,  de  la  pri- 
son le  roy  furent  délivrés.  Et  après  pape  Bénédic ,  le  cent 
quatre  vingt  et  dix-neuviesme  pape  Climent  le  Quint , 
présent  le  roy  de  France  Phelippe-le-Biau  et  ses  deux 
frères  Charles  conte  de  Valois  et  Loys  conte  d'Evreux 
et  moult  d'autres  contes,  princes,  dux  et  barons,  cheva- 
liers,  abbés,  évesques ,  arcevesques  et  cardinals,  à  la 
cité  de  Lyon  sur  le  Rosne  fu  sacré  et  couronné  de  dya- 
dème  papal.  Et  lors  pour  la  très  grant  multitude  de  gent 
qui  sus  un  viex  mur  estoient  assemblés  pour  le  dit  pape 
véoir  chevauchier  par  la  cité,  le  viel  mur  chéi,  dont  le  bon 
duc  de  Bretaigne  la  mort  l'acraventa,  dont  ce  fu  pitié,  do- 
leur  et  dommage.  Et  en  cest  an  ensement,  Loys,  l'aisné  fils 
le  roy  Phelippe-le-Biau  ,  espousa  Marguerite  l'aisnée  fille 
au  duc  de  Bourgoigne.  Et  en  cest  meisme  an,  le  l'oy  si  fist 
cesser  et  apaisier  une  très  grant  dissencion  qui  estoit  me- 
née entre  le  duc  de  Brebant  et  le  conte  de  Lucembourc, 
pour  cause  de  la  terre  de  Louvain.  Et  en  cest  an  ensement, 
mut  une  très  grant  dissencion  à  Biauvais  entre  l'évesque 
Symon  et  le  peuple  de  la  cité,  eu  telle  manière  que  le  dit 
évesque  n'osoit  seurement  entrer  en  la  cité.  Pour  laquelle 
cause  le  dit  évosque  fist  aliauces  à  nobles  hommes,  car  il 
estoit  noble  homme,  contre  ceux  de  la  cité,  et  fist  tant  c|u'il 
prist  aucuns  bourgois  par  aguet.  Quant  le  roy  sot  ce,  si 
manda  l'une  partie  et  l'autre  ,  et  leur  fist  commandement 
qu'il  se  cessassent ,  et  les  fist  le  roy  punir,  car  il  avoient 
moult  excédé  l'une  partie  contre  l'autre.  En  ce  meisme  an 
fu  très  grant  sécheresce  en  France. 

En  ce  meisme  an,  avant  que  le  roy  se  partist  de  la  court 
pape  Clément,  le  dit  pape  luy  ottroia  le  chief  de  monsei- 
gneur sainct  Loys  son  aieul,  pour  mettre  en  sa  chapelle,  et 

15 


170  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

une  de  ses  costes  pour  mettre  en  la  principale  églyse  de 
Paris  :  et  avec  ce,  le  pape  luy  ottroia  q_ue  Jaques  et  Pierre 
de  la  Colonipne  frères  et  jadis  cardinals  ,  les  quiex  le  pape 
Boniface  avoit  dégradés  de  leur  cardinalité  ,  fussent  en 
leur  premiers  estas  restitués  ;  et  encore  luy  ottroia-il ,  en 
récompensacion  des  despens  qu'il  avoit  fait  en  la  guerre  de 
Flandres,  le  disiesme  des  églyses  et  les  annuels  jusques  à 
trois  ans.  Et  encore  ottroia  le  dit  pape  au  roy  et  à  ses  frères 
que  des  bénéfices  premiers  vacans  au  royaume  de  France, 
il  en  péussent  pourveoir  leur  chapelains  et  leur  clers. 
Et  le  roy  promist  que  la  monnoie  qui  estoit  foible,  il  la 
nietroit  en  bon  estât  et  convenable  au  miex  que  bon- 
nement le  pourroit  faire.  Et  en  cest  an,  le  pape  Climent 
fist  dix  cardinals  nouviaux,  outre  le  nombre  qui  par  avant 
estoit;  des  quiex  il  en  envoia  les  deux  à  Rome  de  par  luy, 
pour  garder  la  dignité  sénatoire.  Il  déposa  l'évesque  d'Ar- 
ras,  et  si  déposa  l'évesque  de  Poitiers ,  et  si  donna  à  l'é- 
vescjue  d'Imelin  la  patriarche  de  Jérusalem  :  et  si  fist 
plaine  grâce  aux  povres  clers  ,  et  les  pourvoia  de  béné- 
fices, selon  ce  que  le  mérite  de  la  personne  le  requéroit.  Et 
le  roy  de  France  s'en  retourna  de  Lyon ,  après  Noël ,  en 
France.  Et  cest  an  meisme  le  pape  se  parti  de  Lyon,  envi- 
ron la  purification  Nostre-Dame,  et  s'en  ala  vers  Bourdiaux  ; 
et  là  furent  faictes  moult  de  maux  et  de  loberies  aux 
églyses  tant  layes  comme  de  religion,  par  luy  et  par  ses  me- 
nistres  ;  dont  il  avint,  si  comme  l'en  disoit,  que  frère  Gile 
l'Augustin  arcevesque  de  Bourges,  fu  mis  à  si  grant  povi-eté 
que  il  par  nécessité  fu  contraint  à  prendre  les  distribucions 
cotidiennes  si  comme  un  des  simples  chanoines,  et  hantoit 
les  heures  de  l'églyse.  Et  en  ce  meisme  an,  Robert  duc  de 
Bourgoigne  moru  à  Yernon  au  moys  de  mars ,  duquel  le 
corps  fu  porté  en  Bourgoigne,  si  comme  il  l'avoit  ordenné 
en  son  vivant  .  et  fu  enterré  à  (]istiaux. 


[1306.)  PHELIPPE-LE-BEL.  171 


LX. 


Cornent  le  chicf  monseigneur  sainct  Loys  fu  aporté  à  la  ville 
de  Paris. 

En  l'ail  de  grâce  après  ensuivant  mil  trois  cent  six ,  le 
cliief  de  sainct  Loys ,  jadis  roy  de  France,  sans  les  gen- 
cives et  le  menton  et  une  de  ses  costes,  du  roy  de  France 
Phelippe-le-Biau  et  de  pluseurs  évesques  et  arcevesques, 
de  l'ottroy  du  souverain  évesque  pape  Climent ,  en  biaux 
vaissiaux  d'or  aornés  de  pierres  précieuses  ,  furent  de 
Sainct-Denis  transportés  à  Paris  :  et  la  coste  en  la  mère 
églyse  Nostre-Dame  de  Paris ,  et  le  cliief  en  la  chapelle 
du  palais  du  roy,  à  grant  joie  et  à  grant  feste  de  la  gent  de 
Paris  démenée,  le  jour  d'un  mardi  devant  la  feste  de  la  Pen- 
tliecouste  ,  furent  lionnorablenient  et  noblement  mis. 
Et  en  cest  an  meisme,  tous  les  Juis  du  commandement  du 
roy  Plielippe  furent  du  royaume  de  France ,  environ  la 
Magdalalne ,  cliaciés ,  déboutés  et  essiliés  ;  et  tout  le  leur 
pr.s  et  mis  en  la  main  le  roy.  Et  en  cest  an,  Plielippe  le  se- 
cond fds  du  roy  de  France ,  qui  puis  après  fu  conte  de 
Poitiers ,  Jehanne  l'aisnée  fille  au  duc  de  Bourgoigne  es- 
pousa. 

LXI. 

Cornent  le  commun  de  Paris  s'esmut. 

Et  adecertes  en  cest  au  nieisme  à  Paris,  pour  les  louages 
des  maisons  des  bourgois  de  Paris  qui  vouloient  prendre  du 
peuple  bonne  monnoie  et  forte  qui  alors  estoit  appellée  (1) 

(1)  Qui  alors  estoii  appellée.  Ainsi  portent  tous  les  manuscrits,  excepté 


172  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

grant  dissencion  et  descort  mut  et  esleva.  Et  lors  s'esinu- 
rent  pluseurs  du  menu  peuple,  (si  comme  espoir  (1)  foulons 
et  tisserans  ,  taverniers  et  pluseurs  autres  ouvriers  d'autres 
niestiers)  ;  et  firent  aliance  ensemble,  et  alèrent  et  couru- 
rent sus  un  bourgois  de  Paris  appelle  Estienne  Barbète  (2) 
duquel  conseil,  si  comme  il  estoit  dit,  les  louages  des  dites 
maisons  estoient  pris  à  la  bonne  et  forte  monnoie  ,  pour 
laquelle  chose  le  peuple  estoit  esineu  et  grevé.  Et  lors  le 
premier  jeudi  devant  la  Tiphaine  envairent  et  assaillirent 
un  manoir  du  devant  dit  bourgois  Estienne  qui  estoit  nommé 
la  Courtille  Barbète  (3),  et,  par  feu  mis ,  le  dégastèrent 
et  destruireut  ;  et  les  arbres  du  jardin  du  tout  en  tout  cor- 
rompirent, froissièrent  et  débrisièrent.  Et  après  eux  dépar- 
tans,  à  tout  grant  multitude  d'alans  à  fusts  et  à  bastons,  re- 
vindrent  en  la  rue  Sainct-Martin  et  rompirent  l'ostel  du 
devant  dit  bourgois  (4),  et  entrèrent  eus  efforciement,  et  tan- 

le  no  duSup.  fr.  218,  où  on  lit  :  Qui  alo  esloitappellée.  Et  je  crois  que  c'est 
la  seule  bonne.  Alo  pour  a  loi,  monnoie  d'aloi.  Il  faut  savoir  que  Pliilippe- 
le-Bel  avoit  depuis  onze  ans  laissé  déprécier  les  monnoies,  el  permis  à 
ceux  qui  en  afTermoient  l'entreprise  d'en  altérer  le  litre.  L'abus  devint  si 
grand,  qu'il  fallut  songer  à  y  remédier  :  il  fit  donc  rétablir  l'ancien  titre 
de  la  monnoie  publique,  qu'il  appellad'w/o/,  mais  sans  retirer  de  la  circu- 
lation la  monnoie  altérée.  Dés  lors  on  conçoit  que  les  créanciers  voulussent 
tous  être  payés  en  forte  monnoie,  et  que  les  débiteurs  réclamassent 
le  droit  d'acquitter  en  mauvaises  pièces  les  obligations  qu'ils  avoient  con- 
tractées sous  l'influence  de  ces  mauvaises  pièces.  De  là  la  querelle. 

(1)  Espoir.  Je  suppose.  — Ce  récit  est  bien  plus  complet  que  celui  de 
Nangis. 

(2)  Estienne  Barbète.  «  Civem  Parisius  divilem  ac  potentem,  civilalisquc 
1  viarium.  » 

(3)  La  Courtille  Barbète.  Située  dans  la  rue  Vieille-du-Tcmplc,  et  bornée 
alors  d'un  côté  par  la  Porte-Barbette,  de  l'autre  par  la  rue  de  la  Perle.  Le 
chemin  qui  faisoit  suite  à  la  rue  Vieille-du-Temple,  au-delà  de  la  Porte- 
Barbette  ,  se  nomma  plus  tard,  du  nom  de  cette  maison,  rite  de  la  Cour- 
tille-Barbelte. 

(4)  Il  étoit  situé  près  de  l'église  de  Saint-Martin-des-Champs,  suivant 
le  texte  du  continuateur  de  Nangis  qui  passe  sous  silence  le  pillage  de  la 
Courtille-Barbette  :  «  Primitus  domum  suam  quam  extra  porlas  liabebat 
»  civitalis  suburbio  juxta  S.-Martinum  de  Campis  depredari  festinanl.  » 


(i;iOG.)  PHELIPPE-LE-BEL.  173 

tost  les  tonniaiix  de  vin  qui  au  celier  estoient  froissièrent, 
et  le  vin  espandirent  par  places  :  et  aucuns  d'eux  d'icclui 
vin  tant  burent  qu'il  furent  enyvrés.  Et  après  ce,  les  biens 
ineubles  de  la  dite  maison  ,  c'est  asavoir  coûtes,  coissins, 
coffres,  huches,  et  autres  biens  froissièrent  et  débrisans  par 
la  rue  en  la  boue  les  espandirent ,  et  aux  coutiaux 
ouvrirent  les  coûtes ,  et  les  orilliers  traiant  contre  le  vent 
despilenient  getèrent,  et  la  maison  en  aucuns  lieux  descou- 
vrirent, et  moult  d'autres  dommages  y  firent.  Et  ice  fait, 
d'ilec  se  partirent  et  retournèrent  traiant  vers  le  Temple 
au  manoir  des  Templiers  où  le  roy  de  France  estoit  lors 
avec  aucuns  de  ses  barons ,  et  ilec  le  roy  assistrent  si  que 
nul  n'osoit  seurement  entrer  né  issir  hors  du  Temple  ;  et 
les  viandes  que  l'en  aportoit  pour  le  roy  getèrent  en  la 
boue,  laquelle  chose  leur  tourna  au  derrenier  à  honte  et  à 
dommage  et  à  destruiment  de  corps.  Après  ce,  par  le  pré- 
vost  de  Paris,  si  comme  l'en  dist,  et  par  aucuns  barons,  par 
soueves  paroles  et  blandissemens  apaisiés ,  à  leur  maisons 
paisiblement  retournèrent  ;  des  quiex  par  le  commandement 
le  roy  pluseurs,  le  jour  ensuivant,  furent  jîris  et  mis  en 
diverses  prisons.  Et  en  la  vigile  de  la  Tiphaine  ,  par  le 
commandement  du  roy,  espcciaument  pour  sa  viande  que 
il  luy  avoient  espandue  et  gettée  en  la  boe ,  et  pour  le  fait 
du  dit  Estienne,  vingt-huit  hommes,  aux  quatre  entrées  de 
Paris  (1),  c'est  assavoir:  à  l'Orme  par  devers  Sainct-Denis 
faisant  entrée,  furent  sept  pendus  ;  et  sept  devers  la  porte 
Sainct-Antoine  faisant  entrée,  et  six  à  l'entrée  devers  le 
Roule  vers  les  quinze  vint  Aveugles  faisant  entrée ,  et 
huit  en  la  partie  de  Nostre-Dame-des-Champs  faisant  en- 
trée ,  furent   pendus.  Les  quiex  ,   un   pou   après  ce ,   des 


(I)  Aux  nuaire  entrées  de  la  ville.  Variantes  du  11°  218  Sii|).  l'r.  :  Aux 
quatre  ormeaux  des  quatre  entrées  de  la  ville. 

15. 


17'»'  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

ormes  (l)  remués  et  ostés,  en  gibés  nouviaux  fais,  en 
cliascune  partie  et  entrée,  de  rechief  furent  tous  pendus 
et  moi's  ;  laquelle  chose  envers  le  menu  peuple  de  Paris 
cliei  en  grant  doleur. 

Et  en  ce  meisme  an,  Edouart  fils  Edouart  roy  d'Angle- 
terre, si  ala  contre  les  Escos  qui  avoient  institué  sur  eux 
Piobert  de  Brus  à  estre  leur  roy  ;  si  fu  vaincu  ,  et  y  ot 
moult  grant  quantité  de  ses  gens  pris  et  mors.  Et  en  ce 
meisme  an,  le  roy  Phelippe  voult  muer  sa  monnoie  en  fort, 
qui  longuement  avoit  esté  foible  par  l'espace  de  onze  ans  : 
et  valoit  le  petit  flourin  trente  six  sols  de  la  foible 
monnoie.  Si  fist  crier  par  tout  son  royaume,  environ  la 
Nativité  sainct  Jelian-Baptiste,  que  toutes  réceptes  de  re- 
venues et  tous  paiemens  de  contras  ,  depuis  la  Nativité 
Nostre-Dame  ensuivant,  se  féissent  à  forte  monnoie  selon 
ce  que  elle  couroit  au  lems  de  monseigneur  sainct  Loys; 
pour  laquelle  chose  pluseurs  du  peuple  furent  moult  for- 
ment troublés. 

Et  en  ce  meisme  an,  au  tems  d'iver,  il  ot  si  grant  habon- 
dance  d'iaues  es  fleuves ,  et  avant  qu'il  peussent  des- 
croistre  il  furent  si  forment  gelés ,  que  quant  ce  vint  au 


(1)  Des  ormes.  De  cet  usage  de  pendre  aux  ormes  qui  ombrageoient 
l'entrée  des  portes,  ne  peut-on  pas  tirer  l'origine  du  proverbe  :  Aiiendez- 
moi  sous  l'orme?  Pour  moi,  je  n'en  fais  aucun  doute.  Nangis  ,  ici  plus 
clair  et  peul-élre  plus  exact ,  dit  :  »  Plurcs  ctiam  ex  ipsis  qui  in  facto 
»  magis  culpabiles  fuerant ,  foris  portis  civitatis  ad  vicinas  eis  arbores, 
»  necnon  patibula  ad  hoc  de  novo  specialiter  illic  facta ,  prœcipuè  ad 
»  majores  et  insigniorcs  introilus  suspendi  fecit.  »  Une  vieille  chro- 
nique de  1270  à  1353  déjà  citée  porte  :  «  Pluseurs  gens  de  Paris 
»  alérent  rompre  les  portes  de  la  maison  dudict  Estienne  ,  à  force  de 
»  charetes  aculées  etautremeni,  et  dcffonçoii  l'en  les  tonniaus  et  lesquelles 
»  tout  plains  de  vin,  et  getloil  l'en  en  la  rue  à  val  ses  monnoics  d'or  et 
»  d'argent  et  de  vaisselle  d'or  et  d'argent...  Mais  tout  ce  fait  fu  vengié;  car 
»  de  tous  les  mesliers  de  Paris,  il  ut  pendu ,  à  nouviaus  gibets  que  le  roy 
»  list  fère  aux  quatre  portes  de  Paris,  plus  do  qualre-vins  personnes...  » 
(Msc.4C')l-B.) 


(1306.)  PHELIPPE-LE-BEL.  175 

desgeler  tant  maisons,  pons,  comme  moulins  trébuschièrent 
et  despecièrent  :  et  adouques  au  port  de  Grève  (1)  à  Paris 
moult  de  nefs  chai'giées  de  diverses  marchéandises  péri- 
rent et  tout  ce  que  dedens  estoit.  Et  en  ce  meisme  an,  le 
pape  Climent  au  moys  de  mars  ou  environ  s'en  ala  à  Poitiers 
et  les  cardinals  avec  luy  ;  et  là  fu  la  court  par  l'espace  de 
seize  moys  ou  environ.  Et  en  ce  tems  fu  un  faux  prophète 
qui  avoit  non  Dulcinus  ,  lequel  faignoit  mener  saincte  vie 
en  habit  de  béguin,  mais  il  estoit  très  faux  prophète  :  car 
il  maintenolt  que  si  comme  le  père  au  tems  de  la  loy  de 
nature  ou  de  Moyse  régnoit  par  puissance  qui  à  luy  est  ap 
proprié  ;  et  le  fils,  au  tems  de  l'advènement  Jhésuchrist  par 
sapience  jusques  à  l'advènement  du  Sainct-Esperit  ;  ainsi 
de  l'advènement  du  Sainct-Esperit  jusques  en  la  fin,  celuy 
meisme  Sainct-Esperit  qvii  est  amour  par  débonnaireté 
règne  et  régnera  pardurablement  :  et  en  telle  manière  que 
la  première  loy  fu  de  justice  et  de  rigor  ;  la  seconde  loy  de 
sapience  ;  la  tierce  maintenant  est  d'amour  et  de  dé- 
bonnaireté et  de  charité.  Et  quelconque  chose  est  de- 
mandée au  non  de  charité,  melsmement  de  demander  à  une 
femme  au  non  de  charité  qu'on  habite  à  elle  charnelment, 
elle  ne  me  le  puet  refuser  sans  péchié,  mais  le  me  doit 
otti'oier ,  et  si  ne  fera  point  de  péchié.  Laquelle  chose 
samble  très  mauvaise  à  tout  catholique  :  et  autrefois  fu 
ceste  hérésie  semée  par  Amauri  de  Levé,  einprèsMonforl, 
au  temps  de  Phelippe  le  Conquérant,  l'an  mil  deux  cent 
douze ,  duquel  parle  une  décrétale  qui  se  commence  : 
Nous  condamnons  et  y  etc. 

Cestui  Dulcinus  se  mist  en  une  montaigne  vers  Verseilles, 
et  là  cuida  avoir  trouvé  moult  seur  refuge  :  mais  il  fu  pris 

(I)  Port  dp  Grève.  «  In  portu  Gravire.  »  Ce  port  n'est  pas  menlionnc 
dans  l'importante  publication  de  M.  Géraud ,  Varh  som  l'hilippc-le-Bel, 
ni  dans  la  carte  qui  y  esl  jointe. 


176  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

de  l'cvesque  de  la  cité  et  des  crestieiis,  et  fu  mis  en  prison, 
et  puis  fu  baillié  au  pape  pour  le  punir  ;  et  lors  y  ot  trouvé 
de  ses  complices  environ  deux  cens,  les  quiex  furent  tous 
misa  mort.  Et  en  cestan,  Edouart  roy  d'Angleterre  lequel 
estoit  jà  moult  d'aage,  prince  caut  et  sage,  et  en  ses  batailles 
moult  fortuné ,  le  trente-cinquiesme  an  de  son  règne  moru  ; 
auquel  succéda  au  royaume  d'Angleterre  et  en  la  seigneurie 
de  Ybernie  son  fils  de  la  contesse  de  Pontieu  (1),  qui  avoit 
à  non  Edouart  :  et  toutes  voies  avoit-il  trois  enfans  de 
Marguerite  sa  femme  seur  du  loy  de  France,  laquelle  le 
seurvesqui  ;  desquiex  le  prenùer  avoit  non  Thomas  de  Cor- 
nubie  (2),  et  il  en  ot  la  contée. 

LXII. 

Du  couronnement  le  roy  de  Nai^arre. 

L'an  de  grâce  ensuivant  mil  trois  cent  et  sept ,  Loys 
l'ainsné  fils  du  roy  Phelippe-le-Bel ,  en  roy  de  Navarre  fu 
couronné  à  Pampelune. 

LXIII. 

Des  Templiers  qui  furent  pris  par  tout  le  royaume  de  France i 

En  cest  an  ensement,  tous  les  Templiers  du  royaume  de 
France,  du  commandement  de  celui  meisme  roy  de  France 
Phelippe-le-Eel ,  et  de  l'ottroi  et  assentement  du  souverain 
évesque  pape  Climent ,  le  jour  d'un  vendredi  après  la  feste 


(1)  Ponlieu.  "  Ex  comitissâ  Ponlivi.  »  Eléonore,  première  femme  d'E- 
douard, infante  de  Caslillc  et  comtesse  de  Ponthicu. 
(3)  Cornubie,  ou  Norfollv 


(1307.)  PHELIPPE-LE-BEL.  177 

saint  Denis,  ainsi  comme  sus  le  mouvement  d'une  heure  (1), 
soupjîeçonnés  de  détestaljles  et  horribles  et  difïamables  cri- 
mes ,  furent  pris  par  tout  le  royaume  de  France ,  et  en  di- 
verses prisons  mis  et  emprisonnés. 

Et  en  cest  an,  Charles  le  mainsné  fds  Phelippe  le  roy  de 
France,  qui  puis  fu  conte  de  la  Marche,  Blanche  l'autre 
fdle  du  conte  de  Bourgoigne  espousa. 

L'an  de  grâce  mil  trois  cent  et  sept  dessus  dit  ensuivant , 
le  roy  de  France  Phelippe  se  parti  environ  la  Penthecouste 
pour  aler  à  Poitiers  parler  au  pape  et  aux  cardinals  :  et  li 
furent  moult  de  choses  ordenées  par  le  pape  et  par  le  roy  , 
et  especiaument  de  la  prise  des  Templiers.  Et  manda  le  pape 
aux  maistres  de  l'Ospital  et  du  Temple  qui  souverains  es- 
toient  en  la  terre  d'Oultre-mer,  expressément ,  qu'il  se 
comparussent  personnellement  à  certain  temps  à  Poitiers 
devant  luy.  Lequiel  mandement  le  maistre  du  Temple 
accompli  :  mais  le  maistre  de  l'Ospital  fu  empeschié  en 
l'isle  de  Rodes  des  Sarrasins ,  si  ne  pot  venir  au  terme  qui 
luy  estoit  mandé  ;  mais  il  envoia  certains  messages  pour  luy 
excuser.  Si  a  vint  assez  tost  après  que  la  dite  isle  de  Rodes 
fu  recouvrée  ,  et  adonc  le  maistre  de  l'Ospital  vint  à  Poi- 
tiers parler  au  pape. 

Et  en  ce  meisme  an,  maistre  Bernart  de  Saint- Denis, 
docteur  en  théologie  ,  lequel  fu  moult  en  son  temps  en 
France  rénommé  et  estoit  évesque  d'Orliens,  trespassa. 

Et  en  ce  meisme  an,  Loys  dit  Hutin,  ainsné  ûls  du  roy  de 
France  et  roy  de  Navarre,  quant  il  vint  à  sa  cognoissance  que 
un  chevalier  que  on  appeloit  Fortin  ,  le  quiel  il  avoit  ins- 
titué et  ordené  garde  de  son  royaume  ,  luy  voulsist  oster  et 
usurper  frautluleusement  son  dit  royaume  de  Navarre  ;  si 
assembla  une  belle  compagnie  de  nobles  hommes  et  puis- 

(I)  «  Quasi  sub  ejusdem  liorœ  momenlo.  » 


178  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

sans  entre  lesquels  furent  le  conte  de  Bouloigne  et  mes- 
sire  Gauchier  de  Chastillon  ,  connestable  de  France  ,  et  s'en 
ala  en  Navarre  et  y  arriva  au  moys  de  juillet ,  et  là  fit  tant 
avec  sa  compagnie  que  le  dit  Fortin  et  tous  ses  aliés  il  mit 
en  subjection  ;  et  visita  son  loyaunie  et  appaisa.  Depuis  s'en 
vint  à  Pampelune  et  là  se  fist  couronner  en  roy  de  Navarre. 
Et  en  cpst  an  Katherine  ,  seconde  femme  Charles  conte  de 
Valois  et  héritière  de  l'empire  de  Constantinople  ,  trespassa 
le  jeudi  après  la  feste  monseigneur  Saint-Denis  ,  et  fu  en- 
terrée aux  frères  Prescheurs  à  Paris  ;  auquel  enterrement 
le  roy  de  France  et  les  nobles  furent  présens  ,  et  le  maistre 
du  Temple  d'Oultre-mer,  le  quiel  aidoit  à  porter  le  corps  en 
terre  avec  les  autres  nobles. 

Et  en  ce  meisme  an  ,  au  moys  de  janvier  ,  Edouart  le  roy 
d'Angleterre  prist  à  femme  la  fille  au  roy  Phelippe  ,  la- 
quielle  avoit  non  Ysabel,  et  estoit  en  l'aage  de  douze  ans  ou 
environ  ;  et  n'avoit  plus  le  dit  roy  de  France  de  filles.  Et  la 
convoia  le  roy  et  ses  fils  avec  les  barons  jusques  à  Bouloigne 
sur  la  nier  ;  et  d'ilec  jusques  en  Angleterre  des  nobles  de 
France  fu  convoiée  ,  et  avant  que  il  partissent ,  elle  fu  en 
royne  d'Angleterre  couronnée. 

Et  cest  an,  Marguerite  royne  de  Secile  ,  de  très  noble  et 
très  honnorable  renommée  ,  et  jadis  femme  du  premier 
Charles  roy  de  Secile,  frère  du  roy  saint  Loys ,  trespassa. 

Et  en  ce  meisme  an,  Jehan  de  Namur,  fils  Gui  jadis  conte 
de  Flandres  ,  prist  à  femme  la  fille  Robert ,  conte  de  Cler- 
mont. 


(1308.)  PHELirrE  LE  BEL.  179 

LXIV. 

Cornent  Henri  de  Lucembour  fa  roy  des  Romains. 

En  l'an  de  grâce  ensuivant  mil  trois  cent  et  huit,  Henri 
conte  de  Lucembour  fu  esleu  roy  des  Romains  :  et  lors  il 
envoia  ses  messages  à  court  de  Rome  pour  requerre  de  la 
main  au  souverain  évesquc  pape  Climent  la  consécracion 
et  le  couronnement  de  l'empire. 

En  ce  meisme  an,  le  roy  de  France  s'ordena  pour  aler 
à  Poitiers  et  principaument  pour  le  fait  des  Templiers  ;  car 
là  tenoit  le  pape  sa  court.  Et  fist  le  roy  une  semonse  par 
tout  son  royaume  à  pluseurs  noblçs  et  non  nobles  qu'il  fus- 
sent à  Pasques  à  Tours;  et  avec  luy  eninena-il  unegrant  mul- 
titude (1).  Et  quant  le  roy  fu  par  devant  le  pape,  si  ot  moult 
de  parlement  entre  eux  deux  ,  et  en  après,  au  mandement 
du  pape,  fu  le  maistre  général  de  toute  l'ordre  du  Temple 
amené,  et  avec  luy  aucuns  autres,  les  quiels  sembloient 
estre  les  plus  notables  en  la  dite  ordre  du  Temple.  En  la  fin 
fu  délibéré  et  assez  ordené  que  le  roy  détendroit  tous  les 
profés  de  la  dite  ordre ,  et  cliascun  par  soy  emprisonnés  , 
dès  maintenant  et  en  après,  au  non  de  l'églyse  et  en  la  main 
du  siège  de  Rome  ;  et  qu'il  ne  procéderoit  à  leur  relaxacion 
né  à  leur  délivrance  né  à  leur  punicion ,  en  aucune  ma- 
nière ,  sans  le  mandement  ou  l'ordenance  du  siège  de  l'a- 
postole  :  mais  de  leur  biens  ,  des  quiels  la  dispensacion  en 
bonne  loyauté  estoit  au  roy  laissiée  ,  leur  administreroit 


(1)  Une  (jranl  multitude.  ■<  Ab  hoc  quoqun  pUirimis  peiié  de  onini  ci- 
viialc  sivc  Caslellania  regni....  convocalis,  copiosam  tàin  nobilium  quàm 
igiiubiliuin  sccum  duxil  illùc  lurmaio.  »  Voilà  bien  encore,  je  suiiposc, 
les  assemblées  rcprcsenlalivcs. 


180  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

leur  nécessités,  pour  vivre  competament  jusques  au  con- 
cile général. 

Et  en  cest  an  que  le  pape  Climent  estoit  à  Poitiers,  par  le 
conseil  des  cardinals,  pour  le  subside  de  la  Terre  Sainctc  et 
pour  la  réformacion  de  toute  saincte  églyse,  et  nieisnienient 
pour  le  fait  des  Templiers  qui  niovdt  estoit  énorme  (1),  le 
concile  qui  devoit  estre  général  es  kalendes  d'octobre  à  Poi- 
tiers (2)  fu  rappelle,  et  des  dites  kalendes  d'octobre  jusques  à 
deux  ans  passés,  précisément  ordené  :  et  par  tout  le  royaume 
de  France  ,  par  ses  lettres  patentes  à  archevesques  et  éves- 
ques  et  aux  inquisiteurs  des  hérites  fit  mandement  que 
diligemment  il  missent  leur  entente  ,  et ,  en  tant  comme  il 
povoit  toucher  leur  personnes,  que  il  se  hastassent  selon  le 
conseil  des  sages  ,  et  que  ces  choses  il  missent  à  fin  par  le 
dit  conseil.  Mais  toutes-voies  le  général  maistre  de  l'ordre 
et  aucuns  autres  grans  il  réserva  à  temps  à  la  correction  et 
examinacion  du  siège  de  Rome ,  et  de  certaine  science.  Et 
adecertes,  en  ce  meismean,  Charles  deYalois  prist  la  tierce 
femme  ,  c'est  assavoir  la  fille  Gni,  conte  de  Saint-Pol. 

Et  en  icest  an,  Gui  jadis  premier  né  du  conte  de  Blois 
espousa  la  seconde  fille  de  Charles  conte  de  Valois  et  de 
Katherine  sa  femme,  et  estoit  la  dite  fille  de  moult  petit 
aage,  si  comme  l'en  dit. 

Et  en  ce  meisme  an  ,  le  samedi  après  l'Ascension  Nostre- 
Seigneur ,  une  tempeste  moult  dommageuse  et  moult  im- 
pétueuse, tant  de  gresle  comme  de  vent,  avint ,  et  meis- 
mement  environ  Chevreuse  (3)  et  à  heure  de  vespres,  car  les 

(1)  Enorme."  Quorum  ctiam  sexaginta  vcl  circiter  supra  dicta  eisdem 
imposila  crimina...  » 

(2)  Le  continualcur  de  Nantis  dit  :  «  Yicnnac.  » 

(3)  Cette  mention  de  Ciicvreuse,  fréquente  dans  nos  chroniques  fran- 
çoiscs,  semble  accuser  les  lieux  habités  par  le  chroniqueur.  Remarquez 
surtout  plus  haut  les  détails  de  la  légende  du  moine  auquel  le  diable 
apparut. 


(1308.)  PIIELIPPE-LE-BEL.  181 

blés  qui  encore  estoient  es  champs  et  les  vins  qui  estoient 
es  vignes  furent  péris  et  perclus ,  et  pluseurs  grans  arbres 
tombés  à  terre  ,  et  le  clochier  de  la  dite  églyse  de  Chevreuso 
ce  meisme  jour  fu  trébuchié  du  vent.  Et  en  cest  an,  le  pape 
et  les  cardinals  se  départirent  de  la  cité  de  Poitiers  là  oii  il 
avoient  longuement  esté  ,  mais  l'esté  fu  avant  passé  ;  et  s'en 
ala  le  pape  là  où  il  avoit  esté  né,  c'est  assavoir  à  Bourdiaux, 
et  retint  avec  luy  bien  pou  de  cardinals  ,  et  donna  congié 
aux  autres  de  eux  en  aler  juscjues  à  temps  ;  si  d- inoura  là 
une  pièce  de  temps. 

Et  en  ce  meisme  an,  Guicliart  l'évesque  de  Troie  fu 
moult  souspeçonné  qu'il  n'eust  procuré  par  aucuns  maléfices 
ou  par  venin  la  mort  de  Jeanne,  jadis  royne  de  France  et  de 
Navarre  :  pour  la  quielle  chose  aucuns  tesmoins  furent  ois, 
jasoit  ce  qu'il  fussent  faux.  Si  fu  raporté  au  pape  leur  dé- 
jîosicion,  nonobstant  que  elle  fust  fausse;  et  manda  le  pape 
que  le  dit  évesque  fust  mis  en  prison  (1). 

Et  en  ce  meisme  an,  une  grande  dissencion  mut  entre 
deux  nobles  hommes  de  Bourgoigne  ,  c'est  assavoir  Erart  de 
Saint-Verain  et  Oudart  de  Montagu  :  adonc  en  la  conté  de 
Nevers  ,  le  jour  de  la  feste  monseigneur  saint  Denis ,  furent 
assemblés  avec  le  dit  Erart ,  le  conte  de  Cherebourc  (2) , 
messire  Dreue  de  Mello ,  messire  Miles  de  Noyers  et  plu- 
seurs autres  nobles  avec  eux  ;  et  de  la  partie  du  dit  Oudart 
fu  le  dalphin  d'Auvergne  ,  messire  Beraut  de  Marcueil ,  fils 

(1)  La  Chronique  métrique  attribuée  à  Godefroi  do  Paris  raconte  la 
même  cliosc.  Il  paroit  que  l'évéque  voulut  ètre'jugé  dans  toutes  les  for- 
mes :  il  demeura  quatre  ans  incarcéré  avant  d'obtenir  complèle 
justice. 

(2)  Cherebourc.  «  Sacri-Cxsaris.  »  C'est  plutôt  Sancerre.  C'étoil  Jean, 
deuxième  du  nom.  Dreux  de  Mello.  Le  lalin  porte  :  Mellento,  Meu- 
Icnlj  mais  le  françois  semble  plus  exact.  (Voyez  le  P.  Anselme,  t.  \\, 
p.  63.)  —  Le  dauphin  d' Auvergne ,  Piobcrt  III. 

Tf(M.    V.  10 


182  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

du  conte  de  Bouloigne  (I),  avec  plusevirs  autres,  et  les  trois 
frères  qui  communément  de  Tienne  sont  appelles.  Entre 
les  quielles  parties  ot  moult  aigre  bataille  ,  mais  elle  fu 
tantost  finée  :  et  ot  le  dit  Erart  la  victoire  ,  et  se  rendi  le 
dit  Beraut  au  conte  de  Cliicrebourc  pris  avec  aucuns 
autres.  Et  après,  le  roy  de  France  fist  prendre  le  dit  Erart, 
et  pluseurs  autres  avec  luy,  et  mettre  en  diverses  prisons. 

Et  en  cest  an,  Aubert  roy  des  Romains  mourut  et  fu  tué 
de  un  sien  neveu ,  si  comuie  l'en  dist  :  et  après  luy  fu  roy 
Henri  conte  de  Lucembourt. 

Et  en'ce  meisme  an  mourut  la  fejunie  (2)  Jelian  de  Namur, 
environ  la  purificacion  Nostre-Danie ,  la  quielle  il  avoit 
espousée  l'an  précédent  ;  et  l'an  ensuivant  il  espousa  la  fille 
madame  Blanche  de  Bretaigne. 

Et  en  cest  an,  la  grant  indulgence  que  le  pape  avoit  donnée 
l'an  passé  au  temps  qu'il  estoit  à  Poitiers  à  tous  ceux  qui 
donroient  de  leur  avoir  à  ceux  cjui  aloient  Oultre-mer  pour 
la  subside  de  la  Terre  saincte,  fu  publiée  par  le  royaume  de 
France;  de  lacjuielle  lecepte  avoit  esté  establi  receveur  le 
maistre  de  l'Ospital  d'Outre-mer.  Si  fu  ainsi  ordené  :  cpie  à 
bien  près  par  toutes  les  églyses,  il  y  auroit  un  tronc  ,  ou  un 
certain  lieu  auquiel  chascune  personne  melroit  du  sien , 
selon  sa  dévocion  ;  et  dura  ceste  chose  par  cinq  ans  ou  en- 
viron autant  que  le  pardon  dura. 

L'an  de  grâce  ensuivant  mil  trois  cent  et  neuf ,  environ 
la  Pentecouste,  le  fils  du  roy  d'Arragon  se  combati  encontre 
e  roy  de  Garnate  (3),  le  quiel  estoit  Sarrasin  ;  et  ot  le  dit  fils 

(1)  Fils.  Il  faudroit,  je  crois,  et  le  fils  du  conte  de  Bouloigne.  Berfiud 
de  Marnieil,  ou  plutôt  de  Ulercœur ,  ciant  le  beau-père  de  Robert  m , 
dauphin  d'Auvergne,  et  non  le  fils  de  Robert  VI,  comte  d'Auvergne  et  de 
Boulogne. 

(2)  La  femme.  C'éioit  Marguerite,  fille  de  Robert  de  Clermont,  fils  de 
saint  Louis  et  chef  de  la  branche  de  Bourbon. 

(3)  Garuate.  Grenade. 


(I30y.)  PHELIPPE-LE-BEL.  18} 

d'Arragon  glorieuse  victoiie  ,  et  luist  à  mort  une  très  giaut 
quantité  de  Sarrasins. 

En  ce  meisme  an,  environ  la  fin  de  juillet  fu  l'eslectiou  de 
Henri  de  Lucenibourc  du  pape  et  des  cardinals  approuvée  : 
et  luy  fu  ottroié  sa  consécration  et  la  couronne  de  l'empire, 
la  quielle  il  dut  prendre,  à  certain  temps  cpie  le  pape  luy 
mist ,  en  l'églyse  Saint-Pierre  en  la  cité,  où  il  luy 
plairoit  (1).  Quant  le  dit  messire  Henri  ot  ainsi  esté  eslcu,  et 
qu'il  ot  eu  congié  et  auctorité  du  pape ,  si  comme  dit  est  , 
si  vindrent  à  luy  le  conte  de  Flandres  Robert ,  et  le  conte 
Jehan  de  Namur  qui  estoient  ses  cousins  germains,  et  le 
conte  Guillaume  de  Haynaut ,  son  cousin  germain  qu 
nouvellement  avoit  pris  à  femme  la  fdle  messire  Charles  de 
France,  et  la  greigneur  partie  des  haus  barons  d'Alemaigne. 
Et  avoit  jà  conunencié  ledit  messire  Henri  sa  quarantaine  ù 
Ais  :  et  quant  il  ot  paxfait  sa  quarantaine,  si  le  menèrnit 
les  barons  en  la  chapelle  d'Ais  et  ilec  le  couronnèrent  à  roy 
d'Alemaigne.  Quant  le  vaillant  roy  de  Lucembourc  ot  porté 
couronneà  Ais  en  la  Chapelle,  le  conte  de  Flandres  et  le  conte 
de  Haynaut  pristrent  congic  à  luy,  en  luy  offrant  leur  ser- 
vices ,  et  depuis  fist  le  roy  soa  appareil  moult  grant  pour 
aler  à  Rome.  Si  avint,  une  pièce  de  temps  après  qu'il  ot  son 
arroy  assemblé, cjue  il  fist  assembler  grant  foison  de  chevaliers 
lesquiels  il  mena  avec  luy,  et  passèrent  Alemaigne  ;  et  puis 
entra  le  dit  roy  eu  la  duchié  de  Quarentaine  (2) ,  et  là  luy  f u 
ofTerle  toute  obéissance,  et  puis  passa,  les  nions  et  entra  en 
Lombardie.  Tantost  ceux  de  Pade  se  rendirent  à  luy  ,  et 
ilcc  séjourna  et  attendi  ses  gens.  Mais  tantost  que  ceux  de 

(1)  où  il  luy  plairoit.  Cela  est  de  trop,  et  le  latin  dit  seulement  :  «  in 
»  basilicû  principum  aposlolorum  in  urbe.  »  — Le  reste  de  l'alinéa  n'est 
reproduit  que  dans  la  Chronique  de  Flandres. 

(2)  Quarentaine.  Ce  mot  doit  être  un  lapsus  du  premier  copisie,  re- 
produit dans  tous  les  manuscrits.  Il  faudroit  Savoie,  sans  cfoute,  comniu 
plus  bas  au  chapitre  Lxvi. 


IS4  LES  GRANDES  CHRONIQUES 

IMilan  le  soient,  il  y  envolèrent  leur  ambassadeurs  en 
luy  pn'sentant  la  ville  de  Milan  du  tout  à  son  comniande- 
nient  ;  les  quiels  il  reçut  moult  benignement  à  sa  grâce. 
Puis  se  départirent  de  luy  ,  et  leur  donna  grans  dons,  et 
leur  commanda  que  il  déissent  à  ceux  de  Milan  que  brief- 
nient  les  iroit  veoir  pour  estre  couronné.  Après  un  peu  de 
teins  assembla  son  ost ,  et  fist  messire  Gui  de  Namur  so» 
mareschal ,  et  envoia  ses  messages  devant  pour  faire  son 
arroy  à  IMilan.  Quant  ceux  de  Milan  sorent  sa  venue ,  si 
issii'ent  tous  à  pié  et  à  cbeval  contre  luy ,  et  à  grant  joie 
le  menèrent  à  la  souveraine  églyse ,  et  le  couronnèrent  à 
roy  de  Lombardie,  et  l'ai^pellèrent  Auguste.  Puis  après  se 
départi  de  Milan  à  tout  son  ost  et  ala  asségier  la  cité  de 
Cremoigne  ,  et  tant  y  tist  que  elle  luy  fu  rendue.  Après 
ala  asségier  la  cité  de  Bresse  qui  moult  estoit  fort , 
et  ilec  fust  une  grant  pièce  de  temps ,  et  y  fist-on  maint 
grant  assaut.  Et  à  ce  siège  vindrent  à  luy  ceux  de  Pise  ,  à 
tout  leur  povoir  en  son  aide  ;  et  en  la  parfui  ceux  de  Bresse 
firent  traitié  à  luy.  Et  à  ce  traitié  mourut  le  conte  Gui  de 
Namur  qui  estoit  son  mareschal,  pour  quoy  l'empereur  fu  si 
destorbé  qu'il  ne  les  voult  onc{ues  recevoir  à  merci.  Quant 
ceux  de  la  ville  virent  que  autrement  ne  povoit  estre  ,  si  se 
rendirent  tout  à  sa  volonté,  et  luy  apportèrent  les  clefs  de 
la  ville.  Mais  oncques  l'empereur  ne  voult  entrer  par  porte 
en  la  cité,  né  teurdre  (1)  son  chemin  pour  aler  à  son  palais  ; 
ains  tist  emplir  le  fossé  qui  devant  son  tref  estoit  et  des- 
pecier  le  mur  à  l'encontre;  et  puis  fist  abatre  toutes  les 
maisons  qui  en  sa  voie  estoient  juscjues  à  son  palais  ,  et 
ainsi  entra  en  la  ville  de  Bresse.  Quant  il  ot  ilec  séjourné 
une  pièce  de  temps  ,  si  piist  hostages  de  eux  et  les  envoia 
à  Pise  ;  et  prist  conseil  avec  les  Guibelins  d'aler  couquerre 

(1)  Tetirdrc.  Se  dclournor  de. 


((309.)  PHELIPPE-LE-BEL.  185 

la  cité  de  Rome  :  et  avoit  tant  fait  au  pape  Cliinent  qu'il 
luy  avoit  euvoié  un  légat  à  Bouloigne-la-crasse  ;  et  d'ilec  se 
trait  vers  Rome  ,  et  mena  le  légat  avec  luy  ;  et  en  sa  voie 
conquist  moult  tle  cités  et  de  villes  et  de  chastiaux. 

Et  en  ce  meisme  an  le  pape  Climent  fist  publiquement 
affichier  en  son  palais  à  Avignon  une  intimacion  en  la  cjuielle 
il  estoit  contenu  que  généralement  il  intimoit  à  tous  ceux 
qui  vouldroient  procéder  en  fait  d'appellacion  contre  le 
pape  Boniface ,  tant  pour  luy  comme  contre  luy  par  quel- 
que manière,  qu'il  fussent  pourveus  dedens  le  dimenche 
que  l'en  cliante  oculi  mci,  et  devant  le  pape  se  présentassent, 
ou  autrement  sur  ce  d'ore  en  avant  il  n'i  seroient  receus  ; 
mais  dès  ore  en  avant  il  leur  dénioit  toute  audience 
et  leur  imposoit  silence  quant  en  ceste  partie.  Entre 
les  quiels  Guillaume  de  Nogaret  chevalier  devant  dit,  et 
Guillaume  du  Plessier  chevalier  avec  lui ,  s'apparut  à  l'a- 
journer par  le  pape  assigné,  accompagnié  de  moult  puis- 
sant compaignie  ;  lequel  renouvela  tant  l'appellacion  con- 
tre le  pape  comme  les  cas  de  crime ,  les  quiels  par  avant 
avoient  été  proposés  contre  le  dit  pape  Boniface  ,  et  se  offri 
à  les  prouver  ;  et  requist  à  grant  instance  que  les  os  du 
dit  pape  fussent  deslerrés  tant  comme  hérite  et  qu'il  fus- 
sent ars.  Mais  la  partie  adverse,  tant  d'aucuns  cardinals 
comme  d'autres  deffendans  la  partie  du  pape ,  s'opposa 
appertement  tant  environ  la  sustance  du  fait  comme  con- 
tre la  personne  du  dit  Guillaume  proposant  moult  de 
enormités.  Adonc  fu  mise  ceste  besoigne  en  suspens  jus- 
ques  à  tant  cjue  l'en  eust  plus  plaine  délibéracion.  Et  en  ce 
meisme  an  ,  en  la  tierce  kalende  de  novembre ,  il  vint  un 
vent  soudain  ,  le  c|uiel  dura  par  une  heure  et  plus ,  et 
trébucha  moult  d'arbres  et  de  édifices  ,  et  meismement  le 
clochier  de  Saint-Maclou  de  Pontoise,  et  les  grans  arches 
de  pierre  qui  sont  environ  le  ehevcz  de  l'églyse  monseigneur 

tG. 


186  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

Saint-Denis,  jasoit  ce  que  il  ne  chéirent  pas ,  si  les  vit-l'en 
en  telle  manière  chanceler  que  l'en  cuidoit  qu'il  déussent 
chéoir  à  terre. 

Et  en  cest  an  ,  le  derrenier  jour  de  jan  vier  ,  après  midi , 
fu  veue  l'éclipsé  de  soleil  par  une  heure  et  vingt-quatre 
minutes,  et  est  assavoir  que  le  centre  de  la  lune  fu  emprès 
le  centre  du  soleil  ;  et  dura  la  dite  éclipse  par  deux  heures 
naturelles  et  plus;  et  estoit  la  couleur  de  l'air  ainsi  comme 
la  couleur  de  safFran  :  et  la  cause  estoit,  selon  les  astrono- 
miens ,  car  (1)  Jupiter,  au  point  de  l'éclipsé,  avoit  la  sei- 
gneurie entre  les  cinq  planètes. 

En  ce  meisme  an  fu  vue  très  griève  et  aspre  dissencion 
entre  le  roy  d'Angleterre  et  ses  barons,  pour  l'occasion  d'un 
chevalier  qui  estoit  appelle  Pierre  de  Gavastonne ,  le  quiel 
Pierre  avoit  pieça  esté  bani  du  royaume  d'Angleterre  ,  si 
comme  l'en  disoit  :  mais  le  roy  l'avoit  pris  en  si  grant 
amour  qu'il  luy  avoit  donné  la  conté  de  Lincolne  à  droit 
héritage.  Et  à  la  suggestion  du  dit  Pierre  s'efforçolt  le  roy 
de  faille  moult  de  nouvelletés  contre  la  volenté  de  tous  et 
contre  la  coustume  du  pays  et  au  préjudice  du  royaume. 
Si  avint  tant  que  pour  l'occasion  des  choses  devant  dites  , 
comme  pour  sa  siniplesce  et  fatuité ,  qu'il  le  pristi'ent  en 
telle  haine  non  pas  seulement  pour  le  guerroier ,  mais  le  priver 
de  l'administracion  du  royaume ,  se  ce  n'eust  esté  pour 
l'amour  du  roy  de  France  duquiel  il  avoit  espousé  la  fdle  ; 
et  aussi  pour  l'amour  de  la  royne  la  quielle  estoit  moult 
amée  des  barons  et  des  nobles  du  pays. 

Et  en  cest  an ,  les  Hospitaliers  avec  grant  compaignie  de 
crestiens  passèrent  en  l'isle  de  Rodes  de  la  quielle  les  cres- 
tiens  avoient  esté  enchaciés  par  les  Sarrasins  :  en  la  quielle 

(1)  Car.  Parce  que.  Qtiarè. 


(CJIO.)  PHEHPPE-I,E-BEL.  187 

isle  il  se  portèrent  à  leur  très  grant  loenge,  et  y  Oreiit  moult 
de  bons  fais  contre  les  Sarrasins. 


LXV. 

De  la  condanipnacion  des  remplà/'s. 

En  l'an  de  Nostre- Seigneur  mil  trois  cent  et  dix, 
pluseurs  Templiers  (1)  à  Paris  vers  le  moulin  Saint- 
Antoine  (2)  comme  à  Senlis ,  après  les  conciles  provin- 
ciaux sur  ces  choses  ilec  célébrées  et  faites,  furent  ars  ,  et 
les  chars  et  les  os  en  poudre  ramenés  :  des  quiels  Templiers 
dessus  dis  cinquante-quatre ,  le  mardi  après  la  feste  de  la 
saint  Nicolas  en  may,  vers  le  dit  moidin  à  vent ,  si  comme 
il  est  dessus  dit,  furent  ars.  Mais  iceux  ,  tant  eussent  à 
souffrir  de  douleur ,  oncques  eu  leur  destruction  ne  voul- 
drent  aucune  chose  recognoistre.  Pour  la  quielle  chose  leur 
âmes ,  si  comme  on  disoit ,  en  porent  avoir  perpétuel 
dampnenient ,  car  il  mistrent  le  menu  peuple  en  très  grant 
erreur.  Et  pour  voir  après  ce  ensuivant ,  la  veille  de  l'Asccn- 
cion  Nostre-Sfeigneur  Jhésucrist,  les  autres  Templiers  en 
ce  lieu  meisme  furent  ars  ,  et  les  chars  et  les  os  ramenés 
en  poudre;  des  quiels  l'un  estoit  l'aumosnier  du  roy  de 
France  qui   tant  de  honneur    avoit   en  ce  monde  ;    mais 


(1)  Pluseurs.  Varianic  :  Soixante.  —  Cinquante-neuf. 

f2)  Vers  le  moulin  saint  Antoine.  Le  lalin  dit  :  «  Qiiin(]uagiala  novom 
»  Teniplarii,  foras  civitalcni  l'arisius,  in  campis  vidclicel  ai>  abbaiiA  nio- 
»  nialiiim,  qux  dicitur  S.  Antonii  non  longé  dislaniiljus,  incendio  fiic- 
B  runt  cxtincti.  Qui  tamen  omnes,  nullo  exceplo,  nil  omnino  finaliter  de 
»  imposiiis  sibi  criminibus  cognoveriint,  scd  conslanlcr  et  pcrscveranlcr 
»  in  abnegalione  commiini  perstitcrunt,  diccntes  semper  sine  causa  aiorii 
»  se  tradilos  et  injuste  :  quod  quidem  mulli  de  populo  non  absquc  mullà 
»  admiralionc  stupoicquc  vcliemenli  conspiccrc  nullatenùs  poluerunt. 
1)  Circà  idem  tcmpus,  ai)ud  Silvanectum...  novcni  Templarii  concrciuaii- 
»  lur.   '. 


1S8  LES  GRANDES  CHUOMQUES. 

oncques  de  ses  foifais  ii'ot  aucune  recognoissance.-  Et  le 
lundi  ensuivant,  fu  arse,  au  lieu  devant  dit  (1),  une  béguine 
clergesse  qui  estoit  appellce  Marguerite  la  Porete,  qui  avoit 
trespassée  et  transcendée  l'escripture  devine,  et  es  articles 
de  la  foy  avoit  erré  ;  et  du  sacrement  de  l'autel  avoit  dit 
paroles  contraires  et  préjudiciables;  et,  pour  ce,  des  maistres 
expers  de  tbéologie  avoit  esté  condampnée. 

(2)  Les  cas  et  forfais  pour  quoy  les  Templiers  furent  pris 
et  condampnés  à  morir  et  encontre  eux  aprouvés,  si  comme 
l'en  dit,  et  d'aucuns  en  prison  recogneus  ensuivent  ci-apiès  : 

Le  premier  article  du  forfait  est  tel  :  Car  en  Dieu 
ne  créoient  pas  fermement,  et  quant  il  faisoient  un  nouvel 
Templier,  si  n'estoit-il  de  nulluy  sceu  coment  il  le  sacroient, 
mais  bien  estoit  veu  que  il  luy  donnoient  les  draps  (3). 

Le  secont  article  :  Car  quant  icelui  nouvel  Templier 
avoit  vestu  les  draps  de  l'ordre,  tantost  estoit  mené  en 
une  chambre  oscvu'e  ;  adecertes  le  nouvel  Templier  renioit 
Dieu  par  sa  maie  aventure  ,  et  aloit  et  passoit  par-dessus  la 
croix,  et  en  sa  douce  figure  crachoit. 

Le  tiers  article  est  tel  :  Après  ce,  il  aloient  tantost  aou- 
rer  une  fausse  ydole.  Adecertes  icelle  ydole  estoit  un  viel  pel 
d'omme  embasmée  et  de  toile  polie  (4),  et  certes  ilec  le  Tem- 
plier nouveau  mettoit  sa  très  vile  foy  et  créance,  et  en  luy 
très  fermement  croioit  :  en  en  icelle  avoit  es  fosses  des  ieux 
escharboucles  reluisans  ainsi  comme  la  clarté  du  ciel  ;  et 
pour  voir,  toute  leur  foy  estoit  en  icelle,  et  estoit  leur  dieu 
souverain  ,  et  chascun  en  icelle  s'affioit  et  meismement  de 
bon  cuer.  Et  en  celle  pel  avoit  moitié  barbe  au  visage 
et  l'autre  moitié  au  cul,  dont  c'estoit  contraire  chose  ;  et 

(1)  Au  lieu  devant  dit.  «  In  communi  plateâ  Gravise.  » 

(2)  Tout  le  reste  du  chapitre  n'est  iias  dans  le  latin. 

(3)  Les  draps.  L'habit. 

(4)  C'étoil  sans  doute  une  momie  égyptienne  recueillie  par  les  Teni- 
1  liers,  et  qu'on  les  accusa  d'adorer. 


(1310.)  PHELIPPE- LE-BEL.  189 

pour  certain  ilec  convenoit  le  nouvel  Templier  faire  hom- 
mage ainsi  comme  à  Dieu  ,  et  tout  ce  estoit  pour  despit  de 
Nostre-Seigneur  Jhésucrist ,  nostre  sauveur. 

Le  quart  :  Car  il  cognurent  ensement  la  traïson 
que  saint  Loys  ot  es  parties  d'Oultre-mer,  quant  il  fu  pris 
et  mis  en  prison  :  Acre  une  cité  d'Oultre-mer  traïsrent-il 
aussi  par  leur  grant  mesprison  (1). 

Le  quint  article  est  tel  :  Que  se  le  peuple  crestien 
en  ce  temps  fust  prochainement  aie  es  parties  d'Oultre- 
mer,  il  avoient  fait  telles  convenances  et  telle  ordenance  au 
Soudan  de  Babiloine  qu'il  leur  avoient  par  leur  mauvaistié 
appertement  les  crestiens  vendus. 

Le  sixième  ai'ticle  est  tel  :  Qu'il  cognurent  eux  du 
trésor  le  roy  à  aucun  avoir  donné  cjui  au  roy  avoit  fait 
contraire,  laquelle  chose  estoit  domageuse  au  royaume  de 
France. 

Le  septième  est  tel  :  Que  ,  si  comme  l'en  dit ,  il 
congnurent  le  péchié  de  hérésie;  et,  par  leur  ipocrisie  , 
habitoient  l'un  à  l'autre  charnellement;  pour  quoy  c'estoit 
merveilles  que  Dieu  souffroit  tels  crimes  et  félonnies  détes- 
tables estre  fais  !  mais  Dieu ,  par  sa  pitié ,  souffre  moult  de 
félonnies  esti'e  faites  '. 

Le  huitième  est  tel  :  Se  nul  Templier,  en  leur  ydola- 
trie  bien  affermé ,  mouroit  en  son  malice ,  aucune  fois 
il  le  faisoient  ardolr ,  et  de  la  poudre  de  luy  en  donnoient 
à  mengierauxnouviauxTempliers;  et  ainsi  plus  fermement 
leur  créance  et  leur  ydolatrie  tenoient  :  et  du  tout  en  tout 
despisoient  le  vray  corps  Nostre-Seigneur  Jhésucrist. 

Le  neuviesme  est  tel  :  Se  nul  Templier  eust  en- 
tour  luy  çainte  ou  liée  une  corroie ,  laquelle  estoit  en  leur 

(1)  Cet  article  accuse  l'injustice  des  autres.  Comment  les  Templiers, 
en  1310,  pouvolcnt-ils  se  justifier  des  événcmens  passés  en  1250! — Autant 
en  dire  du  suivant. 


lao  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

laalioninierie,  après  ce  jamais  leur  loy  par  luy  pour  morir 

ne  fust  recognue  ;  tant  avoit  ilec  sa  foy  afFermce  et  affichiée. 

Le  disiesme  est  tel  :  Car  encore  faisoient-il  pis ,  car 
lin  enfant  nouvel  engendré  d'un  Templier  en  une  pii- 
celle,  estoit  cuit  et  rosti  au  feu,  et  toute  la  gresse  ostée;  et 
de  celle  estoit  sacrée  et  ointe  leur  ydole. 

Le  onziesme  est  tel  :  Que  leur  ordre  ne  doit  aucun  en- 
fant baptisier  né  lever  des  saincts-fons,  tant  comme  il  s'en 
puisse  abstenir;  né  sur  femme  gisant  d'enfant  (1)  seurvenir 
ne  doivent,  se  du  tout  en  tout  ne  se  veiillent  issir  à  reculons, 
laquelle  chose  est  détestable  à  raconter.  Et  ainsi  pour 
iceux  forfais  ,  crimes  et  félonnies  détestables  furent  du 
souverain  évesque  pape  Climent  et  de  pluseurs  évesques, 
et  arcevesques  et  cardinaux  condampnés. 

LXVI. 

Cornent  le  roy  de  France  envoia  contre  Varcei'esque  de  Lyon. 

(2)  En  cest  an  ensement,  Phelippe-lc-Biau,  roy  de  France, 
contre  l'arcevesque  de  Lyon  sur  le  Rosne,  qui  de  luy  pa- 
roles contumélieuses  avoit  sen>ées,  et  injures  aucunes  dites 
à  sa  gent,  Loys  son  ainsné  fils  ,  roy  de  Navarre  ,  à  Lyon  ù 
grant  ost  envoia.  Lequel  Loys,  roy  de  Navarre,  comme  ilec 
avec  son  noble  ost  parvenist,  tantost  avec  ses  François  as- 
sist  la  cité.  Mais  comme  ilec  par  huit  jours  ou  environ  avec 
sa  noble  compaignie  fust  ainsi  pour  la  cité  isnelment  as- 
saillir ,  et  en  brief  l'eiist  détruite  se  il  peust,  lors  l'arce- 
vesque de  Lyon,  son  fol  orgueil  appercevant  et  la  force  du 

(1)  Gisant  d'enfant.  C'est-à-dire  :  Etant  en  couches. 

(2)  On  va  voir,  dans  ce  chapitre,  deux  récits  du  môme  événement.  Le 
premier,  le  plus  mal  écrit  des  deux,  n'est  pas  reproduit  dans  la  continua- 
tion latine  de  Nancis. 


(CUO.)  PHELIPPE-LE-BEL.  191 

roy  doubtant,  souple  et  bien  veullant  au  roy  Loys  se  trans- 
porta. Lequel  Loys  icelui  artevesque  à  son  père  le  roy  de 
France  à  Paris  amena. Lequelarcevesque,  après  ce,  fu  détenu 
en  garde  jusques  au  tenis  après  ce  convenable  auquel  par 
le  conseil  de  ses  barons  de  la  besoigne  pourtraiteroit.  Lequel 
arcevesque,  non  petit  de  tems  après  ce  passé,  l'amende  de 
ses  forfais  par  son  bon  plaisir  envers  le  roy  pourtraitiée  et 
faite,  à  son  propre  lieu  s'en  revint.  En  cest  an,  Loys,  fils  du 
conte  de  Clermont  Robert,  prist  à  femme  la  seur  du  conte 
de  Hainaut  ;  et  Jehan  sou  frère  prist  à  femme  la  contessc 
de  Soissons. 

Et  en  ce  melsme  an,  un  juif  c]ui,  n'avoit  gaires  de  tems, 
s'estoit  converti  à  la  foy ,  un  pou  de  tems  après  renia  la  foy,  cl 
fu  pire  qu'il  n'avoit  esté  devant.  Car  en  despit  de  Nostre- 
Dame,  il  craclioit  sus  ses  ymages,  partout  où  il  les  trouvoit  ; 
lequel  fu  jugié  à  estre  ars  :  et  fu  ars  le  jour  que  Marguerite 
la  Porète  devant  dite  fu  arse.  Et  en  ce  meisme  an,  ceux  de 
Lyon  se  rebellèrent  contre  le  roy  de  France,  et  s'en  alèrent 
à  un  chastel  qui  est  appelle  Sainct-Just,  et  le  destruirent. 
Quant  le  roy  le  sot  il  y  envoia  son  fds  Loys  Hutin  et  ses 
deux  frères  avec  luy,  et  moult  grant  ost,  et  fu  environ  la 
feste  monseigneur  sainct  Jehan-Baptiste.  Quant  il  vindrent 
là  où  les  anemis  estoient,  si  commencièrent  à  grever  le  plus 
c|u'il  porent.  Et  là  se  porta  le  dit  fils  du  roy  premier  né, 
Loys  Hutin,  moult  noblement,  et  par  telle  manière  qu'il 
estoit  amé  de  tous  ceux  de  l'ost.  Quant  les  anemis  virent 
C|ue  les  nos  se  portoient  si  noblement  et  si  hardiement,  si  se 
rendirent  et  la  cité  à  la  seigneurie  du  roy  de  France  :  adonc 
fu  pris  l'arcevesque  de  la  cité  lequel  estoit  leur  principal 
capitaine  qui  avoit  à  non  Pierre  de  Savoie  ,  et  fu  près  du 
conte  de  Savoie  lequel  l'amena  au  roy  de  France  ;  mais  à 
la  requpste  de  pluseurs  il  ot  en  la  fin  sa  paix  et  retourna  en 
son  arceveschié. 


192  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

Et  en  ce  lemsles  os  d'iinTemplier  qui  ja  pieça  estoit  mort, 
lequel  avoit  non  Jelian  de  Tur,  furent  desterrés  ;  car  il  fu 
trouvé  par  les  inquisiteurs  que  le  dit  Jehan  en  son  tems 
avoit  esté  héritée ,  et  pour  ceste  cause  furent  ses  os  ars  et 
mis  en  poudre  :  le  dit  Jehan  estoit  commandeur  (1)  du  Tem- 
ple, et  en  son  tems  fist  édifier  la  tour  du  Temple. 

En  ce  meisme  an,  Henri  roy  des  Romains  et  le  duc  d'Os- 
teriche,  et  l'arcevesque  de  Lyon  et  moult  d'autres  princes, 
avec  très  grant  ost ,  par  le  conté  de  Savoie  entrèrent  en 
Ytalje.  Et  premièrement  fu  receu  en  la  cité  d'Astence  (2)  ;  et 
eu  après  en  la  cité  de  Milan  fu  coronné  moult  honnorable- 
ment  et  sa  femme  avec  luy,  de  l'arcevesque  de  ladite  cité, 
en  la  présence  des  prélas.  Quant  ce  fu  fait,  le  dit  roy  ot  un 
assaut  de  son  adverse  partie  eu  ladite  cité.  Mais  tantost  et 
hastivement  il  les  mist  en  subjeccion,  et  par  telle  manière 
qu'il  donna  exenjple  à  ses  autres  adversaires  de  eux  non  re- 
beller. 

En  ce  meisme  an  fu  faicte  une  j>ermutacion  entre  l'arce- 
vesque de  Roen  et  l'arcevesque  de  Narbonne  ;  car  l'arce- 
vesque de  Roen  lequel  avoit  non  Bei-nart  et  estoit  neveu  du 
pape  Climent,  ne  pooit  avoir  bonnement  paix  avec  les  nobles 
de  Normendie ,  pour  la  cause  que  il  estoit  trop  jeune  et 
trop  joli  (3)  en  aucuns  de  ses  fais  :  si  fu  permué  l'arceves- 
que de  Narbonne,  lequel  avoit  à  non  Gile  et  estoit  jjour  le 
tems  principal  conseiller  du  roy,  en  arcevesque  de  Roen. 

Et  en  ce  nif^isme  an,  dopuis  que  le  pape  Climent  ot  ab- 
sous le  roy  de  France  avec  les  habitans  de  son  royaume  de 
la  sentence  que  le  pape  Boniface  avoit  gcttéc  sur  luy  et  sur 

(!)  Commandeur. <t  Quondam  thcsaurarius  Templi.  »  Le  latin  ne  contient 
pas  la  précieuse  mention  qui  se  rapporte  à  l'ércciion  ilc  la  tour  du  Temple. 
Nos  historiens  de  Paris  ont  donc  eu  probablement  tort  de  nommer  llu- 
bcrl  le  Templier  qui  l'avoil  fait  construire. 

(2)  Asleuce.  Asti. 

(3)  Joli.  Gai. 


(1310.)  PHELIPPE-LE-BEL.  103 

ses  adliérens,  et  du  consentemeut  de  ceux  qui  estoient  de  la 
partie  le  pape  Boniface  ,  le  dit  pape  réserva  certaines  per- 
sonnes; entre  lesquelles  fu  Guillaume  de  Nogaret,  chevalier, 
Regnaut  de  Suppin  chevalier,  et  environ  dix  autres  ;  et  si 
réserva  ceux  de  la  cité  d'Agnanede  l'absolucion  au  roy  don- 
née, comme  dessus  est  dit,  et  furent  tous  les  devant  dis  pre- 
només  exceptés. 

LXYII. 

Des  fais  le  pape  Boniface  non  coupables. 

En  l'an  de  grâce  ensuivant  mil  trois  cent  et  onze,  le  roy  de 
France  Phelippe  et  les  adhérens  à  luy,  sus  le  fait  de  Boni- 
face,  touchant  pape  Climent,  avoir  esté  et  estre  du  tout  en 
tout  non  coupables  furent  desclairiés  (1)  ;  et  se  en  aucune 
partie  fussent  coupables,  du  tout  fussent  absous  à  cautelle. 

En  cest  an,  Henri  le  roy  des  Romains  passa  par  une  cité 
d'Ytalie  laquelle  est  appellée  Crémonne  :  car  de  celle  cité 
s'estoient  partis  les  Guelphes  et  en  a  voient  amené  leur 
femmes  et  leur  enfans  et  tous  leur  biens  en  une  autre 
cité  que  l'on  appelle  Brixe  laquelle  estoit  moult  fort.  Quant 
le  dit  roy  sot  que  les  Guelphes  s'estoient  ainsi  pour  luy  dé- 
partis de  leur  cité,  si  fist  destruire  toutes  les  maisons  des 
Guelphes  ,  et  si  fist  abatre  les  murs  de  la  cité  et  les  forte- 
resces,  et  par  espécial  les  portes  de  la  cité  qui  estoient  moult 
nobles,  et  si  fist  emplir  tous  les  fossés  en  telle  manière  que 
les  murs  et  les  fossés  estoient  tout  à  égal.  Et  après,  se  trans- 
porta le  dit  roy  Henri  en  la  cité  de  Brixe ,  et  ilec  tint  son 
siège  depuis  l'ascension  Nostre-Seigneur  jusques  à  la  Nati- 
vité Nostre-Dame.  Si  avint  cjue  ceux  de  la  cité  se  combati- 

(1)  C'est-à-dire  que  le  roi  fut  tlcclaïc,  par  Clément,  innocent  de  la  vio- 
lence commise  sur  Boniface.  Ce  ciiapilre  est  fort  néglige;  on  y  rc\ient 
d'ailleurs  sur  des  faits  déjà  mieux  racontés  plus  haut. 

17 


101  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

rcnt  contre  le  dit  voy  des  Romains  Henri  :  si  fu  pris  en  celle 
bataille  Tybaut  de  Brisacli  tout  vif,  lequel  estoit  capitaine 
de  la  dite  cité  de  Brixe  ,  lequel  fu  adniené  à  l'empereur 
Henri.  Quant  il  vit  que  il  ne  pooit  eschaper  de  mort,  si  con- 
fessa publiquen;ent  que  il  et  des  greigneurs  de  la  cité  de 
Milan  avoient  fait  moult  de  mauvaises  conspiracions  contre 
luy  et  contre  les  siens  pour  luy  mètre  à  mort. 

Quant  l'empereur  ot  ce  oi,  si  le  fist  traisner  parmi  l'ost, 
et  puis  le  fist  pendre  par  deux  heures,  et  puis  le  fist  oster 
du  gibet  et  le  fist  décoler,  et  fist  mettre  sa  teste  sus  ime 
grant  lance,  et  la  fist  porter  au  plus  solempnel  lieu  de  son 
ost,  afin  que  chascun  le  peust  veoir,  et  le  corps  fist  despecier 
en  quatre  parties,  et  en  quatre  parties  de  son  ost  en  fist 
porter  en  chascune  partie  un  quartier  :  et  lors  ot  le  dit  em- 
peieur  victoire  de  la  cité  ;  et  fist  destruire  tous  les  murs  de 
la  cité.  Mais  endemen tiers  que  l'empereur  tenoit  siège  à 
la  cité  de  Brixe,  Waleran  son  frère  s'en  aloit  par  devant  la 
dite  cité  ,  lequel  fu  féru  soudainement  d'une  sajete  et 
moru. 

Au  tems  meisme  du  siège  durant,  vindrent  à  l'empe- 
reur de  toutes  les  cités  d'Ytalie,  et  luy  offrirent  foy  et 
loyauté  ainsi  comme  à  leur  seigneur.  Et  en  ce  tems,  trois 
cardinals  furent  envoies  du  pape,  c'est  assavoir  :  le  cardinal 
d'Ostie  et  deux  autres,  pour  le  coronement  de  l'empereur  ; 
lesquiels  vindrent  par  Ylalie  juscjues  à  Rome.  Si  avint  de- 
puis que  la  cité  de  Bi  ixe  ot  esté  sousmise  à  l'empereur  Henri, 
il  se  départi  par  Cerdonne  (1)  et  s'en  ala  à  Gennes,  et  là  fu 
reçu  très  lionnorablement  :  et  endementiers  qu'il  se 
reposoit  en  la  cité  de  Gennes,  sa  femme  trespassa  en  la  dite 
cité. 

En  ce  meisme  tems,  en  Flandres,  une  commocion  de  re- 

(1)  Cerdonne.  «  Terdonani.  n — Brixe.  Brcscia. 


{1:}11.)  PHELIPPE  LE-BEL.  195 

belUon  de  guerre  se  renouvela,  laquelle  n'avoit  guères  par 
avant  esté  accoisie  (1),  pour  laquelle  chose  le  conte  de  Flan- 
dres Robert  fu  grandement  souppeçonné.  Lequel  fu  de  par 
le  roy  appelle  à  Paris  pour  soy  espurger  ;  lequel  y  vint,  mais 
Loys  fils  du  dit  conte ,  lequel  estoit  conte  de  Nevers ,  fu 
trouvé  coupable  ;  lequel  fu  mené  premièrement  à  Moret 
en  prison,  et  depuis  fu  ramené  à  Paris,  et  là  fu  mis  en 
prison  ;  de  laquelle  prison  il  s'eschappa ,  car  il  se  doub- 
toit  pour  laquelle  chose  du  conseil  des  nobles  du  royaume^ 
et  fu  dit  par  arrest  en  plain  parlement  qu'il  estoit  de  sa 
conté  privé  (2). 

Et  en  ce  tems,  le  roy  Phelippe  fist  faire  nouvelle  monnoie, 
c'est  assavoir  doubles  de  deux  deniers  ;  laquelle  monnoie 
fu  moult  agréable  au  peuple  ,  et  aux  nobles  ,  et  aux  égly- 
ses  (3). 

Et  en  ce  meisme  an,  le  pape  ottroia  et  envoia  privilèges 
aux  clers  estudians  à  Orliens  pour  establir  université,  sup- 
posé que  le  roy  de  France  s'i  voulsist  acorder  ;  si  ne  s'i  voult 
le  roy  acorder  pour  le  tems.  Adonques  s'assemblèrent  tous 
les  clers  estudians  à  Orliens,  et  firent  foy  les  uns  aux  autres 
que  il  se  partiroient,  et  ainsi  le  firent  ;  mais  avant  que  l'an 
fust  fine  ,  il  furent  en  aucune  manière  apaisiés  par  le  roy  , 
et  retournèrent  à  Orliens. 

Et  en  ce  uïeisme  an,  ot  concile  en  la  cité  de  Tienne,  et 

(1)  Accoisie.  Apaisée. 

(2)  L'histoire  de  la  cnptivité  et  de  la  fuite  du  comle  de  Nevers  est  ra- 
contée au  long  et  d'une  manière  très-intéressante  dans  la  Chronique 
métrique  attribuée  à  Godefroi  de  Paris. 

(3)  Ce  récit  difl'cre  complètement  de  celui  de  la  continuation  latine  de 
Nangis.  «  Philippus....  simplicium  ac  duplicium  Burgcnsium  ûeri  fccit 
M  monetam ,  pro  simplicibus  duplicibus  Parisius  dcnariis  concurrenlcm. 
»  Hx'c  moncta  ralionc  indebiii  valoris  et  pondcris,  et  ralione  novitatis 
«cursus,  capi  refulabalur  ;  quia  ab  omnibus  alqiie  rectè  sapienlibus 
»  rcdundare  non  minime  diceretur  in  exaclionem  indebitam  reique  pu- 
»  blicic  dclrimcntum;  quod  ctiam  nonnuUi  nobilcs  et  magnâtes...  graviter 
,»  conquerendo  orctenus  et  expresse  e.Kposuerunt  eidem.  » 


19G  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

là  furent  assamblés  cent  et  quatorze  prélas  mitres,  sans  les 
autres  qui  n'estoient  pas  mitres ,  et  sans  ceux  qui  furent 
excusés  par  procuracions  :  et  là  furent  deux  patriarches, 
c'est  assavoir  :  celuy  d'Antioche  et  d'Alixandre;  aux  quiels 
deux  patriarches  l'en  fist  deux  sièges  propres  au  milieu  de 
tous.  Et  avant  que  le  premier  siège  séist,  le  pape  enjoint  à 
chascun  prélat  et  aux  autres  de  dire  leur  messes  privées, 
et  de  trois  jours  jeune.  Si  comença  le  premier  le  samedi  es 
octaves  de  monseigneur  sainct  Denis,  et  comença  le  pape,  si 
comme  il  est  dit  de  coustume  :  T^cni  Creator  spirùns,  et  prist 
son  tlieume  :  In  consitiojustoriim  et  congregatione,  etc. ,  c'est-à- 
dire  :  «  au  conseil  et  à  l'assemblée  des  justes  les  euvres  de 
Nostre-Seigneur  sont  grans.  »  Et  puis  leur  exposa  le  pape 
trois  causes  pour  lesquelles  il  avoit  fait  assembler  concile 
général  :  la  première  fu  pour  cause  du  fait  énorme  desTeni- 
pliers,  la  seconde  pour  le  secours  de  la  Saincte  Terre,  la  tierce 
pour  la  réformacion  de  toute  universele  églyse  ,  et  puis 
donna  sa  bénéiçon  sus  le  peuple,  et  chascun  s'en  retourna  en 
son  lieu. 

L'an  mil  trois  cent  douze,  le  lundi  après  Quasimodo  ,  fu 
le  secont  siège  du  concile,  en  la  grant  églyse  de  Tienne,  cé- 
lébré. Et  là  vint  le  roy  Phelippe  avec  ses  frères  et  ses  fds 
environ  la  Mi-Caresme,  et  avoit  moult  grant  compaignie  de 
barons  et  de  nobles  hommes  ;  et  se  sist  le  roy  à  la  destre  du 
pape  plus  haut  que  les  autres,  mais  il  estoit  plus  bas  que  le 
pape  ;  et  prist  le  pape  son  theume  :  Non  resurgunt  inipii 
in  judicio y  c'est-à-dire  :  «  les  mauvais  ne  se  relèvent  point 
en  jugement.  »  Adonc  le  pape  Climent,  au  concile  général, 
l'ordre  du  Temple,  non  par  voie  de  diffinitive  sentence, 
comme  il  ne  fu  pas  vaincu  (1),  mais  par  voie  de  provision 
onde  pourvoiancedu  siège  de  l'apostoile,  quassa  du  tout  en 

(1)  Vaincu.  Convaincu. 


(1312.)  PHELIPPE-LE-BEL.  197 

tout  et  anuUa.  Ensement  eu  faveur  et  en  l'aide  de  la  Saincte 
Terre  fut  ottroiée  du  dit  pape  Clijnent  au  roy  de  France  le 
diziesnie  des  églyses  jusques  à  six  ans. 

En  cestui  aa  Henri,  roy  des  Romains,  en  la  cité  de  Rome 
et  en  l'églyse  Sainct-Jean  de  Latran  ,  de  monseigneur  Ni- 
cliole  Dupin  cardinal  d'Ostie  ,  et  de  deux  autres  cardinals 
du  pape  Climent  à  ce  envoies,  de  diadème  impérial  fu  co- 
ronné.  Et  en  ce  tems,  avant  que  le  conseil  se  partist,  le  siège 
de  Rome  pourveust,  le  roy  et  les  prélas  à  ce  consentans, 
que  les  biens  des  Templiers  feussent  dévolus  aux  frères  de 
rOspital  afin  qu'il  feussent  plus  fors  à  la  Saincte  Terre 
recouvrer. 

En  ce  meisme  an,  Pierre  de  Gavestonne,  duquel  l'en  a 
parlé  par  devant,  fu  pris  du  conte  de  Lencastre  en  un  chas- 
tel  et  ses  complices  avec  luy,  et  luy  fist-l'en  coper  la  teste 
honteusement  ;  dont  le  roy  d'Angleterre  fu  moult  courrou- 
cié,  mais  la  paix  en  fu  faicte  par  deux  cardinals  qui  avoient 
esté  envoies  du  pape  en  Angleterre. 

Et  en  ce  tems,  environ  Noël,  nasqui  un  fils  au  roy  d'An- 
gleterre de  Ysabel  sa  femme  fille  du  roy  de  France,  lequel 
f  u  appelle  Edouart. 

Et  en  cestan,  Simon  qui  premièrement  avoit  esté  évesque 
de  Noyon  et  de  Biauvais  ,  moru  ,  auquel  succéda  Jehan  de 
Marigni,  frère  Enguerran  de  Marigni,  et  chantre  de  Paris. 


LXVIII. 

Coinenl  les  etifans  le  roy  furent  fais  chevaliers. 

En  l'an  de  grâce  ensuivant  niil  trois  cent  treize ,  Phe- 
lippe-le-Biau  roy  de  France  Loys ,  son  ainsné  fils,  roy  de 
Navarre  avec  ses  deux  autres  fils,  c'est  assavoir  Phclippe 

17. 


108  LES  GRANDES  CHROiNIQUES. 

conte  de  Poitiers  et  Charles  conte  de  la  Marche  (1),  et  ])lu- 
seurs  gvans  niaisties  et  nobles,  le  jour  de  la  Penthecouste, 
en  la  mère  églyse  de  Nostre-Dame  de  Paris,  fist  chevaliers. 
Et  ice  roy,  ensenientle  jour  du  mercredi  ensuivant,  avec 
ses  devant  dis  fils,  enseurquetout  son  gendre  le  roy  d'An- 
gleterre Edouart  qui  lors  estoit  présent ,  avec  les  nobles 
chevaliers  de  l'un  royaume  et  de  l'autre,  à  passer  la  mer  de 
la  Saincte  Terre,  de  la  main  au  cardinal  à  ce  député  et  es- 
tabli,  en  l'isle  Notre-Dame  qui  est  au  fleuve  de  Saine  au 
preschement  du  dit  cardinal  ilec  assemblés  ,  pristrent  la 
croix  qui  est  le  seing  de  la  sainte  enseigne  Nostre-Seigneur 
Jhésucrist  (2j.  Et  lors  à  celle  feste  de  la  Penthecouste , 
pour  l'onneur  de  la  dite  cheval  rie,  fu  Paris  encourtiné 
solempnelment  et  noblement,  et  fu  faicte  la  plus  sollempnel 
feste  et  belle  qui  grant  tems  devant  fu  veue  :  car  adecertes 
le  jeudi  ensuivant  d'icelle  sepmaine  de  la  Penthecouste  , 
tous  les  bourgois  et  mestiers  de  la  ville  de  Paris  (3)  firent 
très  belle  feste,  et  vindrent,  les  uns  en  paremens  riches  et 
de  noble  euvre  fais,  les  autres  en  robes  neuves,  à  pie  et  à 
cheval ,  chascun  mestier  par  soy  ordené,  au  dessusdit  isle 
Nostre-Dame,  à  trompes,  tabours ,  buisines ,  timbres   et 


(1)  <.  Unà  cuni  Hugone,  duce  Burgundise,  Guidone  Blescnsi ,  aliisque 
»  quampluribus  regni  nobilibus.  » 

(2)  Tous  les  détails  suivants  de  celte  fcte  sont  originaux.  La  continua- 
lion  de  Nangis  n'en  dit  pas  un  mot.  La  Chronique  métrique  aUribuée  à  Go- 
defroi  de  Paris  raconte  les  létes  bien  plus  au  long  et  d'une  manière  plus 
curieuse  encore.  Cependant  on  n'y  trouve  pas  la  mention  aussi  claire  des 
métiers  de  Paris  et  des  corporations  bourgeoises.  Au  reste,  on  a  bien 
mauvaise  grâce  à  parler  de  la  misère  et  des  malheurs  de  la  dusse  moyenne 
dans  l'ancienne  France,  quand  on  lit  des  descriptions  de  ce  genre  sous 
la  date  de  1313. 

[3]  A  cheval  bien  furent  vint  mille, 

Et  à  pié  furent  trente  mille  ; 
Tant  ou  plus  ensi  les  trouvèrent, 
Ci'b  qui  de  là  les  estimèrent. 

[chronique  iKéirique.) 


(1313.)  PHELIPPE-LE-BEL.  l99 

nacaires ,  à  grant  joie  et  grant  noise  démenant  et  de  très 
biaux  jeux  jouant.  Et  lors  du  dit  isle,  par  dessus  un  pont 
fut  fait  sur  nefs  et  bateaux  nouvellement  ordenés  deux 
et  deux  (1)  l'un  mestier  après  l'autre ,  et  les  bourgois  en 
telle  guise  ordenés  vindrent  en  la  court  le  roy  par  devant 
son  palais  qu'il  avoit  fait  faire  nouvellement  de  très  belle 
et  noble  euvre  par  Enguerran  de  Marigni  son  coadjuteur  et 
gouverneur  du  royaume  de  France  principal.  Auquel  pa- 
lais les  troys  voys,  c'est  assavoir  :  Plielippe-le-Biau  roy  de 
France,  Edouart  son  gendre  roy  d'Angleterre  et  Loys  son 
ainsné  fils  roy  de  Navarie,  avec  contes,  dux,  barons  et  princes 
des  dessus  dis  l'oyaumes,  estoient  assemblés  pour  veoir  la 
dite  feste  des  bourgois  et  mestiers  qui  aussi  ordenéement  et 
gentement  venoient,  et  tout  pour  le  roy  et  ses  enfans  lion- 
iiorer.  Et  ensement  après  disner,  en  la  manière  dessus  dite 
ordenés,  revindrent  à  Sainct-Germain-des-Prés,  au  Prés- 
aux-Clers,  là  où  estoit  Ysabel  royne  d'Angleterre,  fille  le  roy 
de  France,  montée  en  une  tournelle  avec  son  seigneur  le  roy 
d'Angleterre  Edouart ,  et  pluseurs  dames  et  damoiselles, 
pour  veoir  la  dite  feste  des  dits  bourgois  dessus  dis  et  des 
mestiers,  et  les  vist  et  regarda,  et  moult  luy  plurent  :  la- 
quelle feste  tourna,  envers  le  roy  de  France  et  aux  siens, 
à  très  grans  honneurs  et  louables,  et  aussi  aux  gens  de  Paris. 
Et  en  cest  an  meisme,  le  prince  de  Tarente,  environ  la  feste 
de  la  Magdalaine,  espousa  la  fille  de  Charles  conte  de  Valois 
er  de  Katherine  sa  femme,  héritière  de  Constantinoble. 

(1)  Seignor  por  eniror  en  celle  ille,  (l'ile  Noire-Dame) 

Cols  de  Paris  la  noble  ville 
Firent  li  pont  par  dcsus  Saine 
En  deiis  jors  de  celle  semaine. 
Ce  fu  par  devers  Nostrc-Damc 
Où  fu  fait  et  drcsciô  ce  pont. 
I.c  lundi  et  mardi  fu  fct 
Col  pont;  huit  vint  pics  ot  de  Irait  , 
Kl  de  larsccn  ol  il  quaranlc.  [ni-) 


200  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

Et  en  ce  nieisme  an  ,  le  mercredi  après  la  feste  de  la 
Magdelaine  ,  furent  appelles  du  mandement  le  roy  à  Cour- 
trai  les  barons  et  les  prélas  ;  et  là  fu  paix  faite  entre  le  roy 
et  les  Flamens  ,  par  telle  manière  que  les  Flamens  satisfe- 
roient  au  roy  de  la  somme  d'argent  qui  pieça  avoit  esté  or- 
denée  ,  et  leur  forteresces  dès  maintenant  juscjues  à  certain 
tems  qui  leur  fu  dit,  et  selon  ce  que  les  députés  du  roy 
ordeneroient ,  feroient  abatre  à  leur  propres  cous  et 
despens,  et  commenceroient  à  Bruges  et  puis  à  Gant  :  item 
il  rendroient  à  messire  Robert,  fds  au  conte  de  Flandres, 
toute  la  chastellerie  de  Courtrai  avec  les  appartenances  ;  et 
de  ces  clioses  tenir  il  rendroient  hostages,  à  greigneur  seiu'té. 

En  cest  an,  Henry  roy  des  Romains  priva  publiquejuent 
le  roy  Robert  de  Secile  de  sa  couronne  et  de  son  royaume, 
pour  la  cause  de  ce  qu'il  avoit  failli  de  comparoir  par  devant 
luy  à  certain  temps  Laquielle  privacion  le  pape  Climent 
répuita  estre  pour  nulle,  et  se  aucu.ne  estoit,  du  tout  il  l'an- 
nicliiloit  pour  moult  de  causes ,  lesquielles  sont  en  ses 
constitucions  alléguées,  et  seroient  moult  longues  à  mettre 
en  escript. 

Et  en  cest  an  ,  au  mois  de  juillet ,  un  ost  fu  ordené  par 
l'empereur  contre  le  roy  de  Secile,  et  là  ot  l'empereur  moult 
de  belles  victoires. 

LXIX. 

De  la  iiiorl  Henri  empereur  de  Ruine. 

Et  en  cest  an  ensemcnt,  Henri  empereur  des  Romains  en- 
tra en  la  voie  de  l'université  de  cliar  humaine  et  fu  mort,  et 
en  la  cité  de  Pise  fu  honnorablement  enterré  :  le  cjuiel 
preu  ,  hardi ,  chevalereux  ,  et  en  ses  fais  très  noble  empe- 
reur de  Rome  Henri  fu  enipoisouné  d'un  Jacobin  qui  luy 


(1313.)  PHELIPPE-LE  BEL,  201 

donna  à  boire  (1),  selon  ce  que  aucuns  veullent  dire.  Et  bien 
dient  dont  ce  fu  duel  et  pitié;  car  sa  bonté  et  sa  valeur  crois- 
soient  de  jour  en  jour  de  mieux  en  mieux  ;  et ,  si  comme 
l'en  dit ,  se  il  eust  guères  plus  vescu  il  eust  conquis  toute 
Italie  et  mise  toute  sous  sa  puissance  et  seigneurie.  Mais  de 
ce  fait  de  l'empereur  Henri  dient  aucuns  qu'il  fu  prouvé 
devant  le  pape  Climent  par  phisiciens  que  l'empereur  fu 
mort  d'apostume  ;  et  combien  qu'il  fust  malade,  il  se  fist 
mettre  en  sa  chapelle  pour  luy  acommunier ,  et  assez  tost 
après  il  trespassa  :  et  bien  sachent  tous  que  c'estoit  le 
prince  du  monde  que  Jacobins  amoient  plus;  et  pour  ce 
semble-il  bien  que  son  confesseur  ne  peust  (2)  avoir  tant  de 
loysir  qu'il  mist  poisons  en  son  vin  que  l'en  ne  s'en  apper- 
ceust. 

Et  en  cest  an,  le  roy  Phellppe  mua  sa  monnoie  envii'on 
la  nativité  Nostre-Seigneur.  Et  commença  à  faire  florins  à 
l'aignel.  Le  quiel  florin  valut  au  commencement  vingt-deux 
sols  de  pctis  bourgois  :  et  en  ce  tems  ot  moult  de  mutacions 
de  monnoie  ,  laqulelle  greva  moult  le  peuple. 

Et  en  cest  an,  l'églyse  de  Nostre-Dame-des-Escos,  que 
Enguerran  de  Marigui  avoit  nouvellement  faite  édifier  , 
et  en  icelle  avoit  mis  chanoines,  fu  noblement  dédiée. 
Et  en  cest  an,  le  cardinal  Nicolas  deff"endi  sus  paine  de 
escommeniement  que  nul  n'usast  de  constitucions  nou- 
velles en  jugement  né  en  escolles  ;  car  de  la  conscience 
du  pape  elle  n'estoient  pas  issues,  jà  soit  ce  que  sur  ce 
il  entendoit  à  pourveoir.  Et  environ  la  feste  de  nronsei- 
gneur  saint  Denis,  le  dit  cardinal  deffendi  tous  les  tournoie- 

(1)  A  boire.  Le  latin  est  plus  exact.  «  Vol,  ut  dicebant  aliqui,  cucharis- 
»  tiam  sumcndo  de  manu  sacerdotis  et  proprii  confessoris  de  ordine  E. 
»  prœdK^atorum.  » 

(2)  Ne  pemi.  Il  semble  qu'on  devroit  seulement  Wrc  péu'ii  ;  mais  tous 
les  manuscrits  portent  le  ne. 


202  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

mens  ,  et  dainpiia  tant  les  tournoians  comme  les  soiifFians  et 
aidans  :  et  meismement  les  princes  qui  en  leur  terres  les 
souffroient.  Si  geta  grant  sentence  contre  eux  ,  et  avec  ce 
sousmetoit  leur  terres  à  l'entredit  de  l'églyse.  Mais  après 
le  pajîe,  à  la  requcste  des  fils  dvi  roy  et  de  pluseurs  autres 
nobles  ,  dispensa  avec  eux  ,  pour  ce  qu'il  estoient  nouviaux 
chevaliers,  que  par  trois  jours  devant  karesme  (1  j  il  peussent 
aux  dis  jeux  jouer  tant  seulement  et  non  plus. 

Et  en  ce  meisme  an,  Guicliart  l'évesque  de  Troies ,  le- 
quiel  avoit  esté  souppeçonné  d'avoir  procuré  la  mort  de  la 
royne  Jehanne  ,  si  comme  par  avant  est  escript ,  fu  trouvé 
innocent  par  la  confession  d'un  Lombart  qui  avoit  à  nom 
Noffle  ,  lequiel  estoit  jugié  à  Paris  à  estre  pendu  au  gibet. 

Et  en  cestui  an,  mut  une  ti'ès  grant  dissencion  entre  le 
duc  de  Lorraine  et  l'évesque  de  Mez  pour  très  petite  achoi- 
son ,  la  quielle  eust  esté  tost  apaisiée  qui  y  eust  voulu  met- 
tre un  pou  de  paine.  Mais  en  la  fin  les  deux  os  s'assemblèrent 
emprès  un  chastel  que  on  appelle  Freve  (2),  et  là  ot  moult 
aspre  bataille  entre  eux.  Toutes  fois  ot  le  duc  victoire  par 
sa  cautelle  et  industrie  :  car  l'évesque  avoit  plus  de  gent 
que  le  duc.  Si  s'en  commencièrent  à  fuir ,  et  en  y  ot  bien 
deux  cens  que  mors  que  noies  :  ilec  le  conte  de  Bar  neveu 
de  l'évesque,  le  conte  de  Salins  et  son  fils,  furent  pris 
et  pluseurs  autres  nobles  qui  estoient  de  la  partie  à  l'éves- 
que ;  mais  il  furent  assez  briefnient  délivres  de  prison  en 
paiant  une  grant  somme  d'argent. 

(1)  C'esl-à-dire  durant  les  jours  gras.  Les  cavalcades  du  carnaval  n'ont 
peut-être  pas  d'autre  origine,  et  l'on  peut  du  moins  admettre  que  l'usage 
de  se  masquer  reçut  une  nouvelle  consécration  du  souvenir  des  Tour- 
noyans,  armés  de  toutes  pièces,  les  uns  bien  les  autres  mal ,  tous  bario- 
lés ae  couleurs  et  de  blasons,  tous  se  réunissant  à  la  même  époque  de 
l'année. 

(2)  Freve  ou  Frouard.  L'évêque  s'appeloit  Renaud  de  Bar. 


(13(/i.)  PHELIPPE-LE-BEL.  203 

LXX. 

De  ht  mort  le   maislre  du  Temple. 

En  cest  an  aussi,  an  moys  de  mars  au  tcms  de  karesme, 
le  général  mai!=lre  du  Teniple  ,  et  un  autre  grant  niaistre 
après  luy,  en  l'ordre  si  comme  l'en  dlst  visiteur,  à  Paris  en 
l'isle  devant  les  Augustins  (1),  furent  ars  :  et  les  os  de  eux 
furent  ramenés  en  poudre  ,  mais  oncques  de  leur  forfais 
n'orent  nulle  r(  cognoissance. 

L'an  de  grâce  après  ensuivant  mil  trois  cent  quatorze  ,  le 
pape  Cllment  mourut  au  tenis  de  Pasques ,  et  fu  le  siège 
moult  longuement  vacant.  Et  y  ot  très  grant  dissencion 
entre  les  cardinals,  c'est  assavoir  :  entre  ceux  de  Gascoigne 
d'une  part  ,  et  ceux  d'Italie  et  de  France  d'autre  part.  Car 
ceux  d'Italie  et  de  France  mettoient  paine  d'avoir  l'eslection 
par  devers  eux  et  y  ot  deffiailles  de  l'une  partie  contre  l'au- 
tre ,  et  meismement  pour  la  cause  du  feu  qui  avoit  esté  mis 
en  la  ville  de  Carpentras  par  le  marcjuis  de  Antonne  (2)  neveu 
du  pape  Climent  derrenièrenient  mort  ;  car  il  y  estoient 
tous  assemblés  pour  l'eslection  faire  de  un  pape  ;  et  disoit 
l'en  fjue  le  feu  y  avoit  esté  mis  du  dit  marquis  en  la  faveur 
des  cardinals  qui  estoient  de  la  partie  des  Gascoins.  Et  en 
cest  an  fu  prise  une  occasion,  pour  les  guerres  qui  avoient 


(1]  Prudenli  consilio,  circà  vespertinam  hornm,  in  parvA  qu'idam  insull 
»  Secana;,  intcr  hortuni  regalem  et  ecclesiani  fratrum  Hcremilariim  po- 
»  siià,  ambos,  pari  incendio  concremari  mandavit.  »  C'est  à  peu  près  où 
sont  aujourd'Imi  Ifs  bains  Viijier  du  l'onl-Neuf.  — Variante  du  manuscrit 
218,  sup.  fr.  :  Ville  des  Jtiis.  La  Chronique  mdriquc  porte  :  En  l'ille  des 
luiaus.  Pour  tous  ces  renseignemens  ,  le  Plan  de  Paris  sous  Philippe-le- 
liel,  dressé  par  M.  Albert  Le  Noir,  laisse  beaucoup  à  désirer. 

(2)  De  Antonne.  «  Per  marchisium.  »  Variantes  :  D'Amptonne.  (No  9660.) 
Flcury  le  nomme  :  Bertrand  de  Gol,  comte  de  Lomagne. 


204  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

esté  faites  en  Flandres ,  de  lever  nne  exaction  laquielle 
n'avoit  esté  oie  de  mémoire  d'homme.  Et  commença  ceste 
exaction  à  Paris  premièrement ,  et  après  elle  fii  espandue 
par  tout  le  pays,  et  estoit  la  dite  exaction  ou  extorcion  telle 
que  tout  vendeur  et  acheteur  paioit  six  deniers  pour  livre  : 
laquielle  exaction  quant  elle  fu  ainsi  publiée  et  par  tous 
pays  ,  ceux  de  Normeudie  ,  et  de  Picardie  ,  et  Champaigne 
s'assemblèrent  et  jurèrent  les  uns  aux  autres  (1  )  que  chascun 
defFendroit  ceste  exaction  en  son  pays ,  et  en  nulle  manière 
ne  la  lairoit  tenir  (2).  Finalement  quant  le  roy  sot  ce,  il  com- 
manda que  telle  exaction  cessast  par  tout  son  royaume  ,  car 
on  disoit  tout  communément  que  ceste  chose  n'estoit  pas 
venue  de  la  conscience  du  roy ,  mais  estoit  venue  par  ses 
très  mauvais  conseilleurs. 

Encestan,  versPontoise,  (au  lieu  que  l'en  dit  IMaubuissoii 
abbaïe  de  femmes  ,  nonnains  de  l'ordre  de  Cistiaux  ,  le  jour 
d'un  mardi  en  la  sepmaine  de  Pasques),  Marguerite  royne 
de  Navarre  ,  fdle  du  duc  de  Bourgoigne  et  femme  Loys  roy 
de  Navarre  ,  fds  Phelippc  roy  de  France  ;  et  Jehanne  fille 
le  conte  de  Bourgoigne,  femme  Phelippe  le  conte  de  Poi- 
tiers ,  fils  du  roy  de  France  ,  et  Blanclie  la  seconde  fille  du 
devant  dit  conte  de  Bourgoigne  ,  femme  Charles  conte  de  la 
Marche  fils  au  roy  de  France  ,  pour  fornicacion  et  avou- 
tire  sur  eux  mis ,  et  meismement  es  deux  ,  c'est  assavoir  : 
Marguerite  royne  de  Navarre  et  Blanche  femme  Charles 
devant  dit  ;  vraiement  approuvées  (4)  furent  prises,  et  du 
commandement  du   roy  cjui  lors  estoit  à  Manbuisson ,  en 

(1)  Les  uns  aux  autres.  «  Per  juramentum  ad  inviccrn  confcderali  pro 
»  suâ  el  patriaî  liberlale.  » 

(2]  De  là  le  plan  de  conjuralion  dit  des  Alliés,  dont  Godefroi  de  Paris, 
dans  le  manuscrit  du  Roi  G812,  nous  a  fait  connoitrc  les  vues,  le  but  el 
l'importance. 

(t'i)  AvoutifC.  Adultère.  —  Meismement,  Surtout. 

(4)  Approuvées.  Convaincues. 


(!3J4.)  PHELIPPE-LE  BEL.  205 

diverses  prisons  mises  les  deux,  (c'est  assavoir  :  Marguerite 
et  Blanche  du  tout  en  tout  par  essil  et  en  chartres  perpétuels 
mises  et  encloses ,  au  cliastel  de  Gaillart  en  Normandie 
furent  détenues  et  emprisonnées,  et  ilec  à  morir  condamp- 
nées)  :  et  l'autre  dame,  la  contesse  de  Poitiers,  qui  fu  au 
chastel  de  Dourdan  emprisonnée  ,  examinacion  d'elle  faite 
et  expurgement,  du  tout  en  tout  fu  aprouvé  que  en  celuy 
forfait  ne  fu  pas  coupable.  Après  ce,  de  prison  fu  délivrée, 
et  en  la  compagnie  le  conte  de  Poitiers  son  mari  fu  de  recliief 
rassemblée  :  et  adecertes  pour  voir,  Phelippe  d'Aunoy  ami 
bienveillant  (1)  de  la  dite  royne,  et  Gaultier  d'Aunoy  son 
frère ,  ami  de  la  dite  Blanche ,  chevaliers ,  le  jour  d'un 
vendredi ,  en  icelle  sepmaine  meisme  de  Pasques  ,  à  Pon- 
toise ,  du  commandement  du  roy  ,  furent  escorchiés  et  les 
vits  et  génitoircs  coupés  (2)  ;  et  après  ce  incontinent ,  à  un 
gibet  dePontoise  pour  eux  nouvellement  fait  furent  trahies, 
et  en  celuy  gibet  pendus  et  encroés  (3)  :  et  pour  certain,  l'uis- 
sier  de  la  dite  royne  ,  sachant  et  consentant  de  devant  dit 
forfait  ,  en  ce  jour  à  Pontoise  au  commun  gibet  des  larrons 
fu  pendu  ;  lequiel  cas  fortunable  les  barons  et  le  roy  de 
France  et  ensement  ses  fils  courrouça  moult  et  troubla. 

(1)  B/eHm//a"t.  Variante  du  manuscrit  218  :  Malveillant. 

(2)  Coupés.  «  Eisque  virilibus  unà  cuni  genitaMbus  amputatis.  »  La  Chro- 
nique  luélrique,  dont  le  récit  est  ici  plein  d'inlércl  et  de  vivacité,  ajoute 
une  circonstance  qui  aurait  dû  frapper,  entre  vingt  autres,  nos  auteurs 
dramatiques  . 

Tel  jugement  lor  fu  rendu 
De  par  lor  père,  et  de  plusor  : 
Ainsi  morurent  en  doulor. 
De  tel  jugement  fu  retrait, 
Qui  trop  tosttrop  cruel  fu  fait.... 

(;î)  Encroés.  Abandonnés. 


IH 


206  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 


LXXI. 

De  la  taille  et  maleloule  faite  en  France  par  Engncrran  de 
Marigny. 

(!)Et  en  test  an,  le  jour  de  la  feste  saint  Pierre,  le  premier 
jour  d'aoust,  Phelippe-lc-Biau,  roy  de  France,  assembla  à 
Paris  pluseurs  barons  et  évesques ,  et  en  seur  que  tout  (2)  il 
fist  venir  pluseurs  bourgois  de  chascune  cité  du  royaume 
qui  semons  y  estoient  à  venir.  Adoncques  iceux  au  palais 
de  Paris  venus  et  assemblés,  le  jour  dessus  dit ,  Enguerran 
de  IMarigny  chevalier,  coadjuteur  le  roy  de  France  Phe- 
lippe  et  gouverneur  de  tout  le  royaume ,  monta  de  son 
commandement  en  un  escliafaut ,  avec  le  roy  et  les  prélas 
et  les  barons  qui  ilec  estoient  ;  sur  le  dit  escliafaut  séant 
en  estant ,  monstra  et  manifesta ,  ainsi  comme  en  pres- 
chant  au  peuple  cjui  ilec  estoit  devant  l'escliafaut ,  oïans 
tous  les  prélas  dessus  dis,  la  complainte  le  roy,  et  pour  quoy 
il  les  avoit  fait  ilec  venir  et  assembler  ;  et  fist  son  tiexte  de 
nature  et  de  norriture  en  descendant  sur  les  royaux  et  sur 
la  ville  de  Paris,  où  les  devant  dis  royaux,  au  temps  ancien, 
de  leur  nature  avoient  acoustumé  de  avoir  leur  nourre- 
ture  :  et  pour  ce  appeloit-il  Paris,  chambre  royal  ;  et  que 
le  roy  s'y  devoit  plus  fier  pour  avoir  bon  conseil  et  pour 
avoir  aide,  que  en  nulle  autre  ville.  Et  si  dit  et  monstra  au- 
tres pluseurs  choses  dont  je  ne  fais  pas  mencion,  pour  la  pro- 
lixité qui  y  est  et  seroit  à  raconter.  Si  descendi  sur  Ferrant 
jadis  conte  de  Flandres  ,  cornent  il  s'estoit  forfait  envers  le 
roy  de  France    qui  lovs  estoit  dit  Auguste,  qui  conquist 

(1)  Tout  ce  chapitre  si  curieux  n'est  pas  dans  le  texte  latin. 

(2)  En  seur  que  tout.  Surtout. 


(1314.)  PHELIPPE-LE-BEL.  ■  207 

Norniendie  ,  et  cornent  icelui  roy  Phelippe  en  vint  à  cliief, 
et  cornent  il  conquist  Flandres  et  la  niist  en  sa  puissance  : 
et  dit  lors  icelui  Enguerran  que,  combien  que  après  Fer- 
rant ,  pluseurs  vassaux  eussent  tenu  la  conté  de  Flandres  , 
si  ne  la  tenoient-il  que  comme  gardiens  et  en  subjection  de 
féauté  et  hommage  du  roy  de  France.  Et  après  ce,  il  des- 
cend! sur  Gui  conte  de  Flandres ,  coment  il  se  forfist  envers 
le  roy,  et  coment  la  guerre  avoit  esté  menée,  et  le  coustenient 
et  despens  que  le  roy  avoit  fait ,  qui  bien  montoient  à  si 
grant  nombre  d'argent  que  c'estoit  merveilles  du  raconter, 
de  quoy  le  royaume  avoit  esté  trop  malement  grevé.  Et, 
après  ce,  nionstra  coment  la  paix  avoit  esté  faite  du  conte 
de  Flandres  Robert  de  Béthune  et  des  Flamens  eschevins 
de  Flandres  ,  par  leur  seaux  en  lettres  pendans  accordée  et 
affermée  ;  laquielle  paix  et  convenances  les  devant  dis  contes 
et  Flamens  ne  vouloient  obéir  né  tenir,  si  comme  il  avoient 
plevi  et  juré ,  et  par  leur  seaux  affirmé.  Pour  laqviielle 
chose  ycelui  Enguerran  requist,  pour  le  roy,  aux  bourgois 
des  communes  qui  ilec  estoient  assemblés ,  qu'il  vouloit 
savoir  lesquiels  luy  feroient  aide  ou  non  à  aler  encontre  les 
Flamens  à  ost  en  Flandres.  Et  lors  icelui  Enguerran  ce  dit, 
si  fist  lever  son  seigneur  le  roy  de  France  de  là  où  il  séoit 
pour  veoir  ceux  qui  luy  vouldroient  faii-e  aide.  Adonc  Es- 
lienne  Barbete  ,  bourgeois  de  Paris,  se  leva  et  parla  pour  la 
dite  ville  ;  et  se  présenta  pour  eux  et  dist  qu'il  estoient  tous 
près  de  faire  luy  aide,  chascun  à  son  povoir,  et  selon  ce 
qu'il  leur  seroit  avenant ,  et  à  aler  là  où  il  les  voul- 
dra  mener  à  leur  propre  coux  et  despens  contre  les  dis 
Flamens.  Et  adonc  le  roy  les  en  mercia-  Et,  après  le  dit 
Estienne ,  tous  les  bourgois  qui  ilecques  estoient  venus 
pour  les  communes  respondirent  en  autelle  manière  que 
volentiers  luy  feroient  aide  ;  et  le  roy  si  les  en  mercia.  Et 
lors  après  ycelui  parlement,  par  le  conseil  du  dit  Enguer- 


208  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

ran,  une  subjection  et  une  taille  trop  maie  et  trop  grevable 

à  Paris  et  au  royaume  de  France  fu  alevée,  de  quoy  le  menu 

peuple  fu  trop  grevé  :  pour  laqulelle  aclioison  le  dit  En- 

guerran  chéi  en  la  haine  et  maleiçon  du  menu  peuple  trop 

malement. 

LXXII. 

De  l'osl  de  France  qui  s'en  vint  sans  riens  faire. 

Adecertes,  en  celui  an,  au  moys  de  septembre  ensement, 
de  recbief  après  le  rebellement  quatre  fois  du  conte  de 
Flandres  Robert  de  Bétbune  ,  et  les  Flamens  qui  les  conve- 
nances de  paix  avec  le  roy  de  France  et  de  leur  seaux  scel- 
lées et  accordées  en  nulle  manière  ne  vouloient  tenir,  si 
comme  nous  avons  dit  ci  devant  ;  Phelippe-le-Biau  roy 
de  Fi'ance ,  Loys  sou  ainsné  fils ,  roy  de  Navarre,  et  ses 
deux  autres  fils  Pbelippe  conte  de  Poitiers  ,  et  Charles  conte 
de  la  Marche  ,  avec  eux  Charles  conte  de  Valois  et  Loys  son 
frère  conte  de  Evreux,  Gui  conte  de  Saint-Pol,  et  Enguer- 
ran  de  Marigni,  un  ost  très  grant  à  pié  et  à  cheval,  à  noble 
compaingnie ,  en  Flandres  destina  et  cnvoia.  Et  lors  jus- 
ques  à  Lille  à  tout  leur  noble  ost  parvindrent ,  qui  toute 
Flandres  peust  avoir  conquis  et  occis ,  s'il  fust  à  droit 
gouverné.  Et  comme  ilec  fussent  proposans  et  ordenans 
Flandres  et  les  Flamens  assaillir,  par  le  conseil  de  Enguer- 
ran  coadjuteur  et  gouverneur  du  royaume  de  France  et  du 
roy  Plielippe  avec ,  et  du  conte  de  Ne  vers  fils  au  conte  de 
Flandres,  parle  fait  du  dit  Enguerran,  environnés  et  tenus 
sans  rien  faire  furent  déboutés  à  revenir  sans  honneur  eu 
France. 


(1314.)  PUELIPPE-LE-BEL.  20» 

LXXIII. 

De  la  mort  P liclippe-le-Biau  roy  de  France. 

Adecertes  (1)  en  cest  an,  Phelippe-le-Biau  roy  de  Fiance, 
au  nioys  de  novembre  à  Fontainebliau ,  au  terroir  de 
Gastinois  ,  clost  son  derrenier  jour.  Lequlel  son  corps  delès 
son  père  le  roy  Phelippe  et  sa  mère  la  royne  d'Arragon ,  au 
lieu  que  il  vivant  avoit  esleu  en  l'églyse  Saint-Denis  en 
France  lionnorablement  fu  enterre.  Et,  pour  voir,  son 
cuer ,  en  l'églyse  des  nonnains  qu'il  avoit  fondées  n'avoit 
guaires  à  Poissi ,  fu  porté  ,  et  ilec  lionnorablement  enterré. 

Adecertes  ycelui  roy  de  France  Plielippe-le-Biau  régna 
vingt-huit  ans  ;  et  fist  faire  à  Paris  par  Enguen-an  son  coadju- 
teur  et  gouverneur  de  son  royaume  un  neuf  palais  (2)  de 
merveilleuse  et  coustable  euvre,  le  plus  très  bel  que  nul,  si 
comme  nous  créons  en  France ,  oncques  véist.  Et  pour 
voir  icelui  roy  Phelippe  engendra  de  sa  femme  Jehanne 
royne  de  France  et  de  Navarre  pluseurs  enfans ,  c'est  assa- 
voir :  Loys  son  ainsné  fils  roy  de  Navarre ,  qui  après  luy  fu 
son  successeur  au  royaume  de  France  ;  Phelippe  le  conte  de 
Poitiers,  et  Charles  conte  de  la  Marche,  et  un  autre  fils  qui 
mouru  en  s'enfance  ;  et  une  fille  très  belle  dame  qui  ot  non 
Ysabel,  et  fu  femme  le  roy  Edouart  d'Angleterre  laquelle, 
lonc  tems  devant  ce  que  celui  roy  Phelippe  mourut,  il  avoit 
espousée. 

(1)  On  chercheroit  vainement  encore  la  substance  de  ce  chapitre  clans 
la  conliiiualion  de  Nangis. 

(2)  Un  neuf  palais.  Aujourd'hui  le  palais  de  justice.  On  a  vu  plus  haut 
que  les  travauv  furent  dirigés  par  Enguerrand  do  Marigny.  Ces  passages 
n'ont  pas  été  relevés  avec  assez  de  soin  par  les  historiens  de  Paris. 


18. 


510  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

LXXIV. 

Cornent  Enguerraii  de  Marigni  fa  pris  et  mis  en  prison. 

(1)  Et  adeceites  en  icest  an,  au  temps  de  karesme,  le  mer- 
credi devant  Pasques  fleuries  ,  Enguerran  de  Marigni  , 
chambellanc  ,  coadjuteur  et  gouverneur  du  roy  de 
France  Phelippe  nouvellement  trespassé  au  temps  dessus 
dit ,  par  l'amonnestement  et  enditement  Charles  le  conte 
de  Valois  ,  et  si  comme  l'en  dit ,  par  l'esmouvenient  d'au- 
cuns des  barons  de  Picardie  et  de  Normendie  et  espéciau- 
ment  de  messire  Ferri  de  Pequlgni  chevalier  et  du  conte  de 
Saint-Pol ,  par  le  commandement  du  roy  de  Navarre, 
après  ce,  roy  couronné  de  France  Loys ,  en  sa  maison  de 
Paris  ,  en  la  rue  que  on  appelle  le  Fossé-St-Germain  (2),  fu 
pris  ;  et  au  Louvre,  en  la  tour  où  Ferrant  jadis  conte  de 
Flandres  fu  emprisonné,  mis  et  posé.  Car  adecertes  un  pou 
après  la  mort  du  devant  dit  roy  de  France  Phelippe,  Loys 
roy  de  Navarre  et  ses  deux  frères  conte  de  Poitiers  Phelippe 
et  Charles  conte  de  la  Marche  ,  et  espéciaument  Charles 
conte  de  Valois ,  ensemble  avoient  eu  parlement  et  di- 
soient :  Qu'il  vouldroient  savoir  d'Enguerran  qu'il  avoit 
fait  du  trésor  et  des  richesses  du  roy  de  France  Phe- 
lippe qu'il  avoit  en  garde.  Et  pour  ce  l'avoient  mandé  pour 
luy  comparoir  devant  eux.  Adoncques  icelui  Enguerran 
devant  eux  venu  ,  si  luy  demandèrent  où  estoit  le  trésor  du 
roy  de  France  ,  car  il  avoient  trouvé  le  trésor  tout  desnué. 
Adonc  quant   Enguerran  vit  qu'il  luy  convendroit  rendre 

(1)  Toute  riiistoire  de  la  condamnation  et  de  la  mort  d'Engucrrand  de 
Marigny  n'est  connue  que  par  notre  chronique.  Ce  procès  n'est  pas  attri- 
bué au  r^gne  de  Louis- Hutin,  parce  qu'alors  ce  prince  n'étoit  pas  encore 

sacré. 

(2)  Saint- Germain.  L'Auxerrois. 


(1314.)  PHELIPPE-LE-BEL.  211 

cause  ,  ou  se  ce  non  très  grant  honte  en  pourroit  avoir,  si 
respondit  en  celle  manière  ;  c'est  assavoir  qu'il  en  respon- 
droit  et  feroit  bon  conte  et  loyal.  Et  lors  adecertes  le  conte 
de  Valois  respondantluy  dist  ainsi  :  «  Rendez-le  donc  tout 
»  maintenant.  »  Lors  luy  respondi  Enguerran,  et  dist  ainsi  : 
«  Sire  volentiers,  je  vous  en  ay  bail  lié  la  plus  grant  partie, 
»  et  le  remanant  j'ay  mis  en  paiement  pour  les  debtes  de 
«  monseigneur  le  roy  vostre  frère.  » 

Et  quant  Charles  de  Valois  oï  le  conte  Enguerran,  et  que 
premièrement  il  luy  faisoit  honte,  lors  fu  moult  courroucié 
et  irié,  si  luy  dist  :«  Certes  de  ce  mentez-vous,  Enguerran?» 
Et  lors  Enguerran  respondant  dit  :  «  Par  Dieu,  sire,  mais 
»  vous  mentez.  »  Adonc  Charles  conte  deTalois,  ce  entendu, 
si  sailli  d'autre  part  et  le  cuida  prendre  :  mais  pluseurs  fi- 
rent cestui  Enguerran  de  ses  ieux  trestourner  et  disparoir  ; 
car  s'il  le  peust  avoir  tenu  en  celle  heure  ,  il  l'eust  occis  ou 
fait  mourir  de  cruel  mort  ;  et  lors  pour  ceste  devant 
dite  cause  et  pour  autres  fais ,  aucuns  pou  de  jours  tres- 
passés  ,  fu  Enguerran  de  Marigni  pris  et  mené  en  prison  au 
Louvre  si  comme  je  vous  ai  dit  ci-devant. 

Et  après  ce,  le  conte  de  Valois  fist  assavoir  et  manda  à 
tous ,  tant  povres  comme  riches  ,  auxquiels  Enguerran  de 
IMarigni  auroit  forfait,  que  il  venissent  à  la  court  le  roy,  et 
féissent  leur  complaintes,  et  que  de  luy  il  auroient  très  bon 
droit.  Adonc  Enguerran  de  Marigni  au  Louvre  emprisonné, 
Charles  conte  de  Valois  en  ce  point  ne  reposant ,  vint  au 
roy  de  Navarre  son  neveu  Loys  et  lui  dit  :  «  Siie ,  que  avez 
»  fait?  Adecertes  vous  avez  mis  ce  larron  Enguerran  en  sa 
»  maison  en  la  tour  du  Louvre  emprisonné,  car  il  est  chas- 
»  telain  du  Louvre  ;  et  pour  ce  m'est-il  avis  que  c'est  des- 
»  convenable  chose  luy  estre  mis  ilec.  »  Et  lors  le  roy  res- 
pondant dist  à  son  oncle  :  »  Que  voulez-vous  que  je  fasse 
<>  de   luy  né  où   je  le  mette?  »  et  Charles  conte  de  Valois 


212  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

respoudi  :  «  Je  veux  que  au  Temple,  hostel  de  Templiers 
»  jadis ,  soit  mis  en  étroite  prison.  »  Et  ice  dit ,  adonc  par 
le  commandement  du  roy ,  le  dit  Enguerran,  du  Louvie  où 
il  estoit  à  cheval  à  belle  compaignie  de  sergens  chevauclians 
avec  luy,  au  Temple  fu  mené ,  moult  de  peuple  après  luy 
alant  pour  le  veoir,  et  de  ce  grant  joie  démenant  ;  et  ilec  en 
estroite  garde  fu  mis  en  prison. 


LXXV. 

Des  articles  qui  furent  proposés  contre  Enguerran. 

Adecertes  en  ce  cours  de  temps ,  c'est  assavoir  le  samedi 
devant  Pasques  fleuries ,  fu  amené  Enguerran  de  Marigni 
du  Temple  au  bois  de  Vincennes  devant  Loys  roy  de  Na- 
varre et  moult  de  prélas  et  de  barons  du  royaume  de  France, 
pour  luy  ilec  assembler.  Et  lors  par  le  commandement  du 
conte  de  Valois  proposa  maistre  Jehan  Hanière  (1)  contre 
Enguerran  de  Marigni,  les  raisons  et  les  articles  que  on  luy 
avoit  enjoint  ;  et  premièrement  prist  son  theume  de  ceste 
auctorité  :  Non  nabis,  Domine,  non  nobis,  sed  nomini  tuo  da 
gloriam.  «  Non  pas  à  nous,  sire  ,  non  pas  à  nous  ,  mais  à  ton 
»  nom  donne  gloire.  »  C'est  le  françois  de  cest  latin.  Et 
après  ce,  prist  les  sacrifices  d'Abraham  et  de  Isaac  son  fils  ; 
et  après  ce,  prist  les  exemples  des  serpens,  qui  degastoient 
la  terre  de  Poitou  au  temps  saint  Hilaire,  évesque  de  Poi- 
tiers ;  appliqua  et  accomparagea  les  serpens  à  Enguerran  et 
à  ses  créatures,  c'est  assavoir  ses  parens  et  ses  alïins.  Et  ice 
dit,  si  descendi  sus  le  gouvernement  du  royaume  du  temps 


(J)  Hmtiere.  Variante  :  Uantera.  Lu  Cliroiii(iue  )nctri(]>teVn(>pc]\c  mieux 
Jeltait  d'Auïere. 


(1314.)  PHELIPPE-LE-BEL.  213 

Engueiran  ;  et  après  ce,  les  cas  et  les  forfez  raconta  en  gc'ué- 
ral  (1)  qui  s'en  suivent  : 

Premièrement.  Le  roy  Phelippe  en  son  vivant  dist  que 
Enguerran  l'avoit  deceu  et  tout  son  royaume  ;  et  pluseuis 
fois  l'en  tiouva-l'en  ploiant  en  sa  chambre.  Et  pour  ce  , 
ne  le  voult-il  pas  faire  son  exécuteur. 

Le  seconl  article.  Que  au  vivant  le  roy,  cjuand  il  trayoit  à 
mort,  il  robale  trésor  du  Louvre,  à  six  hommes  toute  une 
nuit.  Et  le  fist  porter  là  où  il  voult  à  son  commandement. 

Le  troisicsme.  A  la  derrenière  voye  de  Flandres,  il  parla  au 
conte  de  Nevers  tout  seul  aux  champs ,  lequel  luy  donna 
deux  barris  esmailliés  d'argent  et  pluseurs  joiaux,  et  loua 
le  retour  et  fist  l'ost  de  France  retourner  sans  riens  faire. 

Le  quatriesmc.  Quant  il  fu  venu  (2),  il  conseilla  prendre  la 
subvencion,  dont  le  menu  peuple  fu  malement  grevé. 

Le  cinquiesme.  Quant  le  roy  l'envoya  au  pape ,  il  porta 
des  deniers  du  roy  une  somme  d'argent  en  laquelle  il  avoit 
en  or  trente  mil  livres,  et  puis  n'en  contesta  riens,  ainsois  le 
retint. 

Le  sixiesme.  Quant  le  roy  envoya  à  monseigneur  Raimont 
de  Gotlv  quinze  mille  florins  par  ledit  Enguerran,  et  quant  il 
fu  là ,  il  le  trouva  mort  :  si  les  retint ,  et  puis  n'en  compta. 

Le  septiesme.  Que  il  tist  séeler  par  monseigneur  Guil- 
laume de  Nougaret,  adonc  chancelier  nostre  seigneur  le 
roy,  huit  (3)  paires  de  lettres  et  ne  pot  savoir  que  il  séela. 


(1)  Ce  qui  suit  jusqu'au  chapitre  lxxvi  a  été  supprimé  dans  la  plupart 
des  manuscrits,  et,  entre  les  autres,  dans  celui  de  Charles  V,  n»  8306.  On 
peut  croire  que  celte  suppression  n'est  pas  involontaire.  La  leçon  du 
n»  9051  porte  seulement  :  «  Les  cas  proposez  par  devant  le  roy  et  son 
»  conseil  contre  ledit  Enguerran  ne  sont  pas  ycy  escripz  pour  ce  qu'il 
»  n'étoieiii  pas  contcnuz  ou  livre  ou  exemple  de  cestc  cscripture.  »  (F»  2, 
Pio.)  J'ai  suivi  les  manuscrits  8398  et  218,  Supplément  françois. 

(2)  Venu.  De  Flandres. 

(3)  Iluii.  Variante  :  Vingt. 


214  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

Le  huiiicsme.  Que  par  luy  estoient  tous  les  officiels  es  offi- 
ces du  roy,  de  quelque  manière  que  il  fussent. 

Le  ncuvicsme.  Que  le  roy  li  donna  à  deux  fois  cinquante 
cinq  mil  livres,  pour  sa  voie  de  Poitiers,  avec  tous  ses  costs 
et  despens. 

Le  dixiesme.  Quant  le  roy  li  donnoit  terre,  il  faisoit  prisier 
à  deux  cens  livres  ce  qui  bien  valoit  huit  cens. 

Le  onziesme.  Que  un  marcliéant  faisoit  contraindre  plu- 
seurs  marcliéans  par  lettres  des  foires  de  Champaigne,  pour 
deniers  que  eux  li  dévoient  ;  lesquels  donnèrent  à  Eiiguerran 
huit  mil  livres,  et  il  furent  délivrés.  Et  le  preudonime  fu 
mis  en  Chastellet  cinquante  jours  en  prison,  et  luy  convint 
jurer,  ainsois  qu'il  en  issist,  que  jamais  n'en  seroit  nouvelle 
et  que  rien  n'eu  demanderoit. 

Le  dotiziesme.  Dix-huit  vins  dras  furent  acquis  au  roy  par 
forfaiture;  il  furent  aportés  à  Enguerran,  né  oncques  puis 
n'en  compta. 

Le  treiziesme.  Que  la  terre  de  Gaillefontaine ,  qui  valoit 
douze  cens  livres,  ne  fu  prisiée  que  à  huit  cens  livres,  et  de 
tant  fu  deceu  monseigneur  de  Valois. 

Lcqitatorziesmc.  L'abbé  de  Sainte-Caterine  aussi  fu  déceu. 

Le  quinzicsmc.  De  l'eschange  du  prieur  de  Saint-Arnoul 
en  tele  manière  fu  déceu. 

Le  seiziesme.  Que  le  roy  envoia  à  la  contesse  d'Artois  unes 
lettres  esquelles  il  luy  demandoit  certaines  besoignes  ;  et 
Enguerran  mist  dedens  une  annexe,  et  luy  mandoit  le  con- 
traire, et  que  il  la  garantissoit  devers  le  roy  de  tous  poins. 

Le  dix-scpliesme.  Que  madame  d'Artois  luy  donna  qua- 
rante mil  livres  que  la  ville  de  Canibray  luy  devoit  d'une 
ainende,  et,que  le  roy  ne  luy  vouloit  donner  congié  de  lever 
l'amende  dessus  dite,  et  Enguerran  la  leva  tout  outre. 

(Ij  Dix-huit  vins.  Trois  ccnl  soixante. 


(1314.)  PHELIPPE-LE-BEL.  ?/?, 

"Le  dix-huitiesme  Que  il  donna  le  conseil  de  madame  de 
Poitiers  prendre  (1),  ensi  corne  il  fu  fait. 

Le  dix-nein'iesme.  Qu'il  obligea  sa  terre  de  Foilloy ,  à 
vint-deux  ans ,  à  rendre  l'argent  dessus  dit ,  et  en  donna 
lettres  à  la  contesse,  et  depuis  avint  qu'il  eust  les  lettres  par 
devers  lui  (2). 

Le  vintiesme.  Que  pour  paour  de  plus  perdre ,  madame 
d'Artois  luy  donna  la  haulte  justice  de  Croisilles  et  de 
Biauvais,  avec  le  niarchié  de  Biauvais. 

Le  vint-et-uniesme.  Les  Crespinois  d'Arras  luy  donnèrent 
quarante-huit  mil  livres  ;  mais  il  les  cuidièrent  avoir  don- 
nés au  roy. 

Le  vinl-el-deuxicsme.  Que  le  roy  porta  à  ses  frèi'es  trente 
mil  livres  ;  mais  il  n'en  avint  nul ,  quar  Enguerrant  les  ot 
par  devers  luy. 

I^evint-troisicsme.  Que  le  roy  luy  donna  la  garde  d'Estou- 
teville  à  treize  ans,  qui  bien  valoit  quarante-six  mil  livres. 

Le  vint-qiialriesme.  Que  le  roy  luy  donna  le  tiers  denier 
de  certaines  foires  en  Normendie,  qui  bien  valoit  soixante 
mil  livres. 

Le  vinl-cinqiiiesnie.  Que  le  roy  luy  donna  pour  faire  faire 
son  ostel  et  son  palais  de  Paris,  dix  mil  livres. 

Le  vint-sixiesme.  Qu'il  toUi  aux  voisins  d'entour ,  des 
maisons  qui  bien  valent  cent  livres  de  rente  par  an  et 
plus. 

Le  vînt-septicsme.  Que  les  bourgols  de  Roen  avoient  for- 
fet  (3)  une  franchise  qui  estoit  en  la  ville  ;  et  il  luy  donnè- 
rent trente  mil  livres  et  ensi  orent  leur  franchise. 


(1)  Prendre.  C'est-à-dire  de  prendre  madame  do  Poitiers,  à  tort  soup- 
çonnée d'ndulière. 

(2)  Par  devers  lui.  Qu'il  trouva  moyen  d'arraclier  ces  lettres  à  la  com- 
tesse d'Artois. 

(3J  Forfet.  Soumissionné.  On  dit  encore  avoir  ou  vendre  à  forfait. 


2(0  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

Le  vint-huiticsme.  Le  roy  donna  à  messire  Beraut  de  Mai- 
cueil  douze  cens  livres  de  terre  prise  à  Cliailly  ,  et  il  les 
vendi  à  messire  Enguerran  sept  mil  livres,  dont  il  ne  paia 
que  quatre  mil.  Et  de  ces  douze  cens  livres  de  terre  failloit 
à  asseoir  soixante-douze  livrées  de  terre,  pour  lesc{uieles  il 
prist  soixante-deux  villes  à  clocliiers  en  la  cliastellerie  de 
Montleliery. 

Le  vinl-nuei>iesme.  A  mestre  Raoul  de  Poi  (1)  qui  avoit 
une  maison  à  Tilly  c|ue  messire  Enguerran  voult  avoir,  il 
luy  fist  donner  une  forfeture  de  cjuatre  mil  livrées  et  un  chas- 
tel  en  Bretaigne  qui  bien  valoit  quatre  mil  livres. 

Le  trenliesmc.  Que  du.  tournoi  de  Compiègne  il  fist  apor- 
ter  le  remanant  des  garnisons  nos  seigneurs  en  son  liostel. 

/,e  trente-cl-iiniesme .  Messire  Jacques  Laiie  avoit  sus  le 
trésor  le  roy  quatre  cens  livres  de  rente  ;  et  luy  en  devoit-on 
dix-neuf  cens  livres  d'arrérages  ;  et  il  les  vendi  à  monsei- 
gneur Enguerran  trois  mil  livres  à  héritage  à  tousjours  ; 
et  il  s'en  paia  tantost  du  trésor  le  roy.  et  ainsi  ne  luy  cousta 
que  onze  cens  livi'es. 

Le  trentc-dcuxiesme.  Que,  en  la  conté  de  Longueville  lès- 
GifFart,  le  roy  ne  luy  cuida  asseoir  que  six  cens  livres  et  il 
en  i  a  deux  mil. 

Le  trente-lroisiesme.  Madame  Blanche  de  Bretaigne  lui 
donna  un  moult  biau  manoir,  pour  miex  besoignier  (2)  à 
court. 

Le  trenle-qualriesmc.  Que  de  la  pierre  de  Vernon  il  fist 
mener  quatre  luil  pierres  à  Escouies ,  et  cinquante-deux 
images  (3)  chascune  du  prix  de  quarante  livres. 

(1)  Poi.  Variante  :  Foi. 

(2)  Besoiçpier.  La  servir,  être  utile  à  la  princesse. 

(3)  Images.  Sans  cloute  statues.  —  Ecouis  est  un  bourg  du  Vexin  nor- 
mand, à  deux  lieues  du  grand  Andclis.Enguerrand  y  avoit  fonde,  en  1310, 
une  riclic  collégiale.  Peut-être  retrouvcroil-on  encore  dans  l'église  plu- 
sieurs des  statues  qu'il  y  avoit  transportées. 


(1315.)  PHELIPPE-LE-BEL.  217 

Le  trentc-cinquiesme.  Que  des  forés  du  roy  il  a  ostc  tout 
le  plus  bel. 

Le  irentc-sixicsme.  Que  le  séneschal  d'Auvergue  luy  donna 
set  cens  livres. 

Le  trenle-sepficsme.  Une  femme  de  Sens  qui  avoit  forfait 

cors  et  avoir,  luy  donna  huit  cens  livres  et  ainsi  fu  assoute. 

Zc  trente-huitiesmc.  Que  un  bidaut  (1)  estoit  accusé  à  court 

de  pluseurs  cas,  il  luy  donna  pluseurs  dons  et  ainsi  fuassous. 

Le  trente-nuci'icsme.  Que  il  fist  pluseurs  estans  en  Nor- 

mendie,  esquiex  il  ajousta  pluseurs  héritages  du  roy. 

Le  qtiaranliesme.  Que  il  peupla  lesdis  estans  des  poissons 
des  estans  le  roy,  et  en  i  mist  jusques  à  la  value  de  dix  mil 
livres. 

Le  quarante -el-nniesme.  Que  il  avoit  fait  conimandemcnt 
aux  trésoriers  et  aux  maistres  des  comptes  ,  que  pour  man- 
dement que  le  roy  fesist,  que  il  n'obéissent  se  il  ne  véoient 
ainsois  son  séel. 

Adonc  ices  articles  dis  et  fénls  et  pluseurs  devant  ses  iex 
approuvés,  si  ne  luy  fu  en  nule  manière  donnée  audience  de 
soy  defFendre,  fors  que  l'évesque  de  Biauvais,  son  frère, 
demanda  copie  des  articles  devant  dis;  et,  ice  fait,  de  re- 
chlef  au  Temple  en  prison  fu  ramené  et  serré  fermement  en 
bons  liens  et  en  anlaux  de  fer,  et  gardé  très  diligeamment. 
(2)  Après ,  en  l'an  de  grâce  ensuivant  mil  trois  cent  et 

(1)  Bidaut.  Ou  a  bédaut,  sergent,  recors.  On  a  dit  aussi  badaud.  De  leur 
nombre,  do  leur  importunitù  dans  la  ville  du  Pailcmcnt  et  de  la  justice 
permanente,  de  leurs  habitudes  inquiètes  et  turbulentes,  on  a  fait  le 
proverbe  des  Badauds  de  Paris. 

(2)  On  ne  trouve  ni  dans  les  éditions  imprimées,  ni  dans  le  plus  grand 
nombre  des  manuscrits,  un  long  passage  important  qui  suivoit  immédiate- 
ment ces  mots  :  L'an  de  grâce,  etc.  Le  voici  tel  que  le  renferment  les  deux, 
manuscrits  auxquels  j'ai  déjà  emprunté  les  articles  contre  Engucrrand  de 
Marigny  : 

«  Apres,  en  l'an  de  grâce  ensuivant  mil  trois  cent  et  quinze,  Engucrran 
de  Marigny,  qui,  au  Temple  estoit  en  fers  serré  et  tenu  en  prison,  voiant 
et  aiiperccvant  que  il  fust  en  i>cril  de  mort,  lors  pensa,  par  une  espérance 

TOM.     V.  19 


218  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

quinze,  comme  on  traitast  par  une  voie  moyenne  contre  le 
dit  Enguerran  ,  renomme'e  courut  que  à  l'instance  de  la 
femme  Enguerran  estoient  faites  images  de  cire  pour  en- 
voulter  le  roy  et  messire  Charles  et  autres  barons.  Et 
estoient  iceux  vouls  de  cire  eu  telle  manière  fais  et  ou- 
vrés que  se  longuement  eussent  duré,  les  devant  dis  roy  et 
conte,  chascun  jour,  n'eussent  fait  que  amenuisier  ,  defrire 
et  sécliier,  et  en  brief  les  eussent  fait  de  maie  mort  mou- 
rir. Loi  s  par  la  volonté  de  Dieu  et  par  son  jugement ,  par 
aventure  occulte  fu  sceu  et  aperceu  d'aucuns,  et  tantost  fu 
noncié  à  Charles  de  Valois;  lac|uelle  chose  Charles  de  Yalois 
entendue,  et  de  ce  moult  esbahi,  lors  au  roy  de  Navarre 
Loys  son  neveu  vint  isnelement,  et  luy  raconta  teles  felon- 
nies ,  desloiaux  et  détestables  fais.  Lequel  roy  Loys, 
chascun  jour,  pourtraitoit  envers  le  dit  conte  la  délivrance 
du  dit  Enguerran ,  et  tant  ,  si  comme  l'en  dist ,  avoit 
jà  fait  et  procuré  envers  ses  adversaires  c|ue  le  devant  dit 


decevable,  cornent  il  poist  ses  aneniis  à  mort  baillicr  et  traire.  Et  par  art 
de  diable  eulx,  si  comme  l'en  dit,  destruire  et  especialenicnt  Charles  le 
cjmte  de  Valois  elle  comte  de  Saint-Pol,  qui  estoient  ses  très  grans 
aversaircs.  Et  adont,  manda  sa  femme  la  dame  de  Marigny  et  la  suer  à 
ladite  dame,  la  dame  de  Chantelou,  et,  si  comme  il  fu  dit,  son  frère  l'ar- 
chevesque  de  Sens ,  que  il  venisscnt  pour  parler  à  lui.  Adonc  iceulx 
ensemble  venus,  si  orent  conseil  ensemble  et  Irailiérent  la  mort  des 
devant  dis  contes;  et  après,  sa  femme,  la  dame  de  Marigny  retournée 
avec  sa  suer,  la  dame  de  Chantelou,  en  sa  maison,  tantost  ces  deus  darnes 
mandèrent  et  firent  venir  à  eulx  une  n:!audite  et  mauvaise  boiteuse  qui 
fcsoit  l'or  et  un  mauvais  garçon  qui  avoit  nom  Paviot,  qui  de  tels  sors  se 
savoil  entremettre.  Et  leur  promislrent  moult  de  pecuncs  se  il  féissent 
aucus  vouls  [vitltus)  par  lesquiex  les  devant  dis  contes  peussent  occire. 
Laquelc  chose  otroice  de  iceulx ,  si  firent  les  vouls  et  par  art  magique 
et  de  diable  leur  misrent  noms  et,  si  comme  il  fu  dit,  les  baptisièrcnt 
faussement.  (Etc.  comme  ci-dessus.) 

La  continuation  de  Nangis ,  qui  dit  deux  mots  de  cela,  attribue  la 
tentative  d'envoûtement  à  Jacques  de  Sor,  à  sa  femme  et  à  son  valet,  mais 
toujours  à  la  suggestion  d'Enguerranl  et  de  sa  femme.  «  Quo  comperto, 
»  diclus  Jacobus  in  carcci  c  vincîus,  ex  dcsespcralione  laqueo  se  suspen- 
»  dit,  et  postmodùm  uxor  ejus  concremalur.  » —  La  chronique  mélriijue 
nomme  seulement  Vaviot. 


(13J6.)  PHELIPPE-LE-IiEL.  2l9 

Enguerran  dcvoit  passer  mer  et  aler  en  Chypre,  et  ilecques, 
jusques  au  rapellement  du  devant  dit  conte  Charles,  et  jus- 
ques  à  sa  bonne  volenté,  devoit  estre,  si  comme  l'en  dit,  en 
essil  condampné,  se  cette  maudite  aventure  et  fortunable 
endementiers  ne  fust  avenue.  Etadonc  le  roy  Loys  quant  il 
ot  ces  félonnies  entendues  et  ces  dyaboliques  foifais  de  la 
femme  Enguerran  par  sou  consentement,  lors  si  fu  moult 
esbahi  ,  et  dist  à  Charles  son  oncle  :  «  Je  oste  de  luy  ma 
»  main,  et  puis  des  ore  en  avant  ne  m'en  entremets;  mais 
»  selon  ce  que  vous  verrez  bien  expédient  et  avenant  luy 
»  faites.  »  Adonc  le  roy  Loys  ice  dist^  Charles  conte  de  Va- 
lois qui  autre  chose  ne  queroit  fors  que  le  roy  soy  abstenist 
de  luy  deffendre,  et  qui  jà  avoit  la  dame  de  ]\ïarigni,  avec  sa 
seur  la  dame  de  Chantelou  fait  pi'endre,  et  dedens  le  Louvre 
à  Paris  fait  mètre  en  prison  ;  et  l'autre  boisteuse  maudite 
avec  le  dit  Paviot  en  Chastelet ,  les  vouls  avec  eux  amenés 
et  aportés,  avoit  fait  emprisonner, et  estre  détenus  en  estroite 
garde  ;  lors  adecertes  en  ce  fait  non  reposant ,  le  samedi 
devant  l'Ascension  de  Nostre-Seigneur  Jhésucrist,  si  fist  au 
bois  de  Vinciennes  pluseurs  barons  et  chevaliers  avec  au- 
cuns pers  de  France  assembler,  et  ilec  furent  démonstrés 
aucuns  des  forfais  Enguerran  de  Marigni ,  et  les  auti'es  dé- 
testables félonnies  et  dyablies  de  sa  femme  faictes,  et,  si 
comme  l'en  dist,  de  luy  premièrement  proposées.  Lors  par 
le  jugement  d'aucuns  barons,  pers,  chevaliers  et  barons  du 
royaume  de  France  pour  ce  ilec  assemblés,  Enguerran  fu 
condampné  à  mourir  pour  estre  pendu.  Et  ce  fait,  le  mardi 
ensuivant,  très  bien  matin,  du  Temple  au  Chastellet ,  eu 
une  charete,  tout  ferré  de  ses  ferreures,  fu  amené,  disant  le 
peuple  après  et  de  ce  esjoissant  :  Au  gibel,  au  gibet  soit 
amené  ! 


220  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

LXXVI. 

De  la  mort  Engiœrran  de  Marigni. 

Et  après  ce,  l'endemain,  c'est  assavoir  le  jour  du  mercredi 
en  la  veille  l'Ascension  Nostre-Seigneur ,  le  derrenier  jour 
du  nioys  d'avril,  icelui  Enguerran  de  Marigni  chevalier,  à 
grânt  multitude  de  gent  à  pié  et  à  cheval  de  toutes  pars  ve- 
nans  et  courans  et  de  ce  moult  esjoissans,  du  Chastellet  de 
Paris  en  une  charete,  luy  disant  et  criant  au  peuple  :  Bonnes 
gens,  pour  Dieu  priez  pour  moi!  En  telle  manière  fu  mené  au 
gibet  de  Paris,  et  au  plus  haut  des  autres  larrons  en  ce 
gibet  fu  pendu.  Laquelle  chose  faicte,  en  la  sepmaine  en- 
suivant, la  maudite  boisteuse  et  le  devant  dit  Paviot  furent 
menés  au  gibet,  et  ilec  ladite  boisteuse,  les  vouls  montrés 
au  peuple  qui  ilec  estoit  venu,  en  un  très  ardant  feu  fu  aise, 
et  le  dit  Paviot  sous  son  seigneur  Enguerran  de  Marigni  fu 
pendu.  Et  adecertes  la  dame  de  Marigni  et  sa  seur  la  dame 
de  Chantelou  du  Louvre  où  elle  estoient  en  prison  ostées  et 
ramenées  après  ce  au  Temple  l'ostel  des  Templiers  jadis, 
en  i^lus  forte  prison  furent  encloses. 

LXXYIL 

De  la  mort  Marguerite  femme  le  roy  de  Nai>arre. 

En  cest  an  vraiement ,  la  veille  de  l'Ascension  dessus 
dite  derrenier  jour  d'avril,  fu  morte  Marguerite  jadis  folle 
et  diffamée  royne  de  Navarre  qui  au  chastel  de  Gaillart  en 
Normendie  estoit  emprisonnée,  et  à  Yernon  en  l'églyse  des 
frères  Meneurs  fu  enterrée  (1). 

(1)  La  conlinualion  de  Nangis  ajoute  :  «  Blancha  verf)  carcerc  remanens, 


(1315.)  PHELIPPE-LE-BEL.  221 

Et  en  ce  meisme  an,  Pierre  de  Latilly,  évesque  de  Chaa- 
lons  ,  lequel  estoit  souspeçonné  de  la  mort  Plielippe-le- 
Biau  et  de  son  prédécesseur  (1),  à  l'instance  de  l'arcevesque 
de  Rains,  du  mandement  du  roy,  fu  détenu  en  prison. 

Et  en  ce  meisme  teins,  Raoul  de  Praeles,  lequel  estoit 
ainsi  comme  principal  advocat  en  parlement  du  roy,  fu  mis 
à  Saincte-Genevlève  tant  comme  coupable  et  souppeçonné 
de  la  mort  devant  dite.  Mais  après  moult  de  paines  et  de 
tormens  qu'il  ot  souffert ,  ue  pot-on  riens  traire  de  sa 
bouche  fors  que  bien,  si  fu  franchement  laissié  aler,  et  ot 
moult  de  ses  biens  gastés  et  perdus. 

Et  en  ce  tems,  Huguelin  le  duc  de  Bourgoigne  et  frère  de 
Marguerite  royne  fu  mort,  auquel  son  frère  succéda  en  la 
duchiée. 

Et  en  ce  meisme  tems,  environ  l'Ascension,  messire  Loys 
jadis  conte  de  Nevers  et  de  Rethel,  et  Jehan  de  Namur  vin- 
drent  en  France  et  furent  de  rechief  receus  en  la  grâce  du 
roy  ,  et  furent  rendus  au  dit  conte  ses  deux  contés  des- 
quelles il  avoit  esté  privé  par  avant. 

Et  en  cest  an ,  l'abbé  de  Cistiaux  et  les  procureurs  de 
Robert  conte  de  Flandies  se  comparurent  à  Paris  devant  le 
roy  pour  excuser  le  dit  conte  ,  jasoit  ce  cju'il  eust  esté  se- 
mons personnelment,  pour  confirmer  la  paix  qui  avoit  esté 
l'an  devant  pourparlée  ;  si  l'excusoient  en  telle  manière  et 
disoient  :  que  bonnement  il  n'y  pooit  venir  pour  la  foiblesse 

»  à  servicnle  quoclam  cjus  custodire  deputalo  dicebatur  inipregnata  fuisse 
»  quum  à  proprio  comilc  diceretur  vol  ab  aliis  impregnata.  »  La  Chroni- 
que ntéiriqm ,  après  avoir  longuement  parlé  du  profond  repentir  de  ces 
deux  princesses,  ajoute  que  la  reine  de  Navarre  mourut  de  maladie.  Je 
ne  sais  sur  quelle  autorité  tous  nos  historiens  modernes  ont  répété  que 
Louis  X  l' avoil  fait  élramjler,  et  je  ne  vois  aucune  pièce  à  rapi)ui  de  cette 
allégation  dont  Pap.  Masson  semble  l'inventeur.  M.  31iclielet  a  mémo 
été  plus  loin  en  donnant  aux  lignes  latines  que  je  viens  de  citer  une 
inlerprétaliun  purement  imaginaire.  (Voyez  t.  3,  p.  215). 
(1)  De  son  prédécesseur.  L'évéque  de  Ciiâlons. 

19. 


222  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

de  son  corps  ;  et  si  luy  couroient  sus  aucuns  de  ses  anemis. 
Lesquelles  excusacions  furent  réputées  pour  frivoles  ;  et  une 
pièce  de  tems  après,  c'est  assavoir  la  veille  de  la  Sainct- 
Pierre  et  Sainct-Pol  apostres ,  furent  le  dit  conte  et  les 
Flamens  réputés  pour  contumaux  et  rebelles.  Et  en  ice 
tems,  le  samedi  devant  la  Sainct-Jehan,  trois  femmes  qui 
portoient  poisons,  et  par  les  quelles  l'évesque  de  Chaalons, 
devancier  de  Pierre  de  Latilly,  avoit  esté  empoisonné,  fu- 
rent arsesen  une  petite  isle  qui  est  devant  les  Augustins. 

Et  en  ce  tems,  Jehan  le  fils  messire  Guillaume  de  Flan- 
dres espousa  la  fille  du  conte  de  Sainct-Pol. 

Et  en  ce  tems  il  fu  moult  grant  defîaute  de  vin  en  France. 


Ci  fenisl  l'jrstoire  le  roy  Phelippe-Ie-Biau. 


CI  GOMENCE  L'YSTOIRE  DE  LOYS, 

ROY  DE  FRANGE  ET  DE 

NAVARRE  (i). 


I. 

De  l'ost  de  France  qui  s'en  rei'inl  de  Flandres  sans  l'iciis  faire. 

Après  Phelippe-le-Blaii  l'égiia  en  France  Loys  ,  roy 
de  Navarre  sou  fils,  et  comença  à  régner  l'an  de  l'Incarna- 
cion  Nostre-Seigneur  mil  trois  cent  et  quinze  ;  et  à  Rains  la 
cité,  le  dimenche  après  les  octaves  de  l'Assompcion  de  la 
benoîte  vierge  Marie,  mère  de  Nostre-Seigneur  Jliésucrist, 
avec  sa  femme  la  royne  Climeace  de  Hongrie,  nièce  au  roy 
Robert  de  Secile,  fu  sacré  et  coronné  en  roy.  Laquelle  Cli- 
mence,  fille  Charles  Martel  fils  Charles  le  secont  roy  de 
Secile ,  le  mardi  devant  son  coronnement  icelui  roy  avoit 
espousée  (2). 

Et  en  ce  tems,  les  Juis  que  le  roy  Phelippe-le-Biau  avoit 
cliaciés  de  son  royaume  ,  icelui  roy  son  fils  rappella  à 
Paris,  et  fist  revenir  en  son  royaume  de  France. 

Et  en  cest  an  vraiement,  au  royaume  de  France  fu  le  tems 


())  On  ne  lit  dans  aucune  des  variantes  de  ce  litre  le  sobriquet  de 
J/uïz/i.  Mais  prccédemmenl  nous  l'avons  trouvé  joint  au  nom  de  Louis  X. 
D'où  vient-il!-*  on  l'ignore  j  ce  qu'il  y  a  de  sûr,  c'est  que  UiUin  n'a  jamais 
signifié  autre  chose  que  bruit,  noise,  tumulte. 

(2)  Le  chroniqueur  mentionne  d'abord  le  couronnement  du  roy.  bien 
(jue  les  faits  décrits  immédiatement  après  soient  antérieurs  au  cou- 
ronnement. 


n\  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

(l'esté  si  pluvieux  et  si  mal  naturable  et  les  blés  au  tems 
d'aoust  furent  de  si  maie  cueillette  que  en  nulle  manière  ne 
porent  estre  mis  secs  es  grandies  qu'il  ne  fussent  moilliés, 
né  les  raisins  des  vignes  en  aucune  manière  ne  porent  natu- 
rablement,  si  comme  il  dévoient,  meurer. 

Et  en  ce  meisme  an ,  Loys  roy  de  France  et  de  Navarre 
destitua  de  la  cliancelerie  Pierre  évesque  de  Chaalons,  et 
niist  en  son  lieu  Estienne  de  Mornay  cliambellenc  de  son 
oncle  Charles  conte  de  Valois.  Et  après  ce,  furent  envoies  de 
par  le  dit  roy  Loys  ambassadeurs  à  court  de  Rome  pour 
promouvoir  l'eslection  du  pape  ,  c'est  assavoir  :  Girart  l'é- 
vesque  de  Soissons  ,  le  conte  de  Bouloigne  ,  et  Pierre  de 
Blaive  chevalier  et  docteur  en  droit  canon  et  civil  ;  les- 
quiex  y  féirent  pou  ou  noient.  Et  en  ajirès  envoia  le  dit  roy 
Loys  son  cliambellenc  et  secrétaire  inessire  Hue  de  Boii- 
ville  chevalier  et  avec  luy  certains  autres  messages,  es  parties 
de  Secile  pour  avoir  Climence  la  fille  au  roy  de  Hongrie  en 
mariage. 

Adecertes  en  iccst  an,  au  moys  de  septembre,  quinte  fois 
après  le  rebellement  du  conte  de  Flandres  Robert ,  et  des 
Flamens  non  voullans  tenir  les  convenances  seellées  et  affer- 
mées de  leur  seaux  qu'il  avoient  eues  au  roy  Phelippe  en 
l'an  devant  passé,  Loys  son  fils,  roy  de  France  et  de  Navarre, 
passa  en  Flandres  avec  ses  deux  frères  Phelippe  conte  de 
Poitiers  et  Charles  conte  de  la  Marche  ,  et  ses  deux  oncles 
Charles  conte  de  Valois ,  et  Loys  conte  d'Evreux  ,  et  le 
marquis  d'Anconne  et  le  duc  de  Bretaigne  ;  avec  eux  moult 
de  barons,  ducs  ,  contes,  chevaliers  et  sergens.  Vers  Cour- 
tray  un  grant  ost  assembla  ,  et  si  noble  que  de  grant  temjis 
devant  passé  ne  fu  d'aucun  roy  de  Fi'ance  tel  noble  ost  de 
François  assemblé.  Et  adonc  comme  ilec  parvenissent,  si  fi- 
cliièrent  leur  très  et  leur  tentes,  et  ilec  se  logièrent.  Car 
adecertes  oultre  ne  povoient  passer,  pour  l'iaue  du  fleuve 


(1315.)  LOYS-HUTIN.  325 

près  d'ilecques  courant  que  l'en  appelle  le  Lys,  où  iln'avoit 
nul  pont  par  où  il  peussent  passer.  Et  vraiement  comme  le 
roy  de  France  et  de  Navarre  Loys  fust  ilec  avec  son  très  bel 
ost,  ordenant  pour  faire  appareiller  voie  à  passer  le  fleuve 
du  Lys ,  pour  soy  combatre  aux  Flamens  qu'il  convoi- 
toit  par  très  grant  ferveur  de  courage  ,  les  Flamens  , 
de  l'autre  partie,  oultre  le  dit  fleuve  du  Lys  estoient 
assemblés  à  grant  ost  ;  le  temps  trop  pluvieux  noslre  roy  et 
les  siens  destourbans  à  parfaire  ce  qu'il  avoient  entrepris , 
tellement  les  contrainst  que  en  icelui  ost  boue  si  grant  estoit 
chascun  jour  pour  la  pluie  enforçant  et  croissant  que,  si 
comme  il  fu  dit  pour  voir  ,  les  liommes  et  chevaux  en  la 
boue  et  au  fiens,  en  aucuns  lieux  ,  a  par  un  pou  jusques 
aux  genoux  estoient.  Pour  la  quelle  chose  les  viandes  ne 
povoient  venir  à  l'ost  ,  car  à  traire  et  à  amener  un  toniau 
de  vin  en  nostre  ost,  trente  chevaux  convenoient,  et  à  paines 
le  povoient-il  oster  et  remuer  de  la  boue.  Adoncques  ces 
dommages  et  niales  aventures  nos  François  douloureuse- 
ment contraignans,  la  nécessité  inévitable  et  mescréable  les 
amena  à  ce  que  il  se  départissent  et  remuassent  de  ce  lieu. 
Et  lors  le  roy  de  Navarre  Loys,  par  le  conseil  de  ses  barons, 
le  feu  premièrement  mis  eu  leur  tentes  de  toutes  pars  ,  in- 
glorieux et  sans  riens  faire,  dolent  et  courroucié,  fu  contraint 
à  soy  revenir  en  France.  Et  pour  ce  les  François  mistrent 
en  leur  tentes  le  feu,  que  il  ne  les  povoient  oster  né  remuer 
de  ce  lieu  né  faire  emporter  avec  eux ,  pour  l'abondance  de 
la  boue;  et  ensement  ne  vouloient  que  de  eux  Flamens  eus- 
sent nvd  proffit. 

Et  ainsi  les  François,  leur  tentes  laissiées  et  embrasées, 
et  moult  de  richesces  en  icelles  estant  deguerpies  ,  dolens 
et  courrouciés ,  mouilliés  et  crotés  en  ce  lieu  departans 
en  France  s'en  revindrent.  Et  adecertes,  Loys  roy  de  Navarre 
en  fu  si  couroucié  et  dolent  qu'il  jura  ,  si  comme  l'en  dist , 


22G  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

que  s'il  vivoit  en  l'an  ensuivant ,  les  Flamens  irolt  effor- 
ciement  poursuivre  et  eiivair  sans  demeui-e  ;  et  que  jamais 
n'auroit  vers  eux  nul  accordance  se  du  tout  ne  s'aban- 
donnoient  à  sa  volenté  faire.  Et  laissa  le  roy  en  ces  parties 
pluseurs  sergens  et  soudoiers  avec  appareils  batailleurs 
qui  les  pas  et  les  entrées  gardoient  par  mer  et  par  terre , 
si  que  les  Flamens  à  paine  de  aucune  partie  porent  avoir 
vitaille. 

Et  en  ce  meisme  an ,  au  moys  d'octobre  fu  fait  concile 
à  Senlis  présent  l'archevesque  de  Rains  et  les  cvesques  qui 
sont  dessoubs  luy,  et  pluseurs  autres  prélas  (1)  :  et  là  furent 
proposés  les  deux  cas  dessus  dis  contre  Pierre  évesque  de 
Chaalons  :  adoncques  requist  le  dit  évesque  devant  toutes 
choses ,  que  en  sa  personne  né  en  ses  biens ,  desqviiels  il 
estoit  despouillé,  on  ne  attemptast,  et  que  il  lui  feussent 
restitués;  la  quielle  chose  luy  fu  ottroiée. 

II. 

Incidence  de  sel. 

En  cest  an  à  Paris  fu  si  grant  chierté  de  sel  que  nul  aage 
ne  remembre  né  ne  tient-l'en  en  escript  si  grant  chierté  de 
sel  à  Paris  avoir  esté  veue.  Car  le  boissel  en  fu  vendu 
dix  sols  et  plus  Parisis,  en  forte  mounoie  en  cest  an  decou- 
rant 

(1)  Au  lieu  de  cela,  les  édllions  gothiques  n'ont  pas  craint  de  mettre: 

En  celluy  mcsme  an ,  fu  déposé  et  privé  Varcevesque  de  Reims  et  pluseurs 
autres  prêtas. 


(131G.)  I.OYS-HUTIN.  227 

III. 

Incidence  de  blé. 

Eu  cest  ail  ensement,  environ  le  vingtiesme  jour  du  iiioys 
de  mars ,  au  temps  de  karesme ,  commença  une  si  grant 
clîierté  de  blé  au  royaume  de  France,  et  espéciaumeiit  à 
Paris  et  en  pluseurs  autres  parties,  que  tanlost  après  ensvii- 
vant ,  une  très  grande  famine  en  ensuivi. 

IV. 

Incidence  de  famine. 

En  l'an  de  grâce  après  ensuivant  mil  trois  cent  seize  , 
la  chierté  très  grant  de  blé  fu  au  royaume  de  France  ;  et 
espéciaument  à  Paris  au  temps  de  Pasques  ;  en  telle  manière 
que  le  sextier  de  froment  valut  soixante  sols  parisis  ou 
environ  ,  bonne  et  forte  monnoie  au  temps  de  lors  decou- 
rant. 

Et  après  ce  ensuivant,  pour  ce  que  la  très  grant  famine 
ensuivoit  si  croissant  et  angoisseux ,  pluseurs  hommes  et 
femmes  povres  créatures  ,  traveillans  et  labourans  de  fain , 
par  rues  et  par  places  à  Paris  mouroient. 

V. 

De  la  comcle. 

En  cest  an  ensement,  au  moys  de  mars  par  pluseurs  jours 
à  l'anuitier  ,  la  comète  ,  un  signe  au  ciel ,  fu  veue  au 
royaume  de  Fiance  signefiant  le  destruiment  du  royaume. 


2?8  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

VI. 

Cornent  les  cardinah furent  assemblés. 

Et  en  cest  an  aussi,  Plielippe  conte  de  Poitiers,  frère  Loys 
roy  de  France  et  de  Navarre,  c|ui  en  l'an  devant  passé  estoit 
meude  Paris  et  aie,  du  commandement  son  frère,  à  Avignon 
en  Provence  pour  assembler  les  cardinals ,  se  il  peust  pour 
faire  pape ,  lors  ot  parlement  avec  les  cardinals  qui  ilec 
estoient  demourans,  et  les  fist  assembler  à  la  cité  de  Lyons 
sur  le  Rliosne  pour  élection  du  nouvel  pape  faire  le  jour  de 
la  feste  saint  Pierre  et  saint  Pol  en  juing. 

YII. 

Du  trsspassemcnl  le  roy  Lof  s,  roy  de  France  et  de  Nai>arre. 

En  cest  an  vraiement,  le  jour  du  samedi  après  la  feste  de 
Penthecouste,  le  cinquiesme  jour  de  juing,  au  boys  de  Vin- 
cennes  ,  Loys  roy  de  France  clost  son  derrenier  jour.  Et 
l'endemaiu  ensuivant ,  c'est  assavoir  le  jour  de  la  Trinité, 
sixiesme  jour  en  juing,  à  Saint-Denis  en  France  fu  porté; 
et  l'endemaln  lionnorablement  enterré.  Et  après  ce.  Plie- 
lippe  conte  de  Poitiers  qui  à  Lyon  avoit  longuement  de- 
meuré pour  faire  faire  le  pape ,  oï  nouvelles  de  la  mort 
son  frère  le  roy  Loys ,  lors  pour  ce  à  Paris  se  retrait  et 
revint. 

Et  lors  des  barons  de  France  receu  paisiblement,  prist 
tantost ,  par  l'assentement  et  l'accort  de  eux  ,  la  garde  et  le 
gouvernement  des  royaumes  de  France  et  de  Navarre ,  en 
ses  lettres  son  titre  en  telle  manière  disant  :  «  Phelippe  fds 
»  du  roy  de  France ,  gouvernant  les  royaumes  de  France 
»  et  de  Navarre  ,  à  tous  justiciers  »  ,  etc. 


(1316.)  PHELIPPE  RÉGENT.  229 

Ycelui  roy  de  France  et  de  Navarre  Loys  réjjna ,  après 

son  coronnement ,  couronné  du  royaume  de  France,  neuf 

moys   et  demi   ou   environ   et  laissa  sa  femme  la  royne 

Climence  grosse. 

En  ce  nieisme  an ,  environ  la  feste  de  la  Magdalaine  , 
Loys  conte  de  Clermont  et  Jehan  son  frère  conte  de  Sois- 
sons  avec  pluseurs  autres ,  pristrent  la  croix  de  la  main 
du  patriarche  de  Jliérusalem  pour  aler  Oultre-mer ,  en  la 
présence  de  pluseurs  prélas  pour  ce  à  Paris  assemblés.  Et 
lors  fu  crié  par  le  conte  de  Poitiers  que  tous  ceux  qui  nou- 
vellement avoient  prise  la  croix ,  et  les  autres  qui  par 
avant  l'avoient  prise,  si  comme  il  avoit  fait  son  père  vivant, 
si  ordenassent  et  appareillassent  qu'il  fussent  près  à  la 
feste  de  la  Penthecoste  après  l'an  pour  passer  au  saint 
voiage. 

Et  en  ce  meisme  an,  Jehan  conte  de  Soissons,  qui  avoit 
pris  la  croix  n'avoit  guères ,  mourut. 

VIII. 

Du  coronnement  le  pape  Jehan, 

Et  en  cest  an  ensement ,  les  cardinals ,  à  la  cité  de  Lyon 
sus  le  Rhosne  ensemble  assemblés,  à  un  jour  d'un  samedi 
le  septiesme  jour  d'aoust ,  cslurent  et  firent  nouvel  pape  , 
c'est  assavoir  :  l'évesque  jadis  d'Avignon  une  cité  en  Pro- 
vence ,  cardinal  de  l'églyse  de  Rome  ,  lequiel  deux  cen- 
tiesme  pape  fu  appelle  Jehan  le  vingt-deuxiesme. 

Et  en  celle  cité  de  Lyon  ,  le  jour  de  la  nativité  de  la  be- 
noicte  vierge  Marie ,  le  huitiesme  jour  de  septembre,  fu 
coronnc  et  consacré  de  dyadème  papal ,  présent  Phe- 
lippe  conte  de  Poitiers ,  gouverneur  des  royaumes  de 
France  et  do  Navarre,  Charles  son  frère  conte  de  la  Mar- 

20 


230  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

the,  et  ses  deux  oncles  Charles  et  Loys  ,  et  inoult  d'autres 
barons  du  royaume  de  France  et  d'ailleurs  ,  et  prélas  ,  éves- 
ques  ,  cardinals  et  autre  clergié  et  peuple,  pour  icelui  pape 
en  la  cité  de  Lyon  et  en  icelui  jour  assemblés. 

Et  adecertes  en  cest  aii  ensement,  le  premier  jour  de  sep- 
tembre, au  palais  de  Paris,  par  le  conseil  au  conte  de  Savoie 
et  de  Charles  conte  de  Yalois  ,  et  de  Loys  conte  d'Evreux  , 
et  de  l'évesque  de  Saint-Malo  et  de  pluseurs  autres  éves- 
ques  ,  archevesques  ,  prélas ,  barons  ,  princes  ,  contes  ,  ducs 
et  chevaliers  entre  Phelippe  conte  de  Poitiers ,  régent  du 
royaume  de  France  et  de  Navarre  ,  et  Ptobert  de  Béthune 
conte  de  Flandres,  fu  une  condicion  et  manière  de  paix  par 
lettres  authentiques  faite  et  confirmée  ,  et  des  eschevins  de 
Flandres  pour  tout  le  menu  et  le  gros  peuple  commun 
afFermée. 

Et  en  cest  an  aussi,  au  uîoys  de  septembre,  Robert  d'Ar- 
tois fils  Plielii^pe  d'Artois ,  qui  fu  fils  du  conte  d'Artois 
Robert  qui  mourut  à  Courtray  en  Flandres,  entra  à  grant 
ost  et  noble  chevalerie  de  chevaliers  ensemble  aliés  ,  en  la 
cité  d'Arras  ,  à  luy  usurpant  et  prenant,  ainsi  comme  par 
violence,  la  conté  d'Artois,  au  préjudice  de  la  contesse 
d'Artois  fille  le  dessus  dit  conte  Robcrt(l).  Mais  tout  veu,  et 
considéré  que  les  parties  proposoient,  la  propriété  du  conté 
d'Artois  fu  déclinée  à  la  contesse,  et  pour  bien  de  paix,  la 
conté  de  Biaumont  avec  toutes  ses  appartenances  fu  don- 
née audit  Robert,  et  renonça  au  droit  du  conté  d'Artois,  se 
point  en  i  avoit,  et  le  quitta  et  en  furent  faites  lettres,  et 
jura  que  il  ne  vendi'oit  jamais  encontre. 

En  cel  an, pour  l'accord  traitié  entre  le  roy  et  lesFIamens, 


(1)  Le  seul  mnnuscril  218,  supplément  françois,  contient  l'important 
passage  qui  suit.  —  Nos  historiens  n'ont  pas  assez  remarqué  que  l'avène- 
ment incontesté  de  Philippe-lc-Long  à  la  couronne  de  France  dût  réveil- 
ler naturellement  les  espérances  du  comte  d'Artois. 


(131G.)  PHELIPPE    REGENT.  231 

fu  Loys,  le  conte  de  Nevers,  qui  tant  de  maus  au  royaume 
avoitfait,  leceu  fu  des  Flamens  en  grâce  et  luy  fu  rendue  sa 
conté  où  li  rois  avoit  mis  sa  main.  Et  lors,  li  Flamens  par 
tei're  et  par  mer  se  garnirent  de  vitaille ,  si  qu'en  brief 
temps  il  ot  meilleur  marchié  de  pain  et  de  vin  que  il  n'ot 
en  France.  Et  puis  assés  tost ,  li  Flamens  se  confederèrent 
et  adjoindrent  aux  Baonnois  (1)  et  vindrent  par  nier  contre 
les  François  et  prinrent  quatre  de  leurs  grans  nés  et  les 
ardirent  ;  combien  cjue  il  déissent  lors  le  contraire. 

(2)  Et  cncest  an,  environ  la  chandeleur,  furent  assemblés 
en  la  présence  de  Pierre  d'Arrablay  ,  jadis  chancelier  du 
roy  de  France  mais  nouvellement  avoit  esté  fait  cardinal, 
pluseurs  barons,  nobles  prélas,  bourgois  en  la  cité  de  Paris; 
lesquiels  tous  ensemble  approuvèrent  la  coronacion  de 
Phelippe-le-Lonc,  et  luy  promistrent  obédience  tant  comme 
à  leur  seigneur  ,  et  à  Loys  son  ainsné  fils  après  luy,  tant 
comme  vray  hoir  ;  efde  ces  choses  firent  foy  et  serement  ; 
et  aussi  ceux  de  l'université  de  Paris  aprouvèrent  les  choses 
dessus  dites  ;  mais  il  n'en  firent  pas  serement.  Et  adonc 
fu-il  desclairié  que  femme  ne  succède  pas  au  royaume  de 
France. 

Et  en  cest  an  ,  le  vendredi  après  les  Gendres  ,  Loys , 
ainsné  fils  du  roy  Phelippe-le-Lonc  ,  mourut ,  et  aux  frères 
Meneurs  emprès  son  aïeule  Jehanne  royne  de  France  et  de 
Navarre  fu  enterré. 


(1)  Baonnois. On  chcrcheroit  vainement  dans  Ducange  et  les  autres 
iïlossaires  ce  mot  qui  se  rencontre  fréquemment  chez  les  annalistes  de 
Flandres  et  dans  la  Clironi(iue  métri<iue  attribuée  à  Godefroi  de  Paris. 
Dans  tous  les  cas  il  paroit  désigner  des  corsaires  ou  bandits  de  mer. 

(2)  Gel  alinéa  précieux  n'est  pas  dans  les  manuscrits  antérieurs  à  Gliar- 
Ics  Y. 


C)'  fenist  Vystoire  du  roy  Loys,  roy  de  France  cl  de  Na^'arre- 


CI    COMENGE   L'YSTOIRE  AU   ROY 

PHELIPPE,  QUI  FU  CORONNÉ 

EN  ROY  DE  FRANCE  ET 

DE  NAVARRE. 


De  la  mort  Jehan  Jils  du  roy  Loys  de  France  et  de  Navarre  qu'il  ol 
de  la  roy  ne  Climcnce;  et  cornent  Phclippe  conte  de  Poitiers  fu 
couronné  en  roj  de  France  après  la  mort  du  dit  roy  Jehan. 

En  l'an  de  grâce  mil  trois  cent  seize,  la  royue  Climence 
qui  estoit  enceinte,  chéi  en  une  quartaine  qui  moult  greva 
sa  porteure ,  et  enfanta  un  fils  qui  avoit  non  Jehan  qui 
mourut  assez  tost  après.  Pour  quoy  Plielippe,  conte  de 
Poitiers,  se  mist  en  possession  des  royaumes  :  mais  le  duc  de 
Bourgoigne  (1)  et  sa  mère  luy  estoient  contraires,  et  disoient 
que  la  fille  son  frère  le  roy  Loys  devoit  hériter.  Et  les  autres 
disoient  que  femme  ne  puet  hériter  au  royaume  de  France  ; 
pour  ce  ledit  Plielippe  fu  couronné  à  roy,  et  à  la  nuit  de 
la  Thiphaine  après  fu  receu  comme  roy  à  Paris.  Et  tantost 
il  appella  le  dit  Robert  d'Artois  ,  et  luy  fist  tenir  prison 
longuement  tant  c[ue  accort  fu  fait  et  de  luy  et  de  la  con- 
tesse  d'Artois  que  il  quicta  du  tout  ;  et  l'en  luy  donna  la 
conté  de  Biaumont  en  Normendie  (2). 

(1)  Le  duc  de  Boimjoirjiie.  Eudes  IV,  fils  d'Arjuès  de  France,  fille  de  saint 
I-ouis. 

(2)  Ici  le  lexle  du  manuscrit  de  Charles   V  a  beaucoup  abrcgc   les 

20. 


234  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

II. 

Des  mariages  des  filles  an  roy  de  France. 

En  l'an  mil  trois  cent  dix  sept,  Phelippe  le  nouvel  roy 
changea  le  mariage  qui  estoit  pourparlé  de  la  fdle  au  conte 
d'Evreux  et  du  fils  au  conte  de  Nevers ,  et  voult  qu'il 
préist  une  de  ses  filles,  et  si  fist-il.  Et  le  roy  requéroit  vers 
les  Flamens  que  les  coudicions  de  leur  pais  fussent  confir- 
mées :  mais  les  Flamens  se  descordoient  en  pluseurs  peins, 
pour  quoy  on  ala  au  pape  pour  les  acorder.  Mais  les  mes- 

leçons  antérieures.  Comme  le  sujet  est  d'une  grande  importance , 
on  me  permettra  quelques  réflexions.  Philippe -le -Long  fut- il  roi 
de  France  en  vertu  de  l'application  d'un  article  de  la  loi  salique?  ou 
le  fut-il  parce  qu'on  décida  hautement,  pour  la  première  fois,  la  grande 
question  de  l'inhabileté  des  femmes  au  trône.^  Il  est  certain  que  chez 
aucun  écrivain  contemporain  on  ne  voit  alléguer,  à  cette  occasion,  la  loi 
salique  et  ses  prétendues  dispositions;  il  est  certain  que  plusieurs  pairs 
de  France  réclamèrent  en  faveur  de  la  princesse  Jeanne;  il  est  certain 
que  le  régent  crut  avoir  besoin  de  soumettre  la  question  au  jugement 
sans  appel  de  la  nation  représentée.  Et  ce  fut  réellement  cette  mémorable 
assemblée  qui,  pour  le  bonheur  de  la  France,  trancha  la  question  de  la 
succession  au  trône. 

Voici  le  texte  le  plus  ancien  des  Chroniques  de  France,  tel  qu'on  le 
trouve  dans   plusieurs   anciens  manuscrits,  entre  autres  dans  le  n»   218: 

«  En  ce  temps,  la  royne  Climence  chéi  en  quartaine,  dont  l'enfant  que 
»  elle  avoit  en  son  ventre  en  fu  moult  pené.  Dont  puis,  entour  la  saint 
»  Martin,  elle  enfanta  d'un  fil,  qui  fu  nommes  Jehan  :  mes  il  vesqui  deux 
»  Jours  ou  trois  seulement.  Et  dès  lors,  le  conte  de  Poitiers  tint  comme 
»  roys  le  royaume;  mes  le  duc  de  Bourgoigne  li  mist  contradiction,  pour 
»  sa  nièce,  laquelle  le  royaume  devoit  avoir,  comme  plus  prochaine  fille 
»  de  roy,  par  droit.  Mes  respondu  lui  fu  que  femes  ne  dévoient  pas  suc- 
»  céder  au  royaume  de  France.  Laquele  chose  ne  se  povoit  clerement 
»  prouver.  Et  pour  ce,  le  duc  et  la  duchoise  envolèrent  lettres  à  pluseurs 
»  barons  en  depriant  que  il  ne  s'assentissent  en  la  coronation  de  Phelippe, 
»  le  conte  de  Poitiers.  Et  non  porquant,  le  conte  de  Poitiers  à  grant  com- 
»  paignie  de  gens  d'armes  vint  à  Rains,  et  fist  fermer' les  portes  de  la  cyté 
))  et  ainsinc  se  ûst  sacrer  et  coroner  de  l'arcevcsque.  Mais  le  conte  do 
«Valois  son  oncle  n'i  volt  eslre  présent,  et  Karles  aussinc,  conte  de  la 
>i  Marche,  son  frère,  n'i  daigna  estre,  mais  s'en  parti  de  Rains  le  malin  par 
»  indignacion.  » 


(1317.)  PHELIPPE-LE  LONG.  235 

sages  aux  Flamens  disoient  qu'il  n'avoient  pas  povoir  de 
liens  acorder,  mais  de  laporler  :  et  pour  ce  le  pape  y  envola 
l'archevesque  de  Bourges  et  le  maistre  des  Prescheurs  , 
auxquiels  les  Flamens  respondirent  que  il  feroient  le  dit  au 
pape  ,  mais  qu'il  eussent  seurté  que  le  roy  les  tenist.  Moult 
de  seurtés  leur  furent  offertes,  mais  nulles  ne  leur  en  souffi- 
soient.  Et  quant  il  fu  raporté  au  pape,  il  leur  manda  que  les 
seurtés  estoient  souffisantes  et  que  il  les  presissent;  ce  qu'il 
ne  vouldrent  faire,  pour  quoy  la  terre  demoura  entre- 
dite (1). 

Et  en  l'année  devant ,  le  onziesme  jour  de  septembre, 
à  heure  de  vespres,  fu  très  grant  mouvement  de  terre  qui 
trembla  par  plus  de  cinq  lieues  d'espace. 

Et  en  cest  an,  fu  acort  entre  le  roy  et  le  duc  de  Bourgoi- 
{;ne  qui  prist  à  femme  l'ainsnée  fdle  (2)  le  roy  qui  n'avoit 
point  de  fds.  La  seconde  fdle  fu  fiancée  au  jeune  enfant  le 
tlauphin  de  Vienne  ;  la  tierce  devoit  estre  donnée  au  jeune 
enfant  le  roy  d'Espagne  ,  mais  on  la  donna  au  conte  de  Ne- 
vers  ;  la  quarte  mist  la  royne  à  Loncchaïup,  cordelière  :  et 
les  trièves  des  Flamens  furent  proloigniées  de  Pasques  en 
un  an  après. 

Et  pour  certain,  en  cest  an  fu  le  roy  Phelippe-le-Lonc 
moult  prié  des  amis  Enguerran  de  Marigni  que  il  leur  voul- 
sist  donner  le  corps  du  dit  Enguerran  qui  avoit  esté  pendu, 
et  qu'il  le  peussent  mettre  en  terre  benoicte.  Laquielle 
chose  le  roy  leur  acorda  :  lors  le  firent  ses  amis  oster  du 
gibet ,  et  le  firent  enterrer  (3)  au  milieu  du  cuer  des  Char- 


(1)  Entredite.  La  continuation  de  Nangis  dit  seulement  que  l'affaire  ne 
(lut  être  alors  conclue. 

(2)  L'ainsnée  fille.  Jeanne.  —  La  troisième  fille,  et  non  la  seconde,  fut 
Isabelle,  mariée  au  dauphin  Guigues  VIII,  en  ):520.  —  La  seconde  fut 
Marguerite,  mariée  à  Louis  d'abord,  conte  de  Nevers,  puis  au  conte  de 
Flandres.  —  Ln  quatrième  fut  Blanche. 

(•3)  l'ireii/  enterrer.  Manuscrit  218,  suppl.  fran<;.  '  «  l'u  enterre  à  Valvert, 


23G  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

treux  à  Paris,  avec  Plielippe  son  frère  archevesque  de  Sens  ; 

et  sont  tous  deux  sous  une  pierre. 

Et  en  ce  meisme  an ,  en  Italie ,  environ  la  fin  de  la 
conté  de  Milan  sourdirent  hérites  (1)  de  grant  puissance, 
c'est  assavoir  :  Mahieu  le  visconte  de  Milan  (2)  et  ses  fils  ; 
avec  luy  Galeace,  Marc,  Lucin,  Jehan  et  Estienne  ;  lesquiels 
troubloient  moult  saincte  églyse.  Contre  lesquiels  inquisi- 
cion  fu  faite;  et  furent  trouvés  hérites  manifestement  et 
comme  hérites  furent  condampnés.  Dont  il  avint  que  sou- 
vent il  pristrent  les  messages  du  pape  et  les  bâtirent  et  mis- 
trent  en  prison  et  les  despouillièrent ,  et  despccièrent  les 
lettres  du  pape,  et  si  i-obèrent  pluseurs  églyses  et  en  met- 
toient  ceux  à  qui  elles  estoient  hors ,  et  si  en  tuèrent  plu- 
seurs ;  évesques  et  abbés  boutèrent  hors  de  leur  propres 
lieux  et  les  envolèrent  en  essil ,  et  moult  d'autres  maux 
firent.  Et  par  le  dit  Mahieu  fu  entredit  aux  personnes  de 
l'églyse  sennes,  conseils  (3),  chapitres,  visitacions,  prédica- 
tions ;  et  si  abusa  le  dit  Mahieu  de  pluseurs  pucelles,  et 
depuis  par  force  les  mist  en  églyses  ;  et  viola  par  force  plu- 
seurs nonnains  ;  et  si  nioit  la  résurrection,  ou  il  en  faisoit 
doubte.  Son  aieul  et  son  aieule  furent  hérites,  et,  avec  eux,  la 
Mainfrede  qui  estoit  du  lignage  au  dit  Mahieu  de  par  sa 
mère ,  tenoit  le  Saint-Esprit  avoir  pris  char  hiunaine  ;  si 
furent  ars  tout  en  feu. 

Et  en  ce  temps,  le  pape  fist  moult  de  procès  contre  les 
devant  nommés  hérites,  et  geta  moult  de  sentences 
contre  eux,  et  donna  grans  indulgences  à  tous  ceux  qui 


1)  chiés  les  frères  de  Chartrousse.  »  De  là  seulement,  peut-être,  la  renom- 
mée du  grand  diable  de  Vauvert, 

(1)  Hérites.  Hérétiques. 

(2)  Le  visconte.  «  Malhœus  de  comitibus  Mediolanensîs,  et  ejus  Ollu 
»  Galeacius,  Marchus,  Lucliinus.  »  Il  faudroit,  je  crois,  Filii.  Maffeo  Vis- 
conti,  car  tel  est  son  véritable  et  illustre  nom,  avoit  en  effet  quatre  fils. 

(3)  Sennes,  conseils.  «  Synodes,  concilia,  capitula,  etc.  » 


(1318.)  PHELIPPE-LE-LOiNC.  237 

iioient  à  bataille  contre  eux.  Eu  environ  ce  temps  Loys  de 
Bavière  qui  avoit  esté  couronné  en  roy  des  Romains  s'en 
entra  en  Italie ,  et  avec  les  devant  dis  hérites  s'acompaigna. 


III. 

De  V absolution  le  conte  de  Neç'ers. 

En  l'an  de  grâce  mil  trois  cens  dix-huit ,  Loys  conte  de 
Nevers  fu  accusé  de  moult  de  choses,  sus  lesquielles  ilfu  cité 
sollempnelment  à  Compiègne  à  venir  devant  le  roy  person- 
nelment  à  la  quinzaine  d'aoust  respondre ,  protestacion 
faite  que  s'il  venoit  ou  non  l'en  feroit  droit  de  ses  eschoi- 
tes  (1)  :  car  comme  il  eust  fait  hommage  au  père  le  roy  de 
la  conté  de  Nevers  ,  de  la  baronnic  de  Donzi,  et  de  la  conté 
de  Rethel  qu'il  tenoit  de  par  sa  femme  ,  il  se  tourna  devers 
les  Flamens  encontre  son  seigneur  lige  en  rébellion  pour  faire 
contre  luy  quanqu'il  pourroit,  et  en  confortant  les  Flamens 
contre  le  roy.  Pour  quoy  le  roy  avoit  mis  en  sa  main  les 
dites  terres  ,  fors  que  tant  que  sur  la  conté  de  Rethel  il 
avoit  assigné  à  la  femme  du  conte  certaine  provision  jusques 
à  deux  milles  livres  par  an  :  (et,  à  la  persuasion  des  amis 
d'icelui  conte,  le  roy  le  laissa  parler  à  luy  à  Gisors  et  le 
reçut  en  sa  grâce,  soubs  certaines  conditions  que  il  promist 
à  tenir  ;  et  l'en  luy  rendi  ses  terres)  :  mais,  ce  nonobstant, 
aux  gentils-hommes  de  Picardie  donnoit  faveur  qui  s'es- 
toient  aliés,  au  préjudice  du  roy  ,  aux  Flamens  ;  et  pour- 
chaça  tant  comme  il  pot  que  le  duc  de  Bourgoigne  fist  à 
eux  aliances  en  son  pays  et  en  Champaignc.  Et  commença 
à  garnir  le  chastel  de  Maizières  contre  le  roy ,  si  comme 
pluseurs  jugoient ,  et  les  autres  forteresses  de  Rethel.  Et 

(1)  De  seseschoiiefs,  Du  son  cas.  «  l'icrcl  juslilix  complc'iiciUum,  » 


238  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

quant  le  conte  de  Nevers  et  le  duc  de  Bourgoigae  furent 
acordés,  toutes  ces  choses  furent  découvertes.  Pour  les- 
quelles désobéissances,  ledit  conte  fu  cité  par  devant  le  roy, 
mais  il  n'i  vint  né  envoia.  Et  pour  ce,  derccliicf  ses  terres 
furent  mises  en  la  main  du  roy ,  car  il  s'estoit  tourné  en 
Flandres  avec  ses  enfans. 

En  celle  année  et  celle  devant  fu  cliierté  de  blé  et  de  vin 
en  France;  si  que  le  sextier  de  fourment  fu  vendu  au  prix 
de  soixante  sous  parisis.  Mais  aussi,  comme  par  miracle  de 
Dieu,  la  cliierté  cessa  soudainement  ,  si  que  le  sextier  de 
froment  revint  à  treize  sous  parisis  :  [et  pour  ce,  un  rimeur 
dit  : 

L'an  mil  trois  cent  quatorze  et  quatre, 

Sans  vendangier  et  sans  blé  battre, 

A  fait  Dieux  le  ciiicr  temps  abattre.) 

En  cest  an,  Maliaut,  contesse  d'Artois,  voult  entrer  en  sa 
terre  par  force  de  gent  d'armes;  mais  il  i  avoit  moult  de 
chevaliers  qui  estoieut  aliés  au  conte  au  pais,  qui  signifiè- 
rent à  ladicte  eontesse  que  à  gens  d'armes  elle  ne  entreroit 
point ,  et  que  il  garderoient  le  pas  contre  elle  :  mais  se  elle 
i  vouloit  entrer  simplement,  il  leur  plairoit  bien.  Quant 
elle  vit  que  autrement  n'y  povoit  entrer ,  elle  se  déporta 
delà  chose  que  elle  avoit  commenciée. 

Et  en  ce  meisme  an,  le  pape  Jehan  envoya  messages  aux 
Flamens  etleur  segnifiaque  les  seuretés  que  le  roy  de  France 
leur  offroitil  les  reputoit  pour  souffisans,  et  leur  conseilloit 
que  il  les  presissent,  et  se  il  les  refusoient,  les  reputeroient 
pour  parjures  et  empescheurs  du  voyage  d'Oultre-mer. 
Finableinent ,  il  pristrent  journée  aux  octaves  de  la  feste 
Nostre-Dame  my-aoust,  pour  donner  response.  A  laquelle 
journée  le  pape  envoya  et  le  roy  aussi;  mais  de  par  les 
Flamens  il  n'i  ot  personne  ,  excepté  deux  fils  de  bourgois, 
les  quiels  distrent  qu'il  n'avoient  povoir  de  riens  ordener, 


(1318.)  PHELIPPE-I.E-LOi\C.  2:i9 

mais  s'en  estoient  partis  de  Flandres  pour  querrir  bestes 
qu'il  avolent  perdues  (1),  et  ainsi  furent  les  messages  du  roy 
et  du  pape  moquiés  ,  et  s'en  retournèrent  à  leur  seigneurs. 

Et  en  ce  meisme  an,  fu  moult  grant guerre  en  Lorraine  en 
la  cité  de  Verdun  ,  et  par  telle  manière  entre  les  ciloiens 
que  l'une  partie  bouta  l'autre  hors  la  cité.  Mais  le  conte 
de  Bar  qui  delFendoit  la  partie  qui  estoit  dehors  contre  l'é- 
vesque  de  la  cité  et  contx'e  son  frère  le  seigneur  d'Aspremont, 
si  leur  abati  deux  chastiaux  (2),  et  y  envoia  le  roy  le  connes- 
table  par  lequiel  il  furent  mis  à  paix. 

Et  en  ce  temps,  la  royne  Climence  se  parti  de  France  et 
s'en  ala  à  Avignon ,  et  la  cuida  trouver  son  oncle  le  roy  de 
Secile  :  et  entra  en  Avignon,  mais  son  oncle  n'estoit  pas  venu, 
si  s'en  ala  saluer  le  pape  ,  lequiel  la  reçut  moult  benigne- 
ment  ,  et  luy  eslut  sa  demeurance ,  jusques  à  la  venue  de 
son  oncle,  en  l'ostel  des  seurs  de  Saint-Dominique. 

Et  en  ce  temps  le  pape  Jehan  publia  aucunes  déclarations 
sur  la  ruile  des  frères  Meneurs  ;  et  si  fist  aucunes  constitu- 
cions  lesquielles  il  envoia  à  Paris  et  en  autres  lieux ,  sous 
bulle  ,  et  voult  que  elles  fussent  leues  publiquement  si 
comme  les  autres  décrétales. 

Et  en  ce  temps,  Loys  de  Bavière  oï  dire  que  le  pape  luy 
avoit  refusé  la  bénéicon  impériale  ,  laquielle  luy  estoit 
cleue  de  droit,  si  comme  il  disolt;  car  il  se  reputoit  avoir 
esté  esleu  paisiblement  j  et  pour  ceste  cause  il  luy  appar- 


(1)  Ils  s'exprimèrent  sans  doute  d'une  façon  plus  nette  et  plus  inso- 
lente :  Nous  sommes  venus  pour  chercher  des  bêles,  et  nous  les  avons  trou- 
vées. Il  y  a  un  vieux  dicton  assez  analogue  à  ce  qu'ils  durent  dire  :  Je 
cherche  ma  bêle  ;  qui  l'a  trouvée? 

(2)  Deux  chastiaux.  «  Castrum  solemnc  quod  Diulandium  dicitur  mûris 
1)  diruplis  cl  confractis,  cum  alio  caslro  nomine  Sampigniacuni.  »  — Diu- 
landium doit  être  pour  Viulardum,  aujourd'hui  Diculouarl,  près  de  Ponl- 
à-Mousson.  Samorjnieux,  suivant  le  manuscrit  de  Sainl-Ylctor ,  n»  30C, 
(Samiaginacum)  est  à  deux  lieues  de  Verdun. 


'2i0  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

tenoit  de  recevoir  et  de  distribuer  les  honneurs  de  l'empire 
par  la  manière  de  ses  prédécesseurs.  Si  advint  que,  sans 
requérir  le  pape ,  le  dit  Loys  appella  au  concile  général  ,  et 
fist  son  appellaciou  en  pluseurs  lieux  estre  publiée  ,  et  affu- 
moit  le  pape  estre  hérite ,  meismement  car  il  sembloit  que 
il  se  efForçast  de  subvertir  la  ruile  des  frères  Meneurs, 
laquielle  avoit  esté  confirmée  de  ses  prédécesseurs. 


IV. 

Du  cardinal  qui  vint  faire  la  paix  du  roy  Phelippe  et  du  conle 
de  Flandres. 

En  l'an  mil  trois  cent  dix-neuf,  envoia  le  pape  un  cardi- 
nal,  monseigneur  Gocelin,  du  titre  saint  Mathurin  et  saint 
Pierre  ,  en  France,  pour  faire  la  paix  des  Flamens.  Lequiel 
inist  en  terre  Loys  frère  le  roy  Phelippe-le-Bel  qui  estoit 
conte  d'Evreux  ,  chez  les  frères  Prcscheurs  de  Paris  delès 
sa  femme ,  et  puis  s'en  ala  vers  Tournay.  Lors  envoia  à 
l'évesque  du  lieu  que  il  féist  assavoir  aux  Flamens  sa  venue, 
et  pour  quoy  le  pape  l'avoit  envoie  ;  et  cil  n'y  osa  aler,  mais 
il  y  envoia  deux  frères  Meneurs  qui  furent  mis  en  prison, 
du  commandement  du  conte  qui  s'appareilloit  de  venir 
asségier  Lille ,  et  avoit  avec  luy  la  commune  de  Gant,  Et 
quant  il  voult  passer  la  rivière  du  Lys  ,  ceux  de  Gant  luy 
distrent  :  «  Sire  ,  nous  avons  juré  de  garder  les  trièves  de 
»  nous  et  du  roy,  si  que  sus  luy  ne  vous  suivrons-nous  pas.  » 
Le  conte  se  retourna  courroucié  et  condampna  ceux  de 
Gant  à  une  grande  somme  d'argent ,  la  quielle  il  ne  voul- 
drent  paier  :  pour  quoy  il  fist  garder  les  pas  de  Gant,  si  que 
nul  n'i  osoit  entrer  né  issir  qu'il  ne  fust  mors  ou  pris  ;  et 
les  autres  se  gardèrent  viguereusement.  Le  cardinal  pour- 
chaça  tant  que  le  conte  et  son  fils  vindrent  parler  à  luy  et 


(1319.)  PHËLIPPE-LE-LONC.  241 

les  messages  du  roy  ;  et  fu  oïdetié  que  le  conte  vendroit  à 
Paris  à  la  ini  kaiesme  après  ,  et  feroit  hommage  au  roy  ,  et 
seroient  confirmées  les  condicions  de  la  paix.  Mais  le  conte 
n'y  vint  pas  ,  ains  trouva  raisons  frivoles  et  cavillacions. 

Et  en  ce  meisme  an ,  le  samedi  après  l'Assencion  ,  tres- 
passa  très  noble  homme  Loys  conte  d'Evreux.  Et  le  mardi 
ensuivant ,  présent  le  roy  et  moult  d'autres  barons  et  pré- 
las  ,  et  le  cardinal  Gocelin  qui  estoit  venu  à  Paris  pour  la 
paix  desFlamens,  lequiel  chanta  la  messe,  empressa  femme 
aux  frères  Prescheurs  fu  mis  en  sépulture. 

Et  en  cest  an,  Robert  le  roy  de  Secile  vint  requeiTe  aide 
au  pape:  lequiel  luy  aida  de  dix  galies  ,  lesquelles  il  avoit 
fait  armer  et  appareillier  pour  le  passage  de  la  Terre  sainte. 
Si  les  bailla  et  délivra  audit  Robert  ,  lequiel  roy  en 
adjousta  quatorze  autres  des  seues  ,  et  les  envoia  en  l'aide 
de  ceux  de  Gennes  qui  estoient  asségiés.  Quant  les  Guibe- 
lins  sorent  la  venue  des  dites  galies ,  si  s'en  alèrent  aperte- 
ment  au  devant  et  les  pristrent ,  et  tuèrent  partie  de  ceux 
qui  les  conduisoient,  et  pristrent  le  port  de  Gennes,  et  ardi- 
rent  les  faubours  et  donnèrent  moult  de  fors  assaux  à  la 
cité  de  Gennes. 

Et  en  ce  meisme  temps,  Phelippe  fils  du  conte  de  Valois 
prist  avec  soy  Charles  son  frère  et  moult  d'autres  nobles  du 
royaume  de  France ,  et  s'en  ala  en  l'aide  des  Guelphes  ,  à  la 
requeste  du  roy  Robert  de  Socile,  son  oncle  de  par  sa  mère. 
Si  entra  en  Lombardie  et  vint  à  la  cité  de  Yerseilles;  de  la- 
quelle cité  les  Guibelins  tenoient  une  partie,  et  les  Guel- 
pbes  l'autre.  Si  fu  receu  des  Guelphes  à  très  grant  joie  , 
et  assailli  les  Guibelins  bonnement  au  plus  tost  que 
faire  le  pot  ;  mais  il  vit  que  il  y  faisoit  pou ,  car  il  avoient 
entrée  et  issue  en  la  cité  à  leur  volenté.  Si  ot,  sur  ce,  con- 
seil et  s'en  issi  de  la  cité  ,  mais  il  mist  un  embusche  de- 
dens  la  cité,  si  furent  les  Guibelins  si  près  pris  que  il  ne 

21 


242  LES  GRAiNDES  CHRONIQUES, 

poient  plus  issir,  né  ne  leur  povoit-on  aporter  \ i taille- 
Quant  les  Gulbelins  virent  ce  ,  si  mandèrent  à  Maliieu  (1) 
capitaine  de  Milan  que  il  leur  voulsist  aidier. 

Et  en  ce  meisnie  an  ,  environ  la  feste  de  monseigneur 
saint  Jehan-Baptiste ,  il  avint  en  Espaigne  que  un  noble 
homme  en  armes  et  en  proesce,  tuteur  et  garde  de  l'enfant, 
roy  de  Castelle ,  comme  par  sa  proesce  et  celle  d'un  sien 
oncle  qui  avoit  à  non  Jehan  eussent  moult  de  fois  guerroie 
les  Sarrasins ,  et  tellement  cjue  on  espéroit  que  en  brief 
temps  il  eust  conquis  le  dit  royaume  et  mis  en  la  main  des 
crestiens,  toutes  fois  la  chose  fu  autiement  menée  par  la 
volenté  de  Dieu  et,  espoir,  par  nos  péchiés.  Car  comme  les 
nos  fussent  cinquante  mille  tant  à  cheval  comme  à  pié,  tous 
armés  contre  cinq  mille  de  Sarrasins  ,  si  avint  cjue  avant 
que  il  se  deussent  combatre ,  le  dit  Jehan  fti  au  lit  malade 
et  mourut.  Quant  ces  nouvelles  furent  scènes  en  l'ost ,  il 
furent  tous  esbahis  ,  et  par  telle  manière  ,  que  jasolt  ce  que 
il  véissent  clèrement  la  victoire  estre  à  eux  attribuée,  onc- 
ques  ne  se  vouldrent  combatre  celle  journée.  Et  pour  ceste 
cause  fu  la  mort  du  dit  Jehan  plus  hastée  ,  car  il  avoit  crié 
et  fait  crier  celle  journée  que  on  se  combatist  ;  mais  on 
n'en  fist  riens ,  dont  il  ot  si  grant  doleur  au  cuer  qu'il  en 
mourut  plus  briefiuent.  Et  adonc  tout  l'ost  des  crestiens 
s'en  commença  à  fuir  ainsi  comme  tous  esbahis  ;  mais 
comme  les  Sarrasins  les  peussent  avoir  tous  tués ,  toutes 
voies  nul  des  Sarrasins  n'ensuivi  l'ost  des  crestiens  ;  dont  il 
avint  que  un  Sarrasin  dist  au  roy  de  Garnate(2),  car  le  dit  roy 
n'i  estoit  pas  présent  au  fait  :  »  Sire,  ne  doutez  pas,  car  Dieu 
»  s'est  courroucié  aux  crestiens  et  à  nous  ;  car  comme  il  fus- 
»  sent  si  grant  cjuantité  cju'il  peussent  de  nousaAoir  eu  brief- 

(1)  Maliieu.  Rîafl'eo  Yisconli. 

(2)  Carnaie.  Grenade. 


(13i9.)  PHELIPPE-LE-LONC.  243 

»  ment  victoire  ,  nul  de  eux  ne  nous  a  osé  assaillir  ;  et  nous 
I)  comme  il  s'en  fuioient  les  peussions  avoir  mis  à  mort,  toute- 
»  fois  aucuns  de  nous  ne  les  ont  ensuivis.  » 

Et  en  ce  temps,  entre  Loys  duc  de  Bavière  et  Ferri  duc 
d'Austrie ,  et  ses  frères  Leopold,  Othon  et  Jehan,  pour 
l'occasion  de  l'eslection  entre  les  deux  ducs  faite  et  célé- 
brée en  grant  discorde,  sont  nés  très  griefs  périls  de  mort. 
Car  l'un  ardit  la  terre  de  l'autre  ;  si  roboient  l'un  l'autre, 
moult  de  leur  citoiens  firent  mourir,  et  ceux  qui  estoient 
riches  furent  mis  par  eux  à  povreté. 


De  la  paix  qui/a  faite  entre  le  roy  Phelippe  et  le  conte  de 
Flandres. 

En  l'an  de  giace  mil  trois  cent  et  vingt,  à  l'instance  d'un 
cardinal  vint  le  conte  de  Flandres  à  Paris  (I);  (et  tant 
fu  fait  par  le  conseil  du  cardinal  et  des  amis  au  conte,  qu'il 
fist  hommage  au  roy.  Lors  tous  supposèrent  que  la  paix 
fu  confermée ,  car  il  ne  sembloit  pas  que  l'homme  guer- 
roiast  son  seigneur,  né  le  sire  son  homme)  :  et  furent  là 
les  procureurs  des  communes  de  Flandres  qui  avoient  po- 
voir  de  confirmer  la  paix.  Mais  un  malicieux  advocat  qui 
avoit  non  Baudoyn  ,  et  avoit  tous  les  jours  trouvé  poins 
pour  le  conte  tenir  en  sa  rébellion ,  si  fu  au  faire  la  pro- 
curacion  des  dites  communes,  et  y  fist  mettre  un  point  , 
que  les  dis  procureurs  féissent  telle  paix  au  roy  comme 
le  conte  feroit.  Et  pour  ce  sembloit  qu'il  ne  povoient  con- 

(1)  A  Paris.  Variante  du  manuscrit  218  :  u  Avec  sa  fille,  une  sage  dame 
»  qui  famé  avoit  esté  du  seigneur  de  Courcy.  »  —  La  suite  de  ce  cliapitrc 
est  conforme,  non  pas  ù  la  continuation  de  Nangis,  mais  à  la  chroniiiue 
inédite  de  Sainl-Viclor  déjà  citée,  et  conservée  sous  le  n»  30G. 


214  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

fermer  la  paix  se  le  conte  ne  la  confernioit.  Or  avint  que  fu 
assignée  journée  à  confermer  les  poins  de  la  paix  :  mais  le 
conte  dit  qu'il  ne  feroit  riens  se  on  ne  luy  rendoit  Lille  et 
Bétliune  et  Douay  ;  ce  que  Enguerran  de  Marigny  ,  pro- 
cureur son  père  ,  luy  avoit  dit  et  promis.  Car  quant  l'acort 
fu  fait  entre  le  père  le  roy  et  le  conte  ,  il  luy  de  voit  assi- 
gner douze  mille  livres  de  rente  dedens  le  royaume  ;  et  pour 
ce  qu'il  ne  le  fist  pas ,  le  roy  reçut  ces  trois  villes.  Enguer- 
ran y  fu  envoie  et  conseilla  au  conte  que  il  les  quittast  au 
roy  pour  la  dite  rente  ;  et  il  luy  donna  espérance  que  il 
pourchaceroit  envers  le  roy  que  il  luy  rendroit  assez  tost 
de  grâce  especial.  Et  adonc  cil  le  crut  et  f  urentlettres  faites  de 
la  quittance  en  telle  condicion  que  elles  ne  seroient  bailliées 
au  roy  tant  qu'il  ne  auroit  faite  la  dite  gTace.  Enguerran  s'en 
retourna  au  roy  et  luy  bailla  les  lettres  sans  luy  faire  men- 
cion  de  la  grâce ,  et  tint  le  roy  ces  villes  comme  seues 
propres.  Pour  ce,  ne  luy  vouloit  le  conte  accorder  nulle  paix 
devant  que  il  les  réust,  et  le  roy  Phelippe  (1)  fu  courroucié 
et  dist  (2)  qu'il  n'auroit  jamais  les  dites  villes.  Si  le  fist  ainsi 
jurera  son  oncle  et  à  son  frère.  Et  ce  jour  meisme  le  conte 
de  Flandres  se  parti  de  Paris  et  se  liasta  d'aler,  avant  que 
le  temps  d'aler  fausist.  Les  procureurs  des  villes  envoièrent 
après ,  et  luy  f u  dit  que  il  ne  se  partiroient  de  Paris  tant 
qu'il  eussent  fait  ferme  paix  au  roy,  et  qu'il  n'avoient  chose 
en  leur  procuiacion  qui  l'empescliast,  efqu'il  savoient  bien 
l'intencion  de  ceux  qui  les  avoient  envoies  ;  et  que  s'il  re- 
tournoient sans  riens  faire  ,  il  n'avoient  teste  où  il  peus- 
sentmettie  leur  chaperons.  Quant  le  conte  oï  ce.  si  sot  bien 
se  les  villes  ne  luy  aidoient  que  il  seroit  tantost  déshérité  ;  si 


(1)  Phelippe.  Philippe-lc-Long. 

(2)  Et  disl.  Variante  du  manuscrit  218  :  «  Et  jura  l'ame  son  père  que 
»  jamais  le  conte  ne  Icndroit  la  seigaorie  desdites  villes.  » 


(1320.)  PHELlPPE-LE-LOiNC.  245 

s'en  revint  à  Paris,  et  fa  la  paix  conferniôe  et  le  nuiriajje 
fait  de  la  fille  au  roy  et  du  fds  au  conte  de  Nevers. 

VI. 

De  la  muelle  des  paslouriaitx. 

En  cest  an,  commença  en  France  une  muette  sans  nulle 
discrétion  :  car  aucuns  trufteurs  publièrent  que  il  estoit 
révélé  que  les  pastouriaux  dévoient  conquerre  la  Saine  te 
Terre,  si  s'assemblèrent  en  trèsgrant  nombre;  et  acouroient 
les  pastouriaux  des  champs,  et  laissoient  leurbestes;  et 
sans  prendre  congié  à  père  né  à  mère  ,  s'ajoustoient  aux  au- 
tres ,  sans  denier  et  sans  maille.  Et  quant  cestui  qui  les 
gouvernoit  vit  qu'il  estoient  si  fors ,  si  commencièrent  à 
faire  maintes  injures  ,  et  se  aucun  de  eux  pour  ce  estoit 
pris  ,  il  brisoient  les  prisons  et  les  en  traoient  à  force  ,  dont 
il  firent  grant  vilenie  au  prévost  de  cliastelet  de  Paris,  car  il  le 
trébuchièrent  par  un  degré,  et  n'en  fu  plus  fait  (  1  ).  Si  se  parti- 


(1)  Et  n'en  fn  plus  fait.  Ta  ils  n'en  curent  aucune  punilion.  Et  il  n'eu  fu 
rien.  —  La  continuation  de  Nangis  ajoute  :  «  Undè  et  in  pralo  S.  Gcrmani 
»  quod  dicilur  Pratum  Clcricorum,  se  quasi  defensari  ad  pr.i^iium  paravo- 
»  runt ,  nulius  tamen  contra  eos  exivit,  »  Le  manuscril  218  dit  :  «  Et 
»  meismement  assailiirent-il  cl  bâtirent  le  prévost  de  Paris  Cille  Hakin.  » 
Pour  le  manuscrit  de  Saint- Victor,  voici  comme  il  s'exprime  ici  :  «  A'ene- 
»  runt  Parisius  ubi  cùm  eorum  aliqui  in  S.  Murlinum  de  C;mipis  carcere 
»  proptcr  eorum  maleficia  lenerentur,  pcr  eorum  viulentiam  sunt  ex- 
«tracti;  ad  Castellatum  posteà  venienlcs ,  proposilum  sibi  assisterc 
»  altemptanlem,  per  quosdam  gradua  eum  prœcipilavermit  undè  graviter 
"  fuit  collisus.  Inde  ad  S.  Gernianum  de  Pralis,  ubi  recepti  sunt  curialiter, 
»  et  comperto  quod  ibi  uUus  de  sociis  eorum  tencbalur,  lecesscrunt,  et 
»  in  prato  quod  dicitur  scolarium  se  receperunt.  Audierant  enim  quoil 
>'  miles  Yigilii  (te  chevalier  du  Guet),  cum  raultitudinc  armatorum  conlra 
»  eos  venire  debebat,  et  ipsi  ibi  tutiiis  quùni  aliter  se  custodirenl.  Miles 
»  autcm  non  venit,  nescio  quo  consilio  impcditus,  ilàque  de  Parisiis 
«  rccesscrunt.  »  (F»  491  \°). 

Nous  avons  déjà  vu,  sous  le  régne  de  saint  Loul? ,  un  mouvcmcul  de 

21. 


24G  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

rent  de  Paris  robaut  les  bonnes  gens,  el  les  villes  les  laissoient 
aler ,  puis  que  Paris  n'i  avoit  mis  nul  conseil  ;  et  s'en  vin- 
drent  jusques  en  la  terre  de  Langue  d'Oc  ;  et  tous  les  Juis  qu'il 
trouvoient  il  occioient  sans  merci;  né  les  baillis  ne  les  po  voient 
garantir ,  car  le  peuple  crestien  ne  se  vouloit  mesler  con- 
tre les  crestiens  pour  les  Juis.  Dont  il  avint  qu'il  s'en  fuirent 
en  une  tour  bien  cinq  cens ,  que  hommes ,  que  femmes , 
que  enfans  ;  et  les  pastouriaux  les  assaillirent  et  ceux  se 
deffendirent  à  pierre  et  à  fust  ;  et  quant  ce  leur  failli,  si  leur 
gettèrent  leur  enfans.  Adonc  mistrent  les  pastouriaux  le  feu 
en  la  porte  ,  et  les  Juis  virent  que  il  ne  poroient  escliaper,si 
s'occistrent  eux-meismes.  Les  pastouriaux  s'en  alèrent  vers 
Carcassonne  pour  faire  autel,  mais  ceux  qui  gardoient  le 
pays  assemblèrent  grant  ost  el  alèrent  contre  eux,  et  il  se 
dispex-sèrent  et  fuirent  çà  et  là  ,  et  les  pluseurs  furent  pris 
et  pendus  par  les  chemins ,  ci  dix ,  ci  vingt ,  ci  trente  ;  et 
ainsi  failli  celle  folle  assemblée. 

Et  en  cest  an  ensement,  l'en  mist  sus  au  conte  de  Nevers 
qu'il  vouloit  empoisonner  son  père  ;  et  Ferri  de  Piquegni 
envoia  au  père  un  garçon  qui  luy  pria,  tout  en  plourant,  que 
il  luy  pardonnast  le  mesfait.  «  Sire ,  »  dit-il,  «  vostre  fds  de 
»  Nevers  me  commanda  que  je  féisse  ce  que  frère  Gautier  son 
»  confesseur  me  diroit  ;  et  il  me  bailla  poisons,  et  commanda 
»  que  je  les  vous  douasse,  mais  je  ne  l'ai  pas  fait.  »  Cil  frère  fu 
pris,  et  mis  en  prison  et  géhenne  ,  et  il  ne  recognut  riens  ;  il 

pastoureaux  presque  enlièrcmcnl  semblable  à  celui-ci.  On  peut  croire 
que  les  cérémonies  de  la  veille  de  Noël  contribuêreni  alors  à  exalter  la 
tête  des  esprits  foibles,  et  à  encourager  les  plans  audacieux  des  charla- 
tans. Le  plus  ancien  et  le  plus  célèbre  des  Noëls  parvenus  jusqu'à  nous 
commence  par  ces  mots  : 

Laissez  paistrc  vos  bestes, 
l'astoureaux,  par  mons  et  par  vaux. 
Laissez  paislre  vos  bestes  , 
Et  venez  chanter  l\oe. 


(1320.)  PHELIPPE-LE-LONC.  247 

firent  mettre  aguet  au  conte  de  Nevers,  et  fu  pris  et  mis  en 
un  chastel  qui  est  en  la  marche  tl'Alemaigne  ,  et  fu  garde  du 
seigneur  de  Fiennes  et  de  Ferri  de  Piquegni,  et  du  seigneur 
de  Renty  ,  par  le  commandement  son  père  et  de  Robert  son 
frère,  à  qui  le  père  vouloit  donner  la  conté  de  Los  c|ui  estoit 
en  l'empire.  (Mais  le  commun  de  Flandres  ne  s'i  voult 
acorder  ,  car  c'estoit  une  noLle  porcion  de  la  conté  ,  né  il 
ne  vouloient  que  le  dit  Robert  se  méist  si  avant.  )  Quant  le 
roy  Phelippe  sot  que  le  conte  de  Nevers  estoit  en  prison  , 
si  envoia  au  conte  sollenipnels  messages  ,  qu'il  le  féist  déli- 
vrer ;  lequiel  dist  qu'il  appelleroit  ses  barons  ,  et  feroit 
droit  de  ce  que  il  luy  conseilleroient.  Et  ainsi  n'en  fu  plus 
fait ,  car  ceux  qui  le  tenoient  ne  le  vouloient  point  délivrer 
se  il  ne  leur  pardonnoit  du  tout  sa  prison,  en  telle  manière 
que  par  luy  né  par  autre  dommage  ne  leur  en  vendroit  ; 
mais  à  ce  promettre  ne  se  voult  le  conte  de  Nevers  acorder 
de  trop  lonc  lems  ;  à  la  parfin  il  s'i  acorda  ,  mais  à  l'acor- 
der  il  y  mistrent  si  griex  condicîons,  que  se  il  ne  s'i  accordast 
il  fust  déshérité  :  car  entre  les  autres  il  y  en  avoit  une  qu'il 
n'entreroit  en  Flandres  tant  comme  son  père  vivroit  ,  et 
ainsi  son  père  mort  et  luy  absent ,  Robert  son  frère  se 
meltroit  en  possession  de  la  conté. 

Et  en  ce  meisnie  temps  ,  comme  Henri  dit  Caperel , 
né  de  Picardie  et  prevost  de  Paris ,  détenist  un  riche 
homme  homicide  et  coupable  de  mort  au  chastelet  de 
Paris ,  et  le  jour  aprochast  que  l'en  le  devoit  pendre  pour 
ses  démérites,  le  dit  prévost  fist  prendre  u.n  povre  homme 
qui  estoit  en  prison  en  chastelet ,  et  luy  imposa  le  nom  du 
riche  et  le  fist  jiendre  au  commun  gibet ,  et  laissa  aler  le 
riche  homicide  sous  le  non  du  povre  innocent.  Duquiel 
fait  le  dit  prévost  fu  convaincu  par  ceux  cjui  à  l'enciueste 
faire  furent  députés  ,  si  comme  l'en  dist  :  et  avec  ce  crime 
y  en  ot-il  pluseurs  autres,  pour  quoi  fu  par  les  députés  du 


248  LES  GRA.N'DES  CHRONIQUES, 

loy  à  exiquéiiv  des  fais  jugié  à  estre  pendu  ;  non  obstaut 
que  pluseuis  de  ses  favorables  déissent  que  on  le  faisoit 
mourir  par  envie. 

Et  en  cest  an,  Mahieu  capitaine  de  Milan ,  quant  il  sot 
la  nécessité  des  Guibelins  qui  luy  avoient  requis  aide , 
comme  devant  est  dit ,  si  leur  envoia  Galeace  son  fds. 
Quant  Phelippe  de  Valois  sot  sa  venue,  si  fist  savoir  de  luy 
par  message  s'il  avoit  intcncion  de  conibatre  à  luy  et  aux 
siens  ;  adonc  respondi  Galeace  que  ce  n'estoit  pas  son  inten- 
cion  de  soi  combatre  contre  aucun  de  la  maison  de  France, 
mais  tant  seulement  secourre  sa  terre  et  deffendre  ses 
amis  qui  estoient  en  péril.  Lors  luy  respondi  Phelippe 
de  Valois  :  «  Se  vous  entendez  aux  Guibelins  porter  vitaille, 
»  mon  intencion  est  de  y  contrester  au  mieux  que  je  pourrai.  » 
Geste  response  fu  dite  afin  que  Galeace  se  déportast  de  eux 
porter  vivres.  Si  respondi  Galeace  :  «  Je  porterai  vivres  aux 
»  Guibelins  qui  sont  enclos  ;  et  se  aucuns  me  veident  comba- 
»  tre  je  me  defFendrai.  »  Adoncques  Phelippe  se  départi  du 
siège ,  et  se  esloigna  environ  d'une  lieue  en  une  place  qui 
luy  sembla  estre  convenable  pour  combatre.  Auquiel  lieu 
vint  Galeace,  et  avoit  devisé  son  ost  en  trois  parties;  et 
estoit  chacune  partie  de  son  ost  greigneur  la  moitié  que  la 
compaignie  Phelippe  de  Valois ,  si  comme  l'en  dit.  Si  as- 
semblèrent, et  passèrent  le  ditPhelipjie  et  les  siens  toute  la 
première  partie  de  l'ost  Galeace  :  quant  Phelippe  de  Valois 
vint  à  la  seconde ,  si  se  doubta  qu'il  ne  fust  enclos  ,  si  pris-  ' 
trcnt  trièves  les  uns  aux  autres ,  car  il  avoit  pou  de 
vivres  par  devers  le  dit  Phelippe  de  Valois  ;  et  ainsi  s'en 
retourna  sans  plus  riens  faire. 


(1321.)  rHELlPl'E-LE-LOKC.  243 

vir. 

De  la  condampnacion  des  mesiaux  (1). 

En  l'an  mil  trois  cent  vingt  et  un,  le  loy  estoiten  Poitou, 
et  luy  aporta  l'en  nouvelle  que  en  la  Langue  d'Oc  tous  les 
nicsiaux  estoient  ars,  car  ilavoient  confessé  que  tous  les  puis 
et  les  fontaines  il  avoient  ou  vouloient  empoisonner  ,  pour 
tous  les  crcstiens  occire  et  concilier  de  messcUerie  ;  si  que  le 
seigneur  de  Partenai  luy  envoia  sous  son  seel  la  confession 
d'un  meselde  grantrenon  qui  luy  avoit  esté  accusé  sur  ce  qu'il 
recognut  c|ue  un  grant  Juis  et  riche  l'avoit  à  ce  incliné,  et 
donné  douze  livres  et  baillé  les  poisons  pour  ce  faire  ;  et 
luy  avoit  promis  que  se  il  povoit  les  autres  mesiaux  amener 
à  ce  faire  ,  que  il  leur  administreroit  deniers  et  poisons.  Et 
comme  l'en  luy  mandast  la  recepte  de  ces  poisons,  il  dist 
qu'il  estoit  de  sanc  d'homme  et  de  pissast,  et  de  trois  ma- 
nières de  herbes  ,  lesquielles  il  ne  sot  nommer  ou  ne  voult , 
et  si  y  metoit-on  le  corps  Jhésucrist  ;  et  puis,  tout  ce  on 
sechoit,  et  en  faisoit-on  poudre  que  l'en  metoit  en  sachiets 
que  l'en  lyoit  à  pierres  ou  à  autre  chose  pesant,  et  la 
getoit-on  en  iaue  ;  et  c|uant  le  sachet  rompoit  si  espandoit 
le  venin. 

Et  tantost  le  roy  Phelippe  manda  par  tout  le  royaume 
que  les  mesiaux  fussent  tous  pris  et  examinés;  desquiels 
pluseurs  recognurent  que  les  Juis  leur  avoient  ce  fait  faire 
par  deniers  et  par  promesses,  et  avoient  fait  quatre  conciles 
eu  divers  pays,  si  que  iln'avoit  meseleric  au  monde  fors  que 
deux  en  Angleterre  dont  aucuns  n'i  fust  en  l'un  (2),  et  en 

(1.)  Mesiaux.  Lépreux. 

(2)  En  l'un.  Dans  l'une  de  ces  asscniblces. 


250  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

einporto'ient  les  poisons.  Et  leur  donnoit-on  à  entendre  que 
quant  les  grans  seigneurs  seroient  mors  ,  qu'il  auroient 
leur  terres  ,  dont  il  avoient  jà  devisé  les  royaumes ,  les 
contés  et  les  évescliiés.  Et  disoit-on  que  le  roy  de  Garnate, 
que  les  crestiens  avoient  pluseurs  fois  desconfit ,  parla  aux 
Juis  que  il  voulsissent  emprendre  celle  malefaçon  ,  et  il 
leur  donroit  assez  deniers  et  leur  administreroit  les  poi- 
sons ;  et  il  distrent  que  il  ne  le  pourroient  faire  par  eux  ; 
car  se  les  crestiens  les  véoient  appioucliier  de  leur  puis,  si 
les  auroient  tantost  souppeçonneux  ;  mais  pai-  les  mesiaux 
qui  estoient  en  vilté  pourroit  estre  fait  ;  et  ainsi  par  dons 
et  par  promesses  les  Juis  les  enclinoient  à  ce  :  et  pluseurs  re- 
nioient  la  foy  et  metoient  le  corps  de  Jliésucrist  en  poisons, 
par  quoy  moult  de  mesiaux  et  de  Juis  furent  ars  ;  et  fu 
ordené  de  par  le  roy  que  ceux  qui  seroient  coupables  fus- 
sent ars  ,  et  les  autres  mesiaux  fussent  enclos  en  maladre- 
ries  sans  jamais  issir  ;  et  les  Juis  furent  bannis  du  royaume  ; 
mais  depuis  y  sont-il  dcmourés  povu-  une  grant  somme  d'ar- 
gent. 

En  cest  an  meisme  avint-il  un  cas  à  Vitri  qui  estoit  tel , 
que  comme  quarante  Juis  fussent  emprisonnés  pour  la 
cause  devant  dite  des  mesiaux ,  et  il  sentissent  que 
bricfment  les  convendroit  mourir ,  si  commencièrent  à 
traitier  entre  eux  en  telle  manière  que  l'un  d'eux  tueroit 
tous  les  autres ,  afin  que  il  ne  fussent  mis  à  mort  par  la 
main  des  incirconcis  :  et  lors  fu  ordené  et  acordé  de  la 
volenté  de  tous  que  un  qui  estoit  ancien  et  de  bonne  vie  en 
leur  loy  les  metroit  tous  k  mort  ;  le  cjuiel  ne  s'i  voult 
acorder  s'il  n'avoit  avec  luy  un  jeune  bomme  ;  et  adonc  ces 
deux  les  tuèrent  tous  ,  et  ne  demoura  que  ces  deux  :  et  lors 
commença  une  question  entre  eux  deux,  le  quiel  metroit 
l'autre  à  mort  ?  Toute  fois  l'ancien  fist  tant  par  devers  le 
jeune  que  il  le  mist  à  mort;  et  ainsi  demoura  le  jeune  tout 


(1321.)  PHELIPPE-LE-LONC.  251 

seul ,  et  prist  l'or  et  l'argent  de  ceux  qui  estoient  mors ,  et 
commença  à  penser  coment  il  pourroit  eschaper  de  celle 
tour  où  il  estoit.  Si  prist  des  draps  et  en  fist  des  cordes  ,  et 
se  mist  à  paine  pour  descendre  :  mais  sa  corde  si  fu  trop 
courte ,  et  si  pesoit  moult  pour  l'avoir  qu'il  avoit  entour 
luy  ,  si  chéi  es  fossé  et  se  rompi  la  jambe  ;  le  quiel  quant  il 
fu  là  trouvé ,  si  fu  mené  à  la  justice  ,  et  confessa  tout  ce 
que  devant  est  dit  ;  et  lors  fu-il  condampné  à  mourir  avec 
ceux  que  il  avoit  tué. 

Et  en  ce  meisme  an,  conçut  le  roy  et  ot  en  pensée  de  or- 
dener  que  par  tout  son  royaume  n'auroit  que  une  mesure  et 
une  aune.  IMais  maladie  le  prist ,  si  ne  pot  accomplir  ce 
que  il  avoit  conceu  ;  et  si  avoit  eu  en  propos  que  toutes 
les  inonnoies  du  royaume  fussent  venues  à  une.  Et  cette 
chose  le  roy  avoit  intencion  de  faire. 

Et  en  cest  an  meisme,  le  pape  condampna  une  erreur  que 
aucuns  avoient  controuvée  par  envie  ;  car  pour  retraire  les 
gens  de  venir  à  confession  aux  religieux,  il  affirmoient  c]ue 
ceux  qui  à  eux  se  confessoient ,  combien  que  il  eussent  pri- 
vilège du  pape  de  o'ir  les  confessions  et  de  eux  absoudre , 
il  estoient  tenus  de  confesser  ces  meismes  péchiés  à  leur  pro- 
pre curé  ;  mais  le  pape  avoit  fait  nouvellement  une  décré- 
tale  et  avoit  affermé  c|ue  c'estoit  erreur ,  et  commanda 
que  nul  ne  soit  si  hardi  de  ce  plus  dire  ,  et  fist  que  un 
maistre  de  théologie  qui  ce  avoit  prceschié  et  déterminé  en 
pluseurs  escoles,  le  rappellast ,  et  avoit  nom  maistre  Jehan 
de  Poilli,  piquart. 

En  cest  an  meisme,  le  roy  Phclippe ,  combien  qu^'il  fu 
franc  et  débonnaire  ,  par  le  mauvais  conseil  d'aucuns  c|ui 
plus  amoient  leur  proffit  qu'il  ne  faisoient  la  paix  du 
royaume ,  voult  lever  de  tous  ses  subjets  trop  grant  exac- 
tion ;  si  que  le  menu  peuple  disoit  qu'il  vouloit  avoir  le 
quart  de  chascun,  combien  qu'il  ne  semblast  pas  que  ce  fust 


252  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

vérité  de  si  graut  somme  ;  et  jà  estoient  semons  les  boiirgois 
de  Paris  et  des  autres  bonnes  villes  qui  se  merveilloient  et 
disoient  :  «  Qu'est  devenue  la  rente  du  royaume  et  les  dixies- 
»  mes  et  les  annviels  des  bénéfices  dont  il  a  eu  les  rentes  du 
»  premier  an,  et  la  svibvencion  des  Juis  et  des  Lombars?  et  si 
»  ne  paye  nulle  debte  né  les  aumosnes  que  ses  ancestres  ont 
»  donné  aux  povres  religieux  et  aux  filles  Dieu  ,  et  prent  en- 
»  core  à  créance  tout  ce  qu'il  prent.  Né  il  n'a  tenu  clievau- 
»  ciliée  né  fait  édifice  si  comme  son  père  fist.  Où  est  tout  ce 
»  fondu?  »  Si  se  ponsoient  que  aucuns  cjui  estoient  entour  luy 
l'avoient  emboursé  et  conseillié  de  lever  ceste  exaction  pour 
mieux  embourser.  Et  encore  avoit-il  requis  le  dixiesme  du 
pape,  et  le  pape  luy  ottroia  se  les  prélas  s'i  accordoicnt.  Pour 
quoy  il  leur  requist  cjue  chascun  assemblast  ses  suffragans 
pour  demander  leur  assentement.  Lesquiels  luy  respon- 
dirent  que  le  passage  d'Oultre-mer  n'estoit  pas  prest ,  pour 
quoy  il  convenist  jà  donner  le  dixiesme  ;  mais  quant  il  le 
seroit,  il  luy  ottroieroient  volentiers  ou  il  iroient  avec  luy. 
Si  avint  au  commencement  d'aoust,  que  le  roy  cliéi  en 
deux  grièves  maladies  ,  c'est  assavoir  :  En  quarte  et  en  flux 
de  ventre  et  de  sanc  ,  et  langui  moult  longuement  ;  et  fu- 
ient faites  pluseurs  processions  pour  luy  empêtrer  garison, 
mais  né  prières  né  pliisiciens  n'i  valut  riens  ,  qu'il  ne  tres- 
passast  le  tiers  jour  de  jenvier  qui  fu  le  dimenclie  des  octa- 
ves saint  Jehan  l'évangéliste  ,  entour  mienuit.  Et  l'ende- 
main  de  la  Tbiphaine,  il  fu  enten-é  à  Saint-Denis  ,  et  son 
cucr  fu  mis  aux  frères  Meneurs  de  Paris  et  ses  entrailles 
aux  Preescbeurs.  Ne  targa  pas  sept  jours  après  que  la 
royne-mère,  qui  fu  femme  au  roy  Phelippe  qui  mourut  en 
Arragon  ,  trespassa  à  Vcrnon  ,  et  fu  aportée  à  Paris  ;  et  son 
corps  fu  mis  aux  frères  Meneurs,  délès  le  cucr  le  roy  Phe- 
lippe son  seigneur. 


(1321.)  PHELIPPE-LE-LONC.  253 

(I)  Et  en  icest  an  chéi  si  grant  plenté  de  noif  (2)  à  Paris 
et  au  pays  d'entour  qu'il  n'est  mémoire  que  oncques  en 
cliéist  tant  ;  et  ce  fu  par  trois  fois.  Et  en  ot  si  grans  mon- 
ciaux  par  les  rues  de  Paris  que  à  paine  y  povoit-on  aler,  si 
la  convcnoit  porter  aux  champs  ou  à  Saine  en  hostes 
ou  en  tomberiaux  ,  et  les  voies  dehors  et  les  fossés  en 
furent  si  plains  qu'il  y  ot  assez  de  péril  à  aler  à  pié  et  à 
cheval. 

Un  escolier  du  royaume  de  Suesce  (3)  qui  estoit  appelé  Be- 
neoit,  prestre  et  honneste  personne,  estudiant  à  Paris  en  la 
science  de  Canon,  ot  un  varlet  qui  ot  nom  Lorent.  Cestui  Lo- 
rent  en  l'an  de  Nostre-Seigneur  miltrois  cent  quatorze,  le  di- 
mcnche  après  Pasques,  du  royaume  dessus  dit  aportoit  ar- 
gent à  son  maistre  ,  lequlel  entra  en  la  mer.  Et  lors  vint  si 
grant  tempeste  que  tous  ceux  qui  estoient  en  la  nef  furent  en 
péril  de  mort  ;  et  lors  chascun  d'eux  commença  à  deman- 
der aide  à  Dieu  à  qui  obéissent  la  mer  et  les  vens.  Cestui 
Lorent  ot  espécial  dévocion  à  Saint-Denis  :  et  si  voua  et 
promlst  que  s'il  povoit  estre  délivré  du  péril ,  le  plus 
tost  qu'il  seroit  à  Paris ,  il  iroit  visiter  le  lieu  des  corps 
saints  à  Saint-Denis  ;  et  tantost  il  vindrent  à  port  de  salut. 
Et  quant  le  dit  Lorent  vint  à  Paris ,  il  ne  luy  souvint  du 
veu  qu'il  avoit  promis  à  Saint-Denis  ;  et  targa  trop  d'acom- 
plir.  Si  avint  une  journée  que  Dieu  qui  par  maladies  et  par 
bateures  rappelle  les  cuers  des  bons ,  envoia  une  grief 
maladie  au  dit  Lorent ,  en  telle  manière  qu'il  perdi  ainsi 
comme  tout  son  sens ,  et  qu'il  n'ot  membre  de  quoy  il  se 
peust  aidier.  Et  si  sembla  à  son  maistre  et  à  deux  autres 
qu'il  estoit  en  péril  de  mort  ;  et  ceste  maladie  n'estoit  pas 

(1)  Toute  ceUc  fin  du  règne  de  Philippe  V  n'est  pas  dans  la  continua 
lion  de  Nangis. 

(2)  Noif.  Neige. 

(3)  Suesce.  Suède. 

TOM.    V.  22 


254  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

épiletique  (1),  mais  ce  fu  du  jugement  de  Dieu  et  de  saint 
Denis.  Va  quant  Beneoit,  maistre  de  celui  Loicnt,  vit  qu'il 
estoit  en  si  gianl  péril ,  il  en  fu  moult  esbalii  ;  et  commença 
à  penser  qu'il  pourroit  faire  pour  sa  santé?  Et  par  la  grâce  de 
Dieu  il  luy  vint  en  mémoire  d'aler  en  pèlerinage  à  Saint- 
Denis,  selon  ce  qu'il  avoit  oï  dire  à  son  varlet  quant  il  estoit 
en  santé,  et  si  pensa  qu'il  n'a  voit  pas  acompli  son  pèlerinage, 
et  pour  ce  il  estoit  encheu  eu  la  dite  maladie.  Si  le  voua  à 
saint  Denis  en  disant  en  ceste  manière  :  «  S:''  saint  Denis  donne 
»  santé  à  mon  varlet,  je  luy  promet  que  je  avec  mon  varlet  de- 
»  main  à  s-on  moustier  irai  dévotement.  »  Et  tantost  en  l'eure 
qu'il  ot  promis  son  veu ,  il  sembla  au  dit  Lorent  qu'il  eust 
mieux  dormi  que  qui  eust  esté  malade.  Et  si  luy  apparut 
un  homme  de  moult  révèrent  cliiere ,  qui  estoit  vestu  en 
habit  de  évesque ,  qui  avoit  le  cliief  coppé  parmi  le  col , 
selonc  ce  que  nous  luy  demandasmes  diligeamment  ;  et  si 
parloit  au  dit  Lorent  la  langue  de  Suesce  ,  et  luy  dist  : 
S/ac  oh  Jip  ,  harst  ;  kntli  hiisnina  liait  mam  hili  gai  atter 
hura.  Qui  vaut  autant  à  dire  en  françois  :  «  Liève  sus  tau- 
»  tost,  et  is  (2)  hors  de  la  ville  vers  Septentrion,  et  tu  trou- 
»  veras  un  homme  par  lequiel  tu  seras  guéri.  »  Et  quant  la 
vision  fu  départie,  Lorent  fu  tout  sain  et  commença  à  faire 
sabesoigne  parmi  l'ostel,  comme  il  avoit  acou&tumé.  Et  quant 
le  maistre  du  dit  Lorent  ot  oi  la  vision  et  veue  la  santé 
de  son  varlet ,  il  alèrent  tous  deux  à  Saint-Denis  l'endemain 
bien  matin,  la  douziesme  kalende  de  juing,  pour  visiter  les 
corps  sains  selon  ce  qu'il  avoient  promis  :  et  rescript  et 
raconta  le  dit  Beneoit ,  en  la  présence  du  dit  Lorent  son 
dit  varlet,  tout  ce  qui  leur  estoit  avenu  ;  et  selon  droit , 
nous  devons  croire  audit  Beneoit  qui  estoit  hommehonneste, 

(1)  Epiletique.  C'csl-à-dire,  il  me  semble  :  Ne  provenoit  pas  du  démon. 

(2)  Is.  Sors. 


():321.)  PHELIPPE-LK-LONC.  255 

et  par  meilleur  raison  à  luy  et  à  deux  autres  prestres  qui 
virent  ledit  Lorent  ainsi  malade  qui  le  nous  ont  tesmoignié 
en  leur  consciences,  et  nous  le  devons  croire  certainement. 
Et  quant  ce  miracle  fu  ainsi  approuvé  en  l'cglyse  monsei- 
gneur saint  Denis,  on  fist  sermon  devant  le  peuple  et  sonna- 
l'cnles  cloches  à  l'oiineur  de  Dieu  et  de  monseigneur  saint 
Denis  ,  et  fu  chanté  à  haute  voix  en  l'églyse  :  Te  Deiun  lau- 
daiims. 

(1)  En  ce  temps  avint  en  la  cité  d'Arras  que  deux  femmes 
en  estât  de  béguîgnage  feignoient  que  il  leur  estoit  venu  en 
appert,  par  la  révélation  d'un  ange,  qu'il  allassent  au  roy  de 
Fiance  luy  segnifier  de  par  Dieu  que  toutes  les  religions  de 
f;>mmes  fist  annuler ,  et  ilecques ,  es  lieux  desdites  reli- 
gieuses méist  frères  de  telle  règle  comme  la  religion  estoit. 
Si  vindrent  au  roy  et  luy  disrent  que  dit  est.  Adonc,  le  roy 
les  entendit  moult  bénignement,  nonobstant  qu'il  fust  très 
fort  malade,  et  cuidoit  que  ce  feust  vray  ;  si  assembla  son 
conseil  et  fu  trouvé  que  ce  n'estoit  que  une  dérision,  et  fu- 
rent prises  et  après  laissées  aler. 

Du  roy  Phelippe  qui  fu  mort  en  l'an  mil  trois  cens  vingt 
et  un  vint  en  succession  le  royaume  ,  sans  nul  contredit ,  à 
Charles  conte  de  la  Marche  ;  et  fu  couronné  à  Reins  le  di- 
menche  de  la  quinquagesime ,  c'est  vingt  et  uniesme  jour 
de  février  ;  mais  il  ne  vint  à  Paris  devant  le  karesme 
après. 

En  cel  an,  avoit  le  roy  d'Angleterre  eu  victoire  de  ses  ane- 
mis:  car  le  conte  de  Lenclastrc  avoil  csinu  pluseurs  contes 
et  pluseurs  barons  contre  luy ,  condjien  qu'il  fust  son 
cousin  germain,  et  s'esforçoit  de  luy  deshériter  :  sienne 
il  avint  que  les  gens  le  roy  orent  bataille  contre  eux  ,  et 
fu  occis  le  conte  de  Herefort,  et  le  conte  de  Lenclastre  pi  is 

(I)  Cet  alinéa  manque,  dans  la  plupart  des  manuscrits. 


266  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

et  pluseurs  autres  contes  et  bavons.  Le  conle  de  Lenclastre 

et  la  teste  coppée  ,  et  les  autres  barons  furent  pendus  (1). 


(1)  La  malière  de  cet  alinéa  sera  développée  au  chapitre  deux  du 
régne  suivant. 


Cy  fenissenl  les  Jais  du  roy  Phelippe-le-Lonc. 


CY  COiMENGENT  LES  FAIS  DU  UOY 
GHARLES-LE-BEL. 


I. 


Cornent  le  roy  Charles  fa  dcparli  de  sa  femme  pour  cause  de  fil- 
lolage  ^  et  après  espousa  Marie  file  Henri  jadis  empereur  de 
Rome. 

Après  la  mort  du  roy  Phelippe-le-Lonc  régna  sur  les 
François  Charles-le-Bel  son  frère.  Au  commencement  de 
sou  royaume  (1),  il  escripvit  au  pape  comme  pour  cause  de 
cognacion  espirituelle  ,  laquelle  estoit  entre  luy  et  Blanche 
sa  femme  fdle  de  Maliaut  contesse  d'Artois  ;  laquielle  cou- 
tesse  mère  de  la  devant  dite  Blanche  avoit  levé  et  tenu  sus 
fons  le  roy  Charles  ;  et  ainsi,  selon  les  drois  canons,  le  ma- 
riage estoit  nul ,  meismement  cjue  dispensacion  n'avoit  pas 
esté  faite  né  requise  au  Saint  Père  qu'il  luy  pleust  à  pour- 
veoir  de  remède  compétent  et  convenable.  Laquielle  chose 
quant  le  pape  l'ot  entendue  ,  il  commist  à  l'évesque  de  Pa- 
ris ,  à  l'évesque  de  Biauvais  et  à  messire  GefFroy  du  Ples- 
sié  prothonotoire  de  la  court  de  Rome ,  qu'il  enquéissent 
diligeamment  de  la  vérité ,  et  ce  qu'il  auroient  trouvé  dé- 
nonçassent et  féissent  savoir  à  la  court  de  Rome. 

L'an  de  grâce  mil  trois  cent  vingt  deux ,  la  veille  de 
rAscencion,lepape  diligeamment  informé  que  la  dite  con- 
tesse d'Artois,  mère  de  lu  dite  Blanche,  avoit  levé  des  sains 

(I)  Royaume,  riègne. 

22. 


358  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

fous  le  roy  Charles,  pour  quoy  entre  liiy  et  sa  ligniée  il  avoit 
cognacion  espirituelle ,  donna  sentence  que  au  cas  que 
tlispensacion  n'evist  esté  donnée  du  Saint  Père  ,  le  mariage 
de  Charles  et  de  Blanche  estoit  nul.  Si  donna  congié 
au  roy  qu'il  peust  prendre  autre  femme. 

(l)En  cel  an,  environ  la  Chandeleur,  le  conte  de  Nevers 
fu  délivré  de  prison.  Lequiel  comme  il  f ust  venu  à  Paris  , 
acoucha  de  une  grief  maladie  qui  fu  causée  ,  si  comme  au- 
cuns dient ,  en  la  prison  où  il  fu  mis  ,  et  de  celle  maladie 
il  mourut  ;  puis  fu  enterré  aux  frères  Meneurs  l'endemain 
de  la  Magdelaine.  (2)  Et  ainsi  la  contesse  sa  femme  retourna  à 
son  héritage,  c'est  assavoir  la  conté  de  Tîestel,  de  lac|uielle 
conté  le  dit  conte  en  son  vivant  ne  vouloit  cjue  elle  en  joit, 
combien  que  le  roy  luy  eust  assignée  pour  porcion  ;  et  avec 
ce  deust  avoir  la  moitié  de  la  conté  de  Nevers  pour  son 
douaire. 

(3)  En  cest  meisme  temps,  le  roy  Charles  prist  à  femme 
la  seur  au  roy  de  Boesme,  jadis  fille  de  l'empereur  Henry  et 
conte  de  Lucemhourg,  à  Prouvins  le  jour  de  la  feste  saint 
Mathieu  apostre,  en  septembre.  (Et  de  là,  il  vindrent  à  Pa- 
ris ,  le  jour  de  la  feste  des  l\elic|ues ,  cjul  est  le  derrenier 
jour  de  septendîre  où  la  feste  fu  céléljrée  très  solempnelle- 
ment.  Et  vindrent  ceux  de  Paris  jusques  à  Saint-Denis,  en- 
contre la  royne,  à  cheval  et  à  pié,  à  moult  nobles  paremens.) 

(1)  Inédit. 

(2)  La  On  de  cet  alinéa  n'est  pas  dans  la  conliniiation  de  Nangis,  et 
diffère  dans  beaucoup  de  leçons  françoises  :  «  Et  lors  sa  femme  tourna 
»  en  son  héritaige  de  Rclhcl,  et  pour  son  douaire  deust  avoir  la  conté 
»  de  Nevers.  De  la  mort  du  conte  fu  dit  par  créance  que  l'en  luy  eust 
»  donné  en  sa  prison  quelque  chose  par  quoi  sa  mort  fu  avancée.  Car 
»  il  pensoient  bien  qu'il  estoit  do  tele  conscience  que  se  il  eust  longue- 
»  ment  vescu,  11  n'cust  tenu  envers  son  père  né  envers  ceux  qui  tenu 
»  l'avoient,  nulcs  convenances,  combien  qu'il  les  eust  jurées.  »  (Msc.  do 
Sorbonnc,  n°  iSO.) 

(3)  Inédit. 


(1322.)  CHARLES-LE-BFX.  259 

(1)  En  ce  nieisme  joiu- trespassa  Giraul  Guete,  né  tie  Clei- 
mont  en  Auvergne,  qui  ,  par  sa  soutilleté  et  jnalice  estoiL 
venu  de  petit  estât  en  si  giaiit  qu'il  fu  trésorier  de  Plielippe- 
le-Long.  Mais  commune  renommée  estoit  c|ue  trop  présump- 
tueux  estoit  en  oubliant  son  premier  estât ,  et  en  faisant 
assés  de  molestes,  griefs  et  inconvéniens  au  peuple  et  aux 
nobles  11 om mes.  Dont  le  roy  Charles,  qui  vit  son  trésor 
comme  tout  vuit  ;  —  car  meismement  comme  son  frère  eust 
receu  les  diziesmes  n'avoit  guères  ,  et  pou  avoit  despendu 
et  riens  payé  des  grans  deniers, —  fist  arrester  ledit  Giraut  et 
fist  faire  enqueste  sur  luy.  Laquelle  trouvée  ,  il  fu  con- 
dcmpné  à  paier  treize  cent  mil  livres  sans  l'amende  arbi- 
traire; et  avec  tout  ce,  pour  mieux  savoir  la  vérité  dudit 
trésor  et  des  griefs  que  fais  avoit,  il  fu  mis  en  géhennes  di- 
verses, si  comme  l'en  dit,  dont  il  chéi  en  fièvre  coulinue  et 
morut  en  prison  au  Louvre,  et  fut  enterré  en  l'Ostel-Dieu 
de  la  Magdelaine,  povrement,  du  commandement  du  roy 
qui  dist  que  ceux  qui  meurent  en  prison  royale  ne  doivent 
estre  enterrés  sole  m  jîn  elle  ment ,  pourcjuoi  il  appert  que  à 
tort  aient  esté  pris  ou  emprisonnés. 

Assez  tost  après  Robert  le  conte  de  Flandres  mourut  ;  et 
Loys  fils  du  conte  de  Nevers  qui  avoit  espousée  et  prise  à 
femme  la  fille  au  roy  Phclippe  derrenièrement  trcspassé , 
de  la  volenté  des  communes  de  Flandres ,  lesquielles  com- 
munes avoient  juré  que  il  n'auroient  auti'e  seigneur,  fu  fait 
et  establi  conte  de  Flandres  ;  non  obstant  que  Robert  fils 
du  conte  de  Flandres  et  frère  au  conte  de  Nevers  eust  oc- 
cupé les  chastiaux  et  les  forteresces  de  Flandres,  par  l'aide 
du  conte  de  Namur ,  en  alant  encontre  son  serement  qu'il 
avoit  fait  et  pi'omis  au  roy  ,  quant   il  (3)  maria  sa  fille  à 


(1)  Inédit. 

(2j  II.  I,c  roy,  rhilippc-le-Lonj. 


260  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

l'ainsné  fils  son  frère  le  conte  de  Nevers.  Si  fu  le  serenient 
tel  et  la  promesse  que  se  le  conte  de  Nevers  niouroit  avant 
son  père  le  conte  de  Flandres,  que  la  conté  de  Flandres  ven- 
roit  à  Loys  son  fils,  après  la  mort  du  conte  de  Flandres  ,  et 
non  pas  à  soiî  frère  Robert.  Geste  convenance  jura  à  tenir 
le  dit  Robert  et  l'approuva ,  et  renonça  à  tout  le  droit  qu'il 
povoit  jamais  avoir  en  l'éritage  de  la  conté  de  Flandres  (1). 
Et,  pour  ce,  après  la  mort  au  conte  de  Flandres  les  Flamens 
ne  vouldrent  autre  accepter  que  Loys,  fils  au  devant  dit  conte 
de  Nevers  ;  ainsois  mandèrent  au  roy  et  segnefièrent  que 
s'il  prenoit  et  recevoit  autre  à  hommage  ,  que  le  dit  Loys 
fust  certain  qu'il  prendroient  par  devers  eux  le  gouverne- 
ment de  la  conté  de  Flandres.  Et,  pour  ce,  pristrent  les 
Flamens  le  conte  de  Namur  qui  le  dit  Robert  soustenoit 
comme  son  oncle,  et  le  mistrent  en  prison.  Lequiel  Robert 
quant  il  vit  que  les  Flamens  orent  mis  le  conte  de  Namur 
en  prison  ,  s'en  vint  en  France  pour  ce  qu'il  n'osoit  pas 
bonnement  demourer  au  pays.  Puis  fist  (2)  le  dit  Loys  hom- 
mage au  roy  de  la  conté  de  Flandres  ;  mais  Mahieu  frère 
le  duc  de  LoiTaine  ,  qui  avoit  à  femme  la  suer  du  conte 
trespassé,  laquielle  n'avoit  pas  renoncié  à  son  droit  et  devoit 
sviccéder  comme  hoir  plus  prochain  à  son  père  ,  si  comme 
elle  disoit ,  s'opposa  en  toutes  manières  ;  pour  quoy  le  roy 
ne  voult  accepter  riiommage  du  conte  ;  ainsois  luy  fist 
inhibicion  qu'il  ne  se  portast  pour  conte  né  receust  aucuns 
hommages  jusques  à  tant  que  sentence  fu  donnée  sur  les 
choses  dessus  dites. 

Au  derrenier,  mandèrent  les  communes  de  Flandres  au 


(1)  La  conlinuation  de  Nangis  ne  reproduit  pas  le  reste  du  chapitre. 

(2)  Puis  fist.  Cette  phrase  est  moins  exacte  ici  que  dans  les  autres  le- 
çons. «  Et  Loys,  combien  que  il  fust  petit  et  jeune  enfant,  offri  au  roy  de 
«  France  hommage ,  etc.  »  (Msc.  9C50.) — Nos  historiens  modernes  n'ont 

pas  su  mettre  tous  ces  détails  à  profit. 


(1322.)  CHARLES-LE-BEL.  261 

dit  Loys  qu'il  veiiist  seureinent  à  eux ,  et  il  seioit  leceu 
comme  le  seigneur;  laquielle  chose  il  fist  et  vint  à  eux.  Les- 
quiels  le  reçurent  comme  conte  à  grant  honneur  :  et  com- 
bien qu'il  le  refusast,  ce  sembloit ,  reçut-il  les  hommages 
des  barons  de  Flandres  ,  et  premièrement  du  conte  de  Na- 
niur;  puis  le  (1)  délivra  de  la  prison  aux  Flamens  qui 
pris  l'avoient ,  si  comme  il  est  devant  dit  (2). 


II. 


D'une  (hssencion   qui  vint  entre   le    roy  d'Angleterre    et    ses 
barons. 

En  ce  temps  vint  entre  le  roy  d'Angleterre  et  pluseurs  de 
ses  barons  une  moult  grant  dissencion ,  desquiels  barons 
estoit  chevetaine  principal  le  conte  de  Lencastre  ,  noble 
homme  et  moult  puissant  en  Angleterre  ,  oncle  du  roy  de 
France  par  sa  mère,  et  germain  du  roy  d'Angleterre  de  par  son 
père.  Car  comme  le  roy  d'Angleteri'e  voulsist  entroduire  en 
son  royaume  aucunes  nouvelletés  indeues  encontre  le  bien 
de  tout  son  peuple  et  du  royaume  d'Angleterre  ;  — laquielle 
chose  il  ne  povoit  faire  sans  leur  consentement ,  si  comme 
il  disoient ,  et  meisnaement  qu'il  le  réputoient  et  tenoient 
pour  idiot  et  non  souffisant  au  gouvernement  du  royaume  ; 
—  il  se  rebellèrent  contre  luy ,  tant  que  division  se  fist  des 
barons  d'Angleterre ,  dont  les  uns  nourrissoient  la  partie 
du  roy  et  les  autres  la  leur.  Par  quoy  toute  Angleterre  fu 
mise  en  grant  tribulation  et  meschief.  Et  avint  que  un  che- 

(1)  Le.  Le  comte  de  Namur. 

(2)  J'ai  suivi  pour  tout  ce  ciiapilre  la  leçon  beaucoup  plus  nette  et  plus 
étendue  du  msc.  de  Charles  V,  n"  8395.  Quant  aux  éditions  précédentes 
des  Chroniques  de  Saint-Denis,  elles  l'ont  complètement  omis. 


202  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

valier  d'Angleterre  nommé  Andrl  de  Karle  (1)  qui  désiroit  à 
plaire  au  roy,  espia  en  la  ville  de  Burbugne  (2)  le  devant  dit 
conte  de  Lencastre  et  le  prist  malicieusement  avec  pluscurs 
autres  barons ,  lequiel  amena  avec  ses  prisonniers  et  pré- 
senta au  roy  d'Angleterre. 

En  celle  prise  mourut  et  fu  occis,  sus  le  pont  de  la  ville 
devant  dite  ,  le  conte  de  Harefort.  Après  ce  que  le  conte  de 
Lencastre  et  les  autres  barons  orent  esté  présentés  au  roy , 
il  envoia  les  barons  en  diverses  prisons;  et,  au  conte  de 
Lencastre,  après  ce  qu'il  ot  esté  confessié ,  oi  sa  messe  et 
reçeu  le  corps  Jhésucrist  au  sacrement  de  l'autel ,  fist  la 
teste  couper  ;  et  en  une  abbaie  qui  estoit  près  le  fist  porter 
et  enterrer.  Auquiel  sépulcre ,  si  comme  pluseurs  racon- 
tèrent ,  Nostre-Seigneur  monstra  puis  moult  de  miracles , 
et  fait  encore. 

Et  puis  le  roy  d'Angleterre  ,  en  récompensacion  du  ser- 
vice qu'il  avoit  receu  du  devant  dit  chevalier  Andri  de  Karle, 
donna  à  icelui  la  conté  de  Rarleel  (3)  où  il  y  a  pluseurs 
cliastiaux  et  forteresces.  Mais  icelui  chevalier  Andri  pen- 
sant en  soy  meisme  que  longuement  demourer  en  An- 
gleterre ne  luy  scroit  pas  seure  chose ,  se  transporta  en 
Escoce  ;  et  s'alia  et  ferma  aliances  à  Robert  de  Brus  cpii  en 
ce  temps  estoit  roy  d'Escoce ,  et  luy  promist  à  rendre  la 
conté  de  Karlcel  qui  luy  avoit  esté  donnée ,  et  à  prendre 
sa  suer  à  femme  par  mariage. 

(1)  Les  historiens  anglois,  qui  n'ont  pas  mieux  connu  tous  les  détails 
(jui  vont  suivre  que  nos  historiens  modernes,  nomment  ce  personnage  le 
chevalier  Harklay. 

(2)  Burbugne.  Ou  mieux  Burgh. 

(3)  Rarleel.  Carlislc. 


(Ii22,)  CHARLES-LE-BEL.  263 

III. 

Cornent  le  roy  d'Angleterre  em'olii  Escoce. 

En  ceste  année  meisnie,  le  roy  d'Angleterre,  avec  grant 
plentc  fie  gent  d'armes  qu'U  avoit  assemblé ,  entra  en 
Escoce,  et  gasta  le  pays  tout  environ  jusques  au  chastiau 
de  Pendebroc  (1)  qui  vaut  autant  à  dire  en  françois  comme 
le  chastel  aux  Pucelles,  et  ne  pot  passer  en  avant  pour  vi- 
taille  qui  deffailloit  en  l'ost.  Si  convint  qu'il  se  retournast  ; 
si  renvoia  son  ost  jusques  à  une  montaigue  que  on  appelle 
Blanqvie-More ,  emprès  laquielle  y  a  une  abbaïe.  En  celle  se 
loga  la  greigneur  partie  de  son  ost ,  et  le  roy  tendi  ses  pa- 
veillons  un  pou  loing  de  eux,  si  estoit  la  xoyne  avec  luy 
qui  de  près  le  suivoit.  Quant  le  roy  se  fu  ainsi  logié,  il  donna 
congié  à  son  ost  et  cuida  bien  estre  asseur,  car  il  estoit 
bien  à  vingt-quatre  lieues  loing  de  ses  anemis.  D'autre  part, 
aussi  en  la  dite  abbaïe ,  estoient  logiés  messire  Jehan  de 
Brctaigne  conte  de  Ricliemont  ,  monseigneur  de  Sully 
avec  bonne  compaignie,  lesquiels  estoient  venus  en  message 
au  roy  d'Angleterre  de  par  le  roy  de  France. 

Ore  avint  et  ne  demoura  guères  que  Andri  de  Karle,  dessus 
nommé,  segnefia  aux  Escos  qu'il  venissent  seurement ,  et 
qu'il  trouveroient  le  roy  d'Angleterre  desgarni  île  son  ost 
et  de  sa  gent.  Lesquiels,  quant  il  orent  ce  oi  et  sceu  que  c'es- 
toit  vérité  ,  ainsi  comme  gens  forsenés  et  entalcntés  de  eux 
vengier ,  en  une  nuit  et  un  jour  clievaucliièrent  et  errèrent 
tant  qu'il  vindrent  près  de  l'abbaïe  où  estoient  logiés  mon- 
seigneur Jehan  de  Brctaigne  et  sa  compaignie  devant  dil(; 


{\)  Pendebroc.  Conlinualion  de  Nantis  :  l'cndebovam.  Il  faudroit ,  je 
crois,  Edaiiburg,  dont  l'ancien  nom  éloil  effcclivemoiU  Casintm  Viiclla- 
yiiiii.  —  l',l<mque-More.  Black-Morc  (noir  marais). 


204  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

qui  mengoieut  etestoientà  table.  Et  comme  il  leur  fu  dit 
que  c'estoient  les  Escos  qui  venoient  tous  armés  sus  le 
roy  d'Augleterre ,  à  paine  le  povoieiit-il  croire  né  vou- 
loient.  A  la  par  fui  quant  il  sorent  ainsi  cju'il  estoit  voir  ,  il 
pristrent  leur  armes  et  s'armèrent ,  puis  se  mistrent  noble- 
ment eu  conroy  pour  eux  deffendre,  et  vouldrent  garder  un 
pas  estroit  afin  que  les  Escos  ne  peussent  avoir  passage.  Et 
comme  de  première  venue  il  se  defFendirent  viguereuse- 
ment  et  méissent  à  mort  pluseurs  Escos ,  toute  voies  ne 
porent-il  résister  à  la  grant  multitude  qui  estoit  des  Escos, 
mais  il  convint  qu'il  se  rendissent,  ou  autrement  eux  et 
toute  leur  compaignie  eussent  esté  occis  et  mis  à  mort. 

Quant  le  roy  d'Angleterre  oï  dire  que  les  Escos  venoient 
si  asprement ,  si  fu  moult  troublé  en  cuer  ;  car  il  n'avoit 
avec  luy  cjue  trop  pou  de  gent.Etpour  ce  nécessité  le  contraint 
de  luy  départir  tost  et  isnelment  ;  si  s'en  parti  tantost  :  et  la 
royne  ,  avec  sa  gent ,  s'adressa  vei'S  un  cliastel  très  fort  assis 
sus  une  roclie  qui  joint  à  la  mer  (1),  et  se  mist  ilec  à  garant. 
Un  peu  après,  la  royne  se  doubta  que  elle  ne  fust  assegiée 
des  Escos  et  des  Flamens  :  si  prist  courage  d'homme  et  se 
mist  en  mer  où  elle  ot  moult  à  souffrir  ,  et  fu  en  moult  de 
périls  luy  et  sa  gent ,  et  tant  que  une  de  ses  damoiselles  y 
mourut,  et  une  autre  enfanta  avant  son  terme;  toutes  voies 
à  l'aide  de  Dieu,  elle  arriva  seurement  au  port  d'Angleterre. 
Après  toutes  ces  choses ,  il  vint  à  la  cognoissance  du  roy 
que  messire  Andri  de  Kai'le  avoit  fait  venir  les  Escos ,  et 
faite  celle  traïson;  si  le  fist  espier  le  roy  de  toutes  pars,  tant 
cju'il  fust  pris  et  admené  devant  luy.  Quant  il  le  tint,  il  en 
fist  telle  justice  :  il  fu  premièrement  atachié  à  la  queue  de 
deux  roncins  et  trainé  ,  puis  fu  ouvert  ainsi  comme  un 


(1)  Addilion   du  msc.  21S  :  «  Dont  par  où  !cs  Flamans  vindrent   en 
»  Escossc.  » 


(1322.)  CHARLES- LE  BEL.  2f5 

iwiircel,  et  prist-on  sa  broviaillo,  c'est  à  dire  ses  boiaux  et 
ses  entrailles  ;  et  les  ardist-on  devant  luy.  Puis  luy  coupa 
l'en  la  teste  et  après  fu  pendu  par  les  espaulcs  ;  au  dcrre- 
uier  il  fu  despendu  et  devisié  en  quatre  pièces  :  et  furent 
les  pièces  l'une  çà  l'autre  là  ,  aux  quatre  maistres  cités 
d'Angleterre  portées  et  pendues  (1),  tant  pour  espoventer 
comme  pour  donner  exemple  aux  autres  de  eux  garder  de 
faire  traïson  à  leur  seigneur ,  ou  chose  semblable. 

Depuis,  le  roy  de  France  escript  à  Robert  de  Brus  qui  se 
tenoit  pour  roy  d'Escoce ,  cju'il  luy  rendist  le  seigneur  de 
Sulli  ,  lequiel  il  avoit  envoie  en  Angleterre  comme  messa- 
gier  et  non  mie  contre  les  Escos  ;  si  le  rendi  au  roy  de 
France  franchement  sans  nulle  raençon  ,  mais  le  conte  de 
Richemont  ne  voult  en  nulle  manière  délivrer. 

En  ce  temps,  Loys  ,  fils  le  conte  de  Nevers,  vint  de 
Flandres  à  Paris.  Et  pour  ce  qu'il  ala  en  Flandres  et  reçut 
les  hommages,  contre  l'inibicion  que  le  roy  luy  avoit  faite, 
il  fu  arresté  au  Louvre,  mais  un  pou  après,  en  donnant  cau- 
tion fu  délivré  et  relaschié.  La  cause  de  la  conté  de  Flandres 
pendoit  en  ce  temps  au  parlement,  assavoir  mon  qui  suc- 
céderoit  au  conte  Pvobert  derrenièrement  mort  et  trespassé. 
Si  fu  dit  et  jugié  par  arrest,  considérées  les  convenances 
qui  avoient  esté  faites  et  confermées  par  serement,  pour  Loys 
fils  du  conte  de  Nevers  ;  et  fu  à  la  partie  inverse  imposé 
silence  perpétuel  ;  et  ainsi  le  roy  le  reçut  en  hommage  ,  et 
fu  mis  en  possession  paisible  de  la  conté  de  Flandres. 
(Quant  il  fu  retourné  en  Flandres  paisiblenient,  il  fist  paix  à 
sa  mère  ,  laquielle  par  mauvais  conseil  il  avoit  moult  cour- 
rouciée  par  avant.  Car  comme  elle  fust  hoir  de  la  conté  de 

(1)  Addition  du  msc.  218  :  «  El  lo  ciiicf  mis  sur  la  tour  de  Londres.  Et 
»  ne  pourquant  li  l'.scoz  gardèrent  le  conte  de  Richemont  en  un  fort 
»  cliaslcl,  et  le  seigneur  de  Sully  en  un  autre  jusqnes  au  quaresmc  cnsi- 
M  vant.  « 

23 


266  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

Restel  et  mise  en  possession  et  saisine  ,  il  occupa  et  prist  à 
soy  un  cliastel  en  la  conté  de  Restel  assis  qui  a  nom  Cliastiau 
Renaut  ;  pour  lequiel  ravoir  sa  mère  y  envoia  gens  d'armes 
à  plenté  ;  et  à  l'encontre  le  fils  envoia  contre  sa  mère  mon- 
seigneur Jelian  de  Hainaut,  à  grant  compaignie,  pour  luy 
empescliier  son  propos.  Si  s'en  failli  pou  c{ue  les  deux  osts 
n'assemblèrent  ;  mais  la  mère  se  départi  ,  c'est  à  dire  fist 
départir  ceux  qu'elle  avoit  envoies  ,  pour  ce  qtie  elle  ne  les 
vouloit  pas  mettre  en  péril  de  mort.) 


IV. 


Cornent  Loys  fils  le  conte  de  Ncvers  fu  reccu  en  hommage  de  la 
conté  de  Flandres. 

(Ainsi  retint  le  fils  le  cliastel  contre  sa  mère.  Toutes  voies 
luy  rendi-il  après  ;  mais  nulle  restituclou  ne  luy  fist  des 
despens  c[ue  elle  avoit  fais  de  son  douaire,  ainsi  cjue  elle 
devoit  avoir  par  droit  :  et  en  la  conté  de  Nevers  luy  assigna 
il  le  moins  qu'il  pot  :  c'est  assavoir  trois  mille  et  quatre  cens 
livres  de  tournois  ,  comme  ,  selon  la  coustume  du  pays,  elle 
deust  avoir  eu  la  moitié  de  la  conté.  Et  ainsi ,  comme  dit 
est,  le  dit  Loys,  fils  le  conte  de  Nevers,  fu  mis  en  possession 
de  la  conté  de  Flandres.) 

Le  roy  Charles  déceu  par  le  conseil  d'aucuns  qui  n'ai- 
ment pas  le  profit  commun ,  si  comme  son  père  mua  ses 
monnoies  en  son  temps,  ainsi  mua-il  la  seue  de  fort  à  foi- 
ble  ;  dont  pluscurs  domages  s'ensuivirent  au  royaume  et  au 
peuple.  En  Aleniaigne  les  ducs  en  controverse  esleus  pour 
estre  empereur,  s'entreguerroioient  par  feu  et  par  rapines. 


(1323.)  CHARLES-LK-BEL.  267 


Corne  ni  Jourdain  de  Lille  fu  Iraiaé  et  pendu  au  gibet  de  Paris, 
pour  ses  nieffais. 

L'an  mil  trois  cent  vingt-trois,  un  des  nol)les  hommes  de 
Gascoigne,  très  noble  de  lignage  mais  très  dcsordené  en 
fais  et  en  meurs ,  appelle  Jourdain  de  Lille  ,  à  qui  le  pape 
Jelian  pour  raison  de  la  hautesce  de  son  lignage  avoit  donné 
sa  nièce  à  mariage  (1),  comme  commune  renommée  courust 
contre  luy ,  fu  accusé  devant  le  roy  pour  ses  grans  mes- 
fais  ,  desquiels  il  fu  convaincu  et  ataint ,  car  il  ne  se  pot 
purgier  né  excuser.  Le  roy  à  la  prière  du  pape  Jelian  qui 
luy  avoit  escript  qu'il  le  voulsist  espargnier  ceste  fois  ,  luy 
pardonna  dix-huit  articles  qvii  avoient  esté  proposées  contre 
luy  ,  pour  chascun  desquiels  il  avoit  esté  jugié  digne  de 
mort.  Lequiel  Jourdain  metant  en  oubli  la  grâce  et  le  bien- 
fait que  le  roy  luy  avoit  fait ,  en  riens  du  monde  ne 
s'amenda  ,  mais  ainsi  comme  devant  et  pis  encore  com- 
mença à  maufaire  :  c'est  assavoir  roberies  ,  homicides  , 
tfforcier  femmes,  vierges  despuceller,  estre  rebelle  au  roy. 
Dont  il  avint  que  un  sergent  du  roy  qni  avoit  sa  mace 
esmailliée  de  fleur  de  lis  ,  qui  sont  les  armes  de  France ,  et 
la  portoit  avec  soy  comme  sergent  d'armes  ont  de  cous- 
tume ,  il  le  tua  de  sa  mace  meisme  (2),  et  ne  tint  conte  de 
faire  tieux  mauvaistiés  né  tieux  fais.  Il  avoit ,  si  comme 
on  disoit,  moult  de  mauvaise  merdaille  (3),  robeurs,  nmr- 

(1)  Do;ii  Vaisselle  nie  celte  alliance.  Jourdain  de  Lille,  seigneur  de 
Casaubon,  donl  il  s'agil  ici,  auroit  épousé,  suivant  cet  excellent  historien, 
Catherine  de  Grailly. 

(2)  «  El  du  sergent  auquel  il  avoit  bouté  la  masse  enarmce  des  armes 
»  le  roy,  parmi  le  fondement,  el  puis  l'eust  occis...»  (Msc.  n   218,  Sup.  fr.) 

(3)  Ce  mot,  autrefois  fort  usité,  répondoil  à  ceux  de  canaille,  crapule, 
que  nous  ne  craignons  pas  toujours  de  prononcer. 


268  LES  GPiAxNDES  CHRONIQUES. 

Iriers  et  telle  niaalèie   de  gens  qui   loboieiit   et  despoil- 
loieiit  les  bonnes  gens  clers  et  lays  ,  et  puis  luy  ajjpoitoient 
ce  qu'il  avoient  pillié  et  robe.  Longuement  mena  telle  vie  , 
tant  que  plaintes  et  clameurs  de  rechief  en  vindrent  au  roy; 
pour  quoy  le  roy  luy  manda  qu'il  se  veuist  excuser  devant 
luy  et  ses  barons.  Lequlel  quant  il  entendi  le  mandement 
vint  à  grand  arroy  à  Paris  et  à  graut  orgueil  ;  et  vindrent 
avec  luy  pluseurs  contes  et  barons  qui  en  tant  comme  il  po- 
A'oieut  le  seurportolent  et  excusoient.  D'autre  part  vindrent 
contre  luy  pluseurs  autres  nobles  hommes  :  c'est  assavoir  le 
marquis  d'Ancone  (1)  qui  avoit  esté  neveu  le  pape  Climent , 
et  ses  fils  avec  luy ,  et  moult  d'autres  barons  et  grans  sei- 
gneurs qui  proposoient   contre  luy  moult  de  mauvaistiés 
et  de  forfais ,  lesquiels  il  offrirent  à  prouver  se  ainsi  estoit 
qu'il  les  voulsist  nier.  Et  le  dit  Jourdain  respoudi  que  tout 
ce  qu'il  luy  metoient  sus ,  le  roy  luy  avoit  pardonné.  Mais 
non  obstant  la  response,  il  fu  prouvé  que  après  le  pardon  et 
la  rémission  le  roy  il  avoit  fait  pluseurs   fais  par  cjuoy  il 
estoit  digne  de  mort  :  pour  lesquiels  il  fu  mis  en  prison 
au  cliastelet,  et  puis  du  chastelet  il  fu  mené  devant  les  sei- 
gneurs de    parlement ,  accompaignié  de  gens  d'aiines  ,  et 
ylec  selon  les  mérites  de  ses  fais  fu  jugié  à  estre  digne  de 
mort.   Lors  fu  pris  de  rechief  et  mené  en  Chastelet,  et  le 
samedi,  septiesme  jour  de  may,  fu  tiainé  à  queues  de  che- 
vaux et  pendu  au  gibet  de  Paris  ,  au  plus  haut ,  vestu  des 
draps  du  pape  Jehan  dont  il  avoit  espousée  la  niepce. 

A  la  Penthecoste  ensuivant,  la  royne  Marie,  femme  du 
roy  Charles  et  suer  du  roy  de  Boesme  ,  fu  couronnée  en  la 
chapelle  du  roy  à  Pai'ls  ,  présens  son  dit  frère  et  son  oncle 
l'archevesque  de  Trêves ,  à  grant  multitude  de  nobles  hom- 
mes d'Alemaigne. 

(1)  Appelé  par  D.  Vaisselle /e  w'comfe  de  Lomagne,  t.  4,  p.  101;  et  par 
le  continuateur  de  Nangis,  marchione  de  Aurjonitano. 


(1323.)  CHARLES-LE-BEL.  269 

En  ceste  année  meisnie ,  saint  Thomas  d'Aquin  ,  tic 
l'ordre  des  frères  Prescheurs,  noble  de  lignage  selon  le 
monde  et  excellent  docteur  en  théologie ,  examinacion 
faite  de  sa  vie  ,  de  ses  meurs  et  des  miracles  aussi  que  Dieu 
par  sa  débonnaireté  avoit  fait  ou  faisoit  pour  luy  ;  veu  le 
procès  et  enqueste  sur  ce  diligemment  faites  et  approuvées 
par  le  collège  de  Rome  ;  le  pape ,  par  le  consentement  de 
ses  frères  les  cardinals,  le  canonisa;  et  ordeaa  la  solempnité 
de  la  feste  à  certain  jour  ,  c'est  assavoir  le  quinziesme  joiu- 
de  juignet. 

VT. 

D'un  clial  tout  noir  (juifuinis  en  un  escrin  en  terre  en  unquar- 
refour,  par  sorcelerîe. 

En  ceste  année  aussi,  avint  que  un  abbé  de  Cistiaux  fu 
robe  de  merveilleusement  grant  somme  d'argent.  Si  fist 
tant,  par  la  procuracion  d'un  honnne  qui  demouroit  à 
Chastiau-Landon  et  en  avoit  esté  prévost ,  pour  cjuoy  on 
l'appelloit  encore  Jehan  Prévost  ,  que  convenance 
fu  faite  entre  luy  et  un  mauvais  sorcier  que  on  feroit 
tant  que  on  sauroit  qui  estoient  les  larous ,  et  coinent 
il  seroient  contrains  à  faire  restitucion,  en  la  manière  qui 
s'en  suit  :  premièrement,  il  fist  faire,  à  l'aide  du  dit  Jehan 
Prévost,  un  escrin  et  mettre  dedens  un  chat  tout  noir,  puis 
le  fist  enterrer  en  une  fosse  aux  champs,  droit  en  un  quarre- 
four  ,  et  ordena  sa  viande  :  et  mist  dedens  l'escrin  pour 
trois  jours ,  c'est  assavoir  pain  destrempé  et  mouillié  en 
cresme  ,  en  huille  sainte  et  en  iaue  benoicte  ,  et  à  celle  fia 
tjuele  chat  ainsi  enterré  ne  mourust,  il  y  avoit  deux  pertuis 
en  l'escrin  ,  et  deux  longues  fistules  qui  seurmontoient 
la  terre  que  on  avoit  gettée  sus  l'escrin  ,  afin  que  par  les 
fistules  l'air  })eust  entrer  en  l'escrin  par  quoy  le  chat  pcusi 

23. 


270  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

espirer  et  respirer.  Or  avint  que  bergiers  qui  menoient 
leur  brebis  aux  chauips ,  passèrent  parmi  ce  quarrefour  si 
comme  il  avoient  accoustumé  :  leur  chiens  coinmencièreut 
à  flairier  et  à  sentir  le  chat  ;  tantost  trouvèrent  le  heu  où  il 
estoit,  lors  se  pristrent  à  fouir  et  à  grater  des  ongles  trop 
fort  pour  noyent,  (î)  feust  une  taupe,  si  n'estoit  nul  qui  les 
peust  oster  d'ilec.  Quant  les  bergiers  virent  leur  chiens  qui 
ne  se  vouloient  mouvoir  d'ilec  ,  si  s'approchièrent  et  oïient 
le  chat  miaviler ,  si  furent  moult  esbahis.  Ainsi  comme  les 
chiens  gratolent  tousjours  ,  un  bergier  qui  fu  plus  sage  des 
auti'es  ,  manda  ceste  chose  à  la  justice  qui  tantost  vint  au 
lieu  et  trouva  le  chat  et  la  chose ,  ainsi  comme  elle  avoit 
esté  faite.  Si  se  commença  à  merveillier  trop  grandement, 
et  pluseurs  aussi  qui  estoient  venus  avec  lui.  Et  comme  le 
prévost  de  Chastiau-Landon  fu  angoisseux  et  pensant  en 
soy  meisme  coment  il  pourroit  l'aucteur  de  si  horrible  ma- 
léfice avoir  né  trouver  ,  car  il  savoit  bien  que  ce  fait  n'avoit 
esté  fait  que  pour  aucun  maléfice  faire  ;  mais  à  quoy  né  de 
qui?  il  en  estoit  ignorant.  Avint  ainsi  comme  il  pensoit  en 
soy  meisme  et  regardoit  l'escrin  qui  estoit  fait  de  nouvel, 
il  appella  tous  les  charpentiers  de  la  ville  ,  et  leur  demanda 
qui  avoit  fait  cest  escrin  ?  Après  la  demande  faite  ,  un  char- 
pentier se  mist  avant ,  et  dist  qu'il  avoit  fait  l'escrin  à  l'ins- 
tance d'un  homme  que  on  appelloit  Jehan  Prévost,  mais,  se 
Dieu  luy  voulsist  aidier  (2),  il  ne  savoit  à  quel  fin  il  l'avoit 
fait  faire.  Un  pou  de  temps  passé,  icelui  Jehan  Prévost  fupris 
par  souppeçon,  questioné  fu  et  mis  en  géhenne,  et  tantost 
confessa  le  fait  ;  puis  accusa  un  homme  qui  estoit  le  prin- 
cipal ,  et  qui  avoit  esté  trouveur  de  faire  ce  maléfice  et  ceste 
mauvaistié  ,  appelé  Jehan  Persant  :  après  il  accusa  vm  moine 

(()  Il  semble  qu'il  faudroit  :  Corne  se  ce  fêust. 

(2)  Se  Dieu  lut)  voulsist  aidier.  C'est  la  même  invocalion  que  Dte 
in'aist.  Dieu  lui  fût  en  aide. 


(l;i23.)  CHARLES-LE-BEL.  271 

de  Cistiaux  qui  estoit  apostat  estie  espécial  disciple  de  celuy 
Jehan  Pevsaiit,  l'abbé  de  Saïquenciaux  de  l'ordre  de  Cistiaux, 
et  aucuns  chanoines  rieulés  (1)  qui  tous  estoient  complices 
de  ceste  mauvaistié.  Lesquiels  furent  pris,  liés  et  menés  à 
Paris  devant  l'official  de  l'archevesque  de  Sens  et  devant  l'in- 
quisiteur. Quant  il  furent  devant  eux,  on  leur  demanda  à 
quel  fin  et  pour  quoy  il  avoient  celle  chose  faite ,  et  espé- 
ciaument  à  ceux  que  on  savoit  par  cuidier  (2)  qui  estoient 
les  maistres  de  l'art  au  déable.  Il  respondirent  que  se  le  chat 
fust  demouré  par  trois  jours  au  quarrefour,  après  ces  trois 
jours  il  l'eussent  trait  hors  et  puis  escorchié  ;  après  de  la 
pel  il  eussent  fait  corroies ,  lesquielles  il  eussent  tirées  et 
aloignées  tant  comme  il  peussent  et  nouées  ensemble ,  si 
(|uc  elles  féissent  et  peussent  faire  un  cerne  (3),  en  l'espace 
duquiel  un  homme  peust  estrc  dedens  compris  et  contenu. 
Laquielle  chose  faite  ,  celuy  qui  seroit  au  milieu  du  cerne 
metroit  tout  premièrement  dedens  son  derrière  de  la 
viande  de  cjuoy  le  chat  avoit  esté  nourri ,  autrement  ces 
invocations  n'auroient  point  de  effet  et  seroient  de  nulle 
value.  Et  ce  fait  il  appelleroit  un  déable  appelle  Berich , 
lequiel  vendroit  tantost  et  sans  délai  ,  et  à  toutes  les  de- 
mandes que  on  luy  feroit,  il  respondroit  et  enseigneroit  le 
lurrecin  ,  et  tous  ceux  qui  seroient  principaux  du  larrecin  , 
et  ceux  qui  ce  avoient  fait  ;  et  plus  il  enseigneroit  tout  mal 
à  faire  et  aprendroit  à  qui  luy  demanderoit.  Lesquielles 
confessions  et  droites  diablies  oies  ,  Jehan  Prévost  et  Jehan 
Persant  comme  auteurs  et  principaux  de  ceste  mauvaistié  et 
maléfices  furent  jugiés  à.  estre  ars  et  punis  par  feu.  Mais 
comme  la  chose  fu  targiée  à  faire  et  retardée ,  l'un  des  deux 
c'est  assavoir  Jehan  Prévost  va  mourir ,  duquiel  les  os  et 

(1)  Rieulés.  Réglés  ou  réguliers. 
('2)  Par  cuidier.  Par  conjecuirc. 
(3)  Cerne.  Cercle. 


272  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

tout  fuient  ars  en  poudre  en  detestacion  de  si  horrible 
crime  ;  et  l'autre  ,  c'est  assavoir  Jelian  Persant ,  à  tout  le 
chat  pendu  au  col,  fu  ars  et  mis  en  poudre  l'endemain  de 
la  saint  Nicholas.  Après,  l'abbé  et  le  moine  apostat ,  et  les 
autres  chanoines  rieulés  qui  à  faire  ce  maléfice  avoient 
administré  le  cresme  et  les  autres  choses  ,  furent  première- 
ment dégradés,  et  depuis  ,  par  jugement  droiturier ,  furent 
condampnés  et  mis  en  chartre  perpétuellement. 

(I)  Et  en  cest  an  meisme,  fu  un  moine  de  Morigni ,  une 
abbaïe  emprès  Estampes,  qui,  par  sa  curiosité  et  par  son 
orgueil,  voult  susciter  et  renouveller  une  hérésie  et  sorcerie 
condampnée  cjui  est  nommée  en  latin  ars  notoria ,  et  avoit 
pensé  à  luy  donner  autre  titre  et  autre  nom.  Si  est  cette 
science  telle  que  elle  enseigne  à  faire  figui'es  et  empreintes, 
et  doivent  estre  différentes  l'une  de  l'autre  et  assigniées 
chascune  à  chascune  science  ;  puis  doivent  estre  regardées 
à  certain  temps  fais  en  jeunes  et  en  oroisons.  Et  ainsi,  après 
le  regart,  estoit  espandue  science,  laquielle  en  ce  rcgart  on 
vouloit  avoir  et  accjuérir.  Mais  il  convenoit  que  on  appellast 
aucuns  noms  mescogneus  ,  lesquiels  noms  on  créoit  ferme- 
ment cjue  c'estoient  noms  de  déables  ;  pour  quoy  pluseurs 
celle  science  décevoit  et  estoient  déceus  ,  car  nul  n'avoit 
oncques  esté  usant  de  celle  science  que  aucun  bien 
ou  aucun  fruit  en  eust  raporté  ;  noient  moins  icelui 
moine  reprouvoit  icelle  science,  jasoit  ce  qu'il  fainsist  que 
la  benoicte  vierge  Marie  luy  fust  apparue  moult  de  fois ,  et 
ainsi  comme  lui  inspirant  la  science  ;  et  pour  ce  à  l'hon- 
neur d'elle,  il  avoit  fait  pluseurs  images  paindre  en  son  li- 
vre (2)  avec  pluseurs  oroisons  et  caractères  très  piteusement, 

(1)  Cet  alinéa  renferme  sur  la  supcrslition  du  moine  de  Morigny  bien 
d'autres  détails  que  la  continuation  latine  de  Nangis. 

(2)  En  son  livre.  «  Et  avoit  en  ce  livre  sept  images  pointes  qui  rcpré- 
»  sentoient  les  sept  sciences  que  l'on  vouloit  savoir.  »  (Msc.  218,  S,  F.) 


(1323.)  CHARLES-LE-BEL.  273 

de  fines  couleurs ,  en  disant  que  la  vierge  Marie  luy  avoit 
tout  révélé.  Lesquielles  yniages  appliquées  à  chascune 
science  et  regardées  après  les  oroisons  dites  ,  la  science  que 
on  requéroit  estoit  donnée  :  et  plus,  car  fussent  richesces, 
honneurs  ou  délices  que  on  voulsist  avoir,  on  l'avoit.  Et 
pour  ce  que  le  livre  pronietoit  telles  choses,  et  que  il  escon- 
venoit  faire  invocacions  et  escrire  deux  fois  son  nom  en  ce 
livre ,  et  faire  escrire  le  livre  proprement  pour  soy ,  qui 
estoit  coûteuse  chose ,  autrement  il  ne  luy  vaudroit 
riens  s'il  n'en  faisoit  un  escrire  à  son  coust  et  à  ses  despens  ; 
à  juste  cause  fu  condampné  le  dit  livre  à  Paris  et  jugié, 
comme  faux  et  mavivais  contre  la  foy  crestienne,  à  estre  ars 
et  mis  en  feu. 

VII. 

Comenl  le  seigneur  de  Parlenay  fa  accusé  de  hérésie. 

En  cest  an  avint  en  Poitou  que  le  sire  de  Partenay,  noble 
homme  et  puissant  fu  accusé  par  devers  le  roy  sus  pluseurs 
cas  de  hérésie  de  par  rinquisiteiu(l)  qui  estoit  frère  de  l'or- 
dre des  Prescheurs,  Lequiel  seigneur  quant  il  fu  accusé ,  le 
roy ,  à  petite  délibéracion,  toutes  voies  comme  bon  crestien  (2) 
le  list  prendre  et  arrester  tous  ses  biens,  et  mettre  en  prison 
au  Temple  à  Paiis.  Après,  en  la  présence  de  pluseurs  prélas, 
clers  de  droit,  et  grant  multitude  de gent,ledit  frère  qui  estoit 
breton  appelle  frère  Morise  ,  proposa  en  la  présence  du  dit 
seigneur  de  Partenay  moult  d'articles  touchans  hérésie  ,  et 
requist  qu'il  respondist  et  jurast  de  la  vérité.  Lequiel  sei- 
gneur, au  contraire,  proposa  moult  de  choses  contre  le  dit 
frère  pour  lesquielles  il  alliimoit  luy  non  estre  digne  de 

(1)  De  par  V inquisiteur.  «  Fralrern  Mauriliuni.  » 

(2)  Comme  bon  crestien.  G'csl  du  roi  qu'il  s'agit. 


274  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

l'office  d'inquisiteur  ;  né  ne  voult  respondre  né  jurer ,  ain- 

sois  appella  à  court  de  Rome  de  son  audience,  se  aucune 

cstoit. 

Lors  le  roy,  quant  il  entendi  ce,  et  non  voulant  au  dit  sei- 
gneur clorre  la  voie  de  droit,  ses  biens  premier  restitués,  il 
l'envoia  à  la  court  de  Rome  bien  acompaignié  de  bonne 
garde  ;  et  comme  il  fu  venu  eu  la  présence  du  saint  père  , 
.t  le  dit  inquisiteur  eust  proposé  contre  le  dit  seigneur  les 
articles  autrefois  proposés ,  le  pape  luy  assigna  autres 
auditeurs  et  commanda  à  l'inquisiteur  que  se  aucune  cliose 
autre  il  vouloit  proposer  avec,  il  le  proposast  devant  eux  : 
et  ainsi  selon  la  coustume  de  Rome ,  la  cause  demoura  à 
court  bien  et  longuement 

En  la  fin  de  cest  an,  Loys  le  conte  de  Flandres  fu  receu 
très  noblement  en  la  ville  de  Bruges  et  donna  aux  bourgois 
pluseurs  franchises  et  libertés,  pour  quoy  il  firent  très  grant 
joie  en  la  réception  de  sa  personne.  Mais  entre  les  autres 
clioses,  souverainement  leur  desplaisoit  que,  le  conseil  des 
Flamens  mis  arrière  ,  il  usoit  du  conseil  à  l'abbé  de  Verze- 
lay  ,  fils  jadis  de  Pierre  Flote  qui  fu  occis  à  Courtrai  avec  le 
bon  conte  d'Artois  Robert,  l'an  mil  trois  cens  deux  ;  lequiel 
abbé,  pour  la  mort  de  son  père,  il  reputoient  estre  anemi 
des  Flamens  ,  en  telle  manière  que  se  aucune  chose  estoit 
ordenée  en  la  conté  de  Flandres,  combien  que  elle  fust  jus- 
tement et  bien  ordenée,  s'il  sceussent  que  elle  fust  ordenée 
l)ar  le  dit  abbé  et  la  chose  ne  venist  à  leur  désir  et  à  leur 
volonté ,  il  disoient  que  faussement  et  mauvaisement  avoit 
esté  faite  et  ordenée.  Dont  il  convint  que  le  conte  comme 
contraint  et  contre  sa  volenté ,  renvoiast  l'abbé  en  son 
abbaïe. 

En  ce  meisme  temps  fu  et  ot  grant  dissencion  en  la  ville 
de  Bruges  :  car  comme  le  conte  eust  assise  une  taille  assez 
griève  es  villes  champestres  d'entour  Bruges  et  à  Bruges 


(1323.)  CHARLES-LE-BEL.  21h 

aussi ,  et  les  collecteurs  l'eussent  levée  trop  plus  grande  que 
elle  n'avoit  esté  assise  ,  avinl  que  les  païsans  et  les  bonnes 
gens  forains  furent  merveilleusement  esmeus  et  courrou- 
ciés  :  si  s'assemblèrent  et  orent  parlement  à  ceux  de  Bruges 
du  moien  estât  ;  lesquiels  avoient  esté  grevés  meismement 
par  les  hommes  riclies  de  Bruges.  Et  quant  il  se  furent 
conseilliés  ensemble  ,  il  ordenèrent  que  par  toutes  les  villes 
à  certaine  heure  il  sonneroient  la  cloche  ,  et  seroient  près 
et  appareilliés  sans  nul  deffaut  et  bien  armés.  Ainsi  furent 
comme  il  avoient  ordené  ;  et  quant  il  furent  tous  près,  il 
entrèrent  soudainement  en  la  ville  de  Bruges  avec  un  che- 
vetaine  qu'il  avoient  fait  entre  eux,  et  occistrent  et  mistrent 
à  mort  des  gens  au  conte  et  pluseurs  des  gros  et  des  riches 
de  la  ville  de  Bruges. 

VIII. 

Cornent  Galeace  conte  de  31ilan   desconfit  la  genl  du  pape  en 
bataille^  et  cornent  la  rojne  de  France  mourut. 

Après  la  mort  de  Mahieu  (1)  le  visconte  de  Milan,  succéda 
et  ot  la  visconte  Galeace  son  fils,  chevetaine  des  Guibelins. 
Encontre  ce  Galeace  envoia le  pape,  le  roy  Robert, le  cardinal 
de  Poget  et  monseigneur  Ileiu'i  de  Flandres,  (frère  du  conte 
de  Namur),  lequel  fu  chevetaine  de  moult  de  gent  d'armes  : 
lequlel  chevetaine  Henri  assembla  et  ajousta  aux  gens  d'ar- 
mes qu'il  avoit ,  les  Guelphes  ,  lesquiels  entre  Plaisance  et 
Milan  assemblèrent  encontre  icelui  Galeace  en  champ  de 
bataille  :  forte  fu  et  aspre  la  bataille  ,  si  fu  occis  le  frère  au 
cardinal ,  et  le  cardinal  s'en  fui  tost  et  isnellement  quant  il 
vit  la  desconfiture  :  ainsi  monseigneur  Henri  qui  estoit 
chevetaine  se  retrait  honteusement ,  et  fu  grant  pièce  cjue 

(I)  Mahieu.  Maffeo  Visconli. 


276  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

on  disoit  qu'il  estoit  mort  ;  mais  après  il  apparut  qu'il  s'es- 
toit  sauvé  cantement.  Si  fu  la  victoire  de  celle  bataille  aux 
Guibelins  ,  et  furent  mis  à  mort  des  Guelplies  mil  et  cinq 
cens  personnes. 

Environ  la  mi-karesme,  comme  le  roy  retournoit  des 
jîarties  de  Thoulouse  et  il  fust  venu  à  Yssoudun,  une  ville 
qui  est  en  Berry,  la  royne  qui  le  suivoit  et  qui  estoit  [".rosse, 
avant  qu'il  fust  temps  d'avoir  enfant  enfanta  un  fils ,  un 
moys  avant  son  terme  ou  environ  :  Icquicl  tantost  après 
qu'il  fust  baptisié ,  mourut  ;  et  aucuns  jours  aussi  passés 
mourut  la  royne ,  et  fu  enterrée  à  Montargis  en  l'églyse  des 
frères  Presclieurs  (1). 


IX. 


De  la  dissencion  qui  fu  entre  le  duc  de  Bmn'crc  el  Fedcric  pour 
l'empire  ;  el  après,  d^une  grant  dissencion  qui  mut  entre  les 
gens  du  roy  de  France  et  les  gens  du  roy  d'Angleterre  en 
Gascoignc. 

En  l'an  après  mil  trois  cens  et  vingt-quatre  ,  moult  de 
roberies  ,  pdleries,  rapines  et  arsures  furent  faites  entre  les 
électeurs  de  l'empire  de  Rome  pour  la  cause  de  l'eslection 
faite  en  descort  et  célébrée.  En  la  fin  fu  assignée ,  d'une 
partie  et  d'antre  ,  jour  de  bataille  à  plains  cbamps  (2),  c'est 
assavoir  le  derrenier  jour  de  septembre.  Si  ot  le  duc  de 
Bavière  de  sa  partie  le  roy  de  Boesme,  et  le  duc  d'Ostericlie 

(1)  Des  frères  Presclieurs.  Plusieurs  manuscrils  portent  ici  :  «  En  l'églyse 
»  des  seurs  des  frères  Presclieurs.  »  Et  le  manuscrit  w  9G22-3.  3.  justilie 
celte  leçon  en  portant  :  «  Et  ensevelie  cliiés  les  seurs  S.  Dominique  as- 
n  quelles  elle  avoit  dévocion;  car  elc  avoit  une  tante  en  celle  ordre  qui 
»  estoit  pricuressc  du  Val  de  Notre-Dame  en  Allemaigne,  à  deux  lieues 
»  de  Luccmbourg,  avec  qui  ele  avoit  este  norric;  etlà  fu-ele  prinse  quant 
»  ele  fu  amenée  au  roy.  » 

(2)  A.  Muldorf. 


(i:i2i.)  CHA!\[.ES-LE-nEL.  577 

Federic  avoit  d'autre  part  grant  multitude  de  Sarrasins  et 
de  Barbarins,  lesquiels  il  mist  au  front  de  la  bataille;  et 
estoit  ductour  de  celle  compagnie  Henri  frère  du  duc  d'Os- 
teriche.  Encontre  eux  fu  le  roy  de  Boesme  et  ot  la  pre- 
mière bataille ,  cpirint  il  furent  assemblés,  si  ot  trop  grant 
estour  ,  et  trop  fort  cliapleis  de  une  part  et  d'autre  ,  trop 
merveilleusement  :  tant  que  en  la  fin  les  Barbarins  et  les 
Sarrasins  furent  tués  et  occis  :  le  roy  de  Boesme  emporta 
glorieuse  victoire  et  une  honnorable  journée.  Si  fu  pris 
en  celle  bataille  Henri  le  frère  du  duc  d'Osteriche  et 
le  jour  ensuivant  cjui  fu  le  premier  jour  d'octobre  se  com- 
bati  le  duc  de  Bavière  encontre  le  duc  d'Osteriche  Federic, 
lequiel  il  prist  avec  pluseurs  autres  nobles  barons  ;  et 
occist  avec  ce  grant  partie  de  la  gent  le  duc  d'Osteriche. 
Henri  se  délivra  tantost  de  sa  raençon  :  il  donna  au  roy 
de  Boesme  pour  sa  dite  raençon  onze  mille  mars  d'argent 
fin  esprouvé  ;  et  avec  ce  luy  restitua  une  terre  laquielle 
le  père  de  ce  Henri ,  c'est  assavoir  Aubert  le  roy  des 
Romains,  avoit  osté  par  violence  au  roy  de  Boesme.  En  celle 
terre  estoient  seize  bonnes  forteresces,  que  cités  que  chas- 
tiaux  bien  fermés ,  avec  pluseurs  autres  villes  champestres 
qui  ne  sont  pas  mises  au  nombre.  Geste  terre  reçut  le  roy  de 
Boesme  avec  le  nombre  d'argent  dessus  dit  de  Henri  frère 
le  duc  d'Ostericlie ,  et  jmis  le  délivra  de  sa  prison  fran- 
chement. Mais  non  obstant  la  prise  de  Federic  duc  d'Os- 
teriche, Leopol  son  frère  et  ses  autres  frères  ne  cessèrent  de 
guerroier  le  duc  de  Bavière  par  pluseurs  guerres  et  batailles 
continuels  ;  si  n'osta  mie  la  prise  du  devant  dit  Federic  la 
guerre  ,  mais  agreva  et  acrut  de  jour  en  jour. 

En  icest  an  meisme,  le  roy  Charles,  après  la  mort  de  la 
royne  Marie  cjui  estoit  suer  du  roy  de  Boesme,  prist  à 
femme  Jehanne  sa  cousine  germaine  fille  du  noble  prince  ja- 
dis conte  d'Evreux,  messire  Loys  de  Frnnre,  frère  au  père 

24 


278  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

du  roy  Charles  ,  et  par  conséquent  son  oncle  :  si  fu  requise 
dispensacion  au  Saint-Père  pour  affinité  du  lijjnage,  laquiellc 
fu  donnée  et  ottroiée. 

En  ce  temps,  fu  en  Gascoigne  grant  dissencion  entre  les 
gens  du  roy  de  France  et  les  gens  du  roy  d'Angleterre  : 
car  le  sire  de  Monpesat  édifia  une  bastide  de  nouvel  en 
la  seigneurie  du  roy  de  France,  laquielle  il  disoit  estre  de 
la  seigneurie  du  roy  d'Angleterre;  et  comme  question  en 
fust  mue  et  débat  entre  les  gens  du  roy  de  France  et  les  gens 
du  roy  d'Angleterre,  à  la  parfin  sentence  fu  donnée  pour  le 
roy  de  France,  et  fu  celle  bastide  garnie  des  gens  du  roy  de 
France  et  appliquiée  à  son  droit  et  à  sa  seigneurie .  Dont  il 
avint  que  le  seigneur  de  Monpesat,  comme  triste,  dolent, 
despit  et  courroucié  de  ce  fait;  appella  en  son  aide  le  senes- 
clial  au  roy  d'Angleterre ,  et  assaillirent  à  grant  force  de 
gent  icelle  bastide ,  et  firent  tant  cju'il  entrèrent  dedens 
par  violence  ;  et  eux  entrés ,  tous  ceux  qui  estoient  de  la 
partie  au  roy  de  France  mistrent  à  l'espée,  et  pendirent 
des  greigneurs ,  et  destruirent  la  bastide  et  aci'aventèrent 
jusques  à  terre  ;  tous  les  biens  qu'il  trouvèrent  pristrent  et 
emportèrent  au  cliastel  de  Montpesats  Ce  fait  et  ces  choses 
venues  à  la  cognoissance  du  roy ,  jasoit  ce  que  par  soy 
meisme  ,  sans  requérir  autre ,  il  se  peust  bien  estre  vengié 
de  l'injure  et  de  la  vilennie  qui  luy  avoit  esté  faite  ,  noient 
moins,  luy  voulant  toutes  ces  choses  faire  par  raison  , 
segnifia  au  loy  d'Angleterre  que  l'injure  qui  luy  avoit  esté 
faite  en  sa  terre  luy  fust  amendée.  Adonc  le  roy  d'Angleterre 
envoia  en  France  Ayn^es  cousin  germain  au  roy  de  France 
de  par  sa  mère  (1),  avec  noble  chevalei-ie  d'Angleterre,  et  luy 


(1)  «  Rex  Angliœ  fralrcm  suum  de  sccundà  uxorc  palris  sui,  cognatuin 
»  germanum  Régis  Fraiicix  ex  parle  matris,  Edmixidum.  »  El  non  pas 
harjmoudum,  comme  on  lit  dans  l'cdilion  du  Spiciléyc.  Edmond  éloil  comlc 
de  Kent. 


(1324.)  CHARLES-LE-BEL.  il9 

donna  povoir  d'accordei' ,  de  traitier  et  de  confirmer  tout 
entièrement,  sur  le  fait  de  l'amende  que  le  roy  de  France 
requeroit  à  avoir.  Lors  quant  il  furent  venus,  le  l'oy  de 
Francevoult  et  requist,  pour  l'amende,  que  le  senesclial  et  le 
sire  de  Montpesat,  avec  aucuns  autres  qui  avoient  à  ce  fait 
esté  et  donné  conseil  à  ce  maléfice  et  mauvais  fait  faire 
et  perpétrer  ,  luy  fussent  Lailliéset,  avec  ce,  le  chastel  de 
Montpesat  rendu.  Les  Anglois  oirent  la  requeste  du  roy  :  et 
quant  il  virent  que  le  courage  du  roy  ne  se  vouloit  à  autre 
amende  fléchir  né  accoi'der ,  se  consentirent  faintement  à  la 
volenté  du  roy  ;  et  comme  il  s'en  voulsissent  retourner  en 
Gascoigne ,  il  envoia  avec  eux  un  de  ses  chevaliers  appelle 
messire  Jehan  d'Erbley  (1),  afin  que  en  sa  présence  fust  faite, 
au  nom  du  roy  de  France ,  l'exécution  de  l'amende.  Mais 
avant  qu'il  venissent  au  terme  où  il  dévoient  aler ,  les 
Anglois  distrentau  dit  messire  Jehan,  qu'il  s'en  l'etournast, 
se  il  ne  vouloit  perdre  la  teste.  Lequiel  s'en  retourna  au  roy 
et  luy  conta  et  dist  coment  les  Anglois  l'avoient  moquié  ,  et 
coment  il  gai'nissoient  les  forteresces  et  les  chastiaux  et 
s'appareilloient  de  tout  leur  povoir  à  guerroier.  Quant  le 
roy  ot  oï  ces  nouvelles,  il  reputa  Gascoigne  estre  forfaite,  et 
à  luy  par  droit  et  justice  devoir  estre  applicjuiée  ,  tant  pour 
ce  qu'il  avoit  cité  le  i-oy  d'Angleterre  et  semons  à  certain 
lieu  et  jour  où  il  dévoient  toug  deux  estre  ,  et  l'a  voit  le  roy 
d'Angleterre  accepté  ,  mais  il  ne  vint  né  envoia  ;  tant  aussi 
pour  ce  que  la  composicion  de  l'amende  dessus  dite,  laquielle 
Aymes ,  frère  du  roy,  avec  pluseurs  nobles  de  sa  compagnie 
avoient  accordé  ,  ne  voult  mettre  à  exécution.  Et  pour  ce  le 
roy  envoia  en  Gascoingne  son  oncle  messire  Charles  de  Yalois 
conte ,  avec  Phelippe  et  Charles  fils  du  dit  conte,  et  messire 
Robert  d'Artois  conte  deBiaumont  le  Rogier,  à  grant  mul- 

(i;  D'Erbley.  «  Domino  Joannc  de  Ambloyo,  niililc  régis.  » 


2S0  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

titude  de  gens  d'armes  esleus,  environ  la  feste  de  la  Magda- 
leine  ;  lequiel  messire  Charles,  quant  il  fu  venu  à  Agien,  la 
cité  se  rendi  tantost  sans  bataille  et  sans  cop  férir,  (combien 
que  le  roy  d'Angleterre  les  eust  grandement  encouragié  à 
eux  tenir  fort  contre  le  povoir  du  roy  de  France.  Mais  il 
ne  firent  riens  especiaument  pour  deux  causes  :  la  première 
«pi'il  leva  une  taille  d'argent  en  la  cité  c[ui  merveilleusement 
les  greva  ;  la  seconde  qu'il  en  mena  avec  soy  une  fille  de  la 
ville  qui  estoit  très  gracieuse  et  très  belle,  dont  les  bonnes 
gens  furent  tous  mal  meus  contre  luy). 

Après  vint  le  devant  dit  Aymes  à  une  grant  ville  et  fort 
qui  est  appellée  la  Riole  ,  et  comme  il  les  eust  encouragiés 
de  eux  forment  tenir  contre  le  povoir  de  France ,  il  s'en 
voult  aler  à  Bourdiaux  ;  mais  les  habitans  de  la  Riole  luy 
distrent,  que  se  il  s'en  aloit  il  en  seroient  moins  fors  encon- 
tre l'ost  de  France  qui  venoit  sur  eux.  Si  ne  s'en  osa  aler, 
ainsois  demoura,  à  fin  que  par  son  absence  la  ville  ne  fust 
))lus  légièrement  prise. 

Quant  le  conte  de  Valois  entendi  cjue  le  frère  du  roy 
d'Angleterre  avec  ses  Anglois  estoit  à  la  Riole,  il  aprouclia 
de  la  ville  pour  la  asségier;  si  en  ot  aucuns  de  l'ost,  desquiels 
le  seigneur  de  Saint-Florentin  estoit  chevetaine  et  ducteur, 
qui  estoient  desputés  à  garder  les  issues  et  les  entrées  ;  si  se 
combatirent  à  ceux  de  la  Riole  et  ceux  de  la  Riole  à  eux  , 
mais  il  furent  chaciés  et  embatus  arrière  en  la  ville,  et 
s'approchièrent  plus  près  des  portes.  Ceux  de  la  ville  qui  ap- 
perceurent  leur  anemis  entalentés  de  eux  mal  faire,  issirent 
à  greigneur  nombre  et  c]uantité  qu'il  n'avoient  fait  devant  ; 
et  nostre  gent  françoise  viguereusement  les  reçurent ,  si  les 
encliacièrent  comme  devant  :  mais  pour  ce  qu'il  s'appro- 
chièrent trop  près  des  portes,  il  furent  surpris  et  vaincus. 
En  celle  bataille,  fu  occis  le  seigneur  de  Saint-Florentin  et 
jiluscurs  autres  nobles   et   non   nobles  ,   dont   le  conte  de 


(1324.)  CHARLES-LE-BEL.  28t 

Valois,  messire  Charles,  fu  luerveilleusejnent  irié.  Si 
fist  drescier  ses  engins  et  ses  perrières,  et  asségia  la  ville  de 
toutes  pars ,  et  en  telle  manière  que  ceux  de  dedens  ne 
jwvoient  bonnement  issir  né  entrer  sans  grant  péril  de  leur 
corps  et  de  leur  vies  :  car  il  faisoit  geter  à  ses  engins  grosses 
pierres  dedens  la  ville  qui  quassoient  les  murs  et  abattoieiit 
et  froissoient  les  maisons.  Aussi  avoit-il  fait  faire  eschafau» 
qui  joignoient  aux  murs,  par  quoy  on  se  povoit  combatre  à 
ceux  dedens,  main  à  main.  Et  quant  ceux  de  la  ville  se  re- 
gardèrent et  virent  en  si  grant  péril  comme  de  perdre  corps 
et  biens ,  il  envoièrent  ambassadeurs  pour  traiter  de  pais  ; 
laquielle  fu  ordenée  en  telle  manière  :  premièrement,  la 
ville  seroit  rendue,  et  des  habitans  de  la  ville  ceux  qui  voul- 
droient  estre  encore  sous  la  seigneurie  du  roy  d'Angleterre 
s'en  iroient  ailleurs  querre  habitacion,  sauf  leur  corps  et  leur 
biens  ;  secondement,  ceux  qui  vouldroient  demourer  en  la 
ville  feroient  serement  de  loyauté  à  tenir  du  roy  de  France, 
et  d'obéir  aux  gardes  que  on  y  metroit.  Des  choses  accordées 
le  frère  du  roy  d'Angleterre,  neveu  du  conte  de  Valois 
messire  Charles  de  par  sa  mère,  fu  laissié  aler  en  Angleterre 
parler  au  roy  pour  savoir  s'il  voudroit  tenir  les  convenances 
qu'il  avoient  promises  au  roy  à  Paris  ;  et  se  le  roy  d'An- 
gleterre les  tenoit,  paix  seroit  tenue  et  ferniée ,  se  non  il 
devoit  retourner  à  son  oncle  messire  Charles  pour  le  présen- 
ter (1)  au  roy  de  France,  et  en  faire  sa  volenté.  Et  afin  que 
on  eust  seurté  de  luy  et  qu'on  fust  seur  de  sa  retournée, 
on  retint  en  liostage  quatre  chevaliers  d'Angleterre,  en 
telle  condicion  que  s'il  ne  retournoit,  on  leur  coperoit  les 
testes  et  seroit  la  guerre  comme  devant.  Et,  avec  ce,  furent 
trièves  données  jusques  à  la  Pasque  ensuivant.  Ainsi  se 
parti  le  frère  du  roy  d'Angleterre  et  vint  à  Bordiaux  ;  puis 

(Ij  l'oiw  le  incscnlcr.  Pour  cU'c  prcicalo  connue  prisannior. 

24. 


SS2  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

passa  en  Angleterre.  Dont  aucuns  murniuroient  contre  nies- 
sire  Charles  de  Valois  grandement,  et  disoient  qu'il  le  deust 
premièrement  avoir  amené  au  roy  ou  atendu  la  volenté 
du  roy  avant  qu'il  luy  eust  donné  congié  de  passer  en  An- 
gleterre. Toutes  voies  par  la  bonne  proesce  et  chevalerie  du 
dit  messire  Charles  fu  prise  la  Rlole,  et  le  chastel  de  Mon- 
pesat  ahatu  etarrasé  par  terre,  dont  le  seigneur  estoit  n'avoil 
guères  trcspassé ,  selon  ce  que  aucuns  créoient ,  de  doleur 
et  de  tristesce.  Et  ainsi  fu  ramenée  toute  Gascoigne  en  la 
seigneurie  du  roy  sans  moieu  (  1  ) ,  excepté  Bordiaux , 
Tîaionne  et  Saint -Sever  qui  se  tindrent  et  demourèrent 
sous  la  seigneurie  du  roy  d'Angleterre.  Depuis,  à  la  femme 
et  aux  enfans  du  seigneur  de  Montpesat  furent  rendus  tous 
leur  héritages,  par  telle  condicion  qu'il  les  recognoistroient 
perpétuellement  au  temps  à  venir  à  tenir  du  roy  de  France. 
Si  manda  le  roy  que  la  bastide  que  les  Anglois  et  le  seigneur 
de  Monpesat  avoient  destruite  fust  toute  neuve  refaite  et 
repairiée. 

En  cest  an  commanda  le  pape  en  vertu  d'obédience ,  aux 
prélas ,  évesques  et  à  tous  autres  religieux  qui  ont  office  et 
povoir  de  preschier ,  que  le  procès  qu'il  avoit  fait  contre 
Loys  de  Bavière  ,  il  preschassent  et  publiassent  en  leur  ser- 
mons ;  desquiels  procès  la  cause  fu  ceste  : 

Comcnl  le  pape  gela  sentence  de  prù'acion  d'empire  contre  Loys 
de  Bavière. 

(2)  Comme  l'empereur  Constantin  eust  donné  à  l'églysede 
Rome  et  à  Saint-Sylvestre  la  dignité  de  l'empire  perpétuel- 
lement à  tenir  et  posséder  es  parties  d'Occident ,  lequiel  est 

(1)  Sans  moicn.  C'est-à-dire  probablement:  sans  retard. 

(2)  Ce  chapitre  ne  se  trouve  pas  dans  la  continuation  laline  de  Nangis. 


(1324.)  CHARLES-LE-BFX.  283 

establi  à  estre  ordené  par  un  prince  séculier,  qui  doit  estre  es- 
leu  par  les  électeurs  d'Aleniaigne  qui  à  ce  faire  sont  ordenés 
et  députés,  desquiels  l'eslection,  combien  que  elle  soit  juste- 
ment faite  et  célébrée ,  doit  estre  offerte  à  l'examination  de 
la  court  de  Rome  ,  et  la  personne  de  l'esleu  doit  estre  exa- 
minée en  la  foy  crestienne,  et  savoir  de  luy  se  il  a  intention 
de  garder  et  deffendre  de  tout  son  povoir  les  droits  de  l'é- 
glyse.  Et,  après  ces  choses,  reçeu  du  Saint-Père  le  serement 
de  l'empereur ,  le  pape  le  doit  confermer  et  luy  enjoindre 
l'office  et  l'administration  de  l'empire  ;  lesquielles  choses 
en  l'eslection  du  dit  Loys  de  Bavière  furent  défaillans  et  dé- 
laisslées;  car  les  esliseurs  le  eslurent  en  discort  et  y  ot 
contradicion  ;  et  les  uns  eslirent  Loys  duc  de  Bavière ,  les 
autres  Federic  duc  d'Osteriche.  Et  ainsi  chascun  voult 
prendre  à  soy  et  usurper  le  droit  de  l'empire  par  force  d'ar- 
mes ;  dont  il  avint  qu'il  se  combatirent,  si  fu  pris  le  duc 
d'Osteriche ,  comme  dit  est  dessus  ,  et  sa  bataille  descon- 
fite ;  et  tantost  Loys  de  Bavière  s'en  va  faire  couronner  et 
usurper  les  drois  de  l'empire,  en  soy  appellaut  roy  des 
Romains  scmper  Augiistas  en  ses  lettres ,  et  ordenant  des 
choses  qui  appartiennent  à  empereur  duement  ordené  et 
establi  et  confirmé  ,  au  grant  préjudice  et  déshonneur  de  la 
court  de  Rome  et  de  toute  saincte  églyse  ;  laquielle  chose 
pape  Jehan  non  aiant  povoir  de  ceste  chose  dissimuler, 
meu  à  juste  cause  et  contraint  en  conscience,  fist  semondxe 
ledit  duc  de  Bavière  qu'il  venist  à  luy  respondre  sus  les 
choses  devant  dites.  Lequiel  au  terme  qui  luy  estoit  assigné 
ne  vint  né  comparut;  mais  envoia  tant  seulement  trois  pro- 
cureurs qui  autre  chose  ne  rapportèrent  de  la  court  fors  que 
le  terme  de  la  citation  ou  de  la  semonse  fu  aloignié  jiisques 
à  trois  mois.  Auquiel  terme  ledit  Loys,  né  par  luy  né  par 
autre,  ne  vint  à  court  né  ne  se  comparut  né  aussi  ne  donna 
aucune  response  ;  et  pour  ce  le  Saint  Père  voyant  saincte 


28'j  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

ôglyse  estre  ainsi  despiisiée,  commanda,  en  vertu  de  saincte 
obédience ,  à  tous  prélas,  barons,  et  à  tous  autres,  que  nul 
en  ceste  rébellion  ne  luy  prestast  aide  ,  conseil  né  faveur 
encontre  saincte  églyse  :  né  ne  fust  appelle  empereur,  ain- 
sois  absoloit  tous  les  vassaux  du  serement  de  féauté,  se 
aucuns  en  avoient  fait  audit  Loys  de  Bavière  ,  ou  se  au- 
cuns luy  en  dévoient  :  et  quiconques  iroit  contre  le  com- 
mandement du  Saint  Père,  s'il  estoit  prélat  fust  suspendu 
de  son  estât ,  s'il  estoit  lay  qu'il  fust  escommenié  et  sa 
terre  mise  en  entredit.  Mais  avant  que  le  pape  jetast  ceste 
sentence ,  il  attendi  encore ,  comme  débonnaire  père  fait 
son  enfant,  l'espace  de  trois  moys  ,  pour  veoir  s'il  retour- 
neroit  à  obédience  de  saincte  églyse  :  Icquiel  Loys  de  Ba- 
vière mettant  tout  en  nonchaloir  fist  pis  que  devant ,  en 
appelant  contre  le  pape  au  concile  à  venir,  en  le  diffamant 
et  en  opposant  article  de  hérésie,  et  luy  appellant  hérite  ; 
et  disant  que  à  luy  nul  n'estoit  tenu  d'obéir,  pour  ce  qu'il 
avoit  fait  une  décrétalle  en  laquelle  il  condamnoit  une  hé- 
résie c|ui  maintenoit  que  Jhésucrist  et  ses  disciples  n'avoient 
riens  eu  en  commun  ,  qui  est  appertement  contre  le  texte 
de  l'évangile  qui  dit  le  contraire  en  pluseurs  lieux.  Pour 
tiex  fais  désordenés  geta  le  pape  sa  sentence  devant  dite 
de  privacion  de  empire  et  de  serement  des  barons  ,  comme 

dit  est. 

En  celuy  temps,  fist  le  pape  preschier  que  quiconques 
iroit  combatre  conte  Galeace  et  ses  frères  jadis  fils  Mahieu  le 
visconte  de  Milan ,  lesquiels  estoient  condampnés  comme 
hérites ,  il  aroit  aussi  graut  pardon  et  indulgence  comme 
ceux  qui  vont  Oullre  -mer  contre  les  Sarrasins  et  les  mes- 
créans.  Item  pape  Jehan  condempna  ,  du  consentement  de 
tous  les  cardinaux  ,  l'erreur  et  l'érésie  de  ceux  qui  disoient 
et  dient  que  Jhésucrist ,  tant  comme  il  fust  en  ce  monde 
ra  aval  en  terre  devant  sa  passion  ,  né  les  apostres  aussi  , 


(13^4.)  CHARLES-LE-BEL.  'J8:> 

u'oreiit  nulle  riens  terrienne  qui  fustleur  (1).  Et  deceste  er- 
reur issoit  une  autre  que  nient  avoir  simplement,  en  géné- 
ral né  en  espécial  né  en  propre  né  en  commun ,  est  plus 
grant  perfection  de  avoir  aucune  chose  en  commun  ;  et 
ceste  erreur  fu  condampnée  avec  l'autre. 

En  la  fin  de  cest  an,  inessire  Charles  conte  de  Valois,  on- 
cle du  roy  ,  quant  il  fu  venu  en  France ,  après  ce  qu'il  ot 
donné  trièves  jusques  à  Pasques  prochaines  à  venir ,  le  roy 
tantost  s'appareilla  pour  aler  en  Gascoigne  ,  pour  y  faire  sa 
Pasque ,  et  pour  commencer  la  guerre  ,  Pasques  passées. 
Mais  sa  suer,  la  royne  d'Angleterre,  vint  à  luy  en  France , 
et  fist  tant  que  les  trièves  furent  esloignées  jusques  à  la  feste 
saint  Jehan  (2);  afin  que  on  puisse  faire  aucun  bon  traitié, 
et  aucun  bon  accort ,  par  quoy  il  y  eust  bonne  paix  entre 
les  deux  roy  s. 

xi: 

Cornent  la  royne  cV Angleterre,  suer  le  roj  de  France  Charles, 
vint  en  France  et  son  fils  Edouarl  ai^ec(jues  elle. 

L'an  de  grâce  mil  trois  cens  vint-cinq  ,  la  royue  d'Angle- 
terre,  suer  au  roy  de  France  Charles ,  qui  estoit  venue  en 
France  et  avoit  amené  avec  elle  Edouart  son  ainsné  fils,  fist 
tant  (3)  que  ambassadeurs  furent  envoies  au  roy  d'Angle- 
terre, lesquiels  firent  tant  que  le  roy  d'Angleterre  promist 

(1)  La  fin  de  cet  alinéa  est  inédit. 

(2)  Ce  passage  tendroit  à  prouver  que  la  reine  d'Angleterre  venoit 
bien  rcellemcnt  pour  s'occuper  des  intérêts  de  son  mari ,  et  non  pour 
exciter  contre  lui  le  roi  de  France.  En  ce  cas  là,  Froissart  aurolt 
commencé  ses  chroniques  par  une  inexactitude.  —  La  fête  de  saint 
Jean  tombe  le  24  juin  :  le  terme  de  la  trêve  ne  fut  donc  pas  le  2  juin  , 
comme  le  dit  M.  Simonde  de  Sismondi  dans  son  anli-françoisc  Histoire 
des  Français,  l.  ix,  p.  455. 

(2)  Fist  tant.  «  TJl  firmiter  crcdilur  >>,  .«joute  la  continuation  de  Nangis. 


2,SG  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

à  venir  prochainement  en  France ,  et  feroit  hommage  an 
roy  en  la  cité  de  Biauvais  de  la  duchiée  d'Acquitaine  et  de 
la  terre  de  Pontieu. 

En  ce  temps,  estoit  la  royne  de  France  Jehanne  ençainte 
d'enfant  ^  pourquoy  on  attendoit  à  moins  de  ennui  la  venue 
du  roy  d'Angleterre  :  car  on  avoit  espérance  que  les  deux 
roys  fussent  ensemble  au  temps  de  la  nativité  de  l'enfant , 
et  esperoit-on  ,  selon  ce  que  aucuns  astronomiens  avoient 
pronostiqué  ,  que  ce  seroit  un  fds  ;  et  pensoit-on  que  le  rov 
d'Angleterre  en  sa  venue  en  auroit  gvant  joie.  Mais  Dieu 
qui  ordonne  des  choses  si  comme  il  luy  plaist,ordena  autre- 
ment que  opinion  humaine  n'avoit  fait  ;  car  vm  pou  après 
elle  enfanta  une  fille,  et  fu  son  premier  enfant.  Et  comme 
le  roy  d'Angleterre  eust  dit  et  mandé  phiseurs  fois  qu'il 
vendroit  au  roy  de  France  en  certain  lieu  en  son  royaume  , 
comme  dit  est  dessus,  et  feroit  tout  ce  qui  sembleroit  bon 
aux  pers  de  France  ;  il  mua,  ne  sçay  par  quel  esprit,  son  pro- 
pos, et  donna  à  sou  aisné  fils  qui  estoit  jà  en  France  tout 
le  droit  qu'il  avoit  et  povoit  avoir  en  la  duchiée  d'Aquitaine, 
en  laquielle  duchiée  est  contenue  Gascoigne  :  lequiel  en  fist 
tantost  hommage  au  roy  de  France ,  à  la  requeste  de  sa 
mère. 

Après  un  pou  de  temps  le  roy  d'Angleterre  manda  à  la 
royne  sa  femme  qui  estoit  en  France  que  elle  s'en  retour- 
uast  à  luy  en  Angleterre,  mais  elle  nes'i  voult  accorder  ;  car 
le  roy  d'Angleterre  avoit  un  conseilleur  en  son  hostel  appelle 
Hue  le  Despencier  (1),  au  conseil  dnf|uiel  le  roy  adjoustoit 
plaine  foy  sur  toutes  choses,  lequel  Hue  n'amoit  pas  moult  la 
royne  :  et  pour  ce  elle  se  doubtoit,  se  elle  retournoit  si  tost 
en  Angleterre  ,  qu'il  ne  luy  pourchaçast  domage  et  vilenie , 
ainsi  comme  il  avoit  autrefois  fait.  Si  eslutà  demourer  en 

[t]  Despencier.  Spencer. 


(1325.)  CHARLES-LE-BEL,  287 

France  :  et  coiuiue  elle  sceut  bien  que  le  loy  d'Anyletene  ne 
liiy  enverroit  né  délivieioit  pas  ses  despens ,  tant  pour  luv 
comme  pour  sa  famille ,  elle  renvoia  tous  ses  chevaliers  en 
Angleterre  et  ses  escuiers  aussi ,  exceptés  aucuns  que  elle 
retint  avec  aucunes  demoiselles;  et  ainsi  demeura  une  partie 
du  temps  en  France.  Mais  tant  que  elle  y  fu,  le  roy  qui  vit 
bien  que  elle  estoit  de  sa  volenté  arrestée  et  demourée  en 
France,  comme  bon  frère  doit  faire  à  suer,  luy  administra 
pour  luy  et  pour  sa  famille,  tant  comme  elle  fu  en  France, 
toutes  ses  nécessités  de  bon  cuer  et  de  bonne  volenté. 


xn. 


Cornent  le  conte  de  Flandres  pourchaca  traïson  contre  son  oncle 
viessire  Robert  ;  et  cornent  ledit  conte  Jii  pris  et  mis  en  prison. 

En  ce  temps  avint  que  le  conte  de  Flandres  fu  en  souppe- 
çon  de  son  oncle  messire  Robert  de  Flandres,  et  l'ot  pour 
souppeçonneux  qu'il  ne  machiuast  contre  luy  aucun  mal , 
ou  en  sa  mort.  Pourcpioy  ilfist  escrire  unes  lettres  es  cjuielles 
il  mandoit  aux  liabitans  d'une  ville  qui  est  à  trois  lieues  de 
Lille  en  Flandres  que  on  appelle  Warneston  (1)  en  laquielle 
demouroit  et  faisoit  résidence  ledit  messire  Robert,  que  ces 
lettres  veues,  il  méissent  à  mort  ledit  Robert  comme  anemi 
du  conte  et  de  tout  le  pays.  Mais  il  avint  que  avant  que  ces 
lettres  fussent  scellées,  le  chancelier  du  conte  segnefia  audit 
messire  Robert  ce  que  le  conte  de  Flandres  avoit  ordené  à  es- 
tre  fait  de  sa  personne.  Lecjuiel  Robert  oi  ce  que  le  chancelier 
luy  signifioit,  au  plus  tost  qu'il  pot  se  parti  de  la  ville  de  War- 
neston ,  et  s'en  esloigna  tant  comme  il  pot  ;  et  ainsi  quant 
les  lettres  du  conte  de  Flandres  furent  aportées  en  la  devant 

(1)   /f'ariiesioii.  Aujourd'hui  ff'nrntton. 


ÎS«  LES  GRANDES  CÏÎRONIQUES. 

dite  ville,  elles  furent  de  nulle  vertu  et  de  nulle  effect.  Si 
commencièrentles  grans  haines  et  maies  volen tés  entre  ledit 
niessire  Robert  et  le  conte.  Etpour  ce  que  ses  lettres n'avoient 
eu  nul  effect  comme  dit  est,  fist  prendre  son  chancelier  et 
luy  demanda  pour  cjuoy  il  avoit  révélé  son  secret  et  descon- 
verl?  Il  respondit  en  vérité  et  dist  :  «  Jel'ay  fait  afin  cjue  vostre 
>)  honneur  ne  fust  périe,  et  que  vous  ne  fussiez  diffamé  per- 
>>  pétuellement.  »  Nonobstant  ceste  response  le  conte  fist 
mettre  le  chancelier  en  prison  moult  apertement  et  moult 
estroitement ,  et  ne  voult  avoir  la  response  agréable,  com- 
bien que  elle  fust  véritable. 

Assez  tost  après  ces  choses  faites  avint  un  grant  meschief 
au  jeune  conte  de  Flandres,  cluquiel,  par  aventure,  ses  pes- 
chiés  furent  cause,  et  fu  en  la  ville  de  Courtray.  Comme  il 
fust  ordené  par  composition  entre  le  roy  de  France  et  les 
Flamens  que  pour  les  despens  de  guerres  cju'il  avoit  eues, 
il  luy  paieroient  une  grant  somme  d'argent,  avint  que  le 
conte  ordena  que  les  communes  des  villes  de  Flandres,  c'est 
assavoir  de  Bruges,  d'Ypre,  de  Courtray  et  des  autres  villes 
champestres  paieroient  celle  somme  d'argent.  Si  furent 
commis  à  la  queillir  aucuns  des  nobles  hommes  de  Flandres, 
et  aucuns  des  greigneurs  et  des  plus  riches  des  devant  dites 
villes  ;  lesquiels  estoient  pour  la  partie  du  conte  en- 
contre toutes  les  communes  devant  dites.  Toutesvoies , 
il  sembla  aux  comnîunes  que  on  avoit  levé  trop  grei- 
gneur  somme  de  deniers  que  l'en  ne  devoit  au  roy ,  et 
si  ne  savoient  aussi  se  satisfaction  en  avoit  esté  faite  par 
devers  le  roy;  pour  c{uoy  les  gouverneurs  des  dites  commu- 
nes requistrent  au  conte  de  Flandres  que  ceux  qui  avoient 
esté  collecteurs  de  celle  grant  somme  d'argent,  rendissent 
conte  de  receptes  et  des  mises  ;  laquielle  chose  le  conte  fu 
refusant  de  faire ,  dont  grant  dissencion  et  grant  descort 
s'esmut  entre  eux  :  car  les  collecteurs  qui  se  sentoient  fors 


(1325.)  CHARLES-LE-BEL.  289 

et  puissans  coniniencièrent  à  traitier  secrètement  avec  le 
conte  cornent  il  pourroient  humilier,  sousmettre  etabaissier 
ceux  qui  vendroient  de  par  les  communes,  pour  oïr  le  compte 
de  l'argent  qui  avoit  esté  levé  ;  avec  ce  orent  aussi  parle- 
ment aux  riches  bourgois  et  aux  greigneurs  de  Bruges, 
d'Ypre  et  de  Courtra^,  et  se  conseillièrent  ensemble  :  si  vin- 
drent  à  Courtray  en  la  ville  et  supposoient  que  ceux  des 
communes  venissent  à  eux  pour  requérir  à  oïr  leur  comptes 
et  leur  receptes  ;  et  estoit  leur  entencion,  cjuant  il  fussent 
venus,  qu'il  les  eussent  pris  et  puis  eussent  fait  de  eux  leur 
volenté.  Si  avolent  eu  tel  conseil  qu'il  bouteroient  le  feu 
dedens  les  forbours  de  la  ville  de  Courtray,  afin,  quant  il 
venissent,  cju'il  ne  trouvassent  ou  eux  mettre  fors  en  la  ville, 
et  ainsi  les  prendroient  plus  légièrement.  Le  conseil  fn 
accordé,  si  boutèrent  le  feu  es  forbours;  mais  ce  qu'il 
avoient  malicieusement  pensé  contre  leur  prochains.  Dieu 
tourna  sus  eux  ;  car  le  feu  esprist  si  fort  et  de  tel  façon 
que  non  mie  seulement  il  ardi  les  forbours,  mais  ardi  for- 
bours et  ville  tout  ensemble.  Laquielle  chose  voyant 
les  habitans  de  Courtray,  et  cuidans  que  ceste  chose 
eust  esté  faite  par  traïson  tant  du  conte  comme  de  sa 
gent ,  ceux  qui  premièrement  estoient  de  son  aide  et  de  sa 
part  se  vouldrent  armer  contre  luy  asprement  et  viguereu- 
semeat  ;  et  jasoit  ce  que  d'une  part  et  d'autre  y  eust  plu- 
seurs  de  mors,  de  tués  et  d'occis,  noient  moins  le  fort  de 
la  bataille  chéi  sus  le  conte  de  Flandres  et  sus  les  siens,  en 
tant  que  plusieurs  se  sauvèrent  par  fuite.  Si  y  fu  tué  mes- 
sire  Jehan  de  Flandres  ,  autrement  dit  de  Neele  ;  le  conte 
de  Flandres  fu  pris  et  cinq  chevaliers  et  deux  nobles  da- 
moisiaux  ,  qui  tous  ensemble  furent  bailliés  à  ceux  de  Bru- 
ges et  mis  en  prison.  Et  les  greigneurs  de  Bruges  avec  les 
comnuuies  des  villes  d'entour,  exceptés  ceux  de  la  ville  do 
Gant,  eslurent  à  souverain  seigneur  monseigneur  Robert 

TOM.  V.  25 


290  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

tle  Flandres,  anemi  mortel  du  conle  de  Flandres,  si  comme 
il  est  dit  dessus.  Lequiel  quant  il  ot  la  seigneurie,  mist 
hors  le  chancelier  de  la  prison  le  conte  de  Frandres,  et  l'on- 
nora  en  tant  comme  il  pot  ;  car  par  luy  il  estoit  eschappé 
de  mort  comme  dessus  est  dit. 

En  ce  temps  que  les  choses  aloient  ainsi  en  Flancb'es,  les 
habitans  de  la  ville  de  Gant  qui  estoient  de  la  partie  du 
conte  Loys  et  non  pas  de  celui  que  les  bourgois  de  Bruges 
avoient  esleu  à  seigneur ,  s'armèrent  et  furent  de  guerre 
contre  ceulx  de  Bruges,  pour  ce  que  il  avoient  mis  en  pri- 
son le  conte.  Si  se  combatirent  ensemble  et  tant  qu'il  en 
y  ot  occis  de  ceulx  de  Bruges  près  de  cinq  cens  ,  et  toutes 
voies  ne  fu  pas  le  conte  délivré  né  mis  hors  de  prison.  Dont 
il  avint  que,  environ  ce  temps,  le  roy  envoia  messages  sol- 
lempnels  à  Bruges ,  en  eulx  admonestant  et  priant  qu'il 
voulsissent  délivrer  et  mettre  hors  de  prison  le  conte  de 
Flandres.  Mais  nonobstant  le  mandement  du  roy,  les  mes- 
sages s'en  retournèrent  sans  rien  faire.  — Entour  la  feste  de 
la  Magdelene,  et  en  tout  l'esté  devant  et  après,  il  fu  si  grant 
sécheresce  que,  par  quatre  lunoisons,  il  ne  chéi  né  ne  plut 
yeau  du  ciel  que  on  deust  attribuer  à  deux  jours.  Et  com- 
bien que  l'esté  fust  très  chaut  et  très  sec,  toutes  voies  ne 
furent  oies  né  vues  tonnoires  né  foudres  né  tempestes;  si 
furent  les  vins  meilleurs  en  celle  année,  mais  d'autres  fruis 
y  fu  jîou. 

En  l'yver  ensuivant ,  les  frois  furent  si  grans  que  Saine 
gela  en  brief  temps  deux  fois,  et  si  fort  que  les  hommes  et 
toutes  manières  de  gens  aloient  par  dessus  ;  et  rouloit-on 
les  tonniaux  de  vins  par-dessus  la  glace,  tant  estoit  forte  ; 
et  que  la  glace  fust  forte  on  le  pot  bien  appercevoir  au  dége- 
ler, car  quant  la  glace  se  dessevra  et  fendi,  elle  rompi  en 
son  descendre  les  tlcux  pons  de  fust  qvii  sont  svu"  Saine  à 
Paris  :  avec  ce  que  yver  gela  fort,  si  fu-il  plain  de  noif  et 


(13^5.)  CH.iRLES-LE-BEL.  2H 

neigea  grandement,  si  durèrent  les  noifs  jusqucs  à  Pasqiies, 
avant  que  fussent  toutes  remises  né  fondues. 

Au  mois  de  décembre,  accoucha  malade  griefment  mes- 
sire  Charles  ,  conte  de  Valois  ;  si  fu  la  maladie  si  griève  , 
qu'il  perdi  la  moitié  de  luy  (1);  et  cuidièrent  pluseurs  que, 
en  celle  maladie ,  il  feist  conscience  de  la  mort  Enguerran 
de  Marigny  lequel  fu  pendu,  si  comme  aucunes  gens  dicnt, 
à  son  pourchas ,  par  ce  qu'on  apperceust  après.  Quant  sa 
maladie  engregea ,  il  fist  donner  une  aumosne  parmi  la 
ville  de  Paris ,  et  disoient  ceulx  qui  donnoient  l'aumosne 
aux  personnes  :  «  Priez  pour  messire  Enguerran  de  Marigny, 
»  et  pour  messire  Charles  de  Valois!  »  Et  pour  ce  qu'il 
nommoient  avant  le  nom  de  messire  Enguerran  que  de 
messire  Charles,  pluseurs  jugèrent  que  de  la  mort  messire 
Enguerran  il  faisoit  conscience.  Lequel ,  après  longue 
maladie,  mouru  au  Perche  (2),  qui  est  en  le  dyocèsede  Char- 
tres ,  le  dixiesme  jour  devant  Nouel  ;  et  fu  son  corps  en- 
terré à  Paris  aux  Frères  Presclieurs,  et  son  cuer  aux  Frères 
Meneurs. 

Eu  cest  an  ,  pluseurs  personnes  de  diverses  parties  du 
monde  qui  avoient  oi  dire  et  entendu  que  messire  Loys, 
conte  de  Clermont  (qui  puis  fu  appelle  duc  de  Bourbon), 
devoitaler,  à  Pasques  prochaines  venant,  au  saint  sépulcre 
et  visiter  la  Sainte  Terre,  encouragiés  et  meus  de  dévocion, 
désirant  d'aler  Oultre-mer  visiter  le  saint  sépulcre  et 
aorer  avec  luy,  vendirent  leur  héritages  et  tout  ce  de  c[uoy 
il  povoicnt  faire  argent,  et  vindient  à  Paris^  tous  près  pour 
partir  la  sepmaine  peneuse.  Et  messire  Loys  regarda  cju'il 

(1)  La  moitié  de  luy.  «  L't  usu  membrorum  suorunî  parle  raciliù  corporis 
»  (irivarciur.  »  G'oloit  sans  doule  uuc  paralysie. 

(2)  Perche.  «  Parlccum.  »  Ce  doit  cire  le  pclil  village  de  Perraij  ou  le 
Verre,  à  une  lieue  cl  demie  de  Rambouillet,  et  non  pas  Valaij,  ou  Korjcut- 
le-noirou,  comme  le  présument  Vully  cl  les  aulros. 


292  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

n'estoit  pas  encore  prest  pour  parfaire  son  passage ,  si  fîst 
prescliier  le  jour  du  saint  vendredi  aouré  en  plain  palais, 
qu'il  n'enlendoit  pas  à  faire  ce  voyage  né  passer  la  nier  en 
celle  année;  mais  l'année  proucliaine  venissent  à  Lyon  sus  le 
Rosne,  et  ilec  leur  seroit  dit  le  port  où  les  pèlerins  devroient 
apliquier.  Lesquelles  paroUes  oies,  pluseurs  furent  escanda- 
lisiés  et  pluseurs  s'en  moquèrent.  Et  ainsi  furent  défraudés 
de  leur  entente  ceulx  qui  avoient  vendus  leur  héritages  et 
autres  biens,  et  s'en  retournèrent  en  leurs  contrées  dolens 
et  courrouciés. 

XIII. 

Comenl  la  royne  Jehanne,  fille  le  noble  prince  Loys  jadis  conte 
d'Ei'rcu.v,  fil  coronée  à  Paris  en  la  chapelle  du  palais  ;  et 
cornent  Ysabel,  la  royne  d' Angleterre ,  prist  congié  à  son 
frère,  et  s'en  ala  vers  Angleterre, 

L'an  de  grâce  mil  trois  cent  vint-six,  la  royne  de  France 
Jehanne ,  fille  de  messire  Loys  jadis  conte  de  Evreux ,  à 
grant  appareil  et  moult  somptueux  fu  coronnée  à  Paris  en 
la  chapelle  le  roy  au  palais. 

En  ce  meisnie  an,  la  royne  d'Angleterre  Ysabel,  suer  du 
roy  de  France,  cjui  se  doubla,  se  elle  demouroit  plus  en 
France,  que  elle  n'encourust  la  malivolence  et  l'indignacion 
du  roy  d'Angleterre,  son  seigneur,  prist  congié  à  son  frère 
le  roy  de  France  et  s'en  ala  vers  Angleterre.  Quant  elle  se 
fu  partie  de  Paris,  elle  chemina  tant  que  elle  vint  en  la 
conté  de  Ponthieu,  et  ilec  attendi  nouvelles  de  son  seigneur, 
et  s'ordena  à  y  demeurer  une  pièce. 

En  celle  saison ,  vindrent  nouvelles  au  roy  de  France 
cjue  le  roy  d'Angleterre  avoit  fait  commandement  par  tout 
son    royaume ,    qu'on   méist  à  mort   tous  les  François  qui 


(1326.)  CH\RLES-LE-BEL,  293 

estoient  en  Angleterre,  et  qu'il  avoit  pris  à  soy  et  confisquié 
tous  leu^r  biens  ;  pour  laquelle  chose  le  roy  de  France 
moult  esineu  commanda  que  tous  les  Anglois  qui  estoient 
en  son  royaume  fussent  pris  et  leur  biens  aussi  ;  laquelle 
chose  fu  fuite  en  un  jour  et  en  une  heure  ,  c'est  à  savoir 
l'endemain  de  la  Nostre-Dame  en  mie-aoust.  Si  furent 
moult  esbahis  les  Anglois,  et  ne  fu  pas  merveille:  car  il  se 
doubtoient  que  ainsi  comme  il  avoient  esté  pris  en  un  jour, 
qu'il  ne  fussent  aussi  en  un  jour  tous  mis  à  mort  ;  mais 
Dieu  qui  scet  les  choses  mal  ordenées  ordener  en  miex, 
ordena  tout  autrement  :  car  le  roy  fu  infourmc  véritable- 
ment que  tout  ce  qu'on  luy  avoit  donné  entendant  estoit 
faux ,  c'est  à  savoir  que  les  François  eussent  esté  pris  né 
mis  à  mort  en  Angleterre  ;  et  pour  ce  fist  le  roy  de  France 
tantost  délivrer  et  mettre  hors  de  prison  tous  les  Anglois, 
mais  de  ceux  qui  estoient  riches  leur  biens  furent  confis- 
quiés.  Duquel  fait  tous  les  preudeshommes  du  royau.me  de 
France  furent  courrouciés  et  troublés  et  escandalisés  :  car  au 
roy  et  en  ses  conseilliers  apparut  clerement  la  mauvaise 
tache  et  l'ort  vil  péchié  d'avarice  et  de  convoitise  :  dont  plu- 
seurs  disoient  et  avoient,  ce  sembloit,  cause  (1),  que  les  An- 
glois avoient  été  plus  pris  pour  prendre  leurs  esrhoites  que 
pour  vengier  l'injure  et  la  vilennie  du  royaume, 

La  royne  d'Angleterre,  cjui  avoit  séjourné  une  espace  de 
temps  dans  la  conté  de  Ponthieu,  se  pensoit  cornent  elle  peust 
bonnement  passer  en  Angleterre  sans  dommage  et  jîéril  que 
elle  y  eust  eu,  né  son  fils  né  sa  gent  aussi  ;  car  le  roy  d'Angle- 
terre, par  mauvais  conseil,  espéciamment  par  messire  Hue 
le  Despensier,  estoit  trop  mal  meu  contre  elle  ;  si  avoit 
mandé  le  roy  par  tous  les  pors  d'Angleterre  que  se  elle  y 
arrivoit,que  elle  fust  prise  comme  celle  qui  avoit  pechiéati 

(I)  Cause.  Raison, 

25. 


204  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

crime  de  lèse-magesté  ;  et  pour  ce,  la  roync  ,  sachant  la 
volenté  du  roy,  son  seigneur,  prist  en  sa  compagnie  messire 
Jehan  de  Haynau,  noble  chevalier  et  puissant  en  armes,  cjui 
avoit  trois  cens  hommes  d'armes  combatans,  et  arriva  à  un 
port  dont  nulle  personne  du  monde  ne  s'en  donnoit  de 
garde;  mais  ce  fu  à  grant  meschief  et  à  grant  paine:  dont 
une  damoiselle  enfanta  d'angoisse  avant  son  terme.  Quant 
la  royne  fu  arrivée  à  ce  port,  les  Anglois  et  ceulx  qui  le  gar- 
doient  de  par  le  roy  voudrent  accomplir  ce  qu'on  leur  avoit 
commandé ,  et  si  ordenoient  et  disposolent  tant  comme  il 
povoient  ;  mais  la  royne,  comme  sage  et  femme  de  grant 
conseil,  sans  férir  cop  de  glaive  né  d'espée,  les  apaisa  en  ceste 
manière  :  elle  leur  manda  par  amour  et  par  amistié  qu'il 
venissent  parler  à  elle  ;  il  y  vinrent  :  eulx  venus,  elle  prist 
Edouart  son  fils  entre  ses  bras,  et  leur  monstra,  en  disant 
ainsi  :  «  Biaux  seigneurs,»  dist-elle,  «  regardez  cest  enfant  qui 
»  est  à  venir  et  à  estre  encore  vostre  roy  et  seigneur ,  se 
»  Dieu  plaist.  Si  ne  cuidiez  mie  que  je  soie  entrée  en  Angle- 
»  terre  à  gent  d'armes  pour  gi'ever  né  domagier  le  roy 
')  nostre  seigneur  né  le  royaume  ;  mais  y  sui  ainsi  venue 
»  pour  oster  et  estreper  au.cuns  mauvais  conseilleurs  qui 
»  sont  entour  monseigneur,  par  lequel  conseil  monseigneur 
»  est  aveuglé  et  afolc  et  la  pais  du  royaume  et  le  royaume 
»  aussi  empeschié  et  troublé  ;  et,  au  moins,  se  je  ne  les  puis 
»  oster  né  estreper,  si  est-ce  bien  m'entencion  de  la  com- 
»  paignie  mon  seigneur  eulx  à  mon  povoir  estrangier  et 
»  esloignier,  afin  cpie  tous  mefîais  soient  corrigiés  et  amen- 
')  dés,  et  le  royaume  d'Angleterre  soit  tenu  et  gardé  en  bonne 
»  pais  et  en  bonne  tranquillité.  »  Quant  les  Anglois  oirent 
ainsi  parler  la  royne ,  et  il  orent  aussi  veu  leur  seigneur 
naturel  entre  les  bras  sa  mère,  toute  leur  maie  volenté  fu 
mue  en  douceur  et  en  débonnaireté,  et  la  reçurent  luy  et 
son  fils  à  grant  joie  et  eu  grant  solempnité,  et  ceulx  qui  es- 


(I32G.)  CH\ULES-LE-BEL.  295 

loicnt  aussi  en  sa  compaingiiie.  La  royue ,  ainsi  icceue  à 
grant  joie  en  Angleterre,  ceulx  qui  l'avoient  reccue  sigue- 
fièrent  au  roy  que  sa  venue  estoit  paisible,  et  pour  ce,  il  luy 
supplioient  que  il  la  voulsisl  recevoir  doucement ,  tlc- 
boiinairement  et  bénignement.  Le  roy,  qui  estoit  obstiné 
en  son  courage,  ne  prist  pas  en  gré  la  supplication;  ainsols 
manda  à  la  royne,  par  grant  desdaing,  qu'il  lui  desplaisoit 
en  toutes  manières  de  ce  qu'elle  avoit  osé  entrer  en  Angle- 
terre à  gent  d'armes ,  meismement  comme  il  la  tcnist  et 
afFerinast  estre  anémie  du  royaume.  Ces  choses  oies ,  la 
royne  se  garda  miex  que  devant  ;  et  tant  comme  elle  pot, 
elle  acquist  l'amour  et  la  faveur  des  barons  et  des  bonnes 
villes,  espéciamment  de  la  ville  de  Londres.  Si  fu  le  roy  si 
enveloppé  de  mauvais  conseil,  qu'il  avoit  la  royne  tant  ablio- 
miuable,  combien  que,  comme  preude  femme,  elle  se  fust 
aprouchiée  de  lui  pour  adebonnairier  sou  courage ,  se  elle 
peust,  que  en  nulle  chose  né  en  nul  lieu  ne  la  voult  oïr  né 
voir;  dont  les  barons  d'Angleterre  orent  indignacion  contre 
luy,  et  si  grant  cfu'il  s'armèrent  avec  monscignem-  Jehan 
de  Haynau  ,  et  alèrent  en  guerre  contre  le  roy  ;  meismc 
entre  les  autres  fu  pris  messire  Hue  le  Despencier.  Et  le  roy 
à  pou  de  gent  se  retraist  à  un  très  fort  chastel  assis  es  mar- 
ches de  Galles  et  d'Angleterre  ;  et  comme  il  alast  de  chastel 
en  autre  ou  voulsist  aler ,  il  fu  pris  d'aucuns  barons  par 
force  et  par  aguet,  et  f u  baillié  au  frère  au  conte  de  Lancaslrc 
qui  avoit  seurnon  de  Tort-col,  pour  ce  que  Thomas,  conte 
de  Lancastre ,  avoit  esté  décapité  au  commandement  du 
roy.  Lecjuel  Tort-col  le  garda  sous  estroite  garde  jusquesàla 
fin  de  sa  vie  bien  et  diligeamment.  Le  roy,  ainsi  pris  et  mis 
en  prison ,  assemblée  se  fist  à  Londres  des  barons  et  des 
communes,  lesquiex,  de  commun  accort  et  d'un  consente- 
ment ,  jugièrent  digne  d'estrc  privé  de  toute  dignité  et 
auctoritc  royale  et  avec  ce  de  iiom  de  roy,  Edouartn'a  guères 


296  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

1  oy  d'Angleterre  ;  et  ce  fait ,  il  coronèrent  à  roy  son  fils 
Edouart,  combien  que  il  refusast  la  couronne,  tant  comme 
il  peust,  vivant  son  père.  Assez  tost  après,  messire  Hue  le 
Despensier,  par  le  jugement  des  bavons,  fu  traîné  à  queues 
de  chevaux,  puis  fu  ouvert  comme  on  ouvre  vui  pourcel, 
et  ardion  sabrouaille  et  ses  entrailles  devant  luy  voyant  ses 
iex,  puis  ot  la  teste  coupée,  et  de  son  corps  furent  faites 
quatre  pièces  qui  furent  pendues  aux  quatre  principaux 
villes  d'Angleterre.  Pluseurs  autres  aussi  qui  furent  de  sa 
sorte  furent  en  diverses  manières  mis  à  mort  ;  entre  les 
autres ,  on  coupa  la  teste  à  un  évesque  qui  estoit  et  avoit 
esté  ami  dudit  messire  Hue  le  Despensier  et  de  son  père. 

En  cest  an,  envoia  le  pape  en  légacion,  en  Lombardie, 
messire  Bertrand  de  Poget,  cardinal,  et  un  pou  après,  luy 
fu  adjoint  à  compaignon  messire  Jehan  Gaytan,  cardinal, 
afin  qu'il  deffendissent  sainte  églyse  contre  les  Guibelins, 
et  espéciamment  contre  ceulx  de  la  cité  de  Milan  ;  pour  ray- 
son  desquiex  le  saint  Père  avoit  la  cité  et  tout  le  pays  mis 
en  eutredit  lequel  il  ne  gardoient  né  vouloient  garder  en 
aucune  manière;  et  se  aucun,  espéciaument  de  religion,  le 
voulsist  gaider,  il  estoit  contraint  à  laissier  le  pays  et  à  fuir- 
s'en,  où  il  esconvenoit  qu'il  souffrist  griefs  tourmens ,  par 
quoy  il  convenoit  qu'il  mourust.  Si  afferment  aucuns  que 
pluseurs  furent  occis  qui  ne  vouloient  célébrer  devant  eulx 
né  à  eulx  administrer  les  sacremens  de  sainte  églyse. 

Le  roy  d'Angleterre  Edouart,  qui  estoit  en  prison,  mourut 
en  ce  temps,  et  nef  u  pas  enterré  en  sépulture  des  roys(l).  SI 


(1)  La  conlinuaiion  de  JVangis  dit  au  contraire  qu'il  fut  enterré  Iiono- 
rablement  auprès  de  ses  ancôtrcs. —  Si  l'on  remarque  que  ni  celte  con- 
tinuation de  Nangis,  ni  le  chroniqueur  de  Saint- Denis,  ni  Froissart  no 
parlent  de  l'odieux  supplice  que  la  reine  d'Angleterre  auroit  fait  infliger 
à  son  déplorable  époux ,  on  pourra  cesser  de  le  regarder  comme 
incontestable.  C'est  pourtant  là  ce  qu'ont  estimé  tous  nos  historiens 
modernes .  M.  de  Sismondi,  qui  a  fait  pour  l'histoire  de  France  ce  que 


(1 320.)  CHARLES-LE-BEL.  297 

fil  son  fils  Edouart  confeinié  à  roy  d'Angleterre,  et  fist  pais 
à  Robert  de  Brus,  roy  d'Escoce,  pour  liiy  et  pour  ses  succes- 
seurs à  tous  jours  mais.  De  la  mort  au  roy  d'Angleterre 
se  elle  fii  avanciée  ou  non ,  celui  le  scet  qui  de  riens  n'a 
ignorance,  c'est  Dieu. 

XIV. 

De  la  bataille  qui  fa  entre  le  conte  de  Sui'oie  et  le  dauphin  de 
Païenne. 

En  ceste  saison,  entre  le  conte  de  Savoie  et  le  dauphin  de 
Vienne  ot  grant  et  fort  bataille  ;  si  en  y  ot  moult  de  tués 
de  la  partie  du  conte  et  moult  qui  s'enfuirent  avec  le  conte, 
et  pluseurs  qui  furent  pris,  en  espécial  le  frère  du  duc  de 
Bourgoigne  et  le  conte  d'Ancuerre.  Et  ainsi  le  dauphin,  qui 
avoit  esté  autrefois  foulé  du  père  au  conte  de  Savoie,  ot  vic- 
toire glorieuse  et  honorable  en  sa  personne,  jà  soit  ce  qu'il 
semblast  que  la  partie  du  conte  fust  greigneur  et  plus  fort. 

Loys  de  Bavière,  qui  tenoit  le  duc  d'Osteriche  etFederic, 
son  cousin  germain  ,  en  prison ,  estoit  moult  oppressé 
de  bataille  et  de  pilleries  par  Leupold,  frère  du  duc  d'Os- 
teriche, et  par  ses  autres  frères.  Mais  Nostre-Seigneur,  cpii 
mue  les  cœurs  des  hommes  si  comme  il  veut,  et  en  la  cui 
puissance  sont  non-seulement  les  roys,  mais  les  roiaumes  et 

Dulaurc  a  tristement  exécuté  pour  celle  de  Paris,  va  même  plus  loin  ; 
«  II  ne  reste,  dit-il,  aucun  indice  qui  fasse  peser  sur  le  roy  de  France  la 
»  moindre  partie  de  la  responsabilité  du  meurtre  d'Edouard  II,  si  ce  n'est 
»  que  tes  tiisloriens  français  n'en  tômoirjnenl  aucune  horreur,  et  que,  dans 
»  le  récit  de  Froissart,  c'est  la  reine  qui  paroit  être  l'héroïne.  »  Il  me 
semble  qu'on  devoit  se  contenter  d'émettre  quelques  doutes  sur  le  fait 
en  lui-même,  et  avouer  que  les  chroniqueurs  françois  rêpugnotent  à  y 
croire,  et  que  Froissart  avoit  seulement  parlé  des  grandes  qualités  de 
la  reine.  Mais  quand  Froissart  auroit  trouvé  ban  ce  dont  il  ne  parle  pas, 
comment  son  opinion  tendroit- clic  à  inculper  le  roi  de  France? 


298  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

toutes  choses,  mua  le  cœur  du  devant  dit  Loys  envers  le  duc 
son  cousin,  et  inclina  à  miséricorde,  si  et  en  telle  manière 
cju'il  luy  pardonna  tout  quanqu'il  luy  ayoit  meffait,  et  de  la 
prison  où  il  estoit  luy  etpluseurs  nobles  qui  estoient  prison- 
niers ctchaitis,  sans  prière,  sans  argent  et  sans  raençon  déli- 
vra et  renvoia  ;  receu  premièrenient  son  serment  fait  sus  le 
corps  Jésus-Crist,  dont  il  receu  une  partie  et  Loys  de  Ba- 
vière l'autre,  que  des  ore  en  avant  il  liiy  portcroit  foy  et 
loyauté  tant  comme  il  vivroit  :  et  ce  fait,  le  duc  d'Osteri- 
che  s'en  retourna  franc  et  quite  avec  sa  compagnie  en  son 
pays  ;  dont  trop  de  gent  se  merveillèrent  coment  ceste  chose 
avoit  été  faite ,  car  ceulx  de  son  propre  conseil  n'en 
savoient  riens  né  personne  vivant  excepté  son  confesseur. 

En  ce  temps,  se  départirent  de  Paris  deulx  clers  moult 
renommés ,  maistre  Jehan  de  Gondun  et  maistre  Martin 
de  Padoue  Lombart,  anemis  de  sainte  églyse,  adveisaires  de 
vérité  et  fds  d'iniquité  ;  et  vindrent  en  une  ville  d'Alemai- 
gne  appelée  Norembergh.  Les  quiex,  comme  il  furent  là 
venus,  aucuns  qui  estoient  de  la  famille  au  duc  de  Bavière 
et  les  avoient  veus  à  Paris  et  oi  dire  de  leur  renommée , 
firent  tant  que,  à  leur  relacion,  il  furent  retenus  en  la  court 
tlu  duc,  non  pas  seulement  retenus,  mais  receus  en  la  grâce 
du  duc  très  familièrement  ;  dont  il  avint  qu'il  leur  demanda 
moult  amiablement  :  «  Pour  Dieu,  dites-moy  quelle  cause 
»  vous  a  meii  à  venir  de  la  terre  de  pais  et  de  gloire ,  en 
»  ceste  terre  plaine  de  batailles,  d'angoisses  et  de  tribula- 
»  cions?  »  Il  respondirent  :  «  L'erreur  que  nous  voions  et 
»  regardons  en  sainte  églyse  nous  fait  ici  venir  comme 
»  essiliés  ;  et  pour  ce  que  nous  ne  povons  plus  soustenir  en 
»  conscience,  nous  sommes  venus  à  vous  à  garant,  comme  à 
»  celui  à  qui  l'empire  est  deu  de  droit,  et  à  qui  il  aparticnt 
»  à  corrigier  les  défaus,  les  erreurs,  et  les  choses  désordon- 
I'  nées  mettre  et  ramener  en  estât  deu.  Si  devez  savoir  que 


((326.)  GHARLES-LE-BEL.  299 

»  l'empire  n'est  pas  sougiet  à  l'cglyse ,  quar  il  n'est  pas 
»  donbte  que  l'eînpii'e  estoit  avant  que  l'églyse  eust  puis- 
»  sauce  né  seigneurie;  né  l'empire  aussi  ne  se  doit  pas  rieuser 
»  par  les  rieules  (1)  de  l'églyse;  comme  on  trouve  pluseurs 
»  empereurs  qui  l'élection  de  pluseurs  papes  ont  confermée, 
»  si  ont  fait  assemblée  par  manière  de  senne,  et  ottroié 
»  deffinicion  en  ce  qui  appartenoit  à  la  foy  crestienne. 
»  Et  se  par  aucun  temps  l'églyse  avoit  prescrit  aucune 
»  chose  contre  les  franchises  et  libertés  de  l'empire,  nous 
»  disons  que  c'est  injustement  fait  et  malicieusement  , 
»  et  que  l'églyse  l'a  usurpé  à  tort  et  frauduleusement.  Et  ce 
»  que  nous  disons  et  tenons  pour  vérité,  nous  sommes  tous 
>»  près  de  deffendre  contre  tout  homme,  et  se  mestier  est, 
»  quelque  tourment  souffrir  et  endurer^  néis  la  mort.  »  Aux 
pai'oles  desquiels  Loys  de  Bavière  ne  s'accorda  pas  du  tout; 
ainsois  trouva  par  les  sages  en  droit  que  ceste  persuasion 
estoit  fausse  et  mauvaise ,  à  laquelle  se  il  se  consentoit , 
comme  elle  sentoit  hérésie,  ce  fait,  il  priveroit  soy  du  touten 
tout  du  droit  de  l'empire,  et  ainsi  donroit  au  pape  voie  par 
quoi  il  procéderoit  contre  luy.  Pourquoy  il  luy  fu  conseillié 
qu'il  les  punisist,  comme  il  appartient  à  empereur  non  pas 
seulement  deffendre  la  foy  et  les  crestiens,  mais  les  hérites 
effacier  et  estreper.  Lequel  respondi  ainsi  si  comme  on  dit  : 
«  Ce  ne  seroit  pas  humaine  chose  de  mettre  à  mort  ceulx  qui 
»  nous  servent ,  espéciamment  ceulx  qui  ont  pour  nous 
»  laissié  leur  pays  et  leur  fortune.  »  Si  ne  crut  pas  leur 
conseil  ;  ainsois  les  tint  près  de  soy  en  eulx  honnorant  de 
dons  et  d'autres  choses,  et  leur  commanda  qu'il  fussent  en 
tout  temps  près  de  luy.  Ces  choses  ainsi  faites  vindrent  à  la 
cognoissance  du  pape,  lequel ,  après  pluseurs  procès  par 
voie  de  droit  fais  contre  eulx,  geta  sentence  d'escommenie- 

(I)  nkmer  par  les  rieuks.  Régler  par  les  règles. 


300  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

nient  sur  eulx  et  sur  ledit  messire  Loys  ;  laquelle  sentence  il 

envola  à  Paris  et  autres  lieux  solempniex  pour  publier  et 

dénoncler. 

En  ce  temps  envola  le  saint  Père  grant  quantité  de  sou- 
dolers  en  Lonibardle  contre  Galeace  de  Milan  et  les  Gui- 
belins  qui  estolent  excomeniés.  Et  quant  il  furent  assemblés 
en  guerre ,  tous  ceux  du  pape  furent  mis  à  l'espée  et  s'en 
escliapa  à  palne  celui  qui  estoit  capitaine  :  si  fu  moult  cour- 
roucié  le  pape ,  jasoit  ce  que  pluseurs  disent  que  à  bon 
droit  estoit  ceci  advenu  au  pape.  Car  l'églyse  ne  use  pas 
contre  ses  auemis  de  glaive  matériel,  et  melsmement  cjue  le 
pape  avoit  ce  empris  à  faire  sans  parler  à  ses  frères  les  cardi- 
nals.  Et  quant  le  pape  se  vit  ainsi  apolnctié(l),  si  envola  par 
toutes  les  provinces  du  royaume  de  France ,  afin  que  les 
églyses  et  les  personnes  d'églyse  luy  aidassent  à  parfaire 
ses  guerres.  Laqulelle  chose  le  roy  de  France  defTendit  à  faire, 
car  oncques  mais  n'avoit  esté  fait  en  son  royaume.  Mais  le 
pape  luy  rescrlpt;  après,  le  roy  considérant  :  Donne  m  en  je 
t'en  donrai,  il  octroia  de  légier,  dont  le  pape  luy  donna  la 
dixiesme  des  églyses  à  deux  ans  ensuivans;  et  ainsi  salnctc 
églyse  quant  l'un  la  tout,  l'autre  l'escorche. 

En  cest  an  nieisme,  gens  nobles  de  Gascoigne  qui  estoient 
bastars  ,  commenclèrent  forment  à  envaïr  le  royaume  de 
France.  Contre  eux  fu  envolé  messire  Alfons  d'Espalgne, 
cousin  du  roy,  qui  de  chanoine  et  arcliediacre  de  Paris  s'es- 
tolt  fait  chevalier.  Et  combien  qu'il  despendist  moult,  il  fist 
pou  ou  noient,  et  s'en  retourna  en  France  pour  une  quar- 
taine  qui  le  prlst,  dont  assez  tost  après  il  mourut.  Les  bastars, 


(1)  Apoinclié.  Quelques  leçons  ont  Iransformé  ce  mot  en  celui  de  apo- 
vrié ,  et  l'on  pourroit  démontrer  que  cotte  partie  de  la  continua- 
tion de  Nangis  est  une  simple  traduction  latine  de  nos  chroniques  françoi- 
ses,  en  remarquant  le  mot  barbare  dcpaiiperattim  qu'elle  emploie  ici 
parce  qu'elle  avoit  eu  sous  les  yeux  la  mauvaise  leçon  françoise. 


(132G.)  CHARLES- LE-BEL.  301 

quant  il  sorent  ceci,  avec  aucuns  Anglois  vindrent  jusques 
à  la  cité  de  Saintes  qui  est  en  Poitou  dont  le  chastel  est  très 
fort  et  est  au  roy  d'Angleterre  ;  auquiel  il  entrèrent  et  le 
défendirent  longuement  contre  le  conte  d'Eu  et  plusenrs 
autres  nobles  qui  estoient  en  sa  compaignie.  Et  comme  il 
eussent  eu  pluseurs  assaux,  il  se  mistrent  aux  champs  un 
pou  loing  de  la  cité,  et  mandèrent  au  conte  d'Eu  jour  et 
lieu  assigné  de  bataille,  qui  volentiers  l'acorda  et  vint  au 
lieu  qui  leur  estoit  assigné  au  plus  tost  qu'il  pot.  Et  quant 
les  Anglois  virent  que  le  conte  d'Eu  s'estoit  esloignié  de  la  cité, 
il  entrèrent  dcdens  et  la  mistrent  toute  en  feu  et  en  flambe 
sans  espargnier  à  églyse  né  à  moustier.  Lors  le  conte  d'Eu 
et  messire  Robert  maresclial  de  France,  voyant  qu'il  estoient 
décéus ,  les  poursulrent  jusques  en  Gascoigne  en  sousme- 
tant  avant  eux  terres  et  villes  au  roy  de  France;  et  tant  alè- 
rent  cjue  oncques  puis  ne  s'osèrent  monstrer  né  apparoir 
leurs  anemis. 

En  cest  an  la  royne  de  France  qui  estoit  ençainte  d'en- 
fant et  reposoit  au  Chastiau-!*feuf  (1)  d'encoste  Orliens  ,  en- 
fanta une  fille  ;  et  assez  tost  après  sa  première  fille  mourut. 
En  ce  temps  meisme  le  conte  de  Flandres  cjui  estoit  en 
prison  à  Bruges  fu  délivré  par  ceux  de  Bruges  meismes,  en 
prenant  premièrement  son  serement ,  c'est  assavoir  :  que 
les  drois ,  les  libertés  ,  les  franchises  et  les  coustumes  de 
Flandres  il  garderoit  loyaument  sans  enfraindre  ;  et  c|ue  , 
pour  l'occasion  de  la  prison,  il  ne  feroit  ou  feroit  faire  mal  à 
eux  né  aulre;  car  ce  cju'il  avoient  fait  il  avoient  fait  pour  son 
trèsgrant  profit.  Après  il  jura,  mais  mauvaisement  tint  son 


(1)  Au  Chastiau-Neuf.  Chdlcauneuf,  aujourd'hui  bourg  à  quatre  lieues 
d'Orléans.  —  Je  crois  que  la  princesse  dont  il  s'agit  ici  est  Marie  et  non 
Blanclie;  celte  dernière  étant  née  au  bois  de  Vincennes,  contre  l'opinion 
du  P.  Anselme. 

2C 


305  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

sercmcnt,  que  en  toutes  ses  grosses  besoignes  il  useroit  spé- 
cialement du  conseil  des  Flamens. 

XY. 

Cornent  le  roy  de  France  Charles  trcspassa  de  ce  siècle. 

L'an  de  giacc  mil  trois  cens  vint-sejit,  manda  le  roy  Char- 
les au  roy  d'Angleterre  que  il  venist  faire  hommage  de  la 
duchiée  d'Aquitaine  ;  si  se  excusa  le  roy  que  bonnement  n'i 
povoit  venir  pour  la  mort  son  père  qui  esloit  mort  nouvel- 
lement ;  si  l'ot  le  roy  de  France  ceste  fois  pour  excusé. 

En  cest  an  furent  à  Paris  pluseurs  barons  assamblés  pour 
mettre  acort  entre  le  conte  de  Savoie  et  le  dauphin  de 
Vienne:  et  comme  il  ne  peussent  trouver  matière  de  paix, 
il  s'en  alèrent  sans  riens  faire. 

Messire  Loys  de  Clermont,  voulant  monstrer  l'affection 
qu'il  avoit  à  la  terre  sainte  d'Oultre-mer,  prist  congié  à 
Nostre-Dame  de  Paris ,  et  jura  que  jamais  n'entreroit  à 
Paris  jusques  à  tant  que  il  auroit  parfait  son  voiage. 

En  ce  temps  fu  accordé  entre  les  roys  crestiens  que  tous 
marchéans  portassent  seurement  leur  marchandises  du 
royaume  en  autre,  et  marchandassent  les  uns  aux  autres. 
Et  fu  ceci  crié  et  publié  en  chascun  royaume.  Messire  Al- 
fons  d'Espaigne,  dont  nous  avons  fait  mencion  l'an  devant, 
mourut  de  la  quartaine  qu'il  prist  en  Gascoigne,  et  fu  en- 
terré aux  frères  Prescheurs  à  Paris. 

Environ  la  fin  d'aoust ,  Loys  de  Bavière  qui  se  faisoit 
empereur  des  Romains,  combien  qu'il  fust  escomenié  du 
pape  Jehan,  et  tous  ceux  qui  pour  empereur  le  tenroicnt, 
vint  à  Rome  et  fu  receu  à  grant  sollcmpnité  ;  si  le  cou- 
ronnèrent à  empereur  les  Romains  contre  la  volenté  du 
pape. 


(1327.)  CHARLES-LE-BEL.  303 

Le  jour  de  Noël  environ  mienuit  acouclia  au  lit  malade 
le  roy  Charles,  et  la  veille  de  la  Chandeleur  mourut  au  bois 
de  Vincennes.  Si  fu  son  corps  enterré  eniprès  son  frère  à 
Saint-Denis ,  et  son  cuer  aux:  frères  Prescheurs  à  Paris.  Et 
ainsi  toute  la  llgniée  du  roy  Phelippe-le-Bel  en  moins  de 
treize  ans  fu  deffaillie  et  amortie,  dont  ce  fu  très  grant 


doraage. 


Cyfenissent  les  chroniques  du  roy  Charles  de  France. 


CI  GOMENGE   L'YSTOIRE  DU 

ROY   PHELIPPE    DE 

VALOIS. 


I. 


Cornent    Phelippe    conte   de  Valois    ot    le  gouvernement    dii 
royaume,  et  de  son  coronnement . 

Après  la  mort  du  roy  Charles-le-Bel,  qui  avoit  laissiée  la 
royne  Jehamie  sa  femme  grosse,  furent  assemblés  les  ba- 
rons et  les  nobles  à  traitier  du  gouvernement  du  royaume. 
Car  comme  la  royne  fust  grosse  et  l'en  ne  sceust  quel  enfant 
elle  devoit  avoir,  si  n'i  avoit  celui  qui  osast  à  soy  appliquier 
le  nom  de  roy  :  mais  seulement  estoit  question  auquiel  tant 
comme  plus  prochain  devroit  estre  commis  le  gouverne- 
ment du  royaume  (1).  Si  fu  délibéré  que  audit  Phelippe 
appartenoit  ledit  gouvernement,  lequiel  estoit  cousin  du  roy 
Charles  et  fils  de  monseigneur  Charles  de  France ,  jadis 
conte  de  Valois ,  secont  frère  germain  de  père  et  de  mère 


(1)  Le  manuscrit  218,  Suppl.  franc.,  porte  Ici  :  «  Et  pour  ce  que  au- 
>'  cuns  disoient,  meismemeut  li  Anglois ,  que  à  leur  roy  appartenoit  de 
»  droit  et  de  raison  le  royaume  de  France,  comme  au  neveu  et  plus  pro- 
»  Chain  qui  lil  estoit  de  Ysabel  jadis  lille  du  biau  Phelippe,  li  François 
"  disant  au  contraire  que  famé  ne  par  conséquent  son  lil  ne  povoit  par 
»  coustumc  succéder  cl  roiaume  de  France;  pour  tout  ce  trouble  osier, 
»  li  barons  baillèrent  comme  au  plus  prochain  le  gouvernement  du 
»  roiaume  à  monseigneur  IMiclippc,  conte  de  Valois...  jusquesà  tant  que 
u  l'en  seust  quel  enfant  la  royne  aroit,  »  —  (Voyez  les  autres  variantes  à 
la  fin  de  ce  volume.) 

26. 


306  LES  GRANDES  CHROxMQUES. 

»iu  roy  Plielippe-le-Bel.  Lequiel  Plielippe  ot  le  gouveine- 
nient  du  royaume  depuis  la  mort  dudit  roy  Charles  jusques 
au  vendredi  aouvé  que  ladite  royne  Jelianue  enfanta  une 
fille.  Et  pour  ce  que  une  fille  ne  hérite  pas  au  royaume, 
luy  vint  ledit  royaume  et  en  fu  coronné  par  raison;  com- 
bien que  le  roy  d'Angleterre  et  autres  ennemis  du  royaume 
tenissent,  contre  raisonnable  opinion,  que  le  royaume  appar- 
tenist  mieux  audit  Anglois  comme  neveu  du  roy  Charles, 
fils  de  sa  suer,  que  audit  roy  Plielippe  qui  ne  luy  estoit 
que  cousin  germain. 

Environ  ce  temps,  Pierre  Remy,  principal  trésorier  du 
roy  Charles  deri-enier  mort,  fu  accusé  qu'il  n'avoit  pas  bien 
loalment  dispensé  né  administré  les  biens  du  royaume ,  si 
comme  pluseurs  nobles  et  non  nobles  l'afTermoient  ;  et 
disoient  que  la  valeur  de  ses  biens  montoit  à  plus  de  deux 
cens  mille  livres.  Si  fu  ledit  Pierre  requis  de  rendre  compte, 
lequiel  ne  sceut  pas  bien  rendre  compte  de  ce  que  l'en  luy 
demandoit,  si  fu  jugié  à  estre  pendu.  Lec^uiel  Pierre,  quant 
il  fu  emprèsle  gibet,  il  confessa  qu'il  estoit  traître  en  Gas- 
coigne  encontre  le  roy;  pour  laquielle  cause  il  fu  traisné,  et 
puis  pendu  au  gibet  cju'il  avoit  fait  faire  tout  le  premier, 
le  jour  delà  saint  Marc  évangéliste,  l'an  mil  trois  cens  vint- 
huit,  jasoit  ce  qu'il  eust  esté  pris  l'an  mil  trois  cent  vint- 
six. 

Item,  le  premier  jour  d'avril,  qui  fu  le  vendredi  aouré, 
la  royne  Jelianne  d'Evreux  ot  une  fille  au  bois  de  Yincennes 
appelée  Blanche.  Depuis  Plielippe,  conte  de  Yalois,  appelle 
régent ,  fu  nommé  roy  :  dont  il  appert  clèrcment  cpic 
la  droite  ligne  des  roys  de  France  fu  translatée  en 
ligue  transversale,  c'est  assavoir  de  germain  en  germain. 


(1328.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  307 


IL 


Coincnl  Loys  de  Bavière  fa  coronac  à  empereur,  et  cornent  les 
Romains  firent  un  autre  pape  à  Rome. 

L'an  mil  trois  cens  vint-huit,  Loys  de  Bavière  qui  avoit 
esté  coronné  à  Milan  de  coronne  de  fer  prist  son  chemin  à 
Rome(l).  Quant  les  Romains  oirent  nouvelles  de  sa  venue, 
il  orent  très  grant  joie,  et  alèrent  à  l'encontre  de  luy,  et  le 
coronnèrent  en  l'églyse  Saint-Père,  et  après  ce  que  il  fu 
coronné,  il  le  menèrent  au  palais  royal  ;  et  après  ce  qu'il  ot 
demouré  en  la  cité  de  Rome  par  un  moys  ou  environ,  aucuns 
s'apparurent,  lesquiels  estoient  fds  du  déable  et  d'iniquité, 
et  distrent  ces  paroles  : 

«  Puisque  Dieu  nous  a  donné  empereur,  ce  seroit  bon  que 
»  nous  eussions  un  père  espirituel ,  lequicl  nous  adminis-^ 
«  trast  les  choses  espirituelles ,  ainsi  comme  ont  fait  les 
»  pères  précédens?  «Laqulelle  chose  plut  moult  au  peuple;  et 
ainsi  s'assemblèrent  à  faire  un  pape,  et  non  pas  vraiement 
pape  mais  antipape,  contre  Dieu  et  contre  saincte  églyse;  et 
cslirent  un  frère  Meneur  lequicl  estoit  appelle  Pierre  Ranu- 
che  (2),  et  le  consacrèrent  en  la  manière  de  la  consécration 
du  pape.  Et  après  ce  que  ledit  Pierre  fu  ainsi  consacré  et 
en  la  cité  mené,  il  eslurent  cardinals  presque  tous  de  l'ordre 
des  mendians,  jasoit  ce  que  aucuns  disoient  que  ceste  orde- 
nance  ne  venoit  pas  de  la  conscience  dudit  Loys  duc  de 
Bavière  nouvellement  fait  empereur.  Et  fu  nommé  ledit 
frère  Pierre  de  Ranuche  Nicholas  le  quint.  Si  avint  que 


(1)  .1  Home.  «  El  par  rtéccplioiis  et  cavillalions  fist  tanl  rjuc  li  Uomains 
ic  rcccurcnt.  »  (Variaiile  dunisc.  218.) 

(2)  Raiiiichc.  «  Pclrus  Rainalulii.  »  Plus  souvent  nomme  l'icrie  de  Cor- 
vara  ou  de  Corbi'crc.  Variante  du  msc,  218  :  «  Vierre  de  Canielle.  » 


308  I.ES  GRANDES  CHRONIQUES, 

ledit  antipape  commença  à  estre  avecques  ledit  Loys  en  la 
cité  de  Rome,  et  là  estoient  à  très  gians  frès  et  despens  pris 
sus  le  peuple;  lesquiels  le  peuple  ne  pot  ou  ne  voult  plus 
soustenir;  si  furent  contrains  à  issir  hors  de  la  cité,  et  coni- 
mencièrent  à  aler  vagant  par  le  royaume  d'Italie  et  par 
diverses  autres  cités. 

Après  ces  choses  avint  que  le  pape  Jehan  appella  frère 
Michiel  général  de  toute  l'ordre  des  frères  Meneurs;  lequiel 
frère  Michiel  estoit  à  Avignon  pour  le  temps  :  et  commanda 
audit  frère  Michiel  en  vertu  de  saincte  obédience  c|ue  les 
choses  qui  sont  à  la  déclaracion  de  la  rieule  et  meismement 
de  la  povreté  de  l'évangile  il  gardast  fermement,  et  aussi 
à  tous  ses  sougiés  la  commandast  estre  gardée  sans  nul 
deffaut.  Lequiel  frère  Michiel  respondi  au  pape  Jehan  moult 
arrogamment ,  si  comme  l'en  dit,  et  luy  demanda  huit 
jours  de  espace,  afin  cjue  mieux  en  respondist;  si  luy  fu  oc- 
troie. Lesquiels  huit  jours  durans,  ledit  frère  Michiel,  avec 
un  autre  frère  appelle  lîonnegrace,  et  un  docteur  en  théolo- 
gie appelle  François,  s'enfui  par  nuit  en  Marseille  et  entra 
en  la  mer  et  s'en  ala  jusques  à  Jeunes,  et  de  Jeunes  s'en  ala 
vers  l'antipape  et  Bavière,  et  se  mist  en  leur  compaignie. 
Quant  le  pape  sceut  ces  choses  ,  il  procéda  contre  eux 
comme  hérites  et  les  condampna  ;  et  ledit  frère  Michiel 
de  toute  administration  priva,  et  commanda  aux  frères 
Meneurs  c|ue  il  se  pourveussent  d'un  autre  général.  Mais 
sus  tous  les  procès  fais  par  le  pape  contre  le  dit  frère 
Michiel ,  l'en  dit  que  ledit  frère  Michiel  voult  appeller 
du  pape  mal  conseillié  au  pape  bien  conseillié. 

Item ,  le  roy  de  France  Phelippe  ,  approuvant  le  bon 
conseil  des  barons  et  des  anciens  sus  l'ordenance  du 
royaume  de  Navarre  et  de  la  conté  de  Champaigne,  il  res- 
titua ledit  royaume  de  Navarre  à  Loys  conte  d'Evreux  pour 
la  cause  de  sa  femme  fdlc  de  Louis  Ilutin  :  et  pour  la  cause 


(13i8.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  309 

de  la  conté  de  Champaigne,  il  luy  assigna  autres  rentes  en 
la  conté  de  la  Marche  eniprès  Angolesme. 

Item,  environ  ce  temps,  le  conte  de  Flandres  Loys  fist 
hommage  au  roy  de  France  ;  et  après  il  luy  dit  et  exposa 
les  rebellions  et  fais  importables  de  ses  sujets,  c'est  assavoir 
de  Bruges,  d'Ypre  et  meismement  de  Cassel,  et  qu'il  ne 
povoit  obvier  à  leur  malice  né  extirper  la  matière  de  leur 
rébellion.  Et  lors  pria  au  roy  très  humblement  qu'il  luy 
voulsist  à  son  besoing  aidier.  A  laquielle  supplicacion  le  roy 
enclina  très  bénignement,  mais  en  quel  temps  et  quant  ce 
seroit  il  le  feroit  par  le  bon  conseil  de  ses  baroxis.  Ende- 
mentiers  faisoit-on  à  Rains  très  grant  appareil  pour  le  co- 
ronnement  du  roy  et  de  la  royne^  et  tant  qu'il  n'estoit 
mémoire  de  homme  qui  oncques  tel  eust  veu.  Adoncques 
quant  les  choses  furent  prestes,  se  partirent  le  roy  et  la 
royne  pour  aler  à  Rains,  et  là  furent  coronnés  tovis  deux 
ensemble  par  la  main  de  Guillaume  de  Trie  ai'chevesque  de 
Rains,  le  jour  de  la  Trinité;  et  dura  ladite  feste  cinq  jours 
continus  (1). 


III. 


Cornent  le  roy  Phelippe  iniU  pour  aler  sus  les  Flarnens  tantosl 
après  son  coronnement. 

Après  le  coronnement  et  ladite  feste  passée,  le  roy  s'en 
retourna  à  Saint-Denis  son  patron,  et  là  fu  honnorablemcnt 
receu;  et  après  ala  à  Nostre-Dame  de  Paris,  et  depuis  s'en 

(I)  «  El  là  furent  tant  de  haus  hommes  assembles,  qu'il  ne  fu  pas  mé- 
moire que  lant  d'assez  en  cust  esté  de  coronalion  de  roy  de  France.  Et 
dura  la  feste  cinq  jours  en  joustes,  en  esbatemcns  si  grans  que  ce  esloit 
merveille  à  veoir.  »  (Addition  dumsc.  218.) 


310  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

retourna  au  palais  où  le  diner  fu  appareillié  très  sollenip- 
nelement,  et  là  disua  le  roy  et  avecques  luy  pluseurs  barons 
de  son  royaume. 

Après  ce  que  il  fu  à  Paris  retourné,  il  ot  délibéracion 
avecques  ses  barons  sur  la  besoingne  des  Flamens;  dont  plu- 
seurs distrent  au  roy  que  bonne  clioseseroit  qu'il  deniourast 
en  France  jusques  à  un  an.  Lacjuielle  parole  desplut  moult 
au  roy,  et  meismement  qu'il  disoient  que  le  tejups  n'estoit 
pas  convenable  pour  batailler.  Dont  aucuns  distrent  que  le 
roy  dut  dire  à  messire  Gaucbier  de  Creci  son  connestable  : 
<<  Et  vous  Gauchicr  qu'en  dites?  »  et  jasoit  ce  qu'il  fust  un 
pou  refusant,  si  respondi  en  tel  manière  :  «  Qui  bon  cuer 
»  a  à  batailler  tousjours  treuve  il  temps  convenable.  » 

Quant  le  roy  ot  oïe  ceste  parole,  il  ot  très  grant  joie,  et  se 
leva  et  l'acola  en  disant  :  <<  Qui  m'aimera  si  me  suive  !  » 
Et  adonques  fu  crié  que  chascun  selon  son  estât  fust  appa- 
reillié à  Arras  à  la  feste  de  la  Magdaleine.  Toutesvoies  les 
bourgois  des  bonnes  villes  ne  s'armèrent  pas  ;  mais  lesdis 
bourgois  et  les  bonnes  villes  aidèrent  au  roy  d'argent,  et 
demourèrent  pour  garder  leur  cités  et  leur  bonnes  villes  de 
par  le  roy. 

Après  ce,  le  roy  si  prist  aucuns  de  ses  familliers,  et  s'en 
ala  par  la  ville  de  Paris  à  pié,  et  visita  une  grant  partie  des 
(•glyses  de  ladite  ville;  et  depuis  il  visita  les  maisons  Dieu, 
et  là  fist-il  moult  de  euvres  de  miséricorde  :  comme  de  bai- 
sier  les  mains  des  povres,  de  leur  administrer  viandes  et  de 
leur  donner  grans  aumosnes.  Toutes  lesc|uielles  choses  faites 
moult  dévotement,  assez  tost  après  il  se  parti  de  Paris  et 
s'en  ala  à  Saint-Denis  ;  là  fu  en  très  grant  dévocion,  et  fist 
ouvrir  le  lieu  où  les  corps  de  monseigneur  de  saint  Denis  et 
de  ses  compagnons  reposent.  Et  quant  ledit  lieu  fu  ouvert, 
ledit  roy  Pliclippe  meu  de  grant  dévocion,  osta  son  chape- 
ron et  sa  coeffe,  et  ala  queireles  dis  corps  saints  de  monsei- 


(1328.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  âll 

gneur  saint  Denis  et  de  ses  compagnons,  et  les  apporta  l'un 
après  l'autre  sur  leur  autel ,  et  semblablement  fist-il  du 
corps  monseigneur  saint  Loys,  et  le  rnist  emprès  les  corps 
saints  devant.  Puis  fist  chanter  la  messe  devant  lesdis 
corps  saints  par  l'abbé  de  ladite  églyse  Guy  :  laquielle 
chantée,  le  roy  fist  beneir  l'oriflambe  audit  abbé  Guy  ,  et 
la  reçut  ledit  roy  de  la  main  dudlt  abbé,  en  la  présence  des 
bavons  et  des  prélas;  laquielle  oriflambe  fu  bailliée  à  messire 
Mile  de  Noyers  (1)  à  porter,  par  la  main  dudit  roy,  et  à  gar- 
der. Après  ces  choses,  ledit  roy  Phelippe  prist  lesdits  corps 
saints  de  monseigneur  saint  Denis  et  de  ses  comjiaignons,  et 
les  rapporta  en  leur  lieu;  laquielle  chose  l'en  ne  treuve  pas 
avoir  esté  communément  faite  par  la  personne  du  roy 
quant  auraporter.  Et  après  il  se  départi  et  s'en  alaà  Arras, 
et  passa  légièrement  oultre ,  et  prist  son  chemin  vers  Cas- 
sel,  et  ilecques  fist  fichier  ses  tentes,  et  fu  le  pays  d'entour 
moult  gasté. 

Adoncques  quant  les  Flamens  virent  l'ost  du  roy,  si 
firent  faire  vm  grant  coc  de  toile  tainte,  et  en  ce  coq  avoit 

escript  : 

Quant  ce  coq  ci  chanté  ara 
Le  roy  Irouvc  (2)  ça  entrera. 

Et  le  mistrent  en  haut  lieu.  Et  ainsi  se  moquoient  du 
roy  et  de  sa  gent ,  et  l'appelloicnt  le  roy  trouvé ,  lacpiielle 
parole  et  moquerie  leur  tourna  à  la  parfin  à  grant  meschief 
et  domaige. 

Lors  le  roy  manda  monseigneur  Robert  de  Flandres  et  le 

(>)  Mile  de  Pioyers.  «  Clievaliers  preus  et  hardis  en  tous  bons  fais 
»  d'armes  et  csprouvcs ,  et  (Msc.  218.)  d'ileuc  s'en  ala  à  Chartres  en 
»  grant  dcvocion.  » 

(?)  Rdi  trouvé.  Ccsl-à-dirc  roi  d'avenliirc  ou  de  hasard.  Allusion  l\  la 
finoslion  d'hérédilé  qui  avoit  précédé  l'élection  de  Philippe.  Le  surnom 
(le  Forluné,  qu'on  adonné  souvent  à  ce  prince,  n'avoit  pas  d'autre  sens  : 
en  dépit  des  explications  modernes. 


312  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

fist  sermentev  avecqiies  luy,  et  puis  liiy  commanda  qu'il 
préist  deux  cens  hommes  d'armes  et  alast  à  Saint-Omer,  et 
ilecques  tenist  la  frontière  contre  les  Flamens  ;  et  com- 
manda au  conte  qu'il  alast  vers  Lille  et  tenist  la  fi'ontière 
entre  le  Lys  et  l'Escaut. 

Quant  les  Flamens  virent  que  le  roy  avoit  fait  si  grant 
semonse,  si  s'assemblèrent,  et  virent  qu'il  n'avoient  point  de 
seigneur  de  qui  il  peussent  faire  chevetaine,  car  tous  les 
gentils  hommes  du  pays  leur  estoient  faillis  ;  et  ne  sa- 
voient  de  c|uel  part  le  roy  les  devoit  assaillir,  né  de  quel 
part  il  devoit  à  eux  venir.  Et  pour  ce  ordenèrent  ceux  de 
Bruges  et  d'Ypre  que  tous  ceux  du  terrouer  de  Furnes 
et  des  communes  de  Bruges,  de  Cassel  et  de  Poperlnge 
se  traisissent  tous  sus  le  mont  de  Cassel  :  et  ceux  de 
Bruges  et  du  Franc  (1)  tendroient  le  pays  devers  Tournay;  et 
ceux  d'Ypre  et  de  Courtrai  à  l'encontre  de  Lille.  Et  le  roy  de 
France  estoit  entré  à  un  samedy  bien  matin  luy  et  son  ost 
en  la  terre  de  Flandres  entre  Blaringueheni  et  le  pont  Has- 
quin  parmi  le  Neuf  fossé  (2),  et  s'en  alèrent  le  conte  d'Artois 
et  sa  compaignie  logier  dessous  une  forest  que  on  appelle 
Ruhout  sus  un  vivier  que  on  appelle  Scondebrouc  et  est  de 
l'abbaïe  de  Clermarès. 

(0  Du  Franc  ou  Pays  /j-aHc,  comprenant  les  territoires  de  Bourbourgr, 
Bergue,  Saint-Winox,  Furnes,  Dunkerque  et  Gravelines. 

{'l)  Je  ne  vois  plus  sur  les  cartes  la  place  du  pont  Hasquin  près  de 
Hlaringhem.  Le  passage  s'effectua  enlre  Aire  et  Saint-Omcr.  —  La  foret 
de  nuliout  doit  être /e  Bois  du  roi,  entre  Saint-Omer  et  l'abbaye  de  Clair- 
marais.  —  Scondebrouc  ou  Sconbroiick,  au-dessus  de  Clairmarais. 


(13;8.)  PHELIPI'E  DE  VALOIS.  3J3 

IV. 

De  r ordenancc  des  baUiilles  du  roy  de  France. 

Et  onois  cornent  les  batailles  (1)  passèrent  :  la  piemièic 
bataille  menèrent  les  deux  maréchaux  et  le  maistre  des  arba- 
lestriers,  et  avoient  en  leur  route  six  bannières,  et  tous  les 
gens  de  pie  suivirent  celle  bataille  et  tous  les  chairois. 
Quant  les  mareschaux  vindrent  au  champ ,  il  baillèrent 
places  aux  fourriers  pour  leur  maistres.  Après  passa  la 
bataille  au  conte  d'Alençon  où  il  avoitvint  et  une  bannières  : 
celle  bataille  prist  son  tour  jusques  emprès  le  mont  de 
Cassel,  et  ilecques  s'arresta  juscjues  à  tant  que  les  tentes 
lussent  drcciées. 

Après  passa  la  tierce  bataille  où  il  avoit  treize  banières , 
et  la  conduisoit  le  maistre  de  l'ospital  d'Oultre-mer,  et  le 
sii'e  de  Biaugeu  et  tous  ceux  de  la  Languedoc. 

La  quarte  bataille  mena  le  connestable  de  France  Gau- 
chier  de  Cliastillon,  et  avoit  huit  banières. 

La  quinte  fu  du  roy  qui  contenoit  trente-neuf  banières, 
et  estoit  le  roy  armé  de  ses  plaines  armes.  Et  estoit  en  sa 
bataille  le  roy  de  Navarre,  le  duc  de  Lorrayne  et  le  conte 
de  Bar  (-2),  et  avoit  une  aile  de  six  banières  que  messire  Mile 
de  Noyers  conduisoit  qui  portoit  l'oriflambe. 

La  sixiesme  conduisoit  le  duc  de  Bourgoigne  où  il  avoit 
dix-huit  banières. 


(1)  Batailles.  Divisions. 

(2)  Leroy  de  Navarre,  Philippe  d'Evreux,  père  de  Cliarlcs-le-Mauvais. 

—  le  duc  de  Lorraine ,  Frédéric  III.  —  Le  conte  de  Bar,  Edouard  I.  — 
Le  duc  de  Bounjoiine,  Eudes  IV.  —  Le  dauphin  de  Vienne,  Guignes  VIII. 
— Le  conte  de  lluinau,  Guillaume. — Le  roy  de  Behaigne  ou  Boltbne,  Jclian. 

—  Leduc  de  Drctaif/ne,  Jean  III,  dit  le  Don. 

27 


314  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

La  septlesnie  mena  le  daupliiu  de  Vienne  où  il  ot  douze 
banières. 

La  luiitiesme  le  conte  de  Hainauavecques  dix-sept  baniè- 
res, et  avoit  une  aile  de  messire  Jehan  son  frère  qui  nienoit 
les  gens  du  roy  de  Bcliaigne  (1). 

La  neuviesme  mena  le  duc  de  Bretaigne,  et  avoit  quinze 
banières  :  tous  ceux-ci  s'alèrent  logier  es  places  c|ue  les  ma- 
rescliaux  leur  avoient  baillit'es  à  deux  lieues  du  mont  de 
Cassel. 

Quant  tous  furent  logiés,  si  vint  l'arrière  garde  qui  estoit 
la  dixicsme  bataille,  et  la  conduisoit  monseigneur  Robert 
d'Artois,  et  là  avoit  vint-deux  banières  :  et  se  traist  devers 
le  mont  de  Cassel,  et  avironna  tout  l'ost  et  passa  par  devant 
la  tente  du  roy,  et  ala  à  une  abbaie  assez  près  cjue  l'en  ap- 
pelle la  AVastine  (2)  et  s'i  loga. 

L'endemain  vint  le  duc  de  Bourbon  en  l'ost  et  toute  sa 
bataille  à  quatorze  banières. 

Les  Flamens  qui  sus  le  mont  de  Cassel  estoient  virent  le 
roy,  ta  tout  le  povoir  de  son  royaume  ,  qui  estoit  logié  à 
deux  lieues  d'eux;  mais  oncques  pour  ce  ne  se  eftVoièient, 
ains  mistrent  leur  tentes  hors  de  la  ville  et  s'alèrent  logier 
sur  le  mont,  pour  ce  c|ue  les  François  les  peussent  veoir;  et 
ainsi  furent  trois  jours  les  uns  contre  les  autres  sans  riens 
faire.  Et  au  quatriesme  jour  se  desloga  le  roy,  et  s'ala  logier 
«.le  une  lieue  près  sus  une  petite  rivière  c{ue  on  appelle  la 

(1)  Les  gens  du  roy  de  ISehaifine.a  En  ccl  an,  le  roy  de  Coesnic  entour 
»  yvcr  passe  devant,  esloit  passé  en  terre  de  Sarrasins  et  prist  grant  pais 
»  et  régions  sus  eux,  et  en  vindrenl  à  foy  de  cresticnlé  par  luy  pluseurs... 
»  Et  combien  que  il  fusl  là,  nepourquanl  il  cnvoia  des  gens  d'armes  de 
11  sa  terre  au  roy,  auquel  il  avoit  juré  aide  envoler  en  Flandres.  »  (Addi- 
tion du  nisc.  218,  Supiil.  franc.) —  Tous  les  précieux  détails  de  cette  fa- 
meuse bataille  de  Cassel  ne  se  retrouvent  pas  dans  la  continuation  latine 
de  Nangis. 

(2)  La  ffasdne.  Sans  doute  l'ancienne  abbaye  de  If'ocsiiue,  sur  la  roule 
de  Saint- Orner  à  Cassel,  à  deux  lieues  ie  cette  dernière  ville. 


(1328.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  3l5 

Pienne;  adonc  vint  monseigneur  Robert  de  Flandies  à  toute 
sa  bataille,  où  il  ot  cinq  banières. 

Lors  le  roy  de  France  prist  conseil  à  ses  barons  conient  il 
les  pourroit  avoir  au  bas  du  mont,  car  sur  le  mont  il  n'avoit 
mie  jeu  parti  (1);  et  pour  ce  envoia  par  un  mardy,  veille  saint 
Barthelemi  au  point  du  jour,  les  deux  mareschaux,  et  mes- 
sire  Robert  de  Flandres  par  devers  le  terrouer  de  Bergues 
et  boutèrent  le  feu;  et  pour  ce  les  cuidièrcnt  traire  jus  hors 
du  mont;  mais  oncques  n'en  fu'ent  compte ,  ains  vindrent 
toute  jour  au  pie  du  mont  paleter  aux  gens  du  roy,  et  les 
chevaliers  montèrent  sus  leur  roncins,  en  leur  purs  auque- 
tons  {'î)  pour  veoir  les  paleteis  ;  et  quant  il  véoient  aucun 
blesclé  qui  bien  avoit  fait  la  besoigne  si  en  rioient  et  mo- 
quoient. 

Quant  les  mareschaux  furent  venus  de  fourrer,  si  s'alè- 
rent  aaisier  ;  car  il  avoient  le  jour  grant  peine  soufferte,  né 
oncques  en  l'ost  du  roy  on  ne  fist  guet,  et  les  grans  seigneurs 
aloient  d'une  tente  en  l'autre  pour  eux  déduire  en  leur 
belles  robes. 


V. 


f'omenl  les  Flamcns  descendirent  estoutiement  (3)  el  cuidièrenl 
scurprendre  le  roy,  et  cornent  les  F lamens  furent  desconfis  el 
occis  environ  dix-neuf  mille  et  huit  cens  personnes. 

Or  vous  dirons  des  Flamens  qui  estoient  sus  le  mont  de 
Cassel  qui  s'avisèrent  que  les  niareschiaux  estoient  moult 
lassés,  et  les  autres  chevaliers  s'esbatoient  à  jouer  aux  dés 

(1)  Jeu  parti.  Expression  que  nous  avons  déjà  remarquée  ailleurs. 
C'est-à-dire  :  La  partie  qu'on  lui  offroit  n'éloit  pas  égale, 

(2)  En  leur  simple  cotte  d'armes. 

(3)  Estoutiement  ou  par  estoutie.  Par  malicieuse  témérité. 


316  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

et  en  autres  déduis,  et  le  roy  estoit  en  sa  tente  avec  son  con- 
seil pour  ordener  des  besoignes  de  sa  guerre  (  1  ). 

Les  Flamens  firent  trois  grosses  batailles,  et  vindrent  ava- 
lant (2)  le  mont  à  grans  pas  devers  l'ost  du  roy,  et  passèrent 
tout  outre  sans  faire  cri  né  noise,  et  fu  à  l'eure  de  vespres 
sonnans.  Tantost  que  on  lesaj^perceut,  si  pot  l'en  voir  toutes 
manières  de  gens  fuir  de  l'ost  du  roy  vers  la  ville  de  Saint- 
Omer.  Et  les  Flamens  ne  s'atargèrent  mie,  ains  vindrent  le 
grant  pas  pour  seurprendre  le  roy  en  sa  tente  ;  mais,  ainsi 
comme  Dieu  voult,  les  marescliaux  et  leur  gens  qui  n'es- 
toient  mie  encore  tous  désarmés,  tantost  que  il  oirenl  le  cri 
montèrent  sus  leur  chevaux  et  vindrent  ferant  des  espérons 
vers  les  anemis. 

Quant  les  Flamens  les  virent  aprocliier,  un  pou  s'arres- 
tèrent,  mais  quant  il  virent  que  si  ponde  gens  estoient,  si 
murent  pour  aler  avant;  et  tantost  vint  messire  Robert  de 
Flandres  au  secours  des  marescliaux.  Tantost  qu'il  le  virent 
si  s'arrestèrent  et  se  mistrent  en  conroy;  et  avoieut  jà  tant 
esploitié  qu'il  estoient  jà  à  trois  arbalestes  près  du  roy  de 
France  ;  mais  par  l'arrest  qu'il  firent  furent  tous  les  liaus 
hommes  armés.  Et  alèrent  (3)  avecques  toutes  leur  batailles 
vers  leur  anemis  et  leur  coururent  sus,  et  à  grant  paine  les 
entamèrent  ;  mais  il  navrèrent  moult  de  haux  hommes 
avant  que  l'en  les  peust  conquerre. 

Or,  vous  dirons  du  roy  qui  s'armoit  en  sa  tente,  et  n'a- 
voit  eiitour  luy  que  deux  jacobins  et  ses  chambellans  :  et  vin- 
drent ceux  qui  estoient  pour  son  corps,  et  le  montèrent 
sus  un  destrier,  couvert  de  ses  armes,  et  avoit  une  tunique 

(1)  De  sa  guerre.  «  Post  prandium,  cùni  rex  vellet,  more  solilo,  sopori 
aliquanlulùm  inclinari...  »  (Continuation  de  Nangis.) 

(2)  Avalani.  Descendant. 

(3)  El  alèrent.  Et  les  Flamands  allèrent.  C'est  leur  premier  moment 
d'hésitation  qui  sauva  l'armée  françoise. 


(132S.)  PHELirPE  DE  VALOIS.  317 

tles  armes  de  France  et  un  bacinet  (1)  couvert  de  blanc  cuir  : 
et  à  sa  destre  estoit  messire  Piastres  de  Ligny,  niessire  Gui 
de  Baussay  et  messire  Jehan  de  Cepoy  ;  et  à  senestre,  estoit 
messire  FrouUard  de  Usages  et  messire  Sanses  de  Baussay-; 
et  par  derrière  estoit  Le  Borgne  de  Sency,  qui  portoit  son 
hyaume  à  tout  une  couronne  et  la  fleur  de  lis  dessus  ;  et  par 
devant  estoit  messire  Jehan  de  Biaumont^  qui  portoit  son 
escu  et  sa  lance,  et  messire  Mile  de  Noiers,  monté  sur  un 
grant  destrier  couvert  de  haubergerie,  et  tenoit  en  sa  main 
une  lance  en  laquelle  l'oriflambe  estoit  attachié,  qui  estoit 
d'un  vermeil  samit  à  guise  de  gonfanon  à  deux  queues,  et 
avoit  entour  houpes  de  soye  vert.  Et  ainsi  ala  vers  la  ba- 
taille. 

Quant  les  Flamens  virent  tant  de  gens  venir  sur  evdx,  il 
ne  porent  plus  soustenir  le  fer,  si  se  desconfirent  :  là  pot- 
on  veoir  maint  homme  tresbuchier  et  mètre  à  mort,  et  les 
nobles  de  France  crier  à  haute  voix  :  Mont  joie  Saint-Denis  ! 
Et  le  conte  de  Hainaut  qui  s'cstoit  trait  vers  le  Mont  de 
Cassel,  trouva  une  bataille  de  Flamens  qui  s'estoient  trais 
en  un  clos  :  tantost  courut  à  eux,  mais  tantestoient  entre- 
laciés  que  dessevrer  ne  les  povoit  ;  si  descendi  à  pie  et  sa 
chevalerie,  puis  prist  l'escu  et  la  lance  au  poing,  et  leur 
courut  sus,  criant  à  haute  voix  :  Hainaut!  Et  les  Flamens 
se  defFendirent  viguereusement,  mais  en  la  parfin  la  force 
ne  dura  guères  ;  si  se  desconfirent ,  et  furent  ilecques  tous 
tués.  Puis  monta  le  conte  de  Hainaut ,  et  se  trait  sur  le 

(1)  Bacinet.  Casque.  —  «  Le  roy^  lors  apresté  de  cors  et  monté,  jasoit 
»  ce  qu'il  n'cust  pas  lout  son  harnois  de  jambes,  issi  de  sa  tente,  dont  mes- 
»  sire  de  Noiers,  l'orillambe  desploic  ,  mena  le  roy  par  devers  désire, 
»  en  cncloant  les  Flamens.  »  (Addition  du  msc.  218.)  Croiroit-on  qu'au 
lieu  de  suivre  les  récils  contemporains,  M.  Sismondi  ait  bien  osé  dire  ici  : 
n  Les  chevaliers  eurent  grande  peine  à  retenir  l'ennemi,  tandis  que  Plillippe 
»  s'ôcliappoit  par  dcrribie,  sautoil  sur  un  cheval  et  s'enfuyoit  au  galop.  » 
Tome  X,  page  22.  Voilà  raustcrc  imparlialilc  de  cet  historien. 

27. 


318  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

Mont  de  Casselj  et  tous  ceulx  qu'il  y  pot  trouver  ou  eucon- 
tier  il  les  fist  mettre  à  mort.  Eu  celle  bataille  fu  tué  Colin 
Zanequin  ,  qui  estoit  capitaine  des  Flamens.  Les  gens  du 
roy  qui  chaçoient  les  anemis  vindrent  eu  la  ville  du  Mont 
de  Cassel,  et  boutèrent  le  feu  par  tout,  de  quoy  tout  le  pais 
fu  resjois  quant  il  virent  le  feu.  Et  puis  retourna  le  roy  en 
ses  tentes,  loant  Dieu  de  sa  victoire.  Mais  aucuns  qui  s'en 
estoient  fuis  quant  il  virent  les  Flamens  venir,  comme 
dessus  est  dit ,  retornèrent  et  firent  les  bons  variés  et 
faisoient  entendant  qu'il  avoient  tout  vaincu.  Or  vous  dirai 
des  haus  bommcs  qui  furent  mors  et  navrés  en  celle  ba- 
taille :  il  y  ot  mort  vm  chevalier  de  Champaigne  qui  estoit  à 
banière  que  on  appeloit  monseigneur  Régnant  de  Lor,  et  fu 
enterré  à  Saint-Bertin  ;  et  si  y  mourut  un  banneret  de  Berri, 
lui  sisicsme  de  chevaliers  ,  qui  fu  appelle  le  visconte  de 
Bresse,  et  furent  tous  enterrés  aux  Cordeliers.  Des  navrés 
qvii  vindrent  à  Saint-Omer,  il  y  fu  le  duc  de  Bretaigne,  le 
conte  de  Bar  et  le  conte  de  Bouloigue  qui  furent  malades 
de  fièvres  et  d'autres  maladies.  Messire  Loys  de  Savoie  fu 
navré  en  la  main  ;  messire  Bouchart  de  Montmorency  fut 
navré  au  pié  ;  messire  Henri  de  Bourgoigne  ot  un  œil  crevé  ; 
et  tout  i^lain  d'autres  haus  hommes  des  quiex  je  ne  sais  les 
noms.  Geste  bataille  fu  faite  la  veille  de  monseigneur  saint 
Barthélemi  ,  l'an  de  grâce  mil  trois  cent  vint-huit  ;  en 
laquelle  y  ot  mors  des  Flamens,  si  comme  en  aucunes  cliro- 
iiic[ues  est  contenu,  dix-neuf  mille  et  huit  cens  personnes 
lie  la  partie  des  Flamens  (1).  Et  après  que  ccste  bataille  fu 
faite,  le  roy  de  France  fu  par  quatre  jours  aux  champs  où 
la  bataille  avoit  esté  faite,  et  atendi  la  garison  de  ses  gens 


(()  «  Suspicabnlur  numcrus  occisorum  làm  in  loco  condicliis  quàm 
S)  cxlrît,  XX  m.  ii  c.  minus,  sicirt  rcx  Francis  Icslificalus  fuit  pcr  litlcras 
»  sigillatas  super  hoc  abbali  S.  Dyonisii  clircclas,  quasvidi.  »  (Conlinua- 
tion  tic  Nangis.) 


(1328.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  319 

qui  esloient  malades  et  navrés;  et  puis  s'en  parti,  et  passa 
Cassel  à  la  main  destre,  et  toute  la  basse  Flandres  s'en  vint 
rendre  à  luy.  Puis  se  traist  vers  Ypres  et  s'ala  logier  près 
de  la  ville  ;  et  tantost  se  rendirent  à  luy  par  condicion,  et 
luy  baillièrent  des  malfaiteurs,  les  quiex  le  roy  fist  tantost 
pendre.  Et  puis  envoia  en  la  ville  le  conte  de  Savoie  et  le 
connestable  de  France  à  tout  deux  mille  hommes  d'armes  ; 
et  commandèrent  que  tous  leur  aportassent  leur  armeures, 
et  il  le  firent  ;  puis  abatirent  leur  cloche  qui  pendoit  au 
beffroy,  et  laissièrent  capitaine  en  la  ville  un  chevalier  de 
Flandres  que  on  appeloit  messire  Jehan  de  Bailleul. 

Adonc  vint  le  conte  de  Flandres  devers  le  roy  et  amena 
avecques  luy  ceux  de  Bruges  et  du  Franc  qui  avoient 
entendu  la  desconfiture  de  Cassel,  et  pour  ce  s'estoient-il 
rendus  au  conte.  Si  considéra  le  roy  que  le  temps  commen- 
çoit  à  refroidir,  si  les  reçut  à  merci  et  à  sa  volenté  ;  lesquiels 
il  condampna  les  uns  par  banissement,  les  avitres  par  mort, 
les  autres  à  estre  trois  ans  oultre  Somme.  Et  restabli  le 
conte  en  sa  conté,  en  lui  disant  ces  paroles  :  <i  Conte,  gar- 
»  dez-vous  des  ore  en  avant  que  par  deffaute  de  justice 
»  ne  nous  faille  plus  par  deçà  retourner  (1).  »  Et  puis  vint  le 
roy  à  Lille,  et  départi  son  ost  et  s'en  revint  en  France.  Le 
pape  Jehan,  c{ui  avoit  donné  au  roy  Charles,  luy  vivant,  deus 
disiesmes,luy  mort,  ledit  pape  de  nouvel  les  donna  et  ottroia 
au  roy  Phelippe. 

Item,  les  Anglois  et  les  Escos  qui  par  lonc  temps  estoient 
à  descort  furent  ensemble  racordés,  si  comme  l'en  dit,  sus 
cette  forme,  c'est  à  savoir  :  que  le  fils  au  roy  d'Escoce  pren- 

(I)  «  El  li  disl  :  Conlc ,  je  suis  là  venu  avec  mes  barons,  que  j'ai  Ira- 
»  veillié  pour  vous  cl  au  miens  et  à  leur  despens.  Je  vous  rens  voslrc 
»  lerrc  acquise  et  en  pais;  or  faites  tant  que  justice  y  soit  gardée,  et 
n  que  par  voslrc  deffaut ,  il  ne  faille  pas  ((uc  plus  rcvlogne.  Car  se  je  i 
»  revcnoie  plus,  ce  scruit  à  mon  profil  et  à  voslrc  domagc.  »  (Addition 
du  msc.  218.) 


3i0  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

droit  à  femme  la  fille  du  nouviau  roy  d'Angleterre;  et  que 
ledit  roy  d'Escoce  seroit  tenu  perpctuelment  au  roy  d'An- 
gleterre aidier  en  toutes  ses  guerres,  et  contre  tous,  le  roy 
de  France  excepté. 

Item,  en  ce  temps  mourut  Jehan,  duc  deCalabre,  cheva- 
lier très  puissant,  fils  seul  du  roy  Robert  de  Secile,  lequel 
Jelian  avoit  esté  capitaine  principal  des  Guelphes. 

Item,  en  cest  an  meisme,  au  nioys  de  décembre  l'an  mil 
trois  cent  vint-huit ,  trembla  la  terre  moult  forment,  et 
meismement  en  Ytalie,  environ  la  cité  du  Perruse,  dont  au- 
cunes villes  fondirent  en  abisme,  et  aucuns  chastiaux  furent 
trébucliiés.  Et  en  Fiance,  la  veille  de  la  feste  monseigneur 
saint  Denis  ensuivant,  les  vens  furent  si  grans,  qu'il  abati» 
vent  entre  les  autres  choses ,  le  clochier  de  l'églyse  Saint- 
Père-de-Cliaumont  en  Vauquessin. 

Item,  cel  an  et  de  nuit,  lettres  furent  attachiées  aux  por- 
tes de  Nostre-Dame  de  Paris,  aux  portes  des  frères  Pres- 
cheurs,  et  aux  portes  des  frères  Meneurs  de  Paris ,  de  par 
les  trois,  c'est  assavoir  l'antipape,  Loys  de  Bavière  et  frère 
IMichiel  (1)  dessus  nommés.  Esquelles  lettres  entre  les  autres 
choses  estoit  contenu  que  les  trois  dessus  nommés,  avecques 
leur  complices,  tenoient  le  pape  Jehan  pour  hérite  et  de 
sainte  églyse  parti,  meismement  qu'il  s'efforçoit  de  destruire 
la  povreté  de  l'évangile  ;  et  pour  ceste  cause  il  appeloient 
de  par  l'antipape  au  concile  général  en  la  cité  de  Milan. 

Item,  encore  unes  autres  lettres  closes  furent  envoiées  à 
l'évesque  de  Paris  et  à  l'université  ;  lesquelles  lettres  il 
envolèrent  au  pape  toutes  closes,  pour  savoir  que  desdites 
lettres  il  vouldroit  ordener. 

En  ce  temps,  vint  le  roy  Phelippe  à  Saint-Denis  en  très 
grant  dévocion  visiter  monseigneur  saint  Denis  son  patron, 

(1)  Mkhiel,  De  Ccscne.  Le  général  des  frères  Mineurs. 


(132S.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  3?1 

et  le  mercier  de  la  glorieuse  victoire  que  Dieu  luy  avoit 
donnée  par  les  prières  Nostre-Dame  et  de  monseigneur  saint 
Denis,  et  des  autres  saints  de  Paradis.  Et  luy  rendi  sus  son 
autel  l'oriflambe  qu'il  avoit  prise  quant  il  s'estoit  parti  à 
aler  contre  les  Flamens.  Et  puis  s'en  ala  à  Nostre-Dame  de 
Paris  (1),  et  quant  il  fu  là  il  se  fist  armer  des  armes  qu'il 
avoit  portées  en  la  bataille  des  Flamens  ;  et  puis  monta  sur 
un  destrier ,  et  ainsi  entra  en  l'églyse  de  Nostre-Dame  de 
Paris,  et  très  dévotement  la  mercia,  et  luy  présenta  ledit 
cheval  où  il  estoit  monté  et  toutes  ses  armeures. 

Item,  en  l'an  dessus  dit,  c'est  assavoir  le  treiziesme  jour 
d'octobre ,  la  royne  Climence  femme  jadis  au  roy  Loys 
riutin  trespassa,  et  en  l'églyse  des  frères  Prescheurs  de 
Paris  fu  enterrée. 

Item,   en   ce   temps,  Loys  le  conte   de  Flandres,  à  la 

(1)  Velly  a  suivi  une  mauvaise  leçon  de  nos  Chi'oniques ,  quand  il  a 
dit  que  le  roi  s'étoit  rendu  à  Noire-Dame  de  Ciiarlres  eu  quittant  Saint- 
Denis.  Sur  vingt  manuscrits ,  dix-neuf  portent  Notre-Dame  de  Paris. 
Le  continuateur  de  Nangis  dit  la  même  chose,  et  personne  n'a  pu  discu- 
ter ce  point  d'histoire,  sinon  d'après  la  continuation  latine  de  Nangis  et 
les  Chroniques  de  Saint-Denis.  Cela  n'a  pas  empoché  l'académicien  Moreau 
de  Mautour  de  prétendre,  dans  le  tome  n  des  Mémoires  de  l'Académie 
des  Inscriptions,  p.  300,  que  la  statue  équestre  d'un  roi  de  France,  placée 
avant  la  révolution  à  l'entrée  de  la  grande  nef  de  la  cathédrale,  étoit 
celle  de  Philippe-le-Bel.  Son  opinion,  suivie  par  Vcliy  contre  le  senti- 
ment de  Monlfaucon  est  pourtant  insoutenable ,  puisqu'aucun  historien 
contemporain  ne  dit  que  Philippe-le-Bel  soit  entré  dans  la  cathédrale  de 
Paris  armé  de  i)ied  en  cap,  ni  qu'il  ait  fait  don  de  ses  armes  à  cette  église  ; 
tandis  qu'on  conserve  à  Chartres,  avec  l'armure  de  Philippe-le-Bel,  une 
inscription  annonçant  qu'elle  a  été  offerte  à  Notre-Dame  de  Chartres  par 
Charles-le-Bel ,  au  nom  de  son  père  et  en  mémoire  de  la  victoire  de 
Mons-eii-Piièvre.  (Voyez  les  précieuses  éludes  de  M.  AUou  sur  tes  armu- 
res. {Mémoires  de  la  Société  des  Antiquaires  de  France,  tome  xiv.) — 'Il  est 
fâcheux  qu'un  historien  aussi  grave  que  Velly  ait,  après  cela,  dit  de  l'opi- 
nion que  nous  soutenons  :  «  C'est  une  erreur  qui  n'a  aucun  fondement 
dans  les  histoires  de  ce  temps-là.  »  (T.  vni,  p.  221.)  Il  est  fâcheux  sur- 
tout de  lire  dans  Dulaure,  au  lieu  des  regrets  que  devoit  lui  inspirer  la 
destruction  révolutionnaire  d'un  monument  aussi  curieux,  aussi  inoffensif: 
«  Cette  statue  équestre  n'intéressoit  que  comme  monument  du  costume 
»  et  de  l'état  des  arts  de  ce  temps.  »  N'ôtoit-ce  donc  rien  ? 


322  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

requeste  duquel  en  pai'tie  le  roy  Phelippe  avoit  entrepris 
la  guei'ie  des  Flamens  derrenièrement  fince ,  n'oblia  pas 
les  paroles  que  le  roy  Phelippe  luy  avoit  dites,  quant  il  parti 
de  la  Flandre,  si  comme  dessus  sont  escriptes,  c'est  assavoir 
qu'il  gardast  justice.  Et  si  fist-il;  car  dedens  troys  mois  ou 
environ,  il  extirpa  de  ceulx  c|ui  avoient  esté  conspirateurs 
et  détracteurs  contre  le  roy  et  contre  luy,  et  en  mist  et 
fist  mètre  à  mort  jusques  au  nombre  de  dix  mille  ou  envi- 
ron ,  si  comme  l'en  maintenoit  communément.  Mais  le 
principal  capitaine  des  Flamens  ,  qui  estoit  appelle  Guil- 
laume de  Cany  (1)  de  Bruges  ,  quant  il  vit  que  le  conte 
de  Flandres  faisoit  justice,  si  ot  paour  et  s'enfui  (2)  au  duc 
de  Breban,  et  luy  requist  aide  contre  le  conte  de  Flandres 
lequel  avoit  fait  mettre  à  mort  pluseurs  prcudeshommes, 
si  comme  il  disoit,  né  encore  ne  désistoit-il  point  de  jour 
en  jour.  Et  promist  ledit  Guillaume  de  Cany  audit  duc  de 
Breban,  chevaux,  armeures,  et  très  grant  somme  d'argent; 
auquel  ledit  duc  respondi  que  ceste  chose  ne  feroit-il  pas 
sans  le  conseil  du  roy  de  France  né  sans  son  assentement  ; 
mais  que  ledit  Guillavime  iroit  par  devers  le  roy  et  de  sa  gent 
avec  luy,  et  ce  que  le  roy  ordoueroit  à  la  requeste  dudit 
Guillaume,  ledit  duc  le  feroit  à  son  povoir.  Lequel  chut  au 
las  qu'il  avoit  tendu  ;  car  il  fu  amené  à  Paris  au  roy,  et  ùi 
faite  cnquestc  sur  luy,  pour  laquelle  ilfu  trouvé  moult  cou- 
pable, et  pour-  ce  fu  moult  honteusement  condamné  : 
premièrement  il  fu  tourné  au  pilori ,  puis  luy  furent  les 
deux  poings  coppés,  puis  fu  mis  en  une  haute  roue  et  ses 
poings  cmprès  luy  ;  mais  quant  l'en  vit  qu'il  s'inclinoit  à 
mourir,  l'en  l'osta  de  ladite  roue,  et  fu  lié  à  la  queue  d'une 


(1)  De  Cnny.  Le  n*^'  218  le  nomme  le  Doyen  ;  et  les  éditions  imprimées, 
le  Canu.  De  là  nos  liisloriens  modernes  uni  fait  le  Chaiivj. 

(2)  S'ciifiii.a  Parle  conseil  d'aucuns  de  Flandres  des  Gros.  »  (Msc.  '218.) 
Les  Gros  étoicnt  les  gens  du  parti  opposé  au  comte  de  Flandres. 


(I;r28.)  PFIELIPFE  DE  VALOIS.  3?3 

cliarete  et  fu  traîné;  et  puis  après  il  fii  pendu  au  gibet  de 
Paris  et  ses  poings  eniprès  luy. 

Item  ,  au  temps  ensuivant  et  en  ceste  présente  année  , 
messire  Jehan  de  Chercliemont ,  cliancelier  du  roy  de 
France,  très  sage  es  choses  secuhères,  et  très  convenable  en 
court  du  pape  et  du  roy,  en  vivre  très  délicieux,  en  port  et 
en  manière  au  jugement  de  pluseurs  très  orgueilleux , 
avint  qu'il  volt  partir  pour  aller  veoir  une  chapelle  de  cha- 
noines, laquelle  il  avoit  fait  édifier  là  où  il  avoit  esté  né, 
c'est  assavoir  en  la  dyocèse  de  Poitiers  ;  et  aloit  là  plus  pour 
son  nom  magnifier  cjue  pour  le  nom  de  Dieu  honnorer,  si 
comme  pluseurs  disoient  et  le  cieoient.  Mais  Dieu  juge 
des  cuers  des  hommes ,  et  ce  à  luy  seul  apartient  et  non  à 
autre.  Si  avint,  de  par  la  permission  de  Dieu,  que  ledit  mes- 
sire Jehan  de  Cherchemont,  très  ce  qu'il  fu  entré  en  la  dyo- 
cèse de  Poitiers,  à  laquelle  il  avoit  espérance  d'avoir  très 
grans  honneurs,  sans  parler  à  aucune  personne,  mourut 
soudainement  (1).  Le  scel  du  roy  fu  porté  au  roy,  et  le 
corps  fu  enterré  par  la  main  de  l'évesque  de  Poitiers  en  la 
chapelle  que  ledit  messire  Jehan  avoit  fondée. 

Item,  en  ce  meisme  an,  le  roy  de  France  Phelippe  envoia 
par  devers  le  roy  d'Angleterre  certains  messages  entre  les- 
quiels  fu  maistre  Pierre  Rogicr,  abbé  de  Fescan,  docteur 
en  théologie ,  afin  cju'il  ajournassent  le  roy  d'Angleterre 
pour  faire  hommage  audit  roy  de  France  de  la  duchiée 
d'Aquittaiue.  Lesquiels  messages  demourèrent  longuement 
en  Angleterre  et  attendoient  pour  parler  au  roy;  mais  il  ne 
porent  oncques  parler  à  luy,  si  parlèrent  à  sa  mère,  laquellt- 


(I)  Soudainement.  «  En  alant  en  Poyto  dont  il  csloit  nez  cliéi  de  sou 
»  cheval  soudainement  et  morut  en  plain  cliemin...  Et  le  saildii  roy  que  il 
•>  avoit  par  sa  prosumpcion  porte  avec  luy  fu  raporté  au  roy  à  Paris.  Icn 
»  cliancelier  cstoit  nommé  Jelian  de  Scrchocmont,  qui  avoit  este  solcm- 
»  ncx  avocal  en  parlement.  »  (Msc.  218.) 


324  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

leur  donna  responses  non  convenables,  en  manière  de 
femme  (1);  et  quant  il  virent  que  autre  chose  ne  povoient 
faire,  si  retournèrent  en  France,  et  disrent  au  roy  tout  ce 
qu'il  avoient  fait  el  oï. 

Item,  en  ceste  meisme  année,  le  pape  Jehan  fist  publier 
à  Paris  aucuns  procès  fais  contre  PieiTC  Ranuche,  lequel  se 
faisoit  appeller  Nicolas-le-Quint  ;  èsquiel  procès  il  estoit 
contenu  ledit  Pierre  avoir  esté  marié  avant  qu'il  eust  esté 
religieux;  et  depuis  f[u'il  fu  entré  en  religion,  sa  femme 
l'avoit  fait  semondre  par  pluseurs  fois  ;  et  avoit  à  nom  sa 
dite  femme  Jehanne  Rlathié.  Lequel  Pierre,  en  désobéissant 
au  commandement  de  sainte  églyse ,  ne  voult  oncques  re- 
tourner avecques  sa  dite  femme  ;  et  pour  ceste  cause  ledit 
pape  comme  contumace  le  dénonça  poiu'  escomenié  par  la 
vertu  desdis  procès  fais  encontre  luy  à  la  requeste  de  la- 
dite femme. 

lem,  en  ce  temps,  ot  le  roy  de  France  délibéraclon  avec- 
ques son  conseil,  assavoir  mon  se  pour  le  deffaut  du  roy 
d'Angleterre  qui  estoit  son  homme  de  la  duchié  d'Aqui- 
taine, et  lequel  estoit  refusant  de  en  faire  hommage  audit 
roy  de  France,  se  ledit  roy  de  France  la  devroit  appliquier 
à  sa  seigneurie?  Si  luy  fu  respondu  que  non;  mais  seule- 
ment durant  le  temps  cjue  l'ommage  n'a  pas  esté  fait,  sup- 
posé que  la  citation  ait  esté  faite  duement,  le  seigneur  puet 
faire  endementres  les  fruits  de  la  terre  de  son  vassal  siens, 
jusques  à  tant  que  son  dit  vassal  retourne  à  l'ommage  de 
son  seigneur.  Et  pour  ceste  cause  fui'ent  envoies  en  Gascoi- 
gne  l'évesque  d'Arras  et  le  seigneur  de  Craon,  afin  qu'il 


(I)  Laquele  leurdil,  si  comme  l'en  disoit,  que  son  fils  qui  estoit  né  de 
»  roy  ne  feroit  pas  hommage  à  fils  de  conte.  Et  que  Pliclippe  de  Yalois 
»  qui  roy  de  France  se  nommoit  gardast  bien  que  il  fasoil  ;  et  que  son  fils 
)i  estoit  plus  près  et  prochain  pour  le  royaume  de  France  avoir  que  il  n'cs- 
y>  toit.  »(Msc.2l8.) 


(1328.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  '  32:, 

méissent  tous  les  éinolumens  et  revenus  de  la  duchié 
d'Acquitaine  en  la  main  du  roy  de  Fiance,  jusques  à  tant 
que  le  roy  d'Angleterre  luy  cust  fait  hommage  deu.  Item  , 
derechief  et  d'abondant  ,  le  roy  de  France  envoia  autres 
messages  en  Angleterre  audit  roy  d'Angleterre,  afin  qu'il  fust 
cité  une  fois  pour  toutes  pour  ledit  hommage  faire  ;  et  par 
tele  manière  que  s'il  estoit  négligent  de  faire  le  dit  hom- 
mage ,  l'en  procéderoit  contre  luy  par  la  force  et  par  la 
manière  que  droit  le  donroit. 

Item,  en  celui  temps,  la  royne  de  France  enfanta  un  fils  : 
mais  il  mourut  assez  tost  après,  et  fu  enterré  enl'églyse  des 
frères  IMeneurs  à  Paris. 

YI. 

Cornent  le  roy  d'Angleterre  se  misl  en  mer  pour  venir  en  la  cUc 
d'Amiens  faire  hommage  au  roy  de  France  de  la  duchié  d^Ac- 
quitaine  et  de  la  conté  de  Pontieu ,  comme  homme  du  roy  de 
France. 

L'an  de  grâce  mil  trois  cens  vint-neuf,  le  roy  d'Angle- 
terre  entra  en  mer  le  dimenche  après  la  Trinité  et  passa 
à  Bouloigne.  Quant  le  roy  de  France  sot  la  venue  dudit 
roy  d'Angleterre  ,  si  vint  à  grant  foison  de  ses  barons,  prélas 
et  autres  à  Amiens,  et  envoia  à  l'encontre  dudit  roy  d'An- 
gleterre des  plus  grans  de  son  lignage,  cjui  moult  noblement 
et  honnorableinent  l'amenèrent  en  la  cité  d'Amiens,  en  la- 
qniclle  le  roy  de  France  attendoit  ledit  roy  d'Angleterre  qui 
luy  venoit  faire  hommage  de  la  duchié  d'Acquitaine  et  dt; 
Pontieu,  si  comme  dessus  est  dit. 

Quant  les  deux  roys  s'entrevirent ,  si  firent  moult  graut 
fcste  l'un  à  l'autre,  et  après  commencièrent  à  parler  eux  cl. 
leur  conseil  de  moult  de  choses,  et  par  espécial  sur  la  ma- 
TOM.   v.  28 


326  l'ES  GRANDES  CHRONIQUES, 

tière  pouvquoy  il  estoient  assemblés  ;  et  luy  fist  requérir  le 
roy  de  France  qu'il  fist  son  devoir  par  devers  luy  de  ladite 
ducliié  d'Acquitaine  et  de  la  conté  de  Pontieu.   Lors  fu 
respondu  de  par  le  roy  d'Angleterre  et  en  sa  présence,  et  fu 
dit  que  messire  Charles  de  Valois,  père  dudit  roy  Phelippe, 
avoit  despouillié  le  roy  d'Angleterre,  au  grant  préjudice  de 
luy  et  de  son  royaume,  d'une  grant  partie  de  la  terre  de  la 
duchié  d'Acquitaine  ,  et  l'avoit  appliquée  au  royaume  de 
France  moins  justement  qu'il  nedéust.  Pour  laquielle  cause 
ledit  roy  d'Angleterre  n'estoit  tenu  audit  hommage  faire  , 
se  ce  qui  luy  avoit  esté  osté,  comme  dit  est ,  ne  luy  estoit 
du  tout  restitué.  Si  fu  respondu  pour  le  roy  de  France  que 
Edouart ,  roy  d'Angleterre  ,  père  dudit  roy ,  avoit  forfaite 
celle  partie  et  plus ,  et  que  ledit   messii'e  Charles  bien  et 
justement  l'avoit  acquise  au  royaume  de  France  par  droit 
de  bataille  ,  et  que  en  aucune  restitucion  il  n'estoit  tenu  ; 
néanmoins  finablement   acordé  fu  d'une  partie  et  d'autie 
par  tele  manière  que  le  roy  d'Angleterre  feroit  hommage 
au  roy  de  France  de  la  duchié  d'Acquitaine  pour  la  portion 
qu'il  en  tenoit ,  et  que  la  partie  par  messire  Charles  ac- 
quise demourroit  au  roy  de  France.  Et  encore  de  par  le 
roy  de  France  dit  fu  :  Que  se  le  roy  d'Angleterre  se  sentoit  en 
aucune  manière  blécié,  il  venist  au  palais  du  roy  à  Paris, 
et  sur  ce,  par  le  jugement  des  pers  de  France ,  tout  acom- 
plissement  de  justice  luy  seroit  fait  (I). 

(1)  Froissait  a  été  très  exact  dans  le  récit  qu'il  a  fait  de  cette  entrevue. 
(I.iv.  l,part.  l,(;liap.  52.) 


(1329.)  l'HEUPI'E  DE  VALOIS.  :Ji7 


VIL 


Cornent  le  roy  (T Angleterre  fist  hommage  au  roy  de  France  à 
Amiens  de  la  duchié  d' Acquitaine  cl  de  la  conté  de  PonlieUj 
si  comme  faire  devait. 

Adont  fist  le  roy  d'Angleterre  hommage  au  roy  de  France, 
en  la  forme  et  manière  que  contenu  est  (1)  en  la  cliartre 
scellée  du  seel  du  roy  d'Angleterre  dont  la  teneur  s'ensuit  : 

Cf  après  s* ensuit  la  teneur  de  la  chartre  scellée  que  le  roy  d! An- 
gleterre donna,  laquiclle  contient  la  manière  de  l' hommage 
que  le  roy  d^ Angleterre  fist  à  Amiens  au  roy  de  France  des 
terres  dessus  nommées. 

«  Edouart,  par  la  grâce  de  Dieu,  roy  d'Angleterre,  seigneur 
d'Irlande  et  duc  d' Acquitaine,  à  tous  ceux  qui  ces  présentes 
lettres  verront  ou  orront,  salut  :  Savoir  faisons  que  comme 


(1)  Au  lieu  des  derniers  mots  jusqu'à  l'alinéa,  et  du  texte  même  de  la 
confirmation  de  la  charte  d'hommage,  les  éditions  imprimées  portent  seu- 
lement :  «  C'est  assavoir  que  le  roy  d'Angleterre  luy  fist  hommage  de  ce 
»  qu'il  tenoit  en  la  duché  d' Acquitaine  et  en  la  conté  de  Ponthicu.  ■ — 
»  Lors  furent  les  joustes,  etc.  » 

Le  texte  important  de  celte  confirmation  n'est  inséré  aux  Chroniques 
de  Saint-Denis  que  dans  le  bel  exemplaire  de  Charles  V,  msc.  8396.  Pour 
l'y  placer,  Charles  Y  fit  faire  ce  que  nous  appelons  aujourd'hui  deux  car- 
tons. Il  est  facile  de  le  reconnoîtrc  en  comparant  ces  cartons  aux  folios 
256  et  259  qui  les  précèdent  et  suivent.  On  peut  voir  aussi  cette  confir- 
mation, moins  correctement  transcrite,  dans  la  nouvelle  édition  de  Piymcr, 
tome  2,  part.  2,  p.  815.  Nos  historiens  françois  modernes  ne  semblent 
pas  en  avoir  eu  connoissance  ;  du  moins  tous  s'accordcni-ils  à  dire  que 
l'hommage  d'Amiens  avoit  parfaitement  satisfait  le  roy  de  France.  Mais 
ce  fut  seulement  en  1331  que  le  fier  Edouard  consentit  adonnera  Philippe 
de  Valois  ce  gage  d'une  fidélité  à  laquelle  il  dcvoit  si  tôt  après  se  mon 
trer  parjure.  Ainsi,  la  date  de  la  confirmation  que  l'on  va  lire  rcudoit  en 
corc  les  prétentions  subséquentes  de  l'Angleterre  plus  odieuses. 


328  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

nous  féissions  à  Aniieus  hommage  à  excellent  prince,  nostre 
cliier  seigneur  et  cousin  Plielippe ,  roy  de  France ,  lors  fu 
dit  et  requis  de  par  luy  que  nous  recognoissons  ledit  hom- 
mage estre  lige  ;  et  que  nous,  en  faisant  ledit  hommage, 
luy  promissions  expiessément  foy  et  loyauté  porter.  La- 
quielle  chose  nous  ne  fismes  pas  lors  pour  ce  que  nous  n'es- 
tions enfourmés  né  certains  que  ainsi  le  dévissions  faire  ;  si 
léismes  audit  roy  de  France  hommage  par  paroles  générales 
en  disant  que  nous  entrions  en  son  hommage  par  ainsi  comme 
nous  et  nos  prédécesseurs  ducs  de  Guienne  estoient  jadis 
entrés  en  l'hommage  des  roys  de  France  qui  avoient  esté 
pour  le  temps  (1).  Et  de  puis  en  cela  nous  soions  bien  infour- 
inés  et  acertainnés  de  la  vérité,  recognoissons  par  ces  pré- 
sentes lettres  cjue  ledit  hommage  c[ue  nous  féismes  à  Amiens 
au  roy  de  France,  combien  que  nous  le  féismes  par  paroles 
générales,  fu,  est  et  doit  estre  entendu  lige,  et  que  nous 
luy  devons  foy  et  loyauté  porter  comme  duc  d'Acquitaine 
et  per  de  France ,  et  comme  conte  de  Pontieu  et  de  Mons- 
troille  ;  et  luy  promettons  des  ore  en  avant  foy  et  loyauté 
porter.  Et  pour  ce  que,  en  temps  à  venir,  de  ce  ne  soit 
jamais  descort  né  content  à  faire  ledit  hommage,  nous  pro- 
mettons en  bonne  foy  pour  nous  et  nos  successeurs  ducs  qui 
seront  par  le  temps,  que  toutes  fois  que  nous  et  nos  succes- 
seurs ducs  de  Guienne  entrerons  et  entreront  en  l'hommage 
du  roy  de  France  et  de  ses  successeurs  cj[ui  seront  pour  le 
temps,  l'hommage  se  fera  par  ceste  manière  :  le  roy  d'An- 

(1)  Voici  les  termes  de  ce  premier  liommage  d'après  Rymer  (nouvelle 
ôdilion,  vol.  2,  2^  partie,  page  766)  :  «  Je  deviens  vostre  homme  de  la 
»  duché  de  Guyenne  et  de  ses  appartenances ,  que  je  claime  tenir  de 
ji  vous,  comme  duc  de  Guyenne  et  pair  de  France,  selon  la  forme  de  paix 
)j  faite  entre  vos  devanciers  et  les  nostrcs;  selon  ce  que  nous  et  nos  an- 
u  cestrcs,  roys  d'Angleterre  et  ducs  de  Guyenne,  avons  fait  pour  la  raesme 
>'  duché  à  vos  devanciers,  roys  de  France. —  Ce  fut  fait  à  Amiens,  chœur 
»  de  la  grant  églyse ,  l'an  de  grâce  mil  trois  cent  vint  et  nuef ,  le  sep 
»  licsme  jour  de  juin,  etc.  » 


(1329.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  320 

j^lcterre,  duc  de  Guieiine,  tendra  ses  mains  entre  les  mains 
du  roy  de  France,  et  cil  qui  parlera  pour  le  roy  de  France 
adrescera  ces  paroles  au  roy  d'Angleterre  duc  de  Guienne,  et 
dira  ainsi  :  <»  Vous  devenez  homme  lige  du  roy  de  France 
»  mon  seigneur  qui  cy  est ,  comme  duc  de  Guienne  et  per 
n  de  France ,  et  luy  promettez  foy  et  loyauté  porter  ?  Dites 
»  voire?  »  Et  ledit  roy  et  duc  et  ses  successeurs  ducs  de 
Guienne  diront  :  «  Voire.  »  Et  lors  le  roy  de  Fiance  recevra 
ledit  roy  d'Angleterre  et  duc  audit  hommage  lige  à  la  foy  et 
à  la  bouche,  sauf  son  droit  et  Tautrui.  De  rechief  quant 
ledit  roy  et  duc  entrera  en  l'hommage  du  roy  de  France  et 
de  ses  successeurs  roys  de  France  pour  la  conté  de  Pontieu 
et  de  Monstroille ,  il  mettra  ses  mains  entre  les  mains  du 
roy  de  France ,  et  cil  qui  parlera  pour  le  roy  de  France 
adrescera  ces  paroles  audit  roy  et  duc  et  dira  ainsi  :  «  Vous 
»  devenez  homme  lige  du  roy  de  France  monseigneur  qui  cy 
»  est  comme  conte  de  Pontieu  et  de  Monstroille,  et  luy  pro- 
»  mettez  foy  et  loyauté  porter,  dites  voire?  »  Et  ledit  roy  et 
duc,  comme  conte  de  Pontieu  et  de  Monstroille,  dira  : 
u  Voire.  »  Et  lors  le  roy  de  France  recevra  ledit  roy  et  conte 
audit  hommage  lige  à  la  foy  et  à  la  bouche,  sauf  son  droit  et 
l'autrui.  Et  ainsi  sera  fait  et  renouvelle  toutes  les  fois  que 
l'hommage  se  fera.  Et  de  ce  baillerons,  nous  et  nos  succes- 
seurs ducs  de  Guienne ,  tais  lesdits  hommages ,  lettres  pa- 
tentes scellées  de  nos  grans  sceaux ,  se  le  roy  de  France  le 
requiert.  Et  avecques  ce,  nous  promettons  en  bonne  foy  te- 
nir et  garder  effectivement  les  paix  et  acors  fais  entre  les 
)  oys  de  France  et  les  roys  d'Angleterre,  ducs  de  Guienne, 
et  leur  prédécesseurs  roys  d'Angleterre  et  ducs  de  Guienne. 
Et  en  ceste  manière  sera  fait  et  seront  renouvellées  lesdiles 
lettres  par  lesdis  roys  et  ducs  et  leur  successeurs  ducs  de 
Guienne,  et  contes  de  Pontieu  et  de  Monstroille,  toutes 

les  fois  que  le  roy  d'Angleterre  duc  de  Guienne  et  ses  suc- 

28, 


330  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

cesseurs  ducs  de  Guienne  et  contes  de  Pontieu  et  de  Mons- 
troille  qui  seront  pour  le  temps,  entreront  en  l'hommage  du 
roy  de  France  et  de  ses  successeurs  roys  de  France.  En  tes- 
moignance  desquielles  choses,  à  cestes  nos  letti'es  ouvertes 
avons  fait  mectre  nostre  grant  seel.  Donné  à  Etham  le  tren- 
tiesme  jour  de  mars ,  l'an  de  grâce  mil  trois  cens  et  tren- 
tiesme  premier,  et  de  nostre  règne  quint.  » 

Quant  le  roy  de  France  ot  reçu  du  roy  d'Angleterre  ledit 
hommage,  en  la  manièi-e  que  dessus  est  contenu,  lors  fu- 
rent les  joustes  commenciées  moult  belles  et  moult  grans  , 
et  fu  ilecques  le  roy  d'Angleterre  moult  grandement  hon- 
nouré.  Et  après  ce  que  ces  choses  furent  ainsi  faites  et  acom- 
plies,  les  deux  roys  pristrent  congié  l'un  à  l'autre,  et  s'en 
retourna  le  roy  de  France  à  Biauvais ,  et  le  roy  d'Angle- 
terre s'en  retourna  tantost  en  Angleterre, 

En  ce  temps  envoia  le  roy  de  (Chypre  solempnieux  mes- 
sages à  messire  Loys  conte  de  Clermont  en  luy  requérant 
qu'il  luy  pleust  à  luy  envoier  sa  fdle  (1)  pour  donner  en  ma- 
riage à  son  ainsné  fils  :  car  ledit  roy  avoit  grant  désir  que 
le  royaume  de  Chyjîre  fust  ennobli  de  la  semence  de 
France. 

En  celuy  temps ,  frère  Pierre  de  la  Palu  de  l'ordre  des 
frères  Prescheurs  et  docteur  en  théologie ,  lequiel  estoit  à 
Avignon,  fu  fait  par  le  pape  patriarche  de  Jhérusalem. 

Item  en  ce  meisme  an  le  roy  de  France  Phellppe  envoia 
en  Flandres  messire  Jehan  de  Vienne,  évesque  d'Avranches, 
avecques  pluseurs  personnes,  et  firent  abatre  de  parle  roy 
les  portes  de  Bruges,  d'Ypre  et  de  Courtray,  et  les  firent 
toutes  destruire  et  mettre  au  bas  avecques  pluseurs  de  leur 


(I)  Marie,  liancée  et  puis  mariée  en  1329  à  Guy,  fils  aine  de  Hugues  IV, 
roi  de  Chypre. 


(1359.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  3U 

autres  forteresses.  Laquielle  chose  nous  ne  trouvons  pas 
que  le  roy  de  France  eust  fait  au  temps  passé  ;  et  fu  ainsi 
faite  par  le  bon  conseil  du  roy,  en  pourvoiant  de  remède 
convenable  tant  pour  soy  comme  pour  ses  successeurs  con- 
tre l'orgueil  des  Flamens. 

Item ,  le  roy  d'Escoce  Robert,  dit  de  Brus,  depuis  qu'il 
ot  fait  paix  et  accoi't  aux  Anglois,  si  mourut  assez  tost  après. 
Et  après  luy,  fu  fait  David  son  fils  roy  d'Escoce. 

Item,  le  second  dimenche  de  juing  fu  l'évesque  de  Paris 
revestu  de  aournemens  pontificaux  au  parvis  de  Nostre- 
Dame  et  avecques  luy  d'autres  évesques  consistans  :  les- 
quielsévesques,  de  l'autorité  du  pape  auxdis  évesques  com- 
mise ,  escommenièrent  publiquement  et  escomeniés  dénon- 
cièrent  frère  Pierre  Ranuche  antipape ,  Loys  de  Ba- 
vière, frère  Michiel  jadis  général  des  frères  Meneurs.  Et , 
avecques  ce,  aucunes  lettres  qui  avoient  esté  clouées  par 
avant  à  pluseurs  portes  à  Paris  condempnoient  ;  et ,  en 
icelle  place,  furent  mises  en  un  grant  feu  par  la  main  du- 
dit  évesque  de  Paris. 

Item,  environ  le  commencement  de  juillet,  l'an  mil  trois 
cens  vint-neuf,  le  patriarche  de  Jhérusalem  et  six  autres 
évesques,  avecques  pluseurs  messages  du  roy  de  Chypre, 
menèrent  la  fille  du  devant  dit  conte  monseigneur  Loys  de 
Clermont  pour  estre  espousée  au  fils  du  roy  de  Chypre,  et 
pristrent  congié  au  pape.  Et  ainsi  se  partirent  avecques 
pluseurs  pèlerins  par  le  port  de  Marseille,  si  alèrent  à  l'isle 
de  Chypre;  lesquiels  pèlerins,  à  l'aide  de  Dieu,  tendoient  à 
aler  en  Jhérusalem. 

Item,  en  ce  meisme  temps  ,  le  duc  de  Bretaigne  espousa 
la  seur  au  conte  de  Savoie  en  l'églyse  Nostre-Dame  de  Ciiar- 
ires,  le  roy  de  France  Phelippe  présent.  Et  fu  la  messe 
célébrée  par  Phelippe,  évesque  de  ladite  églysc  de  Nostre- 
Dame. 


332  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

Item,  le  inoys  de  septembre  ensuivant,  Milan  etpluseurs 
autres  cités  d'Italie,  lesquielles  estoient  entredites  de  par  le 
pape ,  retournèrent  humblement  à  l'obédience  de  saincte 
t'glyse,  en  promettant  convenable  satisfaction.  Et  se  aucuns 
estoient  escommeniés ,  le  pape  les  absolvoit  et  ostoit  tout 
l'entredit  de  ladite  terre. 

Item  ,  environ  la  feste  saint  Clément,  Mahaut,  contesse 
d'Artois ,  retourna  de  Saint-Germain- en-Laye  à  Paris.  Et 
puis  quant  elle  ot  parlé  au  roy  de  certaines  besoignes  tou- 
chant la  conté  d'Artois,  procurant  messire  Robert  d'Artois, 
son  neveu,  fils  de  son  frère  Phelippe  d'Artois,  et  affermant 
ladite  conté  d'Artois ,  par  la  succession  de  son  père  à  luy 
appartenir  par  cause  de  certaines  lettres,  lesquielles  il  avoit 
de  nouvel  trouvées  ;  jasoit  ce  que  ,  en  la  présence  du  roy 
de  France  Phelippe-le-Bel  et  en  la  présence  dudit  Robert 
d'Artois ,  en  plain  parlement  à  Paris  eust  esté  le  contraire 
ugié ,  c'est  assavoir  que  ladite  conté  ne  luy  appaitenoit 
pas.  Adont  prist  une  maladie  à  ladite  Mahaut ,  dont  elle 
mourut  dedens  huit  jours  ,  et  fu  enterrée  en  l'églyse  des 
frères  Meneurs  à  Paiis. 

Après  la  mort  de  ladite  Mahaut  vint  la  conté  d'Artois  à 
la  roy  ne  Jehanne  de  Bourgoigne,  jadis  femme  de  Phelippe- 
le-Lonc  ,  roy  de  France,  et  fille  de  ladite  Mahaut. 


Î359.)  PHEF.IPPE  DE  VALOIS.  333 

VIII. 

Cornent  messire  Robert  iV Artois  voull  posséder  la  conté  cl' Artois 
par  fausses  lettres  que  la  danioiselle  de  Dit'ion  ai'oitjait  escrire 
et  sceller. 

(1)  L'an  mil  trois  cens  vint-neuf,  commença  messire  Ro- 
bert d'Artois  le  plait  contre  la  devant  dite  Maliaut,  contesse 
d'Artois,  si  comme  il  avoit  fait  l'an  dix-sept,  de  quoy  procès 
avoit  esté  fait  autre  fois.  Mais  ledit  messire  Robert  main- 
tenoit  que  les  lettres  de  mariage  entre  messire  Plielippe 
d'Artois  ,  son  père  ,  et  madame  Blanche  de  Bretaigne  ,  sa 
mère,  par  lesquelles  ledit  conté  luy  appartenoit,  si  comme 
il  disoit,  avoient  esté  par  fraude  muciées  et  repostées  ;  si 
les  avoit  trouvées.  Et  assez  tost  après ,  assambla  ledit 
messire  Robert  d'Artois  ,  le  conte  d'Alençon  ,  le  duc  de 
Bretaigne  et  tout  plein  d'autres  haus  hommes  de  son  li- 
gnage ;  et  vint  au  roy  Phelippe  et  luy  requist  que  droit 
luy  fust  fait  de  la  conté  d'Artois.  Tantost  le  roy  fist  ajour- 
ner la  contesse  à  jour  nommé  contre  ledit  messire  Robert, 
à  laquielle  journée  elle  vint,  et  amena  avec  luy  Eudon,  le 
duc  de  Bourgoigne,  et  Loys,  le  conte  de  Flandres.  Là  mons- 
tra  messire  Robert  unes  lettres  scellées  du  scel  au  conte  Ro- 
bert d'Artois,  contenant  que,  quant  le  mariage  fu  fait  de 
monseigneur  Phelippe  d'Artois  père  monseigneur  Robert, 
et  de  madame  Blanche  fille  le  conte  Pierre  de  Bretaigne , 
le  conte  les  mist  en  la  vesteure  (2)  de  la  conté  d'Artois , 
si  comme  il  estoit  contenu  es  dites  lettres.  Quant  la  con- 
tesse vit  les  lettres,  si  requist  au  roy  que,  pour  Dieu,  il 
en  voulsist  estre  saisi ,  car  elle  entendoit  à  proposer  à  l'en- 

(1)  Ce  chapitre  n'est  pas  reproduit  dans  la  continuation  de  Nangis. 

(2)  Vesleure,  Nous  avons  dit  depuis  :  Invcatilure. 


334  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

contre.  Tautost,  fu  dit,  par  arrest ,  que  les  lettres  demour- 
loient  devers  le  roy  ;  et  fu  remise  une  autre  journée  à  la- 
quelle la  contesse  devoit  respondre. 

Or  vous  dirai  comment  ces  lettres  vindrent  à  messire 
Robert  d'Artois.  Il  avoit  une  damoiselle  gentil-femme  qui 
fu  fille  le  seigneur  de  Divion  de  la  chastellerie  de  Béthune. 
Celle  damoiselle  s'entremettoit  des  choses  à  venir  et  jugeoit 
à  regarder  la  pliisionomie  des  gens  ,  et  à  la  fois  disoit  voir 
et  à  la  fois  mentoit.  Elle  avoit  tant  fait,  par  aucuns  des  fa- 
milliers  messire  Robert  d'Artois ,  que  elle  emprist  une 
forte  chose  à  faire,  si  comme  vous  orrez.  Il  avoit  un  bour- 
gois  à  Arras  qui  avoit  rente  à  vie  sus  le  conte  d'Artois,  et 
en  avoit  lettres  scellées  du  scel  le  conte  d'Artois.  Quant  il  fu 
trespassé,  la  damoiselle  fist  tant,  par  devers  les  hoirs  dudit 
Lourgois,  que  elle  eust  celles  lettres  ;  et  puis  fist  escrire  unes 
lettres  de  l'envesture  monseigneur  Robert,  si  comme  vous 
avez  oï;  puis,  prist  le  scel  de  la  vieille  lettre  et  le  dessevra 
du  parchemin  à  un  chaut  fer  qui  tout  propre  avoit  esté 
fait,  si  que  l'emprainte  du  scel  demeura  toute  entière  ;  puis 
la  mist  à  la  lettre  nouvelle,  et  avoit  une  manière  de  ciment 
qui  attacha  le  scel  à  la  lettre,  ainsi  comme  devant  ;  et  puis 
vint  à  Messire  Robert  d'Artois ,  et  luy  dit  que  une  telle 
lettre  avoit  trouvée  en  sa  maison ,  à  Arras ,  en  une  vielle 
armoire.  Quant  messire  Robert  vit  les  lettres,  si  en  fu  moult 
joians,  et  luy  dist  que  jamais  ne  luy  faudroit,  et  l'envoia 
demourer  à  Paris. 


(1329.  PHELIPPE  DE  VALOIS.  335 

IX. 

Cornent  l'cnjanl  ae  Pomponne  guérissait  pîuseuvs  maladies. 

En  ce  meisine  an,  en  la  dyocèse  de  Paris,  en  la  ville  de 
Pomponne ,  avoit  un  enfant  de  l'aage  de  huit  ans  ou  envi- 
ron, lequiel  se  disoit  garir  les  malades  par  sa  parole  simple- 
ment ;  dont  il  avint  que,  de  diverses  parties,  les  malades 
venoient  à  luy.  Si  avenoit  aucunes  fois  que  les  uns  estoient 
garis  et  les  autres  non  ;  jasoit  ce  que,  en  ses  fais  et  en  ses 
dis,  n'eust  aucune  apparence  de  vérité.  Mais  quant  aucun 
qui  avoit  fièvre  ou  aucune  autre  maladie  venoit  à  luy,  il 
luy  commandoit  qu'il  mangast  viandes  contraires  à  sa  santé. 
Si  avint  que  les  sages  qui  virent  sa  manière  d'aller  avant , 
n'en  tindrent  conte,  et  leur  sembla  que  ce  n'estoit  que  va- 
nité et  erreur.  Si  avint  après  que  l'évesque  de  Paris  cjui 
vit  bien  que  ce  n'estoit  que  erreur ,  manda  le  père  et  la 
mère  dudit  enfant,  et  leur  commanda  cj[u'il  ne  souffrissent 
plus  qu'il  féist  telles  choses  ;  et  si  deffendi  ledit  évesque  à 
tous  ses  sougiés,  sus  paine  d'escomméniemcnt,  que  nvil  n'al- 
last  plus  à  luy. 

Item,  en  ce  temps,  messire  Guillaume  de  Meleun,  arche- 
vesque  de  Sens,  homme  humble  et  à  Dieu  dévot,  mourut, 
et  en  une  églyse  que  on  appelle  le  Jars,  emprès  Meleun,  fu 
enterré  très  honnorablement.  Et  fu ,  après  luy ,  maistre 
Pierre  Rogier,  archevesque  de  Sens,  qui  par  avant  estoit 
évesque  d'Arras. 

Item  ,  en  cel  an  ,  Loys  de  Bavière  oï  dire  que  Federic, 
le  duc  d'Austrie  ,  estoit  mort.  Si  se  translata  ledit  Loys 
d'Ytalie  en  Alemaigne ,  et  dist  l'en  que,  en  ice  temps ,  il 
empêtra  par  devers  les  nobles  de  latiite  Alemaigne  moult 
grant  aide  à  procurer  les  drois  de  l'empire.  Mais  endemen- 


33(3  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

1res  que  ledit  Loys  de  Bavière  fu  résident  en  Aleinaigne, 
ledit  antipape  ne  se  osoit  pas  rnonstrer  manifestement , 
mais  s'en  aloit  en  tapinage  (1)  ;  et  ses  cardinaux,  et  ledit  frère 
Michiel  qui  avoit  esté  général  des  frères  Meneurs,  par  çà  et 
par  là  ,  en  divers  lieux. 

En  ce  meisme  temps  fu  amené  à  Avignon  un  frère  Me- 
neur qui  avoit  à  nom  Véran,  de  Provence  né,  pour  ce  que 
ledit  frère  Véran  devoit  avoir  publiquement  preschié  ,  si 
comme  l'en  disoit,  contre  la  personne  du  pape.  Lequiel  frère 
fu  amené  devant  le  pape  ;  mais  il  ne  luy  fist  oncques  révé- 
rence ;  ainsois  luy  dist  qu'il  estoit  vrai  hérite  et  non  pas 
pape;  et  pour  ceste  vérité  il  debvoit  mourir.  Lors,  luy  fu  de- 
mandé quelle  cause  le  mouvoit  de  dire  telles  paroles  au 
pape?  Lec|uiel  respondit  et  s'adressa  à  la  personne  du  pape 
et  luy  dist  :  «  Car  tu  destruis  la  povreté  de  l'évangile  ,  la- 
»  quielle  Jhésucrist  enseigna  par  parole  et  par  exemple.  » 
Pour  laquelle  parole  il  fu  mis  en  prison,  et  aveccjues  In  y 
quinze  autres  frères  Meneurs. 

En  ce  temps,  appella  le  roy  Plielippe,  en  la  ville  de  Paris, 
tous  les  prélas  du  royaume,  sur  les  excès  de  eux  et  de  leur 
Officiels  (2)  corriger.  Adonc  furent  produis  moult  de  cas 
devant  tous  contre  les  prélas,  de  par  le  roy  et  des  seigneurs 
temporeux,  lesquiels  sembloient  moult  de  près  touchierla 
jurisdiction  des  prélas;  et  en  y  ot  grant  double  de  pluseurs 
que  le  roy  ne  voulsist  mettre  son  entente  à  oster  la  jurisdic- 
tion temporelle  des  églyses.   Mais  sitost  cjue  le  roy  sceust 

(1)  Tapinage.  Déguisement.  Nous  en  avons  fait,  dans  un  sens  un  peu 
différent,  notre  en  tapinois.  Tons  ceux  qui  ont  lu  quelques  chansons  de 
gestes  se  rappelleront  ce  vers  qui  y  revient  fréquemment  ; 

Il  s'alapi  et  si  a  laint  son  vis. 

C'esl-à-dire  :  Il  se  noircit  le  visage.  Ce  mot  semble  venir  du  latin  tabcs 
et  tabescere. 

(2)  Officiels,  Officiais,  juges  ecclésiastiques. 


1329.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  337 

que  l'en  parloit  de  ceste  chose  et  que  l'en  en  murmurolt, 
il  leur  fist  respondre  que  les  drois  et  les  libertés  que  ses 
prédécesseurs  avoient  donnés  aux  églyses,  il  n'entendoit  pas 
à  en  rien  oster  né  amenuisier ,  ains  estoit  son  entente  de 
les  avant  acroistre  ;  mais  il  avoit  fait  ce  conseil  assambler 
pour  cause  que  les  excès  ,  tant  des  officiers  du  roy  comme 
des  prélas,  fussent  amendés  et  corrigés. 

(Item  ,  en  celle  meisme  année ,  octroia  le  roy  la  ducliié 
de  Bourbon  à  messire  Loys,  conte  de  Clermont,  et  fu  depuis 
appelle  duc  qui  par  avant  estoit  nommé  seulement  le  sei- 
gneur de  Bourbon  (1). 

Edmout ,  oncle  du  roy  d'Angleterre  Edouart ,  duquiel 
nous  avons  avant  parlé,  luy  affirma  que  Edouart-le-Viel, 
son  frère,  vivoit  encore,  c'est  assavoir  le  père  dudit  Edouart, 
le  jeune  roy.  Et  pour  ceste  cause  ne  vouloit  ledit  Edmont 
obéir  audit  Edouart,  le  jeune  roy;  et  avec  ce  fu  ledit 
Edmont  accusé  de  traison  et^  pour  ce,  fu-il  commandé, 
de  par  son  neveu  le  jeune  roy  Edouart,  qu'il  eust  la  teste 
coupée  (2). 

Item,  celle  meisme  année,  le  conte  Guillaume  de  Hay- 
naut,  lequiel  estoit  à  Clermont  en  Auvergne ,  envoia  am- 
bassadeurs devers  le  pape  Mais  quant  le  pape  sceut  leur 
venue,  elle  ne  luy  plut  pas.  Si  fu  apportée,  par  lesdis  am- 
bassadeurs audit  Guillaume  la  volenté  du  pape  :  si  en  ot 
moult  grant  desplt,  et  s'en  retourna  arrières. 


(1)  Bourbon.  L'crcciion  de  la  seigneurie  de  Bourbon  en  ducli6-pairie 
dale  du  mois  de  déccmbie  1327. 

(2)  Le  récit  de  Froissart  met  tous  les  torls  du  côte  d'Edouard  III , 
qui  auroit,  en  faisant  condamner  son  oncle,  le  comte  de  Kent,  suivi  les 
instigations  de  Pioger  de  Morlimer.  (Voyez  tome  1,  page  40,  2^  édition 
de  M.  Buclion.) 


29 


338  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 


X. 


Cornent  l'antipape  vint  à  merci  au  premier  pape,  iequiel  le  reçut 
bénignement. 

L'an  mil  trois  cens  trente,  Phelippe,  fils  du  roy  de  Mail- 
lorgues ,  enfant  de  très  noble  ligniée  et  nieismement  comme 
cousin  germain  du  roy  de  France  Phelippe-le-Bel  de  par 
sa  mère ,  Iequiel  estoit  moult  puissant  en  richesses  mon- 
daines, et  avec  ce  avoit-il  très  grant  quantité  de  bénéfices 
en  saincte  églyse  ,  et  des  plus  nobles  et  des  meilleurs  qui 
fussent  au  royavmie  de  France  ;  lequel  Phelippe  fu  par 
telle  manière  inspiré,  c|ue  pour  l'amour  de  Jhésucrist  il  re- 
nonça à  toutes  ses  richesses  et  tous  ses  bénéfices,  et  s'en  alla 
en  diverses  contrées  et  en  divers  pays,  comme  pauvre  et  en 
habit  de  béguin  ,  et  demandoit  aumosne  pour  l'amour 
de  Dieu,  et  ne  vivoit  d'autre  chose.  Et  si  ne  vovdoit  rece- 
voir chose  quelle  que  elle  fust  de  personne  vivant ,  meis- 
mement  né  de  son  frère  né  de  sa  suer,  se  ce  n'estoit  en  re- 
gart  de  pitié  et  par  titre  d'aumosne. 

Item,  en  Lombardie,  les  gens  du  cardinal  Poget,  Iequiel 
estoit  légat,  se  combattirent  contre  les  Guibelins  ;  et  furent 
les  gens  dudit  cardinal  tués  en  partie ,  et  partie  pris  ;  et  fu 
ladite  bataille  faite  au  moys  de  juing  l'an  mil  trois  cens 
trente. 

Item,  environ  la  mi-juing  ,  la  royne  de  France  ,  suer  au 
duc  de  Bourgoigne  et  femme  du  roy  Phelippe,  luy  ot  un 
enfant,  Iequiel  ot  à  nom  Loys.  Et  pour  ceste  cause  l'en  disoit 
qvie  ledit  roy  Phelippe  se  parti  et  ala  à  saint  Loys  de  Mar- 
seille ,  son  oncle  de  par  la  mère.  Mais  nonobstant  ledit 
voiage ,  l'enfant ,  au  quinziesme  jour  de  sa  nativité  ,  tres- 
passa  et  fu  enterré  en  l'églyse  des  frères  Meneurs  à  Paris  ; 


(1330.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  339 

mais  au  retour  que  le  roy  fist  de  Marseille  il  s'en  retourna 
par  Avignon,  et  là  visita  le  pape  moult  humblement  et  dé- 
votement ,  lequiel  roy  fu  receu  du  pape  honnestement  ;  si  le 
fist  disner  avecqiies  luy  ,  et  furent  moult  familièrement 
ensemble;  et  puis,  prist  le  roy  congié  et  s'en  retourna  en 
France. 

Item,  le  secont  dimenche  d'aoust  l'an  dessus  dit,  les  procès 
fais  encontre  Loys  de  Bavière  et  l'antipape  et  leur  compli- 
ces, lesquiels  procès  avoient  esté  autrefois  publiés  à  Paris, 
de  rechief  de  l'auctorité  du  pape  fui'ent  répétés. 

Item,  en  ce  lueisme  moys,  c'est  assavoir  le  vint-liuitiesme 
jour,  l'antipape  entra  en  Avignon,  en  habit  séculier,  pour 
la  paour  du  peuple  ;  car  il  ne  se  osoit  pas  bonnement  mani- 
fester né  soy  monstrer  en  son  habit.  Mais  le  jour  ensuivant 
il  monta  sus  un  lettrin  (1),  afin  qu'il  peust  estre  veu  de  tous 
clèrement  ;  et  estoit  vestu  en  habit  de  frère  Meneur;  lequiel 
fu  pris  pi'emièrement  et  présenté  au  pape  et  aux  cardinals, 
en  consistoire.  Lequel  (2)  de  rechief  monta  sus  un  lettrin  et 
prist  un  theume  et  dist  :  «  Père,  j'ai  péchié  au  ciel  et  devant 
»  toy.  »  Et  puis  dit-il  encore ,  «  j'ai  erré  si  comme  une 
»  beste  esgarée.  Père,  lequiers  ton  sergent.  »  Et  disoit 
moult  de  belles  paroles  de  l'escripture ,  et  jugoit  qu'il 
n'estoit  pas  digne  de  pardon  avoir;  mais  il  venoit  au  genou 
de  salncte  églyse  très  humblement  et  reqviiéroit  de  ses 
péchiés  pardon.  Quant  il  ot  dit  tout  ce  qu'il  vouloit,  il 
descendi  du  lettrin,  et  lors  le  saint  Père  luy  prist  partie  de 
son  premier  theume,  c'est  assavoir  :  «  Requiers  ton  sergent;  >• 
et  prescha  le  pape  des  erreurs  et  vanités  où  il  avoit  esté,  et 
puis  le  pape  lui  dist  ces  paroles  :  «  L'ouaille  esgarée  ne  doit 
»  pas  aux  loups  estre  livx'ée,  mais  diligemment  estre  requise, 

(1)  LeiCrin.  On  voit  que  Icltrin  ou  lutrin  (lectorium)  est  encore  ici, 
comme  dans  "Villehardouin,  une  sorte  do  tribune  ou  chaire  à  prédication. 

(2)  Lequel.  L'antipape. 


340  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

»  et,  elle  requise  et  retrouvée,  sus  ses  espaules  estre  mise 
»  et  avecques  les  autres  ouailles  estre  remise.  »  Quant  le 
pape  ot  ces  paroles  fiiiées,  l'antipape  s'ala  jeter  aux  pies  du 
pape,  un  lien  au  col.  Lors  le  pape  luy  osta  le  lien  du  col,  et 
le  reçu  à  trois  baisiers,  c'est  assavoir  au  baisier  du  pié,  de 
la  main  et  de  la  bouche,  dont  pluseurs  furent  inoull  esbalils; 
et  après  ce,  le  pape  commença  Te  Deum  landamus,  et  rendi- 
rent grâces  à  Dieu  le  pape  et  les  cardinaux,  et  tout  le  peu- 
ple qui  là  estoit  ;  et  y  ot  grant  solempnité  de  messes , 
laquielle  solempnité  de  messes  le  pape  commanda  par  toute 
saincte  églyse  estre  faite.  Adout,  le  pape  commanda  que 
l'antipape  fust  mis  en  une  chambre,  emprès  la  maison  de 
son  chambellant,  jusques  à  tant  qu'il  eust  eu  plus  ample- 
ment délibéracion  qu'il  pourroit  faire  de  luy. 

Item,  environ  le  quinziesme  jour  de  septembre,  le  roy 
d'Espaigne  et  le  roy  d'Arragon  se  combattirent  contre  les 
Sarrasins.  Mais,  par  la  grâce  de  Dieu,  les  crestiens  orent 
victoire,  et  y  ot  pluseurs  Sarrasins  pris,  et  y  ot  de  mors 
six  mille  de  cheval,  et  environ  dix  mille  à  pié. 

Item,  le  premier  jour  de  novembre,  en  tout  le  royaume, 
à  une  heure,  c'est  assavoir  à  heure  de  tierce,  tous  les  frères 
de  l'hospital  de  Haut -Pas  et  tous  leur  biens  furent  pris  du 
mandement  du  Saint-Père  ;  car  il  abusoient  des  pardons 
que  l'en  leur  avoit  donnés  et  mettoient  plus  à  leur  bulles 
qu'il  n'estoit  contenu  es  bulles  que  l'en  leur  avoit  données 
par  les  papes.  Et  pour  ce,  furent-il  mis  en  diverses  prisons 
sous  les  évesques  es  quelles  dyocèses  il  habitoient. 

Item,  en  celle  meisme  année,  environ  la  feste  de  monsei- 
gneur saint  Denys,  y  vint  une  très  fort  gelée,  laquielle 
engela  en  telle  manière  les  vignes  par  tout  le  royaume  de 
Fiance  que  elle  ne  porent  oncques  venir  à  meurté  ;  et  furent 
celle  année  les  vins  très  mauvais  et  si  en  fu  pou. 

Item  ,  le  moys  de  novembre  et  au  commencement  du 


(1330.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  341 

inoys  de  décembre  furent  ainsi  comme  continuellement 
très  grans  vens,  et  les  iaues  des  fleuves  furent  très  grans 
pour  l'innondacion  des  iaues  des  pluies. 

Item,  la  veille  de  monseigneur  saint  Andrieu,  apostre,  à 
Londres  en  Angleterre,  monseigneur  Rogier  de  Mortemer 
chevalier ,  duquel  et  pour  lequel  Ysabel  royne  d'Angle- 
terre avoit  esté  moult  grandement  diffamée  de  pluseurs,  et 
la  cause  fu  car  (1)  elle  monstroit  audit  chevalier,  messire 
lîogier,  devant  tous  trop  grant  familiarité  ;  et  avecques  ce 
ledit  chevalier  fu  convaincvi  de  conspiracion  par  luy  faite 
contre  le  royaume  d'Angleterre  et  contre  le  roy,  et  du  con- 
sentenaent  de  la  royne  d'Angleterre,  si  comme  pluseurs  le 
disoient;  lequiel  chevalier,  pour  les  causes  dessus  dites,  fu 
detraint  à  queues  de  chevaux,  et  confessa  qu'il  avoit  procuré 
la  mort  d'Edouart  ,  c'est  assavoir  du  père  dudit  Edouart, 
jeune  roy  d'Angleterre,  et  pour  ce  fu-il  pendu.  Et  le  fils 
dudit  chevalier,  messire  Rogier,  demoura  en  prison  jusques 
à  tant  que  le  roy  et  les  barons  d'Angleterre  eussent  plus 
plainement  ordené  qu'il  feroient  dudit  fds  ;  et  la  royne,  du 
commandement  de  son  fds,  le  jeune  roy  d'Angleterre  et  des 
barons,  fu  mise  sous  certaine  garde  en  un  chastel. 

Item,  le  quatriesme  jour  de  janvier,  l'an  dessus  dit,  le 
pape  6i  dire  que  Loys  de  Bavière  avoit  fait  une  grande 
convocacion  en  Alemaigne  d'aucuns  nobles  barons;  et  en- 
core avoit-il  en  propos  de  en  faire  une  autre  après  la  Chan- 
deleur ensuivant.  Pour  ce  l'amonesta  le  pape  de  non  faire 
ladite  convocation,  et  tous  autres  de  non  estre;  et  se  il  fai- 
soient  le  contraire ,  il  encourroient  la  sentence  d'escom- 
méniement  de  par  le  pape  donnée. 

Item,  environ  ce  temps,  mourut  l'ai'chevescpie  de  Rouen 
auquicl  succéda  Pierre  Rogier,  archevcsque  do  Sens. 

(()  Vour  ou  parce  que. 

29. 


342  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

En  ce  temps ,  envoia  le  pape  Jehan  la  dignité  de  1  e- 
vesclîié  de  Noion  adoiicques  vacant,  à  messire  Guillaume 
de  Sainte-Maure  de  la  dyocèse  de  Touvnay  ,  chancelier  du 
roy ,  lequel  ne  la  voult  accepter  ;  et  adoncques  la  donna-il 
au  frère  de  messire  Guillaume,  Bertran,  né  de  Normendie. 

Item,  en  ce  temps,  comme  les  Anglois  fussent  assamblés 
au  chastel  de  Xaintes  en  Poitou  ,  et  sembloit  qu'il  s'appa- 
reillassent à  hataillier ,  et  par  semblant  apparust  entre  le 
roy  de  France  et  le  roy  d'Angleterre  matière  notable  de  dis- 
sencion  et  de  bataille,  lors  le  roy  de  France  envoia  son 
frère  Charles ,  conte  d'Alençon  ,  avecques  très  grant  ost, 
lequel  quant  il  vint  pai'  delà ,  près  du  chastiau  très  fort 
devant  nommé  (1),  auquiel  les  Anglois  avoient  leur  deffence 
et  leur  seurté  ,  ledit  messire  Charles  le  destruit  et  le  rasa 
tout  par  terre  ;  jasoit  que  aucuns  dient  qu'il  n'avoit  pas 
commandement  du  roy  de  abatre  ledit  chastel.  Et  assez 
tost  après,  ledit  roy  d'Angleterre  entra  en  France  et  fu  paix 
accordée  entre  les  deux  roys  et  furent  amis  ensamble  (2). 

Item ,  depuis  environ  le  commencement  de  décembre 
qu'il  avoit  fait  si  gi-ant  innondacion  de  pluies  jusques  au 
commencement  de  mars,  avint  que  depuis  ledit  moys  de 
mars  jusques  à  graut  pièce  de  temps  après,  il  fist  si  grant 
sécheresse  que  l'en  ne  povoit  labourer  les  terres  ;  et  en  de- 
moura  grant  quantité  sans  estre  labourées. 

Item,  en  ce  meisme  an,  le  roy  de  Boesme  entra  en  Ytalie; 
et  quant  les  Ytaliens  Guibelius  le  virent,  il  sceurent  qu'il 
estoit  fils  de  Henri  l'empereur  dernièrement  mort.  Il  le 
reçurent  à  très  grant  joie  et  à  très  grant  honneur,  et  se  com- 
mencièrent  à  soustraire  du  devant  dit  Loys  de  Bavière  et 
de  sa  seigneurie;  et  se  sousmistrent  lesdis  Ytaliens  de  tous 

(1)  Devant  nommé.  C'csl-à-dirc  Suiiiles. 

(2)  C'est  à  cet  accord  qu'il  laul  rapporter  la  confinnalion  de  l'hom- 
inagu  d'Amiens,  raitporlé  i>lus  liaul. 


(1330.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  343 

coins,  avec  pluseurs  de  leur  cités,  audit  roy  de  Boesmc.  Et 
depuis  loi's  commença  moult  la  fortune  dudit  Bavière  à 
décroistre  et  ne  parloit-on  mais  pou  ou  noient  de  luy. 

Item,  en  ce  temps,  moult  de  nobles  princes,  barons  et 
autres  chevaliers  s'appareilloient  pour  aler  en  Garnate  (1)  en 
l'aide  des  chrestiens;  et  toute  voie,  jasoit  ce  qu'il  fussent 
meusdegrant  dévocion  et  de  l'amour  de  la  foy,  furent-il 
défraudés  ;  car  le  roy  d'Espaigne  avoit  donné  triève  aux 
Sarrasins  dont  pluseurs  disoient  que  ledit  roy  d'Espaigne 
avoit  esté  corrompu  par  argent,  et  pour  ce  avoit-il  donné 
lesdites  trièves  aux  Sarrasins. 


XI. 

Cornent  sentence  fa  donnée  contre  messire  Robert  cf  Artois,  de  (2) 
la  conté  d'Artois  ;  et  cornent  la  damoiielle  de  Dwion  fu  arse ; 
et  cornent  ledit  Robert  Jil  appelle  à  droit,  pour  soj  purger  des 
crimes  devant  dis. 

L'an  mil  trois  cens  trente  et  un ,  fu  sentence  donnée  en 
parlement  à  Paris  pour  le  duc  de  Bourgoigne,  pour  la  conté 
d'Artois ,  contre  messire  Robert  d'Artois,  conte  de  Biau- 
mont  en  Normendie.  (Car  la  contesse  d'Artois  devant  dite 
qui  estoit  moult  sage,  fist  tant  que  elle  ot  le  clerc  qui  avoit 
escrit  les  lettres ,  et  le  mena  par  devers  le  roy  ;  et  cognut 
que  la  damoiselle  de  Divion  luy  avoit  fait  escrire  unes  let- 
tres ,  environ  avoit  un  an.  Puis  luy  furent  monstrées  et 
recognut  qu'il  les  avoit  escrites  de  sa  main.  Puis  manda  le 
roy  messire  Robert  d'Artois  et  luy  dist  qu'il  estoit  enformé 

(1)  Garnale.  Grenade.  — Ces  préparalifs  étoient  sans  doute  inspirés  par 
les  nouvelles  de  la  mort  du  brave  Douglas,  que  nos  chroniques  raconteront 
tout-à-l'heurc. 

(2)  De.  Relativement  à. 


344  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

que  la  lettre  n'estoit  pas  vraie  et  qu'il  se  déportast  de  la 
demande  qu'il  faisoit  de  la  conté  d'Artois.  Et  il  respondi 
que  se  aucun  vouloit  dire  que  elle  ne  fust  bonne,  il  l'en 
vouldroit  conibatre  et  c|ue  jà  ne  se  déporteroit  de  la  de- 
mande. Pourquoy  le  roy  se  courrouça  si  à  luy,  que  à  la 
journée  il  fist  porter  les  lettres  en  présence  du  parlement 
et  les  fist  descrier,  et  fist  prendre  la  damoiselle  de  Divion 
et  fist  mettre  en  prison  en  chastellet  à  Paris  ;  et  fu  messire 
Robert  d'Artois  débouté  de  la  conté  d'Artois,  connue  devant 
est  dit.  Dont  il  dist  si  grosses  paroles  du  roy  et  de  la  royne 
que  le  roy  le  fist  appellera  ses  dis;  mais  il  ne  daigna  oncques 
aler  né  luy  excuser).  Lors  fist  le  roy  mettre  la  dite  damoi- 
selle de  Divion,  laquelle  estoit  en  chastellet,  en  géhenne, 
laquelle  confessa  tout  le  fait,  tel  comme  devant  est  escript, 
et  si  dist  pluseurs  choses.  Assez  tost  après  fu  pris  un  autre 
cjui  estoit  confesseur  dudit  messire  Robert  d'Artois  ;  et  en 
après  envoia  le  roy  certains  messages  pour  quérir  l'abbé  de 
Yezelai ,  lequiel  estoit  souppeçonné  de  celle  mauvaistié 
et  de  pluseurs  autres  mauvaistiés  ;  mais  quant  il  sot  que 
l'en  le  faisoit  quérir  il  se  départi  et  s'en  fui  ;  et  ainsi  se 
sauva.  Quant  Robert  d'Artois  vit  cornent  les  choses  aloient, 
si  se  départi  moult  confusément. 

Item,  les  Bourguignons  d'outre  Saône,  c'est  assavoir  de  la 
conté  de  Bourgoigne  (1) ,  se  rebellèrent  contre  le  duc  de 
Bourgoigne  et  ne  luy  vouldrent  faire  hommage  ;  non  obs- 
lant  que  ladite  conté  luy  fust  deue,  à  la  cause  de  sa  femme. 
Si  avintque,  d'une  part  et  d'autre,  l'en  se  ordena  en  bataille, 
et  il  y  ot  moult  grant  convocacion  de  nobles  hommes  et 
puissans.  Si  avint ,  quant  le  roy  sot  ceste  chose,  il  les  fist 
mettre  à  raison  tant  d'une  part  comme  d'autre,  et  vindrent 

(1)  De  la  conte  de  liouy<joi<jne.  «  Monsieur  de  Glialon,  ai)pclc  Jehan, 
»  ujut  conlrc  le  duc  de  Bourgoigne.  »  (Conlinualion  Irançoisc  de  Nangis, 

n"  8298-3.) 


(1331.)  PIIELIPPE  DE  VALOIS.  345 

les  nobles  et  les  autres  amiableinent ,  et  firent  hommage 
audit  duc,  et  le  menèrent,  luy  et  sa  femme ,  par  les  cités 
et  chastiaux,  et  leur  tindrent  compaignie  comme  à  leur 
seigneur. 

Item  ,  assez  tost  après ,  le  conte  de  Foix  prist  sa  mère 
laquielle  estoit  suer  de  Robert  d'Artois ,  et  la  fist  mettre 
en  un  sien  chastiau  (1)  en  prison,  pour  la  cause  qu'elle 
vivoit  trop  jolivement  de  son  corps,  à  sa  grant  confusion  et 
vilanie  de  son  lignage. 

Item,  au  moys  de  septembre,  il  fist  si  grant  innondacions 
de  pluies  en  Ytalie,  en  Arragon  et  en  Provence ,  que  par 
leur  force  il  abattirent  moult  de  villes  et  de  chastiaux  ;  et 
toules  voies  en  France  il  n'avint  riens  de  ces  innondacions, 
mais  l'yver  ensuivant  fu  moult  pluvieux  en  France. 

Item,  environ  le  mi-moys  de  septembre  de  l'an  mil  trois 
cens  trente  et  un,  la  damoiselle  dessus  dite  qui  avoit  pla- 
quié  le  scel  es  lettres  de  messire  Robert  d'Artois,  en  faisant 
fausseté,  fu  arse  en  la  place  aux  Pourciaux,  à  Paris  ;  et  re- 
cognut  moult  d'autres  mauvaistiés.  (Quant  messire  Robert 
d'Artois  vit  par  quelle  manière  les  choses  aloient ,  si  se 
doubta,  et  fu  moult  courroucié  de  ce  que  le  roy  procédoit  par 
telle  manière  contre  luy.  Si  dust  dire  ces  paroles  :  «  Par  moy 
M  a  esté  roy  et  par  moy  en  sera  demis,  se  je  puis.  »  Et  lors  fist 
mener  tous  ses  destriers  qu'il  avoit  biaux  et  nobles,  et  son 
trésor  qu'il  avoit  moult  grant,  à  Bourdiaux  sus  Gironde,  et 
là  fist  tout  mettre  en  mer  et  mener  en  Angleterre.)  Et  depuis 
se  retraist  ledit  messire  Robert  vers  son  cousin  le  duc  de 
Breban  (2),  qui  le  reçut  en  son  pays,  et  le  mit  une  pièce  de 
temps  avec  luy.  Tantost  que  le  roy  ot  oi  ces  nouvelles,  il 
fist  mettre  en  sa  main  la  terre  dudit  messire  Robert,  et  luy 

(1)  «  Au  chaslel  de  Sauvelerre  enBearne.  »  (Msc.  8298-3.) 

(2)  Tout  ce  récit  est  beaucoup  plus  exact  que  celui  de  Froissarl,  tome  1, 
page  47.  (Dcuxicine  édition  de  M.  Buclion.) 


346  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

manda  par  certains  messages  qu'il  comparust  devant  luy  et 
devant  les  pers  personnellement,  à  certain  jour ,  pour  soy 
deffendre  des  crismes  qui  luy  estoient  mis  sus. 

(1)  Or,  vous  dirai  cornent  il  se  parti  de  la  compaignie  au 
duc  de  Breban.  Il  avint  que  le  conte  de  Hainaut  avoit  ses 
filles  mariées  l'une  au  roy  d'Alemaigne  et  l'autre  au  roy 
d'Angleterre,  l'autre  au  conte  de  Juillers,  et  la  quarte,  qui 
estoit  la  plus  jeune,  estoit  crëantée  à  l'ainsné  fils  du  duc  de 
Breban. 

Quant  le  roy  de  France  vit  que  le  conte  de  Hainaut  estoit 
si  fort  de  tous  costés  qu'il  avoit  Alemaigne  toute  à  sa  partie, 
et  que  se  le  roy  d'Angleterre  le  vouloit  mouvoir  contie  la 
couronne  de  France ,  trop  seroit  fort  pour  ses  alliances  : 
car  ledit  roy  d'Angleterre  avoit  espousée  la  fille  dudit  conte 
de  Hainaut;  pour  ce  manda  le  roy  de  Behaigne,  le  conte  de 
Guelre ,  le  duc  de  Breban ,  l'évesque  de  Liège  et  messire 
Jehan  de  Hainaut,  que  tous  fussent  à  luy  à  Compiègne.  Ilec- 
ques  s'alia  avecques  eux  et  pristrent  grant  foison  de  gens 
d'armes  ;  et  puis  se  départirent  tous,  fors  le  duc  de  Breban 
auquiel  l'en  monstra  que  trop  seroit  son  fils  bas  marié  à  la 
fille  le  conte  de  Hainaut,  et  trop  plus  grant  honneur  seroit 
cjue  il  préisl  la  fille  au  roy  de  France.  Tantost  le  duc  s'i  ac- 
corda, et  f  u  despécié  le  mariage  de  la  fille  au  conte  de  Hainaut 
et  du  fils  au  duc  de  Breban.  Et  assez  tost  après  fu  ordenée 
une  moult  grant  feste  à  Paris,  à  laquielle  le  duc  4^  Breban 
envoia  son  fils  et  espousa  la  fille  du  roy.  Et  fu  ilecques  le  duc 
de  Normendie,  fils  du  roy  de  France,  fait  chevalier.  Pour- 
quoy  le  conte  de  Hainau  fu  si  courroucié,  que  oncques  puis 
il  ne  fina  de  contiarier  à  la  couronne  de  France.  Et  fist  tant 
le  roy  de  France  avi  duc  de  Breban  qu'il  luy  enconvencionna 


(1)  Ce  qui  Buit  relativement  au  duc  de  Drabant  n'est  pas  reproduit 
dans  le  continuateur  de  Nangis. 


(1331.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  347 

qu'il  feroit  vuidier  messire  Robert  d'Artois  hors  de  sa  terre 
et  de  son  pays.  Adoncques  ala  messire  Robert  d'Artois  au 
chastiau  de  Namur,  et  adonc  prist  le  conte  de  Guelre  la 
suer  au  roy  d'Angleterre. 

Item,  le  premier  dimenche  de  l'avent,  le  pape  dut  pres- 
cliier  publiquement,  en  Avignon,  que  les  âmes  de  ceux  qui 
trespassent  en  grâce  ne  voient  pas  la  divine  essence  né  ne 
sont  parfaitement  béneurées ,  jusques  à  la  résurection  des 
corps  ;  dont  pluseurs  qui  oïrent  ces  paroles  et  celle  opinion 
furent  moult  escandalisiés.  Toutes  voies  l'en  doit  croire  que 
le  pape  disoit  ces  paroles  selon  son  opinion ,  et  non  mie 
fermement,  car  ce  seroit  hérésie  ;  et  quiconque  vouldroit 
celle  chose  affermer,  l'en  le  devroit  jugier  pour  mescréant 
et  pour  hérite. 

Item ,  eu  ce  meisme  temps ,  le  confesseur  de  messire 
Robert  d'Artois  qui  estoit  prisonnier,  fu  appelé  en  la  pré- 
sence d'aucuns  du  conseil  du  roy,  et  luy  fu  demandé  quelle 
chose  et  quoy  il  povoit  savoir  des  fausses  lettres  dessus  dites. 
Lequiel  respondoit  et  disoit  qu'il  n'en  savoit  riens  fors  en 
confession,  né  il  ne  le  povoit  bonnement  révéler  sans  péril 
de  conscience.  Mais  à  l'énortement  de  malstre  Pierre  de  la 
Palu,  patriarche  de  Jhérusalem,  avecques  autres  maisti'es 
en  théologie  et  aucuns  secrétaires  du  roy,  lesquiels  se  con- 
sentolent  et  disolent  qu'il  le  povoit  bien  révéler  selon  ce  c|ue 
l'en  dit, — mais  c'est  doubte  grant, — si  le  révéla,  et  le  con- 
fesseur fu  arrière  mis  en  prison.  Mais  ce  qvi'il  devint  à  la  fui 
le  commun  ne  le  sceut. 

Item,  en  ce  meisme  an,  le  quinzlesme  jour  de  décembre, 
il  fu  esclipse  de  lune  très  grant  un  pou  après  mienuit ,  et 
demoura  par  trois  heures  et  plus.  Mais  pour  ce  que  elle  fa 
à  celle  heure,  pluseurs  ne  la  virent  pas. 

Item,  en  ce  meisme  an,  l'an  mil  trois  cens  trente  et  un, 
le  roy  tenant  le  siège  de  juge  au  Louvre,  et  avec  In  y  pi" 


348  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

seurs  barons  et  prclas,  messire  Robert  d'Artois  devant  dit, 
lequiel  avoit  esté  la  tierce  fois  appelle  à  certain  jour  à  res- 
pondre  aux  articles  que  l'en  avoit  proposés  contre  luy  , 
ne  s'i  comparut  point  si  comme  il  devoit  :  mais  envoia 
un  abbé  de  l'ordre  de  Saint-Benoist  et  avec  luy  plu- 
seurs  chevaliers,  lesquiels  n'avoient  point  de  procuracion, 
mais  estoient  venus  pour  prier  au  roy  et  aux  bai'ons  du 
royaume  que  l'en  luy  voulsist  ottroier  jusques  à  la  quarte 
dilacion,  en  promettant  que  à  ycelle  il  viendroit  personnel- 
lement, et,  de  tout  ce  que  l'en  luy  avoit  mis  sus  il  se  pur- 
geroit  bonnement.  Et  après  ce  qu'il  orent  ainsi  fait  le  mes- 
sage, le  roy  de  Behaigne  et  Jehan  l'ainsné  fils  du  roy  de 
France  et  duc  de  Normendie,  avec  moult  d'autres  barons, 
s'agenouillèrent  devant  le  roy  et  luy  demandèrent  qu'il 
luy  pleust  à  ottroier  audit  messire  Robert  jusques  à  la 
quarte  dilacion  et  que  ses  biens  ne  fussent  pas  confisqués 
durant  ledit  terme.  Laquielle  requeste  le  roy  ottroia  de 
grâce  espéciale  jusques  au  moys  de  mai.  (Et  lors  vint  une 
damoiselle ,  laquelle  dit,  en  la  présence  du  roy,  que  la 
femme  messire  Robert  d'Artois ,  laquielle  estoit  suer 
du  roy  (1)  de  France,  estoit  plus  coupable  que  son 
mari.) 

Item,  en  ce  meisme  an,  frère  Pierre  de  la  Palu,  patriarche 
de  Jhérusalem,  si  retourna  du  Soudan  auquiel  il  avoit  esté 
envoie,  et  commença  à  conter  l'obstinacion  du  soudan  con- 
tre les  chrestiens,  et  esmeut  par  telle  manière  le  cuer  et  la 
volenté  du  roy  et  des  barons  qu'il  furent  tous  d'un  acort 
d'aler  Oultre-mer  pour  recouvrer  la  Saincte  Terre.  Quant  le 
pape  oï  ces  choses,  à  la  recjueste  du  roy  il  manda  et  commist 
au  patriarche  et  à  tous  prélas  que  en  leur  lieux  il  preschas- 
sent  la  croix  et  féissent  prcschier ,  et  qu'il  amonestasseut 

(1)  Suey  du  roy.  Jehnnnc  de  Valois, 


(1331.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  349 

ceux  qui  estoient  croisiés  qu'il  s'appareillassent  le  plus  tost 
qu'il  pounoieiit  bonnement  pour  passer. 

Item,  en  ce  meisme  an,  le  roy  Phelippe  mist  la  monnoie 
qui  avoit  esté  moult  muable  en  meilleur  estât,  et  ordena 
que  le  petit  flourin  ne  vauldroit  que  dix  sols  parisis,  et  les 
autres  monnoies  d'or  selon  leur  prix;  le  gros  tournois  d'ar- 
gent, neuf  deniers  parisis,  et  le  petit  denier,  cjui  valoit  deux 
deniers,  ne  valust  que  un  denier,  et  ainsi  marchandise  de 
toutes  choses  qui  estoit  moult  chière  revint  à  raison. 

XII. 

Cornent  mes  sire  Roberl  d'Artois  fa  baiii,  et  du  mariage  Jehan, 
ainsné  fils  du  roj  de  France  et  duc  de  Norniendie. 

L'an  de  grâce  mil  trois  cens  trente-deux,  Robert  d'Artois 
fu  bani  du  royaume  de  France  par  les  barons,  et  furent 
tous  ses  biens  confisqués  au  roy.  Mais  encore  et  aux  prières 
d'aucuns  grans  seigneurs ,  voult  le  roy  que  les  solempnés 
bannissemens  fussent  différés  jusqvies  au  moys  d'après 
Pasques;  et  aussi,  se  il  venoit  dedens  le  terme  et  qu'il  se 
méist  à  la  volenté  du  loy,  du  tout  le  roy  luy  feroit  telle 
grâce  qui  luy  sembleroit  à  estre  convenable;  et  s'il  ne 
venoit,  le  bannissement  seroit  exécuté  tout  entièrement. 
Quant  le  roy  vit  que  le  terme  qu'il  avoit  donné  gracieuse- 
ment au  devant  dudit  Robert  d'Artois  fu  passé,  et  il  n'ot 
envoie  né  contremandé,  si  comme  l'en  l'avoit  promis  au  roy 
en  la  présence  des  barons,  si  commanda  qu'il  fu  bani  à 
trompes  par  tous  les  principaux  quarrefours  de  Paris.  Et 
avec  ce  avoit  certaines  personnes  qui  crioient  en  audience 
toutes  les  causes  pour  lesquielles  ledit  m<?ssire  Robert  estoit 
bani.  Et  fu  fait  ledit  bannissement  le  trentiesme  jour  de 
may,  l'an  dessus  dit, 

30 


3Û0  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

Item,  en  ce  meisme  temps,  le  i-oy  Phelippe  fist  les  noces 
à  Meleuu  de  Jehan,  son  ainsné  fils,  nouvel  duc  de  Normen- 
die,  et  de  madame  Bonne,  fille  de  Jehan,  roy  de  Boesme, 
lequiel  roy  avoit  esté  fils  de  l'empereur  Henri.  Et  depuis 
fist  le  roy  son  dit  fils  chevalier  en  la  ville  de  Paris  (1),  en  la 
feste  de  saintMichiel  l'archange,  présens  le  roy  de  Boesme,  le 
roy  de  Navarre,  le  duc  de  Bourgoigne,  le  duc  de  Bretaigne, 
le  duc  de  Lorraine ,  le  duc  de  Breban  ,  avecques  moult 
d'autres  barons  tant ,  que  l'on  ne  sauroit  pas  bien  dire  le 
nombre.  Ce  meisme  jour,  tous  présens  et  en  celle  meisme 
feste  fu  fait  le  mariage  de  l'ainsné  fils  au  duc  de  Breban  à 
madame  Marie  ,  fille  du  roy  de  France  ,  et  l'espousa  celle 
meisme  journée. 

(Item,  le  vendredi  après  ladite  feste  de  saint  Michiel,en 
la  présence  des  princes  devant  nommés  et  aucuns  prélas, 
avecques  moult  d'autres  nobles  en  la  chapelle  du  roy  à 
Paris  assemblés,  le  roy  fist  proposer  en  appert  qu'il  enten- 
dolt  à  passer  la  mer  pour  porter  aide  à  la  Saincte  Terre  con- 
querre.  Et  estoit  son  entente  de  bailler  Jehan,  son  ainsné 
fils  ,  garde  du  royaume ,  lequiel  avoit  environ  quatorze 
ans.  Et  lors  pria  à  tous  ceux  qui  là  estoient,  et  espéciale- 
ment  aux  nobles  et  aux  prélas,  qu'il  jurassent  aux  saintes 
reliques  qui  estoient  en  la  chapelle  du  palais,  là  oii  il 
estoient  assemblés,  qu'il  porteroient  obédience  à  son  dit  fils, 
comme  à  leur  seigneur  et  hoir;  et  s'il  avenoit  que  ledit  roy 
trespassast  en  voiage,  il  le  coronneroient  au  plus  tost  qu'il 
pourroient  bonnement  en  roy  de  France.) 

L'an  de  grâce  mil  trois  cens  trente-trois,  après  la  feste  de 
saint  Michiel,  fist  le  roy  ,  à  Paris  au  Pré-aux-Ciercs,  au 
peuple,  par  l'archevesque  de  Rouen,  sermon  pour  prendre 
la  croix,  et  la  prist  ledit  roy  le  premier  et  grant  quantité 

(I)  En  la  ville  de  Paris.  «  A  Noslic-Damc  de  Pari?,  »  (Msr.  8298-3.) 


(1333.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  361 

de  nobles  et  d'autres  avec  luy.  Et  fii  ordené  que  la  croix 
fu  preschiée  par  tout  sou  royaume,  et  que  tous  ceux  qui 
avoient  pris  la  croix  fussent  tous  près,  du  nioys  d'aoust  passé 
en  trois  ans,  pour  passer.  (Et  puis  envoia,  par  les  bonnes 
villes  du  royaume,  amonester  de  prendre  la  croix,  mais  pou 
se  croisièrent,  au  i-egart  que  l'en  cuidoit  et  moult  se  doub- 
toit-l'en  de  ce  dont  autrefois  avoient  esté  eschaudés,  c'est  as- 
savoir que  les  sermons  qui  estoient  fais  au  nom  de  la  croix 
ne  fussent  fais  pour  avoir  argent.  Et  envoia  le  roy  de  France 
en  Angleterre  le  conte  Raoul  d'Eu,  qui  estoit  connestable  de 
France,  et  l'évesque  de  Biauvès.  Quant  il  vindrent  en  An- 
gleterre ,  si  vindrent  devant  le  roy  et  luy  requistrent,  de 
par  le  roy  de  France,  qu'il  voulsist  emprendre  à  faire  le 
saint  voiage  avec  luy,  et  il  luy  promettoit  de  faire  loyal 
compaignie.  Quant  le  roy  d'Angleterre  oi  ceste  chose,  si 
respondit  que  moult  sambloit  grant  merveille  de  faire  le 
saint  voiage  s'il  ne  luy  tenoit  les  convenances  qui  furent 
acordées  à  Amiens  en  quoy  il  estoit  défaillant  par  devers 
luy  :  «  Si  dirois  à  vostre  Seigneur  que  quant  il  m'aura  fait 
>i  mes  convenances,  je  serai  plus  prest  d'aler  au  saint  voiage 
»  qu'il  ne  sera.  »  Tantost  pristrent  congié  et  vindrent  en 
France  et  distrent  au  roy  leur  response.) 

Item ,  en  ce  meisme  an ,  l'endemain  de  l'Ascension 
Nostre-Seigneur,  il  fu  une  grande  éclipse  de  souleil,  après 
midi,  et  dura  pour  l'espace  de  deux  heures. 

ltem_,  en  ce  meisme  temps,  comme  la  prédicacion  que  le 
pape  Jehan  avoit  faite  à  Avignon  de  la  vision  benoite , 
comme  dessus  est  devisée,  fu  aussi  comme  mise  au  noient 
par  semblant,  et  la  tenoient  aucuns,  par  la  faveur  du  pape, 
estre  vraie  et  pluseurs  par  paour,  si  avint  que  un  frère 
Prescheur  prescha  contre  l'opinion  du  pape,  en  tenant 
vérité.  Mais  quant  le  pape  le  sceut,  il  fist  mettre  ledit  frère 
en  prison.  Adoncques  furent  envoies  de  par  le  pape,  à  Paris, 


352  I.ES  GRANDES  CHRONIQUES, 

deux  frères,  l'un  Meneur  et  l'autre  Prescheur.  Si  vint  le 
Meneur  en  pleines  escoles,  et  commença  à  prescbier  détermi- 
néement  que  les  âmes  béneurées,  devant  né  après  le  jour 
du  jugement,  ne  voient  pas  Dieu  face  à  face,  dont  très 
grant  murmure  sourdi  entre  les  escoliers  qui  là  estoient. 
Lors ,  tous  les  maistres  en  théologie  qui  estoient  à  Paris 
jugèrent  ceste  opinion  estre  fausse  et  plaine  de  hérésie. 
Quant  le  frère  Prescbeur  ot  oï  que  pour  la  cause  que  ledit 
frère  Meneur  avoit  déterminéement  preschié  de  la  benoicte 
vision  grant  esclandre  estoit  meu  entre  les  escoliers  de  Paris, 
tantost  il  s'ordena  pour  aler  à  Avignon  parler  au  pape  ; 
mais  avant  qu'il  partist,  il  dit  en  plein  sermon,  en  excusant 
le  pape,  que  il  n'avoit  pas  dit  tout  pour  vérité,  mais  selon 
son  cuidier.  Si  vindrent  ces  nouvelles  aux  oreilles  du  roy, 
et  le  frère  Meneur  qvii  avoit  preschié  comme  devant  est 
dit,  sceut  que  le  roy  estoit  mal  content  de  lui.  Lors  ledit 
frère  alapar  devers  le  roy,  et  désiroit  moult  de  soy  excuser; 
mais  le  roy  voult  qu'il  parlast  devant  les  clercs.  Adoncques 
manda  le  roy  que  l'en  luy  féist  venir  dix  maistres  en  théo- 
logie, entre  lesquels  il  y  ot  quatre  Meneurs,  et  lors  leur 
demanda  le  roy,  en  la  présence  dudit  frère  Meneur,  qu'il 
leur  sembloit  de  sa  doctrine,  laquielle  il  avoit  semée  de 
nouvel  à  Paris?  lesquiels  maistres  respondirent  tous  en- 
samble  que  elle  estoit  fausse  et  mauvaise  et  toute  plaine 
de  hérésie;  mais  pour  chose  que  l'en  dist  ou  monstrast  audit 
frère  Meneur,  il  ne  voult  oncques  muer  de  son  propos  né 
de  son  opinion.  Mais  assez  tost  après  fist  le  roy  assembler 
au  bois  de  Viucennes  tous  les  maistres  en  théologie,  tous 
les  prélas  et  tous  abbés  qui  porent  estre  à  Paris  trouvés;  et 
lors  fu  appelle  le  devant  dit  frère  Meneur,  et  luy  fist  le  roy 
deux  demandes  en  françois  :  la  première  demande  fu  assa- 
voir mon  se  les  âmes  des  saints  voient  présentement  la  face 
de  Dieu  ;  et  l'autre  demande  f  n  assavotr  mon  se  celle  vision 


(1333.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  3à3 

qvi'il  voient  maintenant  faudra  au  jour  du  jugenieul.  Lois 
fu  respondu  par  les  niaistres  et  aftlrnièrent  la  première  estre 
vraie,  et  quant  à  la  seconde  doublement,  car  elle  deiuourra 
perpétuellement  et  si  sera  plus  parfaite.  Adonc  le  devant 
dit  frère  Meneur,  ainsi  comme  par  contraincte,  s'i  consenti. 
Après  ce,  le  roy  requist  que  de  ces  choses  l'en  féist  lettres. 
Lors  furent  faites  trois  paires  de  lettres  contenant  une 
meisine  forme  et  furent  scellées  cliascunes  par  soy  de  vint- 
neuf  scels  des  maistres  c{ui  adoncques  estoient  présens.  Des- 
quielles  l'une  fu  envoiée  de  par  le  roy  au  pape  et  luy  man- 
doit  qu'il  approuvoit  plus  la  sentence  des  théologiens  de  la 
benoicte  vision  et  à  bonne  cause  qu'il  ne  faisoit  celle  des 
juristes,  et  qu'il  corrigast  ceux  qu.i  soustenoient  le  contraire, 
et  ainsi  il  feroit  ce  qu'il  devoit. 

Item,  depuis  avint  que  Robert  de  Brus,  qui  avoit  esté 
roy  d'Escoce,  très  excellent  chevalier,  si  comme  nous  avons 
dit  par  avant ,  lequiel  estoit  n'avoit  guères  trespassé  et 
estoit  son  jeune  fils  David  son  successeur  au  royaume  d'Es- 
coce; si  avint  que  Edouart  de  Bailleul,  qui  voult  oster  ce 
royaume  au  jeune  David,  vint  au  roy  d'Angleterre ,  comme 
au  souverain  si  comme  il  disoit ,  et  meismeinent  en  ce  cas 
disant  que  à  luy  (1)  appartenoit  le  royaume  d'Escoce  et 
non  mie  à  David,  enfant  de  douze  ans,  car  il  estoit  fils  du 
l'oy  Alexandre  d'Escoce  (2)  ,  et  David  estoit  de  Robert  de 
Brus,  roy  d'Escoce  ,  dernier  trespassé  ;  pourquoy  il  requé- 
roit  au  roy  d'Angleterre  qu'il  le  voulsist  recevoir  en  son 
hommage  :  lequiel  le  reçut  en  enfraignant  les  aliances  et 
convenances  qu'il  avoit  faites  avecques  Robert  de  Brus, 
tant  comme  il  vivoit.  Et  assez  tost  après^il  s'arma  contre  les 

(0  A  luy.  Edouard  de  BaHleul. 

(2)  Fils  duroij.  «  Cum  ipsc  de  primogenitd  Alcxandri  rcgis  Scoliai  natus 
»  cgsct,  et  David  de  sccundâ  gcnil;\.  »  (Si)icileg.,  t.  III,  p.  07.) 

30, 


354  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

Escos,  afin  de  mettre  ledit  Edouart  de  Bailleul  en  saisine 
du  royaume  d'Escoce.  Adonc  les  Escos,  qui  moult  convoi- 
toient  à  eux  deffendre  contre  les  Anglois,  issirent  à  bataille 
contre  eux,  mais  finablement  les  Escos  furent  desconfis  : 
les  uns  furent  pris  et  les  autres  furent  mors.  Et  si  fu  prise 
la  cité  de  Bervic  par  traïson^  si  comme  pluseurs  le  racon- 
tèrent après.  Quant  le  roy  de  France  Plielippe  sceut  que  le 
roy  d'Angleterre  alloit  sur  les  Escos,  si  fist  tantost  chai-gier 
dix  nefs  de  gens  d'armes  et  de  vivres  bien  garnies  pour 
envoier  en  l'ayde  des  Escos;  mais  le  vent  leur  vint  si  au  con- 
traire, qu'il  ne  porent  oncques  arriver  à  port  convenable, 
ains  les  arriva  le  vent  au  port  de  l'Escluse,  en  Flandres; 
ilecques  furent  les  choses  honteusement  et  confusément 
vendues  et  despensées,  et  ne  vindrent  ainsi  comme  à  nul 
profist. 

Item,  en  ce  meisme  an,  fu  si  très  grant  plenté  de  vin, 
que  l'en  avoit  un  sextier  de  vin  cler,  bon,  net  et  sain,  pour 
cinq  et  six  deniers. 

Item,  en  ce  meisme  temps,  le  dauphin  de  Vienne  qui 
avoit  asségié  un  chastel,  lequiel  estoit  au  conte  de  Savoie, 
et  avoit  laissié  son  ost  pour  aler  explorer  ce  chastel , 
lequiel  dauphin  fu  aperçu  et  fu  féru  d'un  arbalestrier  par 
telle  manière  qu'il  ne  vesqui,  puis  le  cop,  que  par  l'espace 
de  deux  jours,  et  laissa  à  son  frère  la  seigneurie  de  Dauphiné, 
car  il  n'avoit  pas  de  hoir  masle  de  son  propre  corps. 

L'an  mil  trois  cens  trente -c{uatre,  ceux  de  Bologne  se 
rebellèrent  contre  vm  légat  envoie  de  par  le  pape  pour  sous- 
mettre  les  Guibelins,  et  firent  tant  qu'il  chacièrent  ledit 
légat,  et  s'en  fu  hors  du  pays;  et  tuèrent  pluseurs  de  ses 
gens.  Et  avoit  fait  faire  ledit  légat  un  fort  chastel  dehors 
les  murs,  lequiel  il  trcsbuchièrent  et  abattirent  jusques  à 
terre. 

Item,  en  ce  meisme  temps,  vint  une  grant  matière  de 


(133'i.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  355 

guerre  entre  le  duc  de  Breban  et  le  conte  de  Flandres, 
pour  aucunes  redevances,  lesquielles  l'évesque  de  Liège  se 
disoit  avoir  en  la  ville  de  Malines  en  Breban,  lesquielles 
redevances  le  conte  de  Flandres  avoit  frauduleusement 
achettées  dudit  ëvesque,  afin  qu'il  peust  avoir  dissencion, 
selon  ce  que  pluseurs  le  disoient  et  affirmoient.  Si  avint 
que  les  deux  parties  conimencièrent  à  faire  moult  grant 
semonces  l'un  contre  l'autre.  Le  roy  de  Boesme,  l'évesque 
de  Liège,  le  conte  de  Hainau  et  Jehan  de  Hainau,  frère 
audit  conte,  le  conte  de  Guéries  et  pluseurs  grans  personnes 
d'Alemaigne,  tous  lesquiels  estoient  de  la  partie  au  conte 
de  Flandres;  et  pour  l'autre  partie  estoient  le  roy  de 
Navarre,  le  conte  d'Alençon,  frère  du  roy  de  France,  le 
conte  de  Bar,  le  conte  d'Estampes,  lesquiels  estoient  pour 
le  duc  de  Breban;  et  le  roy  de  France  estoit  médiateur 
d'une  partie  comme  d'autre  :  lequiel,  par  la  grâce  de  Dieu 
et  par  la  grant  diligence  qu'il  y  mist  et  par  les  conseils  de 
pieudes  hommes,  les  mist  à  acort. 

(1)  Item,  en  cel  an,  avoit  envoie  le  roy  de  France  par  devers 
le  roy  d'Angleterre,  en  message,  messire  Raymon  Saquet, 
évesque  de  Therouene,  et  messire  Ferri  de  Piquegni;  mais 
oncques  ne  porent  besoigner  an  roy  d'Angleterre,  ains  s'en 
partirent  sans  riens  faire. 

Item,  en  cel  an  meisme,  avoit  un  baron  en  Escoce  que 
on  appelloit  Marcueil-le-Flament,  qui  gardoit  un  chastel 
en  Escoce  lequiel  estoit  le  plus  fort  de  toute  la  terre  ,  et 
gardoit  ilec  le  jeune  roy  David  et  madame  sa  femme.  Quant 
il  vit  que  la  terre  d'Escoce  estoit  destruite  pour  la  grei- 


(1)  Toul  ce  qui  suit,  jusqu'à  la  nicnlion  de  l'arrivée  de  David  Drucc  â 
CliAlcau-Gaillart,  n'esl  pas  dans  la  continuation  latine  do  Nangis.  Je  n'ai 
lias  retrouve  chez  les  historiens  d'Ecosse  le  nom  de  ce  Marcueil-le-l'la 
ment,  ni  dans  les  annalistes  de  l'abbaye  de  Sainl-Denis  celui  d'.lujro/j  de 
Tnjc  ou  l'Uzpalric, 


356  '  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

gneur  partie  par  les  barons  qui  mors  estoient,  si  fist  appa- 
reillier  une  belle  nef  et  la  fist  garnir  de  tout  ce  que  uiestier 
fu,  et  puis  y  entrèrent  le  jeune  roy  et  la  loyne,  et  avecques 
eux  aucuns  nobles  hommes  d'Escoce  qui  leur  tenoientcom- 
paignie;  entre  lesquiels  il  y  ot  un  escuier  de  noble  affaire, 
lequiel  avoit  à  noni  Aufroy  de  Trycpatric,  lequiel  depuis 
se  rendit  à  Saint-Denis  en  France  avec  tous  ses  biens,  etgist 
en  parlouer  de  ladite  églyse,  dessous  le  trésor,  bien  et  hon- 
nestement.  Et  quant  la  nef  fu  preste,  si  regardèrent  que  le 
vent  leur  estoit  propice,  si  continuèrent  à  nagier  ;  et  tant 
nagièrent  qu'il  arrivèrent  en  Normendie,  et  puis  alèrent  au 
roy  de  France  qui  moult  débonnairement  les  reçut,  et  puis 
leur  fist  délivrer  Chasteau-Gaillart,  et  ilec  demourèrent,  et 
leur  fist  livrer  le  roy  tout  quanques  mestier  leur  fu,  de  bon 
cuer. 

Item,  en  ce  meisme  an,  le  roy  de  France  Phelippe  ordena 
une  maison  de  religion,  laquielle  est  appellée  le  Moncel, 
emprès  le  Pont-Sainte-Maissance  ;  et  estoit  escheue  ladite 
maison  au  roy  par  forfaiture.  En  laquielle  il  ordena 
femmes  à  Dieu  servir  perpétuellement  selon  la  rieule  saint 
François. 

Item,  en  ce  temps,  la  femme  messire  Ro^bert  d'Artois, 
suer  du  roy  de  France ,  fu  souppeçonnée  et  ses  fils  aussi, 
d'aucuns  voults  (1)  qui  avoient  esté  fais,  si  comme  l'en  di- 
soit;  et  pour  ceste  cause,  elle  fu  mise  en  prison  au  cliastelde 
Chinon  en  Poitou,  et  ses  enfans  furent  menés  en  Ne- 
mous,  en  Gatinois,  et  là  furent  en  prison. 

Item,  en  cel  an,  il  fu  grant  habondance  de  vins  ;  mais  il 
ne  furent  pas  si  fors  né  si  meurs  comme  il  avoient  esté  en 
l'an  devant. 

(1J  Voults.  Soiiilégcs  d'cnvoulcmcns^  qu'on  .ippcloil  aussi  manies. 


(13.3V)  PHEUPPE  UE  YALOIS.  367 

XIIÏ. 

Cornent  les  messages  au  roy  d'Angleterre  vindrent  à  Pans 
au  roy  de  France,  pour  traitier  aucun  acnrt  de  paix,  mais  il 
ne  firent  riens. 

(1)  En  ce  meisme  temps  ou  environ,  le  roy  d'Angleterre  ot 
conseil  avec  les  barons  ;  et,  par  l'énortement  du  conte  de 
Hciinau  et  de  messire  Robert  d'Artois,  qu'il  envoieroit  devers 
le  roy  de  France  pour  savoir  s'il  voudroit  entendre  à  aucun 
acort.  Si  envoia  l'évesque  de  Cantorbière,  messire  Phelippe 
de  Montagu,  et  messire  Géfroy  Scorp  (2).  Quant  il  vindrent 
à  Paris,  si  trouvèrent  la  court  moult  estrange,  mais  en  la 
fin  leur  fu  livré  le  conte  d'Eu,  maistre  Pieire  Rogier , 
archevesque  de  Rouen,  et  le  mareschal  de  Trie,  pour  traitier 
à  eux.  Tant  fu  la  cliose  démenée,  qu'il  vindrent  devant  le 
roy,  et  fu  ilecques  la  pais  confermée  entre  les  deux  roys, 
et  fiancée  des  deux  parties.  Quant  la  cbose  fu  faite,  les 
Anglois  vindrent  bors  de  la  cbambre  du  roy,  et  furent 
convoies  de  tous  les  maistres  conseilliers  du  royaume,  et 
crioit-onla  paix  par  toute  la  ville;  mais  il  ne  demoura  mie 
longuement  que  la  cbose  ala  autrement,  car  il  ne  furent 
mie  en  leur  bostieux  que  le  roy  les  redemanda  et  leur  dist 
que  s'entencion  estoit  que  le  roy  David  d'Escoce  et  tous  les 
Escos  fussent  compris  en  icelle  paix.  Quant  les  Anglois 
l'entendirent,  moult  furent  esbabis  et  distrent  que  oncques 
des  Escos  n'avoit  esté  mencion  faite,  et  que,  en  nulle  ma- 
nière, ceste  cbose  n'oseroient-il  faire  né  accorder.  Quant 

(1)  Tout  ce  qui  suit  n'est  pas  clans  la  continuation  do  Nangis  jusqu'à  la 
mention  du  soulèvement  des  Ecossois ,  et  le  retour  d'Edouard  111  en 
Anslclerre. 

(2)  Scorp  ou  de  Scropt,  comme  on  le  trouve  dans  les  actes  de  Piynier. 
Rapin  de  Tlioyras  paroit  avoir  ignoré  cette  négociation. 


368  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

il  virent  que  autrement  ne  povoit  estre,  si  se  départirent  et 
s'en  alèrent  en  Angleterre,  et  contèrent  au  roy  et  à  son  con- 
seil conientla  chose  estoit  alée,  dont  jura  le  roy  d'Angleterre 
que  jamais  ne  fineroit  jusques  à  tant  que  Escoce  fust  mis 
en  dessous.  Devant  ce  que  ceste  chose  avenist,  11  estoit  mort 
im  haut  baron  d'Escoce  qu'on  appeloit  le  conte  de  Mor- 
tenne ,  et  ne  pensoient  les  Escos  à  avoir  nulle  guerre  au 
roy  d'Angleterre  povir  les  alliances  qui  estoient  faites.  Si 
eslurent  les  Escos,  de  commun  assentiment,  messire  Jehan 
de  Douglas  (1),  pour  porter  le  cuer  de  monseigneur  Robert 
de  Brus,  roy  d'Escoce,  oultre-nier,  et  luy  baillièrent  grant 
partie  du  trésor.  Si  fist  son  appareil  et  arriva  à  l'Escluse,  et 
cl'ilec  se  traist  vers  la  court  de  Rome,  et  là  oi  nouvelles  que 
le  roy  Alphons(2)d'Espaigne  estoit  en  guerre  contre  le  roy  de 
Maroc,  et  vous  dirai  la  cause. 

Le  roy  d'Espaigne  cjui  jeune  estoit  avoit  pris  à  femme  la 
fille  à  un  haut  baron  d'Espaigne  que  on  appelloit  Dan 
Jehan  Manuel  ;  mais  il  ne  luy  tint  foy  né  loyauté,  car  il 
tenoit  une  damoiselle  en  privé  qui  estoit  fille  à  un  chevalier 
que  on  appelloit  Dan  Jehan  Pierre  Gusman;  et  si  tenoit  une 
juiffe  qui  moult  estoit  belle  :  et  avoit  sa  femme  la  royne  du 
tout  déboutée.  De  quoy  le  père  de  la  royne  avoit  si  grant 
duel,  qu'il  donna  congié  aux  Sarrasins  de  passer  parmi  sa 
terre. 

Quant  messire  Jehan  de  Douglas  qui  estoit  parti  d'Escoce 
vint  en  Espaigne,  si  trouva  la  guerre  toute  ouverte  entre  le 
roy  et  les  Sarrasins,  et  là  fu  moult  noblement  receu  du  roy; 
et  fu  mis  jour  de  bataille,  et  au  jour  nommé  allèrent  les 
batailles  l'une  contre  l'autre.  Et  commença  la  bataille 
inoult  crueuse,  et  se  prouva  le  roy  d'Espaigne  de  si  grant 


(1)  Jehan  de  Domjlas.  Froissarf  appelle  ce  Douglas  Guillaume. 
(2j  Mphons.  Alphonse  XI,  roi  de  Castille. 


(1334.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  35!) 

vertu  qu'il  eust  en  ce  jour  cojipt'  un  des  dois  de  la  main. 
Et  niessirc  Jeban  de  Douglas  fu  féru  d'une  archcgaie  parmi 
le  corps,  et  quant  il  se  senti  navré  à  mort,  si  n'ot  cure  de  plus 
vivre  et  se  féri  en  la  presse  des  Sarrasins ,  et  ilec  fu  tué 
comme  bon  chevalier  et  bon  crestien.  Puis  fist  paix  le  roy 
d'Espaigne  àDanJelian  Manuel,  si  qu'il  (1)  repristsa  fille  par 
l'acort  du  pape  :  et  prist  à  femme  le  roy  d'Espaigne  la  fille 
au  roy  de  Portugal,  et  fu  départi  de  sa  preniière  femme. 

Item,  depuis  que  le  roy  d'Angleterre  et  Edouartde  Bail- 
leul  orent  eu  victoire  des  Escos,  et  ledit  roy  d'Angleterre  se 
fu  parti  d'Escoce  et  institué  le  devant  dit  Edouart  en 
roy  d'Escoce  et  pluseurs  autres  personnes  à  garder  les 
forteresces  qu'il  avoit  conquises  en  Escoce,  comme  devant 
est  dit ,  ceux  d'Escoce  qui  demourés  estoient  firent  leur 
alliances  tout  premièrement  et  pristrent  en  eux  force  et 
vertu;  et  s'en  alèrent  combatre  le  devant  dit  Edouart  et  les 
Anglois  que  ledit  roy  d'Angleterre  avoit  laissié  pour  garder 
les  forteresces,  comme  devant  est  dit.  Et  se  combattirent 
vigucreusement;  et,  par  telle  manière,  qu'il  boutèrent  hors 
du  royaume  d'Escoce  ledit  Edouart  de  Bailleul  et  recou- 
vrèrent tout  ce  que  le  roy  d'Angleterre  leur  avoit  toUu, 
excepté  Bervyc. 

Item,  en  ce  meisme  an,  le  quatriesme  jour  de  décembre, 
le  pape  Jehan  trespassa,  le  dix-neuviesme  an  de  sa  papauté; 
et  l'erreur  de  la  henolcte  vision  que  longuement  avoit  tenue 
il  rappella  au  lit  de  la  mort,  si  comme  l'en  dit.  Et  après  luy 
fu  eslu  un  cardinal  qui  avoit  à  nom,  par  son  titre,  Jacques, 
prostré  cardinal  de  Sainte  -  Prise  ,  et  estoit  de  l'ordre  de 
Cistiaux.  Et  fu  faite  ladite  eslection  le  dix-neuviesme  jour 
de  décembre,  et  fu  consacré  le  huitiesme  jour  de  janvier, 

(1)  si  qu'il.  Si  que  Jehan  Manuel,  clc.  — Ce  récit  cpisodique  ci'Es 
pagne  est  raconté  tout  ciifl'éremment  et  sans  doute  avec  moins  d'cxaclitudo 
par  Froissart,  (F^iv.  1,  part.  1,  cli.  4R.) 


360  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

et  fu  appelle  Benedic  le  douziesme,  (et  le  deux  cens  et  uniesnie 

pape.) 

Item,  en  ce  meisine  temps,  leroy  Phelippe  se  mistà  che- 
min pour  aler  visiter  le  pape  nouvel;  mais  ainsi,  comme  il 
fu  au  milieu  du  chemin,  une  grant  maladie  le  prist;  si  s'en 
retourna  par  le  conseil  des  phisiciens.  Mais  il  envoia  solem- 
nels  messages  sus  certaines  péticions  et  requestes  touchans 
le  passage  de  la  Terre  sainte;  sur  lesquielles  requestes  le  pape 
les  oi  très  gracieusement ,  et  réserva  aucunes  choses  pour 
en  avoir  délibéracion  avecques  son  conseil. 

Item ,  en  la  veille  de  la  feste  saint  Nicholas  d'yver,  fu- 
rent ois  en  la  ville  de  Paris  aussi  grant  tonnerres  et  foudres 
comme  l'en  pourioit  oïr  environ  la  Magdaleine  et  à  la  saint 
]\Iarc  l'évangéliste  ;  et  le  neuviesme  jour  de  janvier,  ton- 
nerres par  semblable  manière  furent,  jasoit  ce  que  yver  fust 
froit. 

Item,  en  ce  meisme  temps,  Jehan,  le  duc  de  Bretaignr, 
considérant  le  bien  du  royaume  et  le  péril  qui  à  celuy 
royaume  pourroit  venir  se  la  duchié  de  Brelaigne  eschéoit 
en  main  de  femme,  si  voult  ledit  Jehan  laissier  ledit  duchié 
au  roy  de  France  après  son  décès ,  en  telle  manière  et  par 
telle  condicion  que  se  aucun  s'apparoit  qui  fust  vrai  hoir,  le 
royluy  asseéurroit  certaine  terre  et  souffisant;  et  encore  fu-il 
ordené  à  greigneur  confirmacion  que  se  certain  hoir  s'appa- 
roit qui  fust  droit  hoir,  le  roy  luy  donroit  la  duchié  d'Or- 
liens.  Mais  il  y  ot  aucun  de  Bretaigne  qui  contredirent  à  ces 
choses,  et  ainsi  demoura  la  chose  imparfaite.  Et  depuis  fu 
journée  assignée  à  traiter  de  ceste  besoigne  aux  octaves  de 
la  Magdaleine ,  et  après  au  dimenche  ensuivant.  Et  en 
icelui  dimenche  se  porta  la  chose  par  telle  manière  que 
tout  fu  délaissié  et  finablement  mis  au  noient. 


{1335.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  36» 

XIV. 

Cornent  messire  Jehan,  duc  de  Normendic,  Ju  si  malade  que 
tous  les  médecins  se  désespéroient  de  sa  santé. 

En  l'an  de  grâce  mil  trois  cens  trente-cinq,  messire  Jehan 
de  Cepoy  (1),  qvii  avolt  esté  envoie  en  la  terre  deTurqviie  jîour 
tempter  les  pors  et  les  passages  pour  le  passage  de  la  Terre 
Sainte,  et  l'évesque  de  Biauvès  qui  par  avant  avoit  esté  en 
pèlerinage  encontre  les  Turcs,  s'en  retournèrent  en  France. 

Item,  en  ce  meisme  an,  environ  mi-juing,  il  vint  une  très 
grant  maladie  à  messire  Jeban,  duc  de  Normendie,  ainsné 
fds  du  roy  de  France  ;  et  crut  ladite  maladie  par  telle  ma- 
nière que  tous  les  médecins  se  désespéroient  de  luy.  Adonc- 
ques,  le  roy  et  la  royne  si  mistrent  leur  espérance  en  Nostre- 
Seignevir  et  firent  faire  prières,  tant  par  les  religieux  comme 
par  autres  gens  de  l'églyse,  et  furent  faites  processions  par 
diverses  églyses  ;  et  meismement  entre  les  autres  qui  en 
l'églyse  de  monseigneur  saint  Denis  furent  faites,  tout  le 
couvent  ala  par  trois  jours  nus  pies  à  procession;  et  après 
les  trois  devant  dis  jours,  furent  portées  à  Taverni  (2),  où  ledit 
monseigneur  Jehan  estoit  gissant  malade,  les  saintes  reli- 
ques du  clou  et  de  la  couronne,  et  le  doit  de  monseigneur 
saint  Loys,  lesquielles  furent  cmprès  luy  jusques  environ 
sept  jours.  Et  dist-l'en  que  le  roy  dut  dire  ces  paroles, 
comme  bon  et  vray  crestien  :  «  J'ai  si  grant  fiance  en  la 
>•  miséricorde  de  Dieu  et  es  mérites  des  sains  et  prières  du 
»  peuple,  que  s'il  mouroit,  si  seroit-il  ressuscité  p^r  les 
X  prières  qui  en  sont  à  Dieu  faites;  et  pour  ce,  s'il  muert, 
>)  ne  l'ensevelissez  pas   trop  tost ,  car  j'ai  grant  fiance  eu 

(1)  Ichan  de.  Cepoi.  «  AiDiranUlc  la  mer.  »  (Msc.  82î)8-;{.) 

(2)  Taverni.  Bourg  do  l'Ile  de  France. 

TOM.   V.  3 t 


3G2  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

»  la  luiscricorde  de  Dieu.  »  Mais  assez  tost  après,  par  les 
mérites  des  sains  et  par  les  prières  du  peuple ,  il  fu 
eu  bonne  convalescence ,  et  fu  guéri.  Si  avint  que  le  roy 
Phelippe  et  son  dit  fils  messire  Jehan  se  partirent  de  Taverni 
le  septiesme  jour  de  juillet  et  vindreiat  tout  à  pié  jusques  à 
l'églyse  de  monseigneur  saint  Denis  et  là  rendirent  grâces 
à  monseigneur  saint  Denis,  le  patron,  et  veillèrent  deux 
nuis  en  ladite  églyse,  et  avecques  eux  aucuns  des  religieux 
de  laiens  ;  lesquiels  religieux,  à  la  requeste  du  roy,  firent  de 
nuit  le  service  de  monseigneur  saint  Denis  ;  et  l'endemain 
l'abbé  de  ladite  églyse  chanta  la  messe  devant  les  martirs, 
en  la  présence  du  roy  et  de  son  dit  fils,  et  puis  alèrent  dis- 
ner;  et  après  disner,  il  se  partirent  et  alèrent  en  moult 
d'autres  sains  lieux  où  leur  dévociou  estolt. 

Item,  environ  la  Magdaleine,  le  roy  d'Angleterre,  accom- 
paigné  de  gens  à  cheval  et  de  gens  à  pié,  le  conte  de  Namur 
cousin  de  sa  femme,  le  conte  de  Guérie  c]ui  sa  suer  avoit 
espousée ,  avec  autres  nobles  d'Alemaigne,  tous  lescjuiels 
tenoient  compaignie  audit  roy  d'Angleterre,  se  mistrent 
en  la  mer  d'Escoce  avec  ledit  roy  ;  lequiel  entra  en  Escoce 
sans  aucun  empeschement  ,  et  puis  vint  en  la  ville  de 
Saint -Jehan  (1)  et  icelle  garni.  Et  ylec  laissa  son  frère 
Jehan  Deltan,  conle  de  Cornubie,  et  Edouart  de  Bailleul', 
devant  nommé,  et  s'en  vint  ledit  roy  à  Saint-Andrieu,  et 
là  reçut  les  hommages  d'aucuns  d'Escoce;  mais  ce  ne  fu 
pas  des  greigneurs.  Et  adonc  conferma-il  le  dit  Edouart  en 
voy  d'Escoce  et  ordcna  cjue  luy  et  ses  successeurs  féissent 
hommage  au  roy  d'Angleterre  en  eux  portant  aide  contre 
tous  ;  et,  à  supploier  l'ost  d'Angleterre,  les  roys  d'Escoce 
seront  tenus  chascun  an  de  délivrer  aux  roys  d'Angleterre 
trois  cens  hommes  d'armes  et  mil  de  pié   à  leur  despens, 

(1)  Saint-Jehan  ou  Saiiil-Johnnstonn,  ;mj(>iird'liui  l'ciili. 


(1335.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  363 

par  l'espace  d'un  au;  et  l'an  passé,  le  voy  ou  les  roys  d'Au- 
{jleterre  qui  après  luy  seront  ne  les  j^ourrout  retenir  fors 
à  leur  despens.  Or,  il  avint  que  les  Escos  seurent  la 
venue  le  conte  de  Namiu-,  lequiel  s'estoit  mis  en  la  mer 
d'Escoce  et  venoit  une  grant  pièce  après  le  roy  d'Angleterre 
pour  luy  aidier  contre  les  Escos.  Si  féirent  les  Escos  deux 
embusches  dont  l'une  des  embusches  fu  devant  ledit  conte 
et  l'autre  par  derrière.  Quant  ledit  conte  de  Namur  et  toutes 
ses  gens  furent  passés  ,  si  issirent  ceux  de  devant  et  puis 
ceux  de  derrière;  si  fu  ledit  conte  enclos  et  là  fupris,  et  plu- 
seurs  de  ses  gens  mors.  Adonques  le  conte  de  Moret  (1),  qui 
pour  l'amour  du  roy  de  France  le  vouloit  délivrer  et  le  con- 
voioit  avecques  cjuatre-vingts  hommes  armés,  si  fu  pris  des 
Anglois  quant  il  retournoit,  et  furent  ses  gens  ainsi  comme 
tous  mors;  et  ledit  conte  de  Moret  fu  mené  en  une  des  pri- 
sons au  roy  d'Angleterre. 

Item  ,  en  ce  meisme  an  ,  les  vins  furent  si  vers  et  si 
crus  que  à  peine  les  povoit-on  boire  sans  aucune  indigna- 
tion. 


XV. 


Confient  le  roy  visita  les  loial aines  parties  de  son  rnyaume  ;  cl 
cornent  grant  teiupcste  de  lonnoire  chci  nu  bois  de  V inccnncs 
quant  mcssirc  Phclippe  d^  Orlicns  fu  né. 

L'an  mil  trois  cens  trente-six,  le  roy  de  France  Phclippc 
visita  les  lointaines  parties  de  son  royaume  ,  et  en  toutes 
cités  ou  bonnes  villes  là  où  il  venoit,  très  honnorablement 
receu  estoit.  Et,  en  faisant  la  Visitation  dessus  dite,  il  alla 
jnsqucs  à  Avignon,  et  Jehan,  son  ainsné  fds,  duc  de  Nor- 


(0  Mord.  «  Unus  ex  Scotorum  niajoribus.  »  C'est  Mumnj.  (Conlinun- 
lion  do  Nangis,  Spicilcg.,  p.  99.) 


3Ci  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

luentlie,  aveques  luy.  Et  visitèrent  le  pape,  lequel  les  récent 
à  grant  honneur.  Et  entre  les  autres  choses,  il  y  ot  moult 
grant  parlement  entre  le  pape  et  le  roy  du  passage  de  la 
Terre  Sainte.  Et  après  demanda  à  savoir  mon  :  considérées 
les  alliances  lesquelles  estoient  faites  entre  les  roys  de 
France  et  les  roys  d'Escoce,  et  espécialement  depuis  le  temps 
de  Phelippe-le-Bel  oncle  du  roy  de  France,  s'il  estoit  tenu 
de  porter  aide  aux  Escos  contre  le  roy  d'Angleterre.  Et 
après  toutes  ces  choses ,  le  roy  ala  visiter  saint  Loys  de 
jMarseille  et  ala  visiter  son  navire,  lecpiel  il  avoit  fait  ap- 
pareiller pour  le  passage  de  la  Terre  Sainte.  Et  cpiant  il  fu 
là,  il  fu  receu  de  Marseillois,  jasoit  ce  qu'il  ne  fussent  pas 
sous  sa  seigneurie ,  en  si  très  grant  révérence  et  honneur 
que  en  la  mer  estoient  les  nefs  ordenées  par  manière  de 
bataille,  et,  en  la  présence  du  roy,  il  s'entre  battoient  par 
grant  léesse  de  pommes  d'orange. 

Item,  en  ce  meisme  an,  le  troisième  jour  de  mars,  il  fu 
esclipse  de  soleil ,  laquelle  fu  veue  près  du  centre  du  so- 
leil ,  et  avoient  Saturne  et  Mars  leur  regart  au  soleil ,  et 
commençoient  lesdites  planètes  Saturne  et  Mars  à  estre 
rétrogrades.  Et  dura  ladite  esclipse  par  onze  heures , 
aveccjues  aucunes  minutes. 

Item,  en  ce  meisme  an,  le  roy  Plielippe,  depuis  c[u'il  ot 
visité  le  pape  Bénédic,  si  prist  son  chemin  en  retournant 
par  Bourgoigne,  et  là  fu  receu  du  duc  et  conte  à  très  grant 
honneur;  mais  quant  le  roy  fu  par  delà,  il  trouva  très  grant 
matière  de  dissenclon  entre  le  duc  et  le  conte  et  messire 
Jehan  de  Chalons  et  aucuns  autres  nobles  d'Alcmaigne 
lesquicls  estoient  adhérens  aveques  ledit  messire  Jehan  de 
Chalons,  pour  cause  d'aucunes  redevances  lesquelles  estoient 
dues  audit  messire  Jehan  en  la  duchié  de  Bourgoigne,  si 
comme  il  disoit,  et  meismement  sur  la  ville  et  le  puys  de 
Salins;  lesquelles  redevances  ledit  duc  et  conte  s'efForçoit 


(1330.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  365 

de  liiy  tollir,  et  sans  cause  ;  mais  le  duc  et  conte ,  en  la 
présence  du  roy,  le  contiedisoit  et  disoit  que  à  luy  apparte- 
noit. 

Le  roy  ne  les  pot  oncques  mettre  à  acort,  et  adonques 
en  la  présence  du  roy,  ledit  duc  et  conte  fu  ,  de  par  ledit 
messire  Jehan,  deffié  et  tous  ses  adhérens.  Et  Uendemain, 
ledit  messire  Jehan  et  sa  conipaignie  entra  en  la  conté  de 
Bourgoigne  et  eu  gasta  une  grande  partie,  tant  par  l'espée 
que  par  le  feu  et  par  voleries  ;  et  après  ,  il  se  retrait  en 
aucuns  chastiaux  avecques  ses  complices,  lesquels  chastiaux 
il  avoit  par  avant  garnis.  Adoncques  le  duc  et  conte  de 
Bourgoigne,  lequel  avoit  avec  soy  en  son  aide  le  roy  de 
Navarre,  le  duc  de  Normendie,  le  conte  de  Flandres,  le 
conte  d'Estampes ,  si  assembla  grant  ost  et  s'en  ala  tenir 
siège  devant  le  chastel  messire  Girart  de  Monfaucon  que 
on  appeloit  Chaussi  (1),  et  tint  ilec  son  siège  par  l'espace  de 
six  sepmaines ,  et  le  prist.  Et  puis  se  retira  vers  la  cité  de 
Besançon,  laquelle  cité  estoit  du  costé  et  de  la  partie  mes- 
sire Jehan  de  Chalons.  Et  quant  il  ot  esté  une  pièce  devant 
ladite  cité ,  il  présentèrent  trièves  d'une  partie  et  d'autre 
juscjues  au  nouvel  temps,  car  l'ost  n'a  voit  pas  vivres  à  vo- 
lenté,  et  ainsi  demoura  la  chose  imparfaite. 

Item,  en  ce  meisme  an  ,  le  quatorsiesme  jour  de  juing,  il 
ot  si  grant  feu  au  Lendit  de  Saint-Denis  tant  en  draps 
comme  en  autres  denrées,  que  toutes  furent  arses,  si  que  c'es- 
toit  grant  pitié  à  veoir  ;  et  s'en  départirent  pluseurs  person- 
nes povres  qui  estoient  venues  riches. 

Item ,  le  secont  jour  de  juillet,  le  roy  Plielippe  ot  un 
enfant  né  de  sa  femme  au  bois  de  Vincennes,  lequel  fu  ap- 
pelé Plielippe,  en  baptesme. 

Item,  la  veille  de  la  Magdaleiuc  ensuivant,  qui  fu  au 

(!)  rJumm.  Aujourd'liui  Chausùn  ,  bourg  à   fiuatrc  lieues  de  «o/e, 

31. 


366  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

dimenclie,  Hugues  de  Crusy  (  1  ),  chevalier,  né  de  Bouvgoigne, 
lequel  avoit  esté  n'avoit  guère  prévost  de  Paris ,  et  après 
seigneur  de  Parlement  (2),  fu  accusé  de  divers  crimes  et 
convaincu  tant  comme  très  faux  juge,  lequel  fucondempné 
à  estre  pendu  au  gibet  de  Paris. 

Item,  le  quatriesme  jour  d'aoust,  il  fu  grant  tempeste 
de  tonnoire  environ  Paris  et  espécialement  environ  le  bois 
de  Vincennes,  par  telle  manière  que  les  tentes  et  les 
courtines,  lesquelles  avoient  esté  faites  pour  le  regart  de  la 
royne  de  France,  laquelle  avoit  eu  fds  c'est  assavoir  mon- 
seigneur Phelippe  qui  fu  duc  d'Orliens,  furent  à  terre 
trébuclîiées  ;  les  murs  et  les  maisons  chéoient  ;  le  pignon  à 
la  tente  de  la  royne  fu  abattu  ;  un  gros  arbre  fu  esracliié 
de  terre,  et  si  ot  des  gens  mors,  si  comme  l'en  disoit.  Et 
briefvement  il  n'y  eut  personne  audit  bois  qui  ne  eust 
très  grant  paour  au  cuer. 

Item,  en  ce  temps,  il  sourdi  une  très  grant  dissencion 
entre  le  roy  de  France  Phelippe  et  le  roy  d'Angleterre 
Edouart,  pour  la  destruction  du  chastelde  Xaintes  en  Poi- 
tou, laquelle  avoit  esté  faite  par  messire  Charles,  conte  d'A- 
hniçon  ,  frère  du  roy,  et  par  le  conte  de  Gyen  (3),  et  pour 
aucunes  villes  et  forteresces;  lequel  messire  Charles  de 
Valois,  père  du  roy  Phelippe,  avoit  esté  envoie  en  Gascoi- 
gne  de  par  le  roy  Charles  contre  le  roy  d'Angleterre 
Edouart  qui  à  présent   règne,   pour  contumaces  par  luy 


(1)  Crusy.  On  trouve  au  Trésor  des  chartes,  sous  le  mois  de  septembre 
M'èQ  :  «  Donatio  cujusdam  domus  sitae  Parisiis  in  vico  Pavato  (rue  Pavée) 
»  qu:e  quondam  fuit  Hugonis  de  Crusiaco,  dalœ  duci  Lotharingiœ.  » 

(2)  Seigneur  de  Parlement.  Ces  mois,  qui  manquent  dans  beaucoup  de 
manuscrits,  repondent  au  latin  de  la  continuation  de  Nangis  :  «  Et  poslcà 
»  in  numéro  magistrorum  regalis  palalii  sublimatus.  »  Les  historiens  du 
Parlement  qui  n'ont  pas  mentionné  son  genre  de  mort  ont  fait  de  H.  de 
Crusy  un  premier  président  de  la  cour  du  Parlement. 

(3)  dijen.  La  plu-asc  françoisc  est  longue  cl  obscure.  Je  crois  qu'il 
s'agit  ici  du  comle  d'£((,  qui  avoit  brùlc  Saintes  en  1326. 


(1336.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  3fi7 

faites;  si  avoit  pris  et  destruit  ledit  chastel  de  Xaintes  et 
autres  villes  et  forteresces  ,  par  force  d'armes  ;  lesquelles 
choses  Edouart,  roy  d'Angleterre,  quéroit  qu'elles  luy  fus- 
sent restituées  et  rendues.  Pour  lesquelles  demandes  et 
responses  pluseurs  messages  eussent  esté  envoies  en  Angle- 
terre et  d'Angleterre  en  France  ;  mais  nul  accort  n'y  pot 
estre  mis,  car  messire  Robert  d'Artois  empeschoit  moult 
la  chose,  si  comme  l'en  disoit  communéement. 

Item,  en  ce  meisme  an,  vint  une  très  grant  guerre  entre 
le  roy  d'Espaigne  et  le  roy  de  Navarre,  pour  la  garde  d'une 
abbaye  assise  entre  les  deux  royaumes  ;  mais  à  la  parfin,  à 
larequeste  du  pape  et  du  roy  de  France,  messire  Jehan  de 
Vienne,  arclievesque  de  Rains,  (1)  procureur  d'une  partie  et 
d'autre  c'est  assavoir  du  pape  et  du  roy,  il  furent  mis  à 
bon  acort. 

Item,  en  ce  meisme  an,  très  grant  et  soUemnellcs  allian- 
ces furent  confermées  entre  le  roy  de  France  et  le  roy  d'Es- 
paigne. 

Item,  en  ce  temps,  quant  Edouart  vit  que  le  roy  de  France 
Phelippe  vouloit  soustenir  la  partie  des  Escos  pour  les 
alliances  que  Phelippe-le-Bel,  son  oncle,  avoit  faites  avec 
lesdits  Escos,  il  fist  un  grant  appareil  de  nefs  en  la  mer,  et 
puis  fist  unes  grans  alliances  à  Loys  de  Bavière  qui  estoit 
escommenié  et  de  l'empire  privé,  lequel  luy  promist  aide. 
Adonques  furent  très  grans  commocions  de  bataille  entre 
les  deux  roys.  Si  furent  fais  et  ordenés  amiraux  tant  en 
terre  comme  en  mer  (2). 

(1)  Procureur.  C'cst-ii-dirc  :  Etaiil  procureur. 

(2)  Voyez  Rijmer,  nouvelle  édition,  vol.ii,  pnge  9oG.  Edouard,  sous  la 
date  du  i\  janvier  (1337),  nomme  pour  ses  amiraux  Guillaume  de  Mon- 
tagu,  Robert  d'Uffort  cl  Jehan  de  Uoss. 


368  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 


XVI. 


Cornent  les  Flamens  se  tournèrent  de  la  partie  au  roj  cV  Angle- 
terre par  Jaques  cVyirthei'elt,  et  de pluseurs  incidences. 

L'an  mil  trois  cent  trente-sept,  la  guerre  qui  estoit  entre 
niessire  Jehan  de  Chalons  et  le  duc  et  conte  de  Bourgoigne, 
comme  devant  est  dit,  fu  par  le  roy  de  France  pacifiée 
et  mise  en  bonne  pais.  Item,  environ  la  feste  de  monsei- 
gneur saint  Jehan-Baptiste,  il  apparu  une  comète  laquelle 
fu  née  au  signe  de  Gémeaux,  par  la  raison  de  l'esclipse  de 
l'an  précédent  qui  avoit  esté  le  troisiesme  jour  de  mars, 
par  Mars  et  par  Saturne,  si  comme  les  astronomiens  (1)  di- 
soient. Et  encore  disoient  que,  pour  la  cause  du  signe  auquel 
elle  avoit  esté  engendrée,  que  elle  signefioit  habondance 
de  sanc  corrompu,  dont  il  se  de  voit  ensuivre  maladies. 
Et  pour  la  raison  de  Mars  qui  estoit  au  signe  de  scorpion, 
il  signefioit  fausseté,  fraudes,  mensonges,  larcins,  guerres. 
Et  pour  la  raison  de  Saturne,  convoitises,  extorcions,  ran- 
cunes ,  haines ,  machinacions  ,  inobédiences  ,  misères  de 
cuer,  mort,  rumeurs  espoentables  et  paour  et  pluseurs  au- 
tres choses  tant  en  princes ,  en  barons,  en  gens  d'églyse, 
comme  en  autres  choses  de  terre  ;  c'est  assavoir,  en  bestes  à 
quatre  pies ,  en  poissons  et  es  yaux  doivent  estre  moult 
d'inconvéniens. 

Item,  environ  la  feste  de  Toussains,  les  gens  au  roy  d'An- 
gleterre pristrent  un  cliastel  au  roy  de  France  que  on  appelle 
Paracol  (2),  en  Xantonnois,  etardirent  les  villes  qui  estoient 

(1)  Les  Asiroiiomiens.  Continualion  françoisc  de  Nangis:  Maislrc  Jeiifffuij 
de  Meaulx. 

{p.)  Paracol.  Ce  doit  cire  Parcoul ,  sur  la  frontière  du  Périgord  et  de  la 
Sainlonge,  aujourd'hui  département  de  la  Dordogno,  et  sur  la  rivière  de 
JN'izonne.  Velly  nomme  la  forteresse  ;  Palencourl. 


(1337.)  PIIELIPPE  DE  VALOIS.  3G9 

prochaines  audit  chastel,  et  si  tuèrent  pluseurs  personnes 
au  pays. 

Item,  en  ce  temps,  l'en  disoit  communément  que  le  roy 
d'Angleterre  ne  vouloit  pas  seulement  envaïr  le  royaume 
de  Fraiice ,  mais  il  y  vouloit  entrer  ;  si  ne  savoit  le  roy  de 
France  par  quelle  part  il  y  vouloit  entrer.  Adonc  luy  con- 
vint faire  garder  toutes  les  contrées  de  son  royaume,  et  les 
faire  garder  viguereusement  et  deffendre.  Toutes  lesquelles 
clioses  estoient  conseilliées  et  ordenées  par  le  conseil  de 
messire  Robert  d'Artois  ,  si  comme  l'en  disoit  communé- 
ment. 

Item,  depuis  que  le  devant  dit  cliastel  de  Paracol  fu  pris, 
un  noble  homme  de  la  Langue-d'Oc,  lequel  avoit  nom 
Ernaut  de  Myraude,  fu  pris  pour  ce  que  par  luy  avoit 
esté  traitreusement  ledit  chastel  pris  des  Anglois  ;  pour 
laquelle  cause  il  ot  la  teste  copée  à  la  Place  aux  pourciaux  (I) 
à  Paris,  et  puis  fu  mené  au  gibet  et  pendu. 

Item ,  en  ce  meisme  an ,  pluseurs  villes  et  chastiaux 
furent  pris  en  Gascoigne  par  le  connestable  du  roy  de 
France,  le  conte  d'Eu,  le  conte  de  Foy,  le  conte  d'Armagnac 
et  plusems  autres  nobles  de  la  Langue-d'Oc  au  dit  pays. 

Item,  en  ce  meisme  temps,  Nicolas  Buchet,  né  du  Maine  (2) 
et  trésorier  du  roy  de  France,  ardi  un  port  ou  ville  en  An- 
gleterre qui  estoit  appelé  Portevive  (3),  avecques  pluseurs 
autres  villes,  et  si  ardi  toutes  les  villes  de  Guernesei,  excepté 
uii  chastel,  si  comme  l'en  disoit. 

Item,  en  ce  temps,  orent  les  Escos  moult  à  souffrir  par 
les  Anglois;  mais  le  roy  de  France  ne  leur  aida  point,  si 
comme  tenu  estoit.  Et  assez  tost  après,  nouvelles  vindrent 

{i)  La  Place  aux  Pourceaux  ctoit  située  non  loin  de  la  porte  Saint- 
Ilonorô,  entre  l'église  Sainl-Roch  et  le  Palais-Royal.  —  Mijrande.  Va- 
riante de  ISormcndie. 

(2)  Buchet  ou  Deltuchet. 

(3)  Portevive.  C'est  Portsniouth. 


370  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

que  le  roy  d'Angleterre  devoit  descendre  au  royaume  de 
France  et  apliquier  à  Bouloigne.  Adonc  le  roy  de  Navarre, 
le  conte  d'Alençon,  frère  du  roy  de  France,  avecques  aucuns 
gens  du  royaume ,  se  partirent  pour  aler  encontre  le  roy 
d'Angleterre  avec  leur  ost.  Mais  le  roy  anglois  ne  vint  né 
contremenda;  si  s'en  retournèrent  nos  gens,  sans  riens 
faire. 

Item,  en  ce  meisme  temps,  il  avoit  gens  en  la  court  du 
roy  en  habit  de  religion,  je  ne  sais  dont  il  estoient  venus  ; 
mais  il  avoient  entention  de  empoisonner  le  roy  et  tous  ceux 
de  sa  court  ;  lesquels  furent  pris  et  emprisonnés  ;  mais  je  ne 
peus  savoir  la  fin  de  eux  quelle  elle  fu. 

Item,  environ  ce  temps,  il  avint  que  le  roy  d'Angleterre 
avoit  envoie  en  Gascoigne  monseigneur  Berai't  de  Lebret  (1) 
pour  commencier  la  guerre,  et  si  avoit  envoie  en  Flandres 
pour  faire  amis  et  alliances  ;  — car  il  véoit  bien  qu'il  ne  po- 
voit  bonnement  venir  à  sa  volenté  se  il  n'avoit  Flandi'es  de 
sa  partie.  Quant  le  conte  sceut  ce,  si  fist  faire  un  parlement 
à  Bruges  ;  et  quant  le  parlement  fu  fait ,  il  fist  prendre  un 
chevalier  de  Flandres  que  on  appelloit  Courtrisien  (2)  ;  pour- 
quoy  ceux  de  Gant  se  couroucièrent,  si  que  il  distrent  que  ja- 
mais n'entendroient  en  parlement  s'il  ne  leur  estoit  rendu. 
Mais  le  conte  qui  ceste  chose  avoit  faite  par  le  commendement 
du  roy  de  France  luy  fist  coper  la  teste,  pour  ce  que  l'en  luy 
mettoit  sus  qu'il  avoit  receu  les  deniers  du  roy  d'Angleterre 
contre  le  roy  de  France.  Quant  ceux  de  Gaut  soi-ent  que  l'en 
luy  avoit  copé  la  teste,  si  envoièrent  à  ceux  de  Bruges  qu'il 
leur  voulsissentaidier  contre  le  conte,  dont  les  unss'yaccor- 
dèreiït  et  les  autres  non.  Quant  le  conte  sceut  qu'il  y  avoit 


(1)  De  Lebret.  D'Albret.  Son  père  Amonjcu,  sire  d'Albret,  l'avoit 
tléshéritc  pour  avoir  pris  le  parli  des  Anglois.  (Voyez  le  P.  Anselme , 
lome  VI,  page  221.) 

(2)  Courtrisien.  On  le  nomme  aussi  Zcijer,  chevalier  de  Courlray. 


(1337.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  371 

(le  ceux  de  Bruges  aliés  avec  ceux  de  Gant,  il  ala  à  Bruges, 
et  ceux  de  Bruges  s'armèrent  et  vindrent  contre  luy  au 
uiarchié.  Et  le  conte  et  messire  Moriau  de  Fiennes  vindrent 
à  bannières  déploiées  contre  eux.  Ilec  commença  la  bataille 
moult  fière  ;  mais  en  la  parfin  convint  le  conte  reculer  en 
son  liostel,  et  d'ilec  s'en  ala  à  Maie.  Et  après  ce,  le  roy  d'Angle- 
terre envoia  en  Flandres  monseigneur  Gautiei'  de  Mauni, 
en  la  fiance  d'aucuns  amis  qu'il  avoit  en  Flandres ,  et  en- 
voia aveques  luy  grant  foison  d'archiers,  et  arrivèrent  en  une 
ville  qvie  on  appelle  Cachant  (1)  qui  est  avi  conte  de  Flan- 
dres. Quant  le  conte  le  sceut ,  si  assembla  des  gentilshom- 
mes pour  aler  encontre  ;  mais  les  Anglois  pristrent  port  et 
entrèrent  en  Ville,  et  boutèrent  le  feu  partout.  Si  avint  que 
ceux  c]ui  en  ladite  ille  estoient ,  vindrent  à  l'encontre  des 
Anglois  et  se  combattirent  à  eux;  mais  en  la  fin,  il  furent 
desconfis  ;  et  fu  mort  messire  Jehan  de  Rodes,  et  tout  plein 
de  gentilshommes  de  Flandres  ;  et  y  fu  le  bastart  de  Flan- 
dres Guy,  frère  au  conte  de  Flandres,  pris,  et  le  menèrent 
en  Hollande.  Et  piiis  retrairent  les  Anglois  qui  estoient 
demourés,  car  il  y  en  avoit  eu  pluseurs  mors,  et  alèrent  en 
leur  pays.  Quant  le  roy  de  France  entendi  que  les  Flamens 
estoient  esmeus  sur  les  Anglois  pour  la  cavise  devant  dite,  si 
leur  fist  requerre  qu'il  se  voulsissent  alier  à  luy,  et  il  leur 
quitteroit  tous  les  liens  auxquels  il  estoient  liés  à  luy  et  à  ses 
successeurs,  excepté  la  sentence.  Après,  envoia  le  roy  d'An- 
gleterre en  la  ville  de  Gant,  de  Bruges  et  de  Ypres,  et  fist 
traittier  aux  maistres  des  gardes,  tant  que,  par  dons  et  par 
promesses,  il  les  accorda  avecques  luy.  Et  pour  ce  que  ceste 
cause  ne  povoit  mie  estre  démenée  par  tous  ceux  qui  de  la 
partie  au  roy  d'Angleterre  estoient,  si  firent  eslever  un 
homme  en  la  ville  de  Gant  de  moult  cler  engin  que  on  ap- 

(1)  CachœU.  Ou  Catsanl,  non  loin  de  l'Écluse. 


372  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

pelloit  Jaques  de  Aithevelt(l).  Il  avoit  esté,  avec  le  conte  de 
Valois,  oultre  les  mous  et  en  l'iUe  de  Rodes,  et  puis  fu 
valet  de  la  fruiterie  monseigneur  Loys  de  France.  Et  après 
vint  à  Gant  dont  il  fu  né,  et  pristàfemme  vme  brasseresse 
de  miel.  Quant  il  fu  ainsi  esleu,  si  fist  assambler  la  com- 
mune de  Gant  et  levir  montra  que  sans  le  roy  d'Angleterre 
il  ne  pooient  vivre  ;  car  toutes  Flandres  est  fondée  sus  drap- 
peiùes,  et  sans  laine  on  ne  puet  draper;  et  pour  ce,  il  looit 
que  l'en  tenist  le  roy  d'Angleterre  ami  ;  lors  respondirent 
qu'il  le  vouloient  bien.  Quant  Jaques  d'Artlievelt  vit  qu'il 
avoit  l'acort  de  ceux  de  Gant,  il  assembla  ses  gens  et  vint  à 
Bruges,  et  ceux  de  la  ville  le  receurent  à  grant  joie;  puis 
vint  à  Ypres,  à  Bergues,  Cassel  et  à  Furnes,  et  tous  luy 
firent  obédience. 

Quant  les  messages  au  roy  d'Angleterre  virent  ce ,  si 
firent  assambler  les  trois  villes  à  Gant  ;  ilec  monstrèrent 
que  le  roy  d'Angleterre  estoit  le  plus  puissant  des  crcs- 
tiens,  et  que  si  les  trois  villes  ne  s'alioient  ensemble  et 
qu'il  ne  préissent  la  cure  et  le  gouvernement  du  pays  par 
leur  forces ,  le  conte  de  Flandres  qui  devers  le  i-oy  estoit 
ne  leur  lairoit  mie  faire  leur  volenté.  Tantost  féirent  ilec 
leur  aliance  si  fort ,  par  foy  et  par  serement ,  présent  le 
conte  de  Guérie ,  que  les  gens  au  conte  de  Flandres  n'i 
avoient  povoir.  Puis  vindrent  vers  le  conte  et  luy  requis- 
trent  que  ceux  qui  estoicnt  banis  par  consplracion  ou  par 
autres  mauvaistiés  fussent  rappelles.  Et  le  conte  l'ottroia 
aux  trois  villes.  Puis  envoièrent  par  toutes  les  villes  et 
cliastellerics  de  Flandres,  capitaines  de  par  eux  qui  le 
pais  gouvernoient  avec  les  banis  qui  entrés  y  estoient.  Mais 
pour  ce  qu'il  se  doulîtoient  des  gentilshommes  qu'il  ne  leur 

(1)  On  ne  rclrouvc  pas  ailleurs  les  mômes  détails  sur  Jacques  d'Artc- 
velt,  dont  les  parlis  ont  tant  exploité  la  réputation. 


(1337.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  373 

peussentcontraitier  (1)  à  leur  rebellions  faire,  si  les  pristrent 
en  ostage  et  mandèrent  par  toutes  les  chastelleries  que  sur 
leur  vie  venissent  se  mettre  en  prison  à  Gant.  Tantost  il 
vindrent,  quar  il  n'osèrent  désobéir. 

Quant  les  gens  au  roy  d'Angleterre  virent  qu'il  estoient 
asscurés  du  pays  de  Flandres,  il  s'en  alèrent  et  le  distrent 
au  roy    d'Angleterre,   et  tantost  leur   envoia  des  laines  à 
grant  foison.  Quant  le  conte  de  Flandres  vit  que  la  chose 
aloit  par  telle  manière,  si  vint  à  Gant  pour  savoir  se  il  les 
pourroit  retraire  hors  de  leur  erreur.  Mais  quant  il  fuavec- 
ques  eux,  il  le  tindrent  bien  fort  ;   et  quant  le  conte  vit 
qu'il  ne  pourroit  eschapper,  si  se  feixit  qu'il  vouloit  estre 
de  leur  partie ,  et  le  vestirent  de  leurs  paremens  et  il  les 
porta.  Un  jour  pria  les  dames  de  Gant  de  disner  avec  luy  ; 
et  avoit  appareillé  un  moult  riche  disner  ;  et  quant  il  ot 
oï  sa  messe,  il  dit  qu'il  vouloit  aler  voler  (2)  ;  puis  monta  et 
s'en  ala  sans  revenir,  et  ainsi  failli  la  feste.  Quant  le  roy  de 
France  sceut  ces  nouvelles  que  le  conte  de  Flandres  s'en 
estoit   venu   par   devers  luy ,   si   fist  le  roy  escommenier 
aucuns  de  Flandres,  de  par  le  pape,  et  espécialement  ceux 
de  Gant;  et  y  fvuent  envoies,  de  par  le  roy,  l'évesque  de 
Senlis  et  l'abbé    de  Saint -Denis  Guy  de  Chartres,   si  en 
furent  un  pou  plus  refroidies. 


(1)  Conlranicr.  Servir,  aider,  agir  de  concert. 

(2)  Voler.  Ciinsser  aux  oiseaux  de  proie. 


32 


371  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

XVII. 

Conicnl  le  roy  d'Anglclcrre  passa  mer  el  fisl  aliances  aux  Ale- 
maiu;  el  cornent  le  roy  de  France  Phclippe  assembla  grant  osl 
pour  aler  à  rencontre  de  lu  y. 

L'an  de  giace  mil  trois  cens  trente-lmit,  le  roy  d'Angle- 
terre Edouart  passa  mer  à  grant  ost,  et  amena  sa  femme 
avec  soy,  laquielle  estoit  suer  au  conte  de  Hainaut  et  nièce 
au  roy  de  France,  et  s'en  alèrent  es  parties  de  Brebant.  Et 
depuis  se  transporta  ledit  roy  d'Angleterre  en  Alemaigne, 
et  ilecques  fist  moult  grans  aliances;  et  premièrement  avec 
Loys,  duc  de  Bavière,  qui  se  tenoit  pour  empereur,  jasoit  ce 
que  ledit  Loys,  duc  de  Bavière,  fust  notoirement  escom- 
menié  de  par  le  pape;  et  avecques  lîluseurs  autres  nobles, 
lesquiels  il  prist  comme  soudoiers  par  certaines  sommes 
d'argent  à  rendre  à  chascun  selon  son  estât;  et  se  la  somme 
d'argent  n'estoit  paiée  à  certains  termes  ordenés  entre  le 
roy  d'Angleterre  et  les  soudoiers,  lesdites  aliances  seroient 
réputées  pour  nulles. 

Et  en  ce  meisme  an,  ledit  roy  d'Angleterre  fu  ordené  et 
institué,  de  par  le  roy  et  duc  de  Bavière  Loys,  en  vicaire  de 
l'empereur  ;  lequiel  faisoit  les  vocacions  et  les  citacions , 
tant  comme  vicaire  de  l'empereur,  afin  que  l'en  peust  envau- 
très  asprement  le  royaume  de  France  :  mais  pou  luy  obéi- 
rent en  ce  mandement. 

Item,  en  ce  meisme  an,  le  quinziesnie  jour  d'avril,  il 
apparut  une  autre  comète  assez  près  de  la  Petite-Ource,  et 
estoit  pou  clère,  et  ronde,  sans  cheveux  ;  et  ainsi  furent  en 
un  an  deux  comètes. 

Item,  en  ce  meisme  temps,  le  roy  de  France  Phelippe  oï 
dire  que  le  roy  d'Angleterre  estoit  alié  avecques  les  Aleman?, 


(1338.)  PIIELIPPE  DE  VALOIS.  375 

cL  que  son  entente  estoit  d'envair  le  royaume  de  France. 
Adoncques  ledit  roy  Phelippe  assembla  un  si  grant  est  que 
l'en  lit  pou  le  roy  de  France  avoir  si  grant  ost  assemblé  au 
temps  passé.  Et  s'en  ala  à  Amiens  à  tout  ledit  ost,  à  ren- 
contre dudit  roy  d'Angleterre  ;  si  apprit  qu'il  n'aloit  né 
venoit,  ains  estoit  avec  les  Allemans  là  où  il  s'esbatoit,  et 
ne  s'esniouvoit  en  aucune  manière  pour  venir  en  France. 
Si  fist  le  roy  le  dit  ost  despartir  les  frontières  garnies. 

Item,  en  ce  meisme  an,  les  gens  du  roy  de  France  pris- 
trent  en  mer  deux  nefs  moult  notables,  cliargiés  de  grant 
quantité  de  biens,  lesquielles  estoient  au  roy  d'Angleterre; 
et  là  ot  moult  grant  assaut  et  fort,  tant  d'une  partie  comme 
d'autre;  et  dura  ledit  assaut  près  de  un  jour  entier.  Et  y  ot 
des  Anglois  mors  près  de  mil,  et  des  nos  pluseurs  mais  non 
pas  tant;  et  estoit  l'une  des  deux  nefs  ajipellée  Edouarde,  et 
l'autre  Cliristofe  ;  et  en  icelle  journée  guaignièrent  ceux 
de  par  le  roy  de  France  moult  de  biens. 

En  ce  meisme  temps,  les  Escos  pristrent  trieves  aux  An- 
glois de  la  volenté  au  roy  de  France,  et  ne  coururent  point 
les  uns  sus  les  autres  cel  an  (1). 

Item,  en  ce  meisme  an,  comme  les  Flamens,  et  meisme- 
ment  ceux  de  Gant,  souffrissent  moult  d'injures  et  de  griefs 
du  conte  de  Flandres,  si  comme  il  disoient,  si  se  commen- 
cièrent  à  rebeller  contre  ledit  conte,  et  firent  tant  qu'il  fal- 
lut que  ledit  conle  se  despartist  de  Flandres.  Et  firent  lesdis 

(1)  Il  faudroit  plutôt  dire  que  ce  fut  en  dépit  du  roi  de  France  que  les 
Ecossois  gardèrent  la  trêve  conclue  l'année  précédente,  bien  que  le  con- 
tinuateur de  Nangis  dise  :  «  Scpti,  quia  inter  ipsos  et  regem  Anglix  in- 
»  duciaî  erant,  ad  voluntateni  tanien  régis  Franciœ  contra  Anglicos  niliil 
»  feccruQt.  »  (Fo  101.)  Mais  je  suis  porté  à  accuser  l'un  des  premiers 
scribes  des  Chroniques  de  Saint-Denis  d'avoir  omis  ici  une  négation.  Ce 
seroit  donc  aux  instances  du  roi  de  France  que  les  Ecossois  auroicnt,  celle 
année,  rompu  les  trêves.  Voyez  dans  Froissart  le  curieux  récit  de  l'attaque 
et  de  la  prise  du  château  de  ilaudeboimj  ou  uaindebounj,  en  1310,  par 
nicssirc  Guill.iume  de  Douglas  (liv.  1,  part.  I,  chap.  131). 


376  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

Flaniens  grans  aliances  aux  autres  villes  de  Flandres  et  se 
couiraencièrent  à  rebeller  contre  les  Gros  des  bonnes  villes, 
et  ordenèrent  l'un  d'eux  pour  estre  leur  capitaine,  lequiel 
avoit  à  nom  Jacques  de  Artlievelt,  et  firent  moult  de  griefs 
et  de  mavix  aux  bourgois  des  bonnes  villes  qui  portolent  la 
partie  au  conte  de  Flandres  et  les  blasmoient  de  ce  qu'il 
faisoient  contre  leur  seigneur.  Et  nonobstant  tout  ce  qu'il 
faisoient  au  conte  et  aux  Gros  des  bonnes  villes,  si  disoient-il 
tousjours  qu'il  n'entendoient  à  faire  aucune  chose  contre  le 
roy  né  contre  le  royaume;  mais  il  le  faisoient  pour  les  des- 
mérites du  conte  et  des  Gros  qui   avecques  luy  estoient. 

Item,  en  icestui  an,  fu  pris  par  les  gens  au  roy  de  France 
un  cliastel  très  garni ,  lequiel  estoit  appelle  Penne  (1)  en 
Aginois,  et  si  en  ot  d'autres  qui  furent  pris  audit  pays,  mais 
non  pas  de  si  grant  renom. 

Item,  en  ce  meisme  an,  une  bonne  ville  d'Angleterre, 
laquielle  est  ajipellée  Hantonne  (2),  fu  prise  et  ainsi  couime 
toute  arse,  par  les  gens  au  roy  de  France,  et  dégastée. 

Item,  en  ce  meisme  an,  le  roy  de  France  Plielippe  con- 
ferma  aucuns  privilèges  de  Normendie  et  renouvella ,  et 
pour  ceste  cause  il  s'appareillièrent  d'aler  en  Angleterre  à 
très  grant  effort;  mais  toutesvoies,  riens  n'en  fu  mené  à 
effect. 

Et  en  ce  temps ,  le  seigneur  de  Harecourt ,  lequiel  piéça 
avoit  esté  non  mie  conte  de  l'autorité  royal,  fu  par  titre 
d'ores  en  avant,  appelle  conte  de  Harecourt. 

(Item,  en  ce  meisme  an,  Pierre  Rogier,  archevesque  de 
Ilouen^  fu  fait  cardinal.) 

(1)  Penne  ou  Pennes,  aujourd'hui  ville  et  chef-lieu  de  canton  du  dépar- 
tement de  r.ot-ct-Guronne. 

(2)  Hantonne,  aujourd'hui  Soulhamplon.  (Voy.  Froissart,  liv.  1,  part.  1, 
chap.  80.) 


(133U.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  377 

XYIII. 

Cornent  le  roy  de  France  Plielippc  Ju  desfraiidé  par  mauvais 
conseil.  Cornent  il  attendit  jusques  à  l'ende main  pour  combat- 
tre au  roy  d'Angleterre ,  et  cornent  en  cesie  meisme  nuit 
ledit  roy  d'' Angleterre  s' enfui. 

L'an  de  grâce  mil  trois  cens  trente-neuf,  deux  chastiaux 
très  fors  furent  pris  en  Gascoigne  par  les  gens  du  roy  de 
France,  c'est  assavoir,  le  Bourc  et  Blaive.  Et  audit  chastel 
de  Blaive  furent  pris  le  sire  de  Caumont  et  le  frère  au  sire 
de  Lebret  (l)  et  aucuns  autres  nobles. 

Itein,  en  ce  nieisnie  an,  vine  ville  qui  est  en  la  conté  d'Eu, 
laquielle  est  appellée  Treport ,  fu  arse  avec  une  abbaïe 
qui  estoit  en  ladite  ville,  par  les  gens  au  roy  d'Angleterre. 

En  ce  meisme  an,  les  soudoiers  de  Gennes  qui  avoient 
gardé  en  la  mer  tout  l'esté,  avec  les  Normans ,  les  Picars  et 
les  Bretons  mariniers,  lesquiels  avoient  moult  domaigié  le 
royaume  d'Angleterre,  environ  la  saint  jMicliiel  s'en  retour- 
nèrent en  leur  pays. 

Item,  environ  ladite  feste  de  saint  Micliiel,  le  roy  d'An- 
gleterre Edouart  assembla  un  grant  ost  d'Anglois,  de  Bre- 
bançons,  d'Alemans  soudoies  et  d'aucuns  pilliars,  pour  le 
royaume  de  France  envaliir.  Auquiel  roy  d'Angleterre  le  roy 
de  France  désirant  moult  obvier,  assembla  un  très  grant 
ost  fort  et  hardi  à  Saint  -  Quentin  ,  en  Vermandois,  et 
comme  il  ne  voulsistpas  entrer  es  termes  de  l'empire,  mais 
dissimulast  la  bataille  par  un  pou  de  temps  en  atendant 
son  ost,  le  roy  d'Angleterre  endementicrs  entra  au  royaume 
de  France  très  cruellement  et  ardi  une  partie  de  Teriaschc, 


(1)  Lcbrct  ou  Alljicl. 

32. 


378  LES  GRANDES  CHROxNIQUES. 

pilla  et  gasta  le  pays.  Et  comme  le  roy  de  France  par 
delà  estoit  pour  luy  obvier  et  de  ce  il  n'en  fist  semblant, 
l'en  ne  savoit  par  quel  conseil  ;  adoncques  commença  un 
grant  esclandre,  non  pas  seulement  en  l'ost  mais  par  tout 
le  royaume,  contre  le  roy.  Quant  le  roy  ot  oi  ces  nouvelles, 
il  se  parti  pour  aler  à  l'encontre  de  luy,  et  s'en  ala  à  une 
ville  qui  est  ajîpellée  Buirenfosse  (1),  à  un  jour  de  vendredi. 
Lors  le  roy,  qui  plus  ne  voult  la  guerre  dissimuler,  si  s'arma 
et  commença  à  amonester  les  autres  à  eux  combatre  ver- 
tueusement et  hardiement.  Adoncques  vindrent  aucuns 
grans  seigneurs  qui  estoient  dans  l'ost  et  distrent  au  roy 
c|ue  ce  n'estoit  pas  chose  convenable  de  soy  combattre,  pour 
quatre  choses  :  la  première  si  estoit  car  il  estoit  vendredi  ; 
la  seconde  cause  quant  luy  né  ses  chevaux  n'avoient  beu  ne 
mangié;  la  tierce  cause  car  luy  et  son  ost  avoient  chevau- 
chié  cinq  lieues  grans  sans  boire  et  sans  mengier;  la  qua- 
triesme  cause,  pour  la  grant  difficulté  d'un  pas  qui  estoit 
entre  luy  et  ses  anemis.  Ces  choses  dites,  il  conseilloient  au 
roy  que  il  atendist  jusques  à  l'endemain  pour  soy  combat- 
tre; et  jasoit  ce  que  le  roy  ne  s'y  voulsistacorder,  toutes  voies 
fu-il  tant  mené  qu'il  s'i  acorda  ainsi  comme  maugré  luy;  et 
lors  commanda  à  tous  que  l'endemain  chascun  s'appareil- 
last  à  la  bataille;  laquielle  dilacion  et  lequiel  conseil  tourna 
à  très  grant  dommaige  avi  roy  et  à  tout  le  royaume  (2).  Car 
quant  le  roy  d'Angleterre  sceut  la  puissance  du  roy  de 
France,  il  se  départit  de  environ  mienuit  et  se  retrait  en 
l'empire.  Et  ainsi  fu  le  roy  de  France  Phelippe  défraudé 
dont  il  fu  moult  courroucié,  et  s'en  retourna  en  France 
sans  riens  faire.  Et  assez  tost  après  se  commencièrent  les 

(1)  Buirenfosse  ou  Buiroiifosse ,  aujourd'hui  bourg  du  département  de 
l'Aisne,  à  trois  lieues  de  La  Chapelle. 

(2)  On  peut  croire  que  le  souvenir  de  cette  première  faute  entraîna 
plus  tard  les  Icmcritcs  de  Crécy,  de  Toiiiers  et  d'Azincourl. 


(1339.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  379 

Flainens  à  rebeller  et  par  espécial  ceux  de  Gant;  et  à  l'énov- 
teinent  de  Jacques  d'Artlievelt ,  il  firent  hommage  au  roy 
d'Angleterre  comme  roy  de  France ,  et  laissièrent  leur 
droit  seigneur,  comme  faux  et  traistres  qvi'il  estoient. 
Quant  le  roy  d'Angleterre  qui  n'avoit  guères  estoit  venu 
à  l'Escluse  en  Flandres ,  sceiit  l'entencion  et  la  volenté 
que  les  Flamens  avoient  à  luy,  si  s'ordena  de  passer  en 
Angleterre  pour  avoir  or  et  argent  de  ses  sougiés,  afin  qu'il 
peust  assembler  un  graut  ost  pour  estre  en  l'aide  des  Fla- 
mens contre  le  roy  de  France. 

Item,  ce  meisme  an,  pluseurs  de  l'éveschié  de  Cam- 
bray  et  de  Teriasclie  ardirent  pluseurs  villes  en  la  terre 
monseigneur  Jehan  de  Hainaut.  Lors  manda  ledit  monsei- 
gneur Jehan  de  Hainaut  à  monseigneur  Jehan  de  Vervins  (1) 
qui  là  estoit  capitaine  de  parle  roy  de  France,  qu'il  se  voul- 
sist  combattre  à  luy;  si  le  récent  ledit  monseigneur  Jehan 
de  Vervins  très  volentiers  et  fu  certaine  journée  assignée 
pour  eux  combatre,  c'est  assavoir  le  jour  du  juedi  absolu, 
en  l'an  dessus  dit  :  à  laquielle  journée  ledit  messire  Jehan 
de  Hainaut  ne  manda  né  contremanda,  mais  malicieuse- 
ment d'autre  partie  se  tourna,  et  s'en  ala  vers  une  ville  que 
on  appelle  Aubenton,  de  laquielle  ville  les  gens  pour  partie 
s'en  estoient  aies  avecques  monseigneur  Jehan  de  Yervins  à 
ladite  journée,  pour  eux  combatre  contre  ledit  messire  Jehan 
de  Hainaut;  et  icelle  ville  il  pilla  et  ardi. 

En  ce  meisme  an,  les  fourbourgs  de  Bouloigne-sus-la- 
Mer,  avecques  aucuns  vaissiaux  qui  estoient  au  rivage  de  la 
mer,  furent  ars  par  les  Anglois. 


(1)  Jehan  de  Vervins.  Froissarl  le  nomme,  souvent  Jehan  de  Beaumont.  Il 
rloit  de  la  maison  de  Coucy.  Au  reste  ,  col  historien  qui  raconte  avec 
complaisance  la  iirise  d'Aui)cnlon  par  Jean  de  Ilaynaut ,  son  héros  df 
prédilection,  ne  dit  rien  de  l'ol'fre  de  combat  singulier  qui  en  fut  la  cause 
première.  (Voy.liv.  1,  part.  l,chap.  101  cl  102.) 


380  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 


XIX. 


Coinenl  le  roy  Phelippe  esmeiit  granl  ost  contre  FlaincnSy  Bre- 
bançons  et  Hanuiers;  et  cornent  il  eiwoia  son  ai/isnc//ls,  mes- 
sire  Jehan  de  France  duc  de  N or  mendie ,  pour  gaster  et 
destruire  la  terre  de  Hainaut. 

L'an  de  grâce  mil  trois  cens  quarante  fu  de  misère  et 
de  confusion  ;  car  entre  les  deux  roys  chose  ne  fu  faite 
fjui  mérite  louenge.  Mais,  comme  es  deux  ou  es  trois  années 
devant  passées,  moult  de  griefs  furent  fais  aux  églyses  de 
Dieu,  et  aux  povres  moult  de  exactions  très  grevables  à 
tout  le  commun  peuple.  Et  meismement  en  cest  an  ont 
encore  plus  efï'orciement  couru  ;  nonobstant  que  ce  n'ait 
pas  esté  au  profit  né  à  l'utilité  de  la  chose  publicjue  des 
deux  royaumes.  Dont  grant  doleur  a  esté,  mais  à  la  déshon- 
neur et  confusion  de  toute  la  claestienneté  et  de  sainte  uni- 
versal  mère  églyse,  de  laquielle  les  deux  devant  dis  princes 
meismement  etprincipaument  deussent  estre  deffendeurs  et 
sousteneurs. 

Item,  en  ce  meisme  an,  le  roy  d'Angleterre  cjui  estoit 
aUé  avec  les  Flamens  et  meismement  avec  ceux  de  Gant, 
si  se  départi  de  Flandres  et  passa  en  Angleterre,  si  comme 
l'en  disoit ,  pour  assembler  deniers  et  aide  et  ledit  roy 
luissia  en  son  lieu  le  conte  de  Salebière  et  le  conte  de  Auxone 
es  parties  de  Flandres  (1).  Si  orent  les  deux  contes  conseil 
et  délibéracion  ensemble  de  asségier  Lille  en  Flandres. 

(2)  En  ce  temps  gisoit  la  royne  d'Angleterre  d'enfant  à  St- 

(1)  Guillaume  de  Monlagu,  comte  de  Salisbury.  Au  lieu  du  comte 
d' Auxone  ou  OJîo««e;,  c'est-à-dire  Oxford,  Froissard  nomme  le  comte  de 
Sulïolk,  et  les  Actes  de  Rymcr,  Henry  de  Lancastrc,  comte  de  Derby. 

(2)  Ce  paragraphe  n'est  pas  dans  la  continuation  de  Nangis. 


(1340.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  381 

Bavon,  à  Gant,  et  estoit  demouré  avecques  luy  l'évesque  de 
Nicliole  (1)  ot  monseigneur  Guillaume  de  Montagu.  Quant 
la  royne  fu  relevée,  si  vint  monseigneur  Guillaume  de  Mon- 
tagu à  Ypre ,  et  tantost  le  requistrent  ceux  d'Ypre  que 
pour  Dieu  il  leur  voulsist  aidier  à  oster  une  compaignie  de 
Genevois  (2)  qui  estoient  près  de  eux,  à  une  ville  que  on  appel- 
loit  Armentières  ;  et  il  leur  respondi  que  volentiers  il  le  fe- 
roit,  et  que  il  iroit  avecques  eux,  mais  n'avoient  mie  moult 
de  gent.  Si  luy  respondirent  ceux  d'Ypres  que  assez  de  gent 
luy  livreroient.  Lors  assemblèrent  grant  quantité  d'Anglois 
et  de  Flamens  et  ordenèrent  leur  batailles ,  et  passèrent 
oultre  le  Lys,  et  vindrent  à  Armentières  ,  et  gaignièrent  la 
ville  sus  les  Genevois,  et  boutèrent  le  feu  par  tout.  Et  puis 
oient  conseil  avec  le  conte  de  Salebièi-e  et  le  conte  d'Auxone 
d'asségier  Lille  en  Flandres  et  se  mistrent  au  chemin,  et 
s'en  alèrent  en  une  abbaie  que  on  appelle  Marquetés.  Là 
ordenèrent  leur  batailles  et  les  firent  ilecques  attendre;  et 
lors  se  départirent  avec  le  conte  de  Salebière  et  avecques  ledit 
messire  Guillaume  (3)  environ  deux  cens  personnes  pour  aler 
veoir  de  quelle  part  il  porroientplus  ladite  ville  de  Lille  gre- 
ver; et  endenientres  qu'il  estoient  ilec,  ceux  de  la  ville 
issirent  hors  par  derrière,  et  avec  eux  un  chevalier  que  on 
appelloit  le  seigneur  de  Rebais  qui  les  concluisoit,  lequiel 
enclost  le  conte  de  Salebière  et  le  dit  messire  Guillaume  et 
ceux  qui  avecques  eux  estoient  entre  soy  et  ladite  ville  de 
Lille.  Et  lors  ledit  seigneur  de  Rebais  leur  courut  sus  avec- 
ques ceux  qui  estoient  issus  de  la  ville,  et  là  fu  getté  jus  de 
son  cheval  de  cop  de  lance  le  conte  de  Salebière,  et  fu 
inaleinent  navré  ;  et  ledit  messire  Guillaume  fu  pris  et  les 

(1)  Kichote.  Lincoln. 

(2)  Uencvoh.  Génois.  Froissart  n'a  pas  parle  de  ccUc  prise  tXAnnenii'e- 
res,  petile  ville  située  à  deux  lieues  de  Lille,  vers  Ypres. 

(3)  Guillaume,  C'est-à-dire  le  comte  d'OxI'ord. 


382  LliS  GRANDES  CHRONIQUES, 

autres  Anglois  et  Flaïuens  desconfis,  et  s'en  fuirent  pour 
partie.  Là  fu  mort  un  moult  riche  baron  d'Angleterre  et 
moult  preux  qui  avoit  à  nom  monseigneur  Guillaume  de 
Quilain  (1).  Quant  ceste  chose  fu  finée,  si  se  parti  le  sire  de 
Rebais,  et  mena  le  conte  de  Salebière  au  roy  à  Paris,  et  le 
fist   mettre   en   Chastelet    à   Paris ,   sous    certaine  garde. 

Item,  en  ce  meisme  an,  les  Flamens,  les  Brebançons  et 
les  Hanuiers  offrirent  pais  au  roy  de  France  sous  certaines 
condicions,  lesquelles  le  roy  ne  leur  voult  passer  né  ottroier; 
et  ainsi  se  partirent  leur  messages  sans  riens  faire. 

Item,  en  ce  meisme  an,  le  roy  de  France  esmut  un  grant  ost 
contre  les  Flamens,  les  Brebançons  et  les  Hanuiers,  et  s'en 
alla  à  Arras.  hî\  attendi  que  son  ost  fust  assemblé  ,  mais 
endementres  qu'il  assembloit  son  ost,  il  envoia  son  ainsné 
fils  messire  Jehan  de  France,  duc  de  Normendie,  pour  gaster 
la  terre  au  conte  de  Hainaut,  lequel  (2)  assembla  un  grant  ost 
à  Saint-Quentin  en  Vermandois,  et  s'en  ala  à  Cambray.  Et 
quant  il  fu  à  Cambray,  il  manda  assez  tost  après  toutes  les 
connestablies  qui  estoient  sus  les  frontières,  qu'il  venisent  à 
luy  ;  et  quant  elles  furent  toutes  venues,  il  s'en  ala  assé- 
gier  un  chastel  c[ue  on  appelle  Escandeuvre  (3),  et  fist  drescier 
les  engins  et  gietter  dedens  jour  et  nuit.  Si  n'avoit  encore 
pas  sis  ledit  monseigneur  Jehan  de  France  quinze  jours 

(1)  De  Quilain.  Variantes  :  De  Clibun.  Ce  doit  être  le  même  dont  par- 
lent ainsi  Froissarl  et  le  continuateur  de  Nangis.  Le  premier  :  «  Un 
»  écuyer  jeune  ot  pris  du  Limousin  ,  neveu  du  pape  Clément ,  qui 
»  s'appeloit  Raimont  ;  mais  depuis  qu'il  fu  créante  prisonnier  fu-il  occis, 
»  pour  la  convoitise  de  ses  belles  armures  ;  dont  moult  de  gens  eu  furent 
»  courouciés.  » —  Le  second  :  «  Ibi  cliam  quidam  nobilis  intcrfcctus  est, 
»  cujus  inimici,  amputato  capite,  omnino  celaverunt  ejus  nomen ,  et  fuit 
»  dictum  à  pluribus  quod  ipse  erat  rex  Anglia;...  Scd  finalitcr  rei  exitus 
»  contrarium  comprobavit.  » 

(2)  Lequel.  Jehan  de  France. 

(3)  Escandeuvre  ou  Escaitdœuvres  est  un  village  aux  portes  de  Cambray. 
Ce  qui  suit  n'est  plus  reproduit  dans  la  continuation  de  Nangis. 


(1340.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  383 

ilevant  ledit  chastel,  quant  le  roy  «le  France  vint  an  siège  ; 
et  sitost  comme  le  roy  fn  là  venu ,  tous  les  liaus  hommes 
(lu  royaume  le  suivirent,  et  assembla  alors  si  grant  ost  que 
ce  fu  merveille.  Et  au  cliief  de  trois  sepmaines,  se  rendirent 
ceux  du  chastel,  sauves  leur  vies  et  tout  leur  avoir  que  il 
emportèrent,  et  il  livrèrent  le  chastel.  Quant  les  gens  du 
roy  furent  dedens,  si  commenda  le  roy  que  tout  fust  mis  par 
terre  (1).  Après,  ala  asségier  un  autre  chastel  qui  estoit  à 
l'évesque  de  Cambray,  que  on  appelloit  Tun  l'Evesque  (2), 
lcc|uel  scoit  sus  la  rivière  de  l'Escaut ,  et  y  fist  gietter  des 
perières  et  des  mangonniaux.  Mais  ceux  dedens  se  deffen- 
dirent  si  bien  que  on  ne  gaigna  riens  sus  eux. 

Il  avoit  un  chastel  assez  près  de  eux  qui  estoit  au  conte 
de  Hainaut  que  on  appelloit  Bouchain,  duquel  la  garnison 
qui  estoit  dedens  faisoit  mainte  course  sur  l'ost  au  roy  de 
France.  Et  ne  demoura  mie  moult  que  le  duc  de  Brebaut 
et  le  conte  de  Guérie  et  grant  partie  du  pays  de  Flandi'es 
vindrcnt  pour  lever  le  siège  de  devant  Tun-l'Evesque  ;  et 
estoient  à  l'un  des  costés  de  la  rivière  et  le  roy  à  l'autre. 
Mais  à  la  fois  venoient  courir  les  uns  sus  les  autres  parmi 
pons  qu'il  avoient  fais,  et  y  ot  moult  de  bons  poignéis.  Et  y 
fu  fait  chevalier  à  l'un  des  poignéis  monseigneur  Phellppe, 
iils  au  duc  de  Bourgoigne.  Quant  le  chastelain  du  chastel 
vit  que  le  chastel  estoit  si  froissié  que  à  peine  avoit-il  lieu 
audit  chastel  là  où  bonnement  se  peust  retraire  sans  péril, 
si  fist  mettre  tous  ses  biens  en  nefs  et  fist  les  mener  oultre  ; 
puis  fist  bouter  le  feu  audit  chastel,  et  se  mist  en  une  nef 
et  sa  gent  avecques  luy,  et  s'en  alèrent  en  l'ost  des  Alc- 

(1)  Froissart,  dont  l'exaclitude  n'csl  pas  comparable  à  celle  de  nos 
clironiques,  ne  parle  pas  de  l'arrivée  du  roi  devant  ce  ch'itcau,  qui,  se- 
lon lui,  auroit  clé  rendu  au  bout  de  six  jours  par  la  trahison  du  gouver- 
neur, Girard  de  Sassegnies. 

(2)  Tun  l'Eve.'^quc  ou  Thuu.  Anjourd'liui  village  à  deux  lioucs  de  Cam- 
bra v. 


384  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

nians.  Et  le  loy  de  France  vit  le  cliastel  ardoir;  si  fist 
tantost  ses  gens  entrer  ens  par  escliielles.  Et  l'endeniain , 
une  heure  devant  le  jour,  se  parti  l'ost  des  Alemans  et  des 
Flamens  et  s'en  alèrent  en  leur  pays.  Et  tantost  après 
renvola  le  roy  de  France  monseigneur  le  duc  de  Normendie 
son  fils  et  le  duc  de  Bourgoigne  pour  essilier  la  terre  de 
Hainaut  ;  et  s'en  alèrent  au  Quesnoy,  et  ardirent  tous  les 
fourbours  de  la  ville.  Puis  niistrent  tout  le  pays  par  lequel 
il  passèrent  en  feu  et  en  flambe  ;  et  passèrent  à  une  ville 
près  de  Yalenciennes  ,  et  là  firent  courir  leur  coureurs 
devant  la  ville.  Et  quant  il  eurent  arse  toute  celle  partie 
de  la  terre  de  Hainaut,  si  s'en  retournèrent  en  l'ost  du  roy. 
Adonc  prist  le  roy  conseil  de  asségier  le  cliastel  de  Boucliain 
ou  de  départir  son  ost  ;  mais  son  conseil  luy  loua,  pour  ce 
qu'il  avoit  oï  nouvelles  que  le  roy  d'Angleterre  devoit  ar- 
river à  l'Escluse ,  qu'il  féist  son  retrait  sus  les  frontières 
es  bonnes  villes,  et,  après,  qu'il  s'en  alast  un  tour  en  France 
pour  faire  liaster  sa  navire  quant  elle  dcust  estre  preste 
au-devant  du  roy  anglois.  Ainsi  le  fist  le  roy  et  s'en  vint  en 
France. 


XX. 


De  la  granl  desconfilure  qui  fa  en.  mer  entre  le  navire  du  roy 
de  France  et  du  roy  d'Angleterre }  et  cornent  Buchetfu  pris 
et  pendu  ou  mat  d'une  nef. 

En  ce  meisme  an,  l'en  porta  nouvelles  au  roy  de  France 
que  le  roy  d'Angleterre,  qui  longuement  s'estoit  absenté, 
appareilloit  très  grant  navire  et  vouloit  venir  en  l'aide  des 
Flamens.  Quant  le  roy  ot  oï  ces  nouvelles,  car  autrefois  en 
avoit  oï  parler,  si  fist  tantost  assambler  toute  la  navie  qu'il 
pot  avoir  tant  en  Normendie  comme  en  Piquardie,  et  insti- 


(13iO.)  PHELIPPE  DE  VALOrS.  385 

tua  deux  souverains  amiraux ,  lesquels  ordonneroient  et 
commenderoient  ledit  navire ,  afin  que  le  roy  anglois  et 
messire  Robert  d'Artois  qui  estoit  avecques  luy  fussent 
euipeschiés  de  prendre  port. 

(I)  Et  lors,  furent  institues  souverains  de  tout  le  navire 
messire  Hues  Quieret,  messire  Nichole  Beuchet  et  Barbe- 
vaire,  lesquels  assemblèrent  bien  quatre  cens  nefs  de  par  le 
roy  de  France,  et  entrèrent  dedens  eux  et  leur  gens  avecques 
leur  garnisons.  Si  avint  que  Beuchet,  qui  estoit  un  des 
souverains,  ue  voult  recevoir  gentil  gent  aveques  soy  pour 
ce  qu'il  vouloient  avoir  trop  grans  gages;  mais  retint  povres 
poissonniers  et  mariniers  ,  pour  ce  qu'il  en  avoit  grant 
marchié  ;  et,  de  tieux  gens  fist-il  l'armée.  Puis  murent  et 
passèrent  par-devant  Calais  et  se  ti'aistrent  vers  l'Esclusc, 
tant  qu'il  furent  devant  ;  ilec  se  tindrent  tous  quois,  et  par 
telle  manière  que  nul  ne  povoit  entrer  né  issir.  Si  avint  que 
le  roy  d'Angleterre  qui  avoit  ses  espies  sceut  que  le  navire 
au  roy  de  France  estoit  passé  vers  Flandres.  Tantost  se  mist 
en  mer,  et  messire  Kobert  d'Artois  avecques  luy  et  moult 
grant  foison  de  gentilliommcs  d'Angleterre,  et  grant  plenté 
d'archiers.  Quant  ledit  roy  anglois  et  toute  sa  gent  furent 
près,  si  tendirent  leur  voiles  en  haut,  et  siglèrent  grant 
aleure  vers  l'Escluse,  et  ne  targèrent  guères,  par  le  bon  vent 
cjue  il  orent,  cju'il  approchièrent  de  la  navire  au  roy  de 
France  et  se  mistrent  tantost  en  conroy.  Quant  Barbevaire 
les  apperçut  qui  estoit  en  ses  galies,  si  dist  à  l'amiraut  et  à 
Nichole  Beuchet  :  «  Seigneurs,  vez-ci  le  roy  d'Angleterre 
»  à  toute  sa  navire  qui  vient  sus  nous  ;  se  vous  voulez  croire 
»  mon  conseil ,  vous  vous  trairez  en  haute  mer  :  car  se 
»  vous  dcmourez  ycl,  parmi  ce  qu'il  ont  le  vent,  le  souleil 


(1)  La  fin  (lu  chapitre  ne  se  retrouve   plus  dans  la  continuation  de 
Nangis. 

33 


386  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

^)  elle  flot  de  l'yaue,  il  vous  lendiont  si  court  que  vous 
»  ne  vous  pouncs  aidier.  »  —  Adonc ,  respondit  Nichole 
Beuchet  que  miex  se  saroit  (1)  meller  d'un  compte  faire 
que  de  guerroier  en  mer  :  »  Honnis  soit  qui  se  partira  de 
»  ci,  car  yci  les  attendrons  et  prendrons  notre  aventure.  » 
Tantost  leur  dit  Barbevaire  :  »  Seigneurs,  puisque  vous  ne 
»  voulez  croire  mon  conseil,  je  ne  me  veulx  mie  perdre,  je  me 
»  mettrai  avecques  mes  quatre  galies  hors  de  ce  trou  (2).  »  Et 
tantost  se  mist  hors  du  haie  (3)  à  toutes  ses  galies,  et  virent 
venir  la  grant  flote  du  roy  d'Angleterre.  Et  vint  une  nef 
devant  qui  estoit  garnie  d'escuiers  qui  dévoient  cstre  che- 
valiers, et  ala  assambler  à  une  nef  que  on  appelloit  la  Riche 
de  l'Eure  :  mais  les  Anglois  n'orent  durée  à  celle  grant  nef, 
si  furent  tantost  desconfis  et  la  nef  acravantée  et  tous  ceux 
qui  dedens  estoient  mis  à  mort ,  et  orent  nos  gens  belle 
victoire.  Mais  tantost  après  vint  le  roy  d'Angleterre  assam- 
bler aux  gens  de  France  à  toute  sa  navire  ,  et  commença 
ilec  la  bataille  moult  crucle  ;  mais  quant  il  se  furent  com- 
batus  depuis  prime  jusques  à  haute  nonne,  si  ne  pot  plus 
la  navire  du  roy  de  France  endurer  ne  porter  le  fès  de  la 
bataille  ;  car  il  estoient  si  entasses  l'un  en  l'autre  cju'il  ne 
se  povoient  aidier  ;  et  si  n'osoient  venir  vers  terre  pour 
les  Flamens  cjui  sus  terre  les  espioient  ;  et  avecque  ce,  les 
gens  que  l'en  avoit  mis  es  nefs  du  roy  de  France  n'estoient 
pas  si  duis  d'armes  comme  les  Anglois  estoient,  qui  estoient 
presque  tous  gentilshommes.  Ilec  ot  tant  de  gens  mors  que 


(1)  Se  snroil.  Lui  Bcuchct  se  saroit. —  En  mer.  En  pleine  mer. 

(2)  La  conlinualion  de  Nangis  dit  seulement,  au  lieu  de  tout  ce  qui 
précède  :  «  Licol  aliqui  consulerent  in  mcdio  maris  obviare  sibi  mcliùs 
»  esse  ad  fincm ,  quod  nec  Anglici  ncc  Flammingi  posscnt  ibi  auxilium 
»  ferre.  »  J'ai  regret  de  dire  que  M.  Dacicr,  dans  les  notes  de  Froissart, 
liv.  l,part.  1^  p.  lOG,  n'a  pas  bien  compris  cet  endroit  de  nos  Chroniques 
qu'il  a  cite. 

(3)  Ilole.  Varianio  :  IluHe.  Pcul-ctre  pour  Uavrc, 


(13ZiO.)  PIIELIPrE  DE  VALOIS.  387 

ce  fil  grant  iiitié  à  veoir  ;  et  estiinoit  -  on  bien  le  nombre 
Jes  mors  jusques  près  de  trente  mille  hommes  ,  tant  d'une 
part  que  d'autre.  Là  fu  mort  messire  Hues  Qiiieret , 
nonobstant  qu'il  fiist  pris  tout  vif,  si  comme  aucuns 
disoient ,  et  messire  Nichole  Beuchet,  lequel  fu  pendu  au 
mat  de  la  nef,  en  despit  du  roy  de  France.  Et  lorsque  Bar- 
bevaire  vit  que  la  chose  aloit  àdesconfiture,  si  se  retrait  à 
Gant  ;  et  furent  les  nefs  au  roy  de  France  perdues  ;  et  avec- 
que  ce,  les  deux  grans  nefs  au  roy  d'Angleterre,  Christoffle 
et  Edouarde,  que  le  roy  anglois  avoit  par  avant  perdues , 
liiy  furent  restituées.  Et  ainsi  furent  nos  gens  desconfis  par 
le  roy  d'Angleterre  et  par  les  Flamens,  et  nos  nefs  perdues 
exceptées  aucunes  petites  nefs  qui  s'en  eschappèrent.  Et 
avint  ceste  desconfitiire  par  l'orgueil  des  deux  amiraux  ;  car 
l'un  ne  povoit  souffrir  de  l'autre,  et  tout  par  envie  ;  et  si 
ne  vouldrent  avoir  le  conseil  de  Barbevaire,  comme  devant 
est  dit  :  si  leur  en  vint  mal  ainsi  comme  pluseurs  le  témoi- 
gnoient. 

Quant  la  chose  fu  6née,  et  cpie  le  roy  d'Angleterre  ot  eu 
celle  grant  victoire  ,  lequel  roy  fu  navré  en  la  cuisse,  mais 
oiiques  n'en  voiilt  issir  de  la  nef  pour  celle  navreure  ;  et 
toutes  voies  messire  Robert  d'Artois  et  les  autres  barons 
d'Angleterre  pristrent  terre  à  l'Escluse  et  se  reposèrent 
ilecques.  Ceste  bataille  fu  faite  la  veille  de  la  nativité  mon- 
seigneur saint  Jehan-Baptiste,  l'an  de  grâce  mil  trois  cens 
quarante  (1). 

Quant  la  royne  d'Angleterre  qui  estoit  à  Gant  sceut  que 
le  roy  son  mari  estoit  arrivé,  tantost  se  mist  à  la  voie  vers 
l'Escluse,  et  le  loy  se  gisoit  en  sa  nef;  car  il  avoit  esté  bles- 
ciéenla  cuisse,  et  tenoit  son  parlement  avec  ses  barons  sus 
le  fait  de  sa  guerre.  Quant  le  conseil  fu  départi,  si  se  mist  la 

(1)  Le  23  juin. 


388  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

loyne  en  un  batel  et  vint  à  la  nef  du  roy  et  Jacques  de 

Aithevelt  avec  luy. 

Quant  la  royne  ot  veu  le  roy  et  qu'il  orent  parlé  ensemble, 
si  se  reparti  la  royne  et  s'en  ala  vers  Gant.  Assez  tost  après 
que  le  roy  fust  amendé  de  la  blesceure  qu'il  avoit  eue,  il  se 
niist  à  terre  et  s'en  ala  en  pèlerinage  à  pié  à  Nostre-Danie 
d'Hardenbourc  (1),  et  envoia  ses  gens  d'armes  et  son  har- 
nois  et  ses  chevaux  et  ses  archiers  vers  Gant. 

Quant  il  ot  fait  son  pèlerinage,  si  s'en  vint  à  Bruges,  et 
puis  prist  avec  luy  les  niestiers  de  la  ville  et  s'en  ala  à  Gant 
où  il  fu  reçu  à  moult  grant  joie.  Puis  fist  mander  tous  les 
Alemans  qui  estoient  de  s'aliance,  qu'il  vinssent  à  luy  pour 
avoir  conseil  avecques  eux  sur  ce  qu'il  avoit  à  faire. 

Ilec  fu  ordené  que  le  roy  d'Angleterre  feroit  deux  osts, 
desquels  il  auroit  un  avecques  ceux  de  Gant  et  de  la  terre 
d'Alos  et  les  princes  d'Alemaigne,  et  s'en  iroit  devant  Tour- 
nay;  et  l'autre  menroit  messire  Robert  d'Artois  qui  avoit 
avecques  luy  grant  quantité  d'archiers  d'Angleterre,  et  si 
avoit  avecques  luy  ceux  de  la  ville  de  Bruges  et  du  Franc  et 
de  Diquenme,  d'Ypre,  de  la  chastellerie  dePoperingues,  de 
Cassel,  de  Bailleul  et  ceux  du  terrouer  de  Furnes,  de  Ber- 
gues  et  de  Bourbourc  :  tous  ceux-ci  vindrent  ensemble 
avecques  messire  Robert  d'Artois  vers  la  ville  de  Saint- 
Omer  et  s'arrestèrent  à  Cassel ,  et  ileccjues  assemblèrent 
leur  gens.  Le  roy  d'Angleterre  se  parti  de  Gant,  et  s'en  ala 
logier  au  Pont-d'Esplre  (2),  à  deux  lieues  de  Tournay  :  mais 
le  corps  du  roy  estoit  à  Eslin  une  maison  c^ui  estoit  à  l'é- 
vesque  de  Tournay. 

(1)  Uardenbourc on  Ardembowg,  place  forte  rasée,  proche  de  i'Esc/ust;. 

(2)  Pont  d'Espire.  Ce  doit  être  Epière,  entre  Courlrai  et  Tournai.  — 
Pour  Eslin,  ce  doit  être  Uelchin,  situé  près  d'Epiei-e.  La  lettre  d'Edouard 
à  Philippe  de  Valois  porte  la  date  d'Escliyn  sur  l'Escaut,  delès  Tournai/, 
cl  non  pas  sur  les  champs,  comme  on  lit  dans  Rymer. 


(1340.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  aSD 


XXI. 

Du  granl  appareil  cl  coiiroi  que  le  ro)'  de  France  cl  le  roy  d' An- 
gleterre firent  l'un  contre  l'autre,  cl  cornent  F kuncns  fu- 
rent desconfis. 

(1)  Quant  le  roy  de  France  entendit  que  le  roy  d'Angleterre 
avoit  ainsi  son  ost  ordené,  comme  de  venir  asségier  les  deux 
clés  de  son  royaume  à  un  cop,  si  assembla  son  ost  en  giant 
quantité  et  en  grant  haste,  et  envoia  le  connestable  de 
France,  le  conte  de  Foix  et  le  maresclial  Bertran  à  la  ville 
de  Tournai,  à  trois  mille  hommes  d'armes.  Et  si  envoia  à 
Saint-Omer  le  duc  de  Bourgoigne  et  le  conte  d'Armagnac, 
à  quarante-deux  banières,  lesquelles  nous  nommerons  pour 
la  raison  de  la  bataille.  Il  y  i'u  le  duc  de  Bourgoigne,  mes- 
sire  Jehan  son  fds,  le  sire  de  Vergi,  monseigneur  Guillaume 
de  Vergi  son  oncle,  messire  Jehan  de  Ferlay  (2),  le  sire  de 
Pennes  et  son  oncle  le  conte  de  Montbéliart,  le  sire  de  Rey 
son  compaignon ,  messire  Jehan  de  Chaalon,  messire  Guy 
Yulpins  son  compaignon.  De  Flandres  y  furent  le  sire  de 
Guistele,  le  sire  de  Saint- Venant,  le  chastelain  de  Bergues, 
le  chastelain  de  Diqueune.  Du  conté  d'Artois  y  fu  mon- 
seigneur Jehan  de  Chastillon,  niessire  Moriau  de  Fiennes, 
lé  sire  de  Wavrin  ,  le  sire  de  Hamelincourt ,  le  sire  de 
Querc^ui,  le  sire  de  Fosseus  (3),  le  sire  de  Guilerval.  Le  conte 
d'Armagnac  avoit  seize  banières  en  sa  bataille.  Et  le  roy  de 
France  assembla  son  ost  qui  estoit  moult  grant  entre  Lens 

(1)  Piien  de  ce  précieux  chaiiitrc  ne  se  reliouve  dans  la  conlinuation 
de  Wangis. 

(2)  Ferlay.  Fielni,  suivant  Froissart. 

(3)  l'ossiius.  Variante  ;  l'aieuuU. —  fp'avvin.  Variante  :  vunincin. 

33. 


390  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

et  Anas.   Mais  encore  n'estoit  pas  advisé  de  quel  part  il 
vouldroit  tourner. 

Or  vous  dirai  de  monseigneur  Robert  d'Artois  qui  estoit  à 
Cassel,  et  ylec  assembla  son  ost  pour  venir  à  Saint-Omer; 
mais  ceux  de  Furnes  et  de  Bergues  qui  estoient  moult  grant 
gens  et  tous  combatteurs  estoient  issus  de  leur  pays  et  es- 
toient venus  à  une  lieue  près  de  Cassel,  à  vme  ville  que  l'en 
appelle  Bambèque,  et  là  distrent  qu'il  n'iroient  plus  avant, 
car  autrefois  on  les  avoit  menés  vers  Saint-Omer ,  mais 
oncques  bien  ne  leur  en  vint.  Quant  monseigneur  Robert 
d'Artois  ot  ce  oi,  si  prist  conseil  à  ses  clievaliers  et  à  ceux  de 
Bruges,  et  puis  s'en  ala  à  eux  à  Bambèque  et  parla  à  ceux 
de  Furnes  et  de  Bergues  et  leur  dist  que  liardiement  il  venis- 
sent  avant,  car  il  estoit  tout  asseuré  de  la  ville  de  Saint- 
Omer,  et  avoit  déjà  receues  deux  paires  de  lettres  que  si  tost 
comme  il  veuroient  devant  la  porte,  ceux  de  la  ville  les  lai- 
roient  entrer  et  luy  livrerolent  le  duc  de  Bourgoigne,  et  de 
ce  estoit-il  tout  asseuré.  La  mescbéant  (I)  gent  le  crurent; 
si  firent  que  fous  et  alèrent  avant.  Mais  il  distrent  cpi'il  ne 
passeroient  jà  le  Neuf-Fossé  se  il  n'estoient  mieux  asseurés. 
Quant  messire  Robert  d'Artois  vit  qu'il  les  mettroit  avant 
par  telle  voie,  si  en  ot  grant  joie;  et  fist  tantost  ses  arcliiers 
courre  par  la  terre  d'Artois  et  bouler  le  feu.  Quant  le  duc 
vit  le  feu  en  sa  terre,  tantost  fist  sonner  sa  trompeté  et  issi 
ses  batailles  toutes  oïdenées  hors  de  la  ville.  Et  cjuant  les 
arcliiers  sceurent  qu'il  venoient,  si  s'en  cuidèrent  r'aler;  mais 
les  gens  du  duc  les  retindrent,  et  entrèrent  bien  soixante 
droitement  à  un  pas  que  on  appelle  le  pontHasequin  (2).  Le 


(1)  Meschéanl.  Le  mot  méchanl  ou  méchéant  n'avoil  pas  autrefois  d'autre 
sens  que  celui  de  malheureux,  non  fortune,  mal  chanceux.  Puis  on  l'appli- 
qua aux  prédestinés  de  l'enfer;  puis  enfin  il  usurpa  le  sens  absolu  de 
mauvais.  Racine  a  dit  l'un  des  premiers  :  «  Le  bonheur  des  méchans....  » 

(2)  Pont  Uascqitin.  Sur  le  ISeuf-Fossi,  au-dessous  de  Saint-Omer. 


(I3i0.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  391 

duc  se  tint  aux  champs  une  pièce,  et  quant  il  vit  que  nul 
ne  venoit,  il  s'en  retourna  à  la  ville.  Lors  fist  messire  Robert 
d'Artois  deslogier  son  ost  et  troussier  ses  tentes,  et  s'en  vint 
vers  Saint-Omer.  Ceux  de  Bruges  qui  avoient  la  première 
bataille  et  conduisoient  le  charroy,  s'en  vindrent  à  une  ville 
]>iès  de  Saint-Omer  que  on  appelle  Arques;  mais  ceux  de 
Furnes  ne  vouloient  passer  le  Neuf-Fossé,  si  comme  il  avoient 
par  avant  dit.  Quant  messire  Robert  d'Artois  vit  qu'il  ne 
vouloient  aler  avant,  si  fist  courre  une  nouvelle  par  devers 
eux,  que  ceux  de  Bruges  se  combattoient  et  que,  pour  Dieu, 
il  les  voulsissent  secourre.  Quant  il  oïrent  ces  nouvelles,  si 
laissièrent  leur  propos  et  s'en  vindrent  grant  aleure  vers  la 
ville.  Et  quant  il  vindrent  à  Arques,  il  trouvèrent  ceux  de 
Bruges  qui  se  logeoient.  Endementres  qu'il  se  logeoient, 
vindrent  les  archiers  courre  jusques  à  la  porte,  et  portoient 
une  banière  des  armes  messire  Robert  d'Artois,  et  traioient 
si  dru  vers  la  porte  que  c'estoit  merveille.  Quant  ceux  qui  à 
la  porte  estoient  les  oïrent  ainsi  traire,  si  issirent  hors  tout  à 
un  cop,  et  coururent  à  eux;  mais  il  ne  les  attendirent  mie, 
ains  s'en  fuirent  et  ceux  de  Saint-Omer  les  chascièrent  jus- 
ques à  la  maladerie,  et  ainsi  paletoit-on  moult  souvent. 
Mais  oncques  le  duc  né  hommes  d'armes  ne  s'en  murent. 
Et  tant  paletèrent  que  les  Flamens  furent  tous  logiés.  Et 
quant  il  furent  tous  logiés,  il  boulèrent  le  feu  en  la  ville 
d'Arqués  et  l'ardirent  toute.  Celle  meisme  journée  vint 
le  conte  d'Armagnac  à  tout  son  ost  en  la  ville.  Le  roy  de 
France,  qui  avoit  son  ost  assemblé  pour  aler  vers  Tournay, 
si  fist  mouvoir  son  ost  pour  aler  vers  Saint-Omer  en  grant 
haste.  Les  Flamens  qui  estoient  dessus  Arques  aloient 
l)resque  tous  les  jours  paleter  jusques  aux  fourbours  de 
Saint-Omer;  et  faisoient  par  nuit  si  grant  lumière  en  leur 
ost,  que  la  lumière  resplendissoit  jusques  à  la  ville;  et  si 
faisoient  chascun  jour  moultgrantassausàun  petit  chastelel 


392  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

qui  estoil  au  duc  de  Bourgoigne,  que  on  appelle  Ruhout  ; 

mais  oncques  pour  assaut  qu'il  féisseut  ne  le  porent  gaaignier. 

Quant  messiie  Robert  d'Artois  sceut  que  le  roy  de  France 
venoit  vers  luy  et  qu'il  avoit  laissié  Tournay  ,  si  se  hasta 
moult  de  sa  besoigne.  Par  un  mercredi  matin  tous  les  capi- 
taines de  son  ost  assembla  et  leur  dist  :  «  J'ay  oï  nou- 
»  velles  que  je  vaise  (1)  vers  la  ville,  et  que  tantost  me  sera 
>>  rendue.  »  Tantost  se  coururent  armer  et  disoient  l'un  à 
l'autre  :  «  Or  tost^  compains,  nous  boirrons  encore  à  nuit  (2) 
»  de  ces  bons  vins  de  Saint-Omer.  »  Quant  les  batailles  fu- 
rent ordences,  si  s'en  alèrent  de  leur  tentes  et  vindrent  le 
grant  chemin  parmi  Arques  ,  vers  la  ville  de  Saint-Omer. 
Et  au  premier  front  devant  vint  messire  Robert  d'Artois, 
et  avoit  avecques  luy  deux  banières  d'Angleterre,  et  tous 
ceux  de  Bruges  et  les  archiers;  et  ne  s'arrestèrent  que  jus- 
ques  à  tant  c]u'il  vinrent  à  une  arbalestée  près  de  la 
Maladerie;  et  ilec  s'arrestèrent  et  avoient  fossés  devant 
eux,  si  que  on  ne  povoit  venir  à  eux;  et  avoient  par  devant 
eux  mis  bretesclies  qui  avoient  grans  broches  de  fer  et  es- 
toient  couvertes  de  toile,  afin  que  on  ne  les  peust  aper- 
cevoir. Et  en  l'autre  bataille  après,  qui  moult  estoit  grant, 
furent  ceux  du  Franc. 

A  l'autre  costé,  sus  le  mont  de  lez,  à  la  costière  d'Arqués, 
furent  arrangiés  ceux  d'Ypre,  qui  estoient  grant  quantité; 
et  entre  ces  deux  batailles  estoient  arrangiés  ceux  de  Furnes 
et  de  Bergues,  et  leur  chastelleries.  Et  pour  garder  les  ten- 
tes, estoient  demourés  ceux  de  Poperingues  et  toute  la  chas- 
tellerie  de  Cassel  et  de  Bailleul.  Or  y  avoit  un  fossé  traver- 
sant qui  s'estendoit  de  la  bataille  d'Ypre  qui  estoit  sus  le 
mont  jusques  à  la  bataille  messire  Robert  d'Artois. 

(1)  Que  je  vaise.  Qui  exigent  que  j'aille. 

(2)  Encore  hmdt.  La  nuit  prochaine.  En  Tourainc  on  dit  encore  à  nuit 
pour  aujourd'hui.  Ainsi  les  anciens  Gaulois. 


(1340.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  3î);i 

Quant  les  chevaliers  qui  estoient  à  Saint-Omer  virent  les 
Flamens  rangiés  au  bout  des  fourbours  de  la  ville,  si  issi- 
rent  hors  par  routes  sans  conroy;  et  furent  jà  issus  tous  les 
bannerés,  excepté  le  duc  de  Bourgoigne  et  le  conte  d'Arnù- 
gnac,  avec  toutes  leur  batailles;  et  la  cause  pourcpioy  le  duc 
ne  issi  si  fu  telle  :  car  le  roy  lui  avoit  mandé  qu'il  ne  se  coni- 
battist  pas  à  Robert  d'Artois  né  à  son  effort,  sans  luy. 
Quant  les  chevaliers  furent  venus  en  plain  pays  où  les  Fla- 
mens estoient  arrangiés,  moult  firent  de  courses  sus  eux, 
mais  oncques  ne  les  porent  entamer,  et  durèrent  ces  courses 
de  midi  jusques  à  complies  ou  environ. 

Quant  le  duc  de  Bourgoigne  vit  que  ses  anemis  estoient  si 
près  de  luy,  si  appella  le  conte  d'Armignac  et  ses  conseil- 
leurs et  leur  dist  :  «  Seigneurs,  que  me  louez- vous?  je  ne 
»  puis  veoii'  voie  que  je  ne  soie  aujourd'hui  déshonnoré, 
»  ou  que  je  ne  désobéisse  au  roy.  »  Adont  dist  le  conte 
d'Armignac  :  «  Sire,  à  l'aide  de  Dieu  et  de  vos  bons  amis, 
»  à  lapais  du  roy  vendrous-nous  bien.  »  Tantost  dit  le  duc  : 
Il  Or,  nous  alons  armer,  de  par  Dieu  et  de  par  monseigneur 
»  Saint-Georges.  »  Quant  il  fu  armé,  si  issi  de  la  ville  et 
n'avoit  pas  plus  haut  de  cinquante  hommes  d'armes  avec- 
ques  luy,  et  s'en  ala  droit  à  la  Maladerie,  sans  arrester.  Et 
là  trouva,  à  l'encontre  de  luy,  la  bataille  messire  R.obert 
d'Artois.  Après,  issi  le  conte  d'Armignac  cjui  avoit  bien 
huit  cens  hommes  d'armes  desquiex  il  en  y  avoit  bien  trois 
cens  armés  parfaitement;  et  celle  bataille  .se  trait  vers  ceux 
d'Ypre  qui  estoient  à  destre.  Quant  les  Bourguignons  virent 
le  duc  aux  champs,  si  se  trairent  vers  luy;  mais  les  Arti- 
siens  et  les  Flaniens  qui  de  la  partie  au  roy  estoient,  se  tin- 
drent  tous  quoy  en  la  champaigne  où  il  estoient.  Adonques, 
vinrent  les  grandes  batailles  de  Bergues  et  de  Furnes  et 
du  Franc  à  travers  les  champs,  et  leur  coururent  sus;  et  les 
Artisieus  et  les  Flamens  se  deffendoient  contre  eux.  IMais 


394  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

(juaut  il  vindreuL  au  fossé  qui  traveisoit,  si  ne  poreut  aler 
oultre  :  tantost  retournèrent  les  Lanières;  et  en  retournant 
et  maint  haut  homme  desconfit  ;  et  s'eufuioient  de  tous 
costés  emmi  les  champs  et  laissoient  leur  seigneur  le  duc 
de  Bourgoigne  es  mains  de  ses  anemis,  se  la  grâce  de  Dieu 
ne  l'eus t  sauvé. 

Tantost  que  les  Flamens  virent  les  banières  retraire,  si 
saillirent  oultre  le  fossé  à  grant  routes  et  coururent  après 
eux,  et  les  cuidoient  avoir  desconfis;  mais  quant  les  Arti- 
siens  les  virent  oultre,  si  tournèrent  leurs  banières  et  leur 
coururent  sus  par  très  grant  courage.  Et  commença  ilec  la 
bataille  par  telle  manière  que  en  la  fin  les  Flamens  furent 
desconfis.  Et  le  conte  d'Armignac  s'en  ala  vers  ceux  d'Ypre; 
et  tantost  qu'il  le  vii'ent  venir  vers  eux  si  s'enfuirent,  si  que 
on  ne  sceust  oncques  bonnement  quel  chemin  il  tindrent. 
Et  lois,  le  conte  se  retrait  vers  ceux  qui  chaçoient  les 
fuians;  et  en  celle  fuite  y  ot  moult  grant  quantité  de  Fla- 
mens et  de  ceux  de  la  partie  Robert  d'Artois  mors.  Ende- 
mentres  que  les  Artisiens  et  le  conte  d'Armignac  se  combat- 
toient  et  chaçoient  les  Flamens  vers  Arques,  messire  Robert 
«l'Artois,  avecques  toute  sa  bataille,  vit  le  duc  de  Bourgoigne 
rester  devant  la  Maladerie;  si  fist  mettre  ses  engins  arrières, 
et  vint  à  tout  un  grant  hui  vers  la  ville  de  Saint- Omer. 
Quant  les  gens  au  duc  le  virent  venir  si  se  trairent  hors  du 
chemin  par  devers  les  champs  ,  et  monseigneur  Robert 
d'Artois  les  cuida  avoir  surpris  emmi  la  rue  des  forbours, 
car  les  gens  d'armes  ne  peussent  là  avoir  ayde  contre 
les  gens  de  pié,  mais  il  failli  à  s'entente.  Tantost  il  se  retrait 
à  toute  sa  bataille  vers  la  porte  de  la  ville  de  Saint-  Omer. 
Et  de  rechief  cuida  encore  ledit  messire  Robert  d'Artois 
avoir  seurpris  ledit  duc  de  Bourgoigne;  mais  ainsi  comme 
Dieu  le  voult,  ceux  cjui  estoienl  en  la  porte  recogneurent 
leur  banières,  tantost  commencièrent  à  traire  et  à  gietter 


(liiO.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  305 

vers  eux;  mais  l'entrée  de  la  ville  fu  si  apressiéc  de  gens 
que  nul  n'i  pot  entier  né  issir  de  ceux  qui  s'enfuirent  vers 
la  ville.  Quant  monseigneur  Robert  d'Artois  et  ses  gens  virent 
qu'd  avoient  failli  à  leur  entente ,  si  aconsuirent  aucuns 
chevaliers  qui  s'en  venoient  vers  la  ville  à  recours  et  là  les 
tuèrent  un  pou  devant  la  porte.  Et  y  fu  tué  le  sire  de  Ha- 
melincourt,  monseigneur  Froissart  de  Biaufort  et  un  autre 
chevalier  d'Espaignequc  onappelloit  seigneur  de  St-Verain, 
un  chevalier  de  Bourgoigne  que  on  appelloit  le  seigneur  de 
Branges;  et  là  fu  tué  un  chevalier  d'Angleterre  qui  portoit 
échequeté  d'argent  et  tle  gueule  ,  et  fu  trait  tout  parmi  la 
cervelle.  Et  puis  ordenèrent  leur  batailles  et  se  restraistrent 
vers  Arques.  Mais  cjuant  il  furent  issus  des  forbours,  le  duc 
qui  ralioit  sa  gent  et  les  atcndoit  leur  vouloit  courre  sus. 
Mais  pour  ce  qu'il  cstoit  nuit,  ne  le  vouldrent  ses  gens 
souftrir.  Puis  passa  la  bataille  messire  Robert  d'Artois 
oultre  le  chemin,  toute  ordenée,  criant  à  haute  voie  Saint- 
Georges  {\).  Le  conte  d'Armignac  et  les  Artisifins  qui  avoient 
chacié  les  desconfis  et  ne  savoient  riens  de  ce  qui  avoit  esté 
fait  devant  la  ville,  encontrèrent  monseigneur  Robert  d'Ar- 
tois et  toute  sa  bataille;  mais  il  ne  le  cogneurent  mie,  pour 
ce  qu'il  estoit  trop  tart;  et  en  y  ot  aucuns  seiirpris  en  eux 
cpii  furent  tués.  Là  fu  pris  un  chevalier  de  Bourgoigne  cjue 
on  appelloit  monseigneur  Guillaume  de  Juily.  A  ce  jour, 
leva  banièrc  le  conte  de  Molison,  c[ui  fu  au  conte  d'Armi- 
gnac; et  fu  nouvel  chevalier  et  si  leva  banière  de  Sainte- 
Croix,  et  un  autre  chevalier  d'Artois  cpie  on  appelloit  le 
seigneur  de  Rely.  Ilcc  ot  maint  chevaliers  nouveaux  fait. 

Le  duc  de  Bourgoigne,  quant  il  ot  ralié  ses  gens,  s'en  vint 
vers  la  ville  à  grant  joie.  Et  ceux  de  la  ville  issirent  contre 
lu  y  à  torches  et  le  menèrent  en  la  ville. 

(1)  Saint-Geor(jcs.  Il  pareil  qu'alors  c'ctoit  le  cri  de  guerre  de  Bour- 


306  LES  GRANDES  CHRONIQUES 

Là  peust-on  oir  maint  cris  de  chevaliers,  et  entièrent  à  si 
grant  joie  en  la  ville  que  à  paine  y  eust-ou  oï  Dieu  tonnant. 
Puis  fist-on  aporter  les  chevaliers  qui  gissoient  mors  dehors 
la  ville  et  furent  l'endemain  enterrés  à  grant  pleurs.  Geste 
bataille  fu  l'endemain  du  jour  de  lafeste  monseigneur  saint 
Jacques,  au  moys  de  juillet.  Tan  de  grâce  mil  ti'ois  cens 
quarante. 

Quant  messire  Robert  d'Artois  fu  revenu  à  ses  tentes,  la 
lumière  estoit  jà  toute  alumée,  mais  il  n'i  trouva  nuUui,  car 
tous  s'en  estoient  fuis  et  avoient  laissié  tentes  et  harnois,  et 
tout  quanqu'il  avoient  pour  la  greigneur,  par  derrière  eux, 
et  estoient  si  desconfis  que  jà  ne  cuidèrent  venir  à  Cassel.  Et 
en  mourut  grant  foison  en  la  voie  c[ui  estoient  tous  trais  et 
navrés. 

L'ost  qui  estoit  avecques  monseigneur  Robert  d'Artois  de 
la  partie  des  Flamens  fu  par  connestablie  à  soixante  mille, 
sans  leur  charroy,  et  les  mors  furent  nombres  à  trois  mille. 

Quant  messire  Robert  vit  que  ses  gens  estoient  ainsi  fuis, 
si  monta  tantost  et  ne  tarda  oncques  juscjues  à  tant  que  il 
fu  à  Cassel  sus  le  Mont;  et  là  cuida  bien  estre  tué  de  ses 
gens,  né  onqucs  n'i  fu  à  sauveté  jusc[ues  à  tant  qu'il  fu  à 
Ypre.  Puis,  vous  dirai  du  duc  de  Bourgoigne  qui  estoit 
entré  en  la  ville  de  Saint-Omer,  et  là  se  reposoient  toutes 
ses  gens  d'armes.  Toute  la  nuit  coururent  destriers  par  les 
champs,  et  les  gens  ne  savoient  où  aler;  mais  deux  chevaliers 
qui  estoient  à  l'évesque  de  Terouane,  qui  faisoient  le  guet  et 
ne  savoient  riens  de  la  bataille,  vindrent  courant  jusques 
bien  près  des  tentes,  si  ne  virent  âme.  Et  quant  vint  en 
l'aube  du  jour,  si  virent  que  tous  s'en  estoient  aies.  Tantost 
entrèrent  es  tentes  et  pristrent  du  plus  bel  et  du  meilleur 
qu'il  trouvèrent,  si  qu'il  furent  tous  chargiés.  Et  l'endemain, 
auant  on  le  sceut  en  ville,  là  peust-on  veoir  maint  liommc 
à  pié  et  à  cheval  courre  au  gaaing,  et  ne  fina  onques  toute 


(1340.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  397 

jour  tl'amcnei  chars  el  charetes,  chargiés  de  tentes  et 
d'autres  estoffes  de  guerre  ;  et  gaaiguèrent  si  grant  avoir 
que  ce  fu  grant  merveille. 

Et  moururent  bien  ilec  douze  cens  chevaux  que  on  fist 
tous  ardoir  pour  la  punaisie  ;  et  fist-l'cn  jetter  les  mors  en 
grans  charniers  (1). 

Et  messire  Robert  d'Artois  qui  estoit  à  Ypre  n'i  osa  plus 
demourer,  ains  s'en  retourna  en  l'ost  (Ui  roy  d'Angleterre 
qui  estoit  devant  Tournay.  Et  fu  le  pays  de  Flandres  si 
desconfis  que  mil  homes  d'armes  eussent  bien  desconfit 
tout  le  pays  jusques  à  Bruges.  Quant  le  roy  d'Angleterre 
sceut  la  desconfiture  qui  avoit  esté  faite  devant  Saint-Omer, 
si  fist  toute  sa  ■gent  passer  l'Escaut  et  asségier  la  ville  de 
Tournay  tout  entour. 

Le  roy  de  France  qui  avoit  assemble  un  si  grant  ost  que 
oncques  greigneur  à  peine  ne  fu  veu  au  royaume  de 
France,  s'estoit  venu  logier  à  Ayre,  l'endemain  de  la  bataille, 
à  un  prioré  que  on  appelle  Saint-Andrieu  ;  et  l'endemain 
sceust  la  nouvelle  cornent  la  chose  estoit  alce;  et  là  luy 
apporta-l'en  unes  lettres  desquielles  la  teneur  fu  telle  : 

XXII. 

De  la  teneur  des  lettres  que  le  roy  d'Angleterre  envoya  au  roy 
de  France. 

«  De  par  Edouart,  roy  de  France  et  d'Angleterre,  sei- 
»  gneur  d'Yrlande  ; 

«  Sire  Phelippe  de  Valois ,  par  lonc-temps  vous  avons 
»  poursuivi  par  messages  et  en  pluseurs  autres  manières, 

(1)  Froissart,  dans  le  récit  de  la  victoire  des  François  sous  les  murs  da 
Sainl-Omcr,  est  d'une  inexactitude  qui  a  révolté  presque  tous  les  critiques. 
M.  Dacier  a  foibicment  essayé  de  le  justifier  sur  ce  point, 

TOM.     V,  34 


.39R  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

afin  que  féissiez  raison  à  nous,  et  que  vous  nous  rendissiez 
notre  droit  héritage  du  royaume  de  France,  lequel  vous 
nous  avez  de  lonc-temps  occupé  à  gi-anttort  ;  et  pour  ce  que 
nous  voyons  bien  que  vous  entendez  de  persévérer  en 
vostre  injurieuse  détenue  et  sans  nous  faire  raison  de 
notre  droiturière  demande  ,  sommes-nous  entrés  en  la 
terre  de  Flandres  comme  seigneur  souverain  d'icelle,  et 
passés  parmi  le  pays.  Et  vous  signefions  que  pris  avons 
l'aide  de  Nostre-Seigneur  Jhésus-Christ,  et  avec  le  povoir 
dudit  pays  et  avec  nos  gens  aliés,  regardant  le  droit  que 
nous  avons  à  l'héritage  que  vous  nous  détenez  à  grant 
tort,  nous  nous  traions  vers  vous  pour  mettre  brief  fin  sur 
notre  droiturière  demande  et  chalenge.  Si,  vous  voulons 
aprochier,  et  pour  ce  que  si  grant  povoir  de  gens  d'armes 
qui  viennent  de  nostre  part  et  que  bien  cuidons  que  vous 
averiés  de  par  vous  ne  se  pourroient  mie  tenir  longue- 
ment assamblés  sans  faire  grant  destruction  au  peuple 
et  au  pays,  laquelle  chose  chascun  bon  crestien  doit  es- 
chiver,  et  espéciaument  prince  et  autre  qui  se  tient  pour 
gouverneur  de  gent,  si  desirons  moult  que  brief  jours 
se  préissent  pour  eschiver  mortalité  de  peuple;  et  ainsi 
que  la  querelle  est  apparissant  à  nous  et  à  vous,  la  des- 
truction de  nostre  chalenge  se  féist  entre  nous  deus,  la- 
quelle chose  vous  offrons  par  les  choses  dessus  dites , 
combien  que  nous  pensions  bien  la  grant  noblesse  de  vos- 
tre corps  et  votre  sens  et  avisement.  Et  au  cas  que  vous 
ne  voudriez  celle  voie,  que  adonc  fust  mise  eus  nosti'e  cha- 
lenge pour  affermer  bataille  de  vous-meismes  avec  cent 
personnes  des  plus  souffisans  de  votre  part  et  nous-meis- 
mes  à  autretant  ;  et  se  vous  ne  voulez  ou  l'une  voie  ou 
l'autre,  que  vous  nous  assignez  certain  jour  devant  la  cité 
de  Tournay  pour  combatre,  povoir  contre  povoir,  dedens 
dix  jours  après  la  date  de  ces  lettres.  Et  les  choses  dessus 


(1340.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  399 

"  dites  voulons  être  congneues  par  tout  le  monde ,  et  que 
»  en  ce  estre  notre  désir,  non  mie  par  orgueil  né  par  outre- 
»  cuidance,  mais  pour  que  Nostre-Seigneur  mette  repos  de 
»  plus  en  plus  entre  crestiens  ;  et  pour  ce  que  le  povoir 
»  des  ennemis  Dieu  fust  résisté  et  crestienté  essaucit'e.  Et 
»  la  voie  que  sus  ce  vouldrez  eslire  des  offres  dessus  dites 
»  escrivez-nous  par  le  porteur  de  ces  lettres,  en  luy  faisant 
y>  liastive  délivrance.  Donné  sousnostre  grant  scel,  à  Elcliin- 
»  sus-l'Escaut ,  delès  Tournay  ,  en  l'an  de  grâce  mil  tiois 
»  cent  quarante,  le  vint-septiesme  jour  de  juillet.  » 

XXIII. 

De  la  rcsponsc  des  lettres  que   h  roy  Phclippe   envola  au  for 
d' Angleterre. 

Quant  le  roy  de  France  et  son  conseil  orcnt  veues  ces 
lettres ,  tantost  envoia  response  au  roy  d'Angleterre  sus 
ceste  forme  : 

«  Phelippe  ,  par  la  grâce  de  Dieu ,  roy  de  France ,  à 
»  Edouart,  roy  d'Angleterre. 

»  Nous  avons  veues  unes  lettres  aportées  en  notre  court, 
>•  envoiées  à  Phelippe  de  Valois ,  esquelles  lettres  estoient 
»  aucunes  requestes.  Et  iwur  ce  c]ue  lesdictes  lettres  ne 
»  venoient  pas  à  nous,  et  lesdictes  requestes  n'estoicnt  pas  à 
»  nous  faites,  ainsi  comme  il  appert  par  la  teneur  desdictes 
»  lettres ,  nous  ne  vous  en  faisons  nulle  response.  Toutes 
•'  voies,  pour  ce  que  nous  avons  entendu,  par  lesdictes  let- 
»  très  et  autrement,  que  vous  estes  cmbalu  en  nostro 
»  royaume  de  France  en  portant  grant  dommage  à  nous  et 
•>  à  nostre  dit  royaume  et  au  peuple  ,  meu  de  volentc  sans 
>'  point  de  raison ,  en  non  regardant  ce  que  homme  lige 
•>  doit  garder  à  son  droit  seigneur,  car  vous  estes  entrés  en 


400  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

uostre  liomiuage,  en  nous  recognoissaiit,  si  comme  raison 
est,  roy  de  France  ;  et  avés  promis  obéissance,  telle  comme 
on  la  doit  promettre  ù  son   seignem-  lige ,  si  comme  il 
appert  par  vos  lettres  patentes  scellées  de  votre  grant 
scel,  lesquelles  nous  avons  par  devers  nous,  et  en  devez 
autant  avoir  par  devers  vous.   Notre  entente  est,  c[uant 
bon   nous    samblera ,    de  vous   cliacier   hors   de  nostre 
royaume,  à  l'honneur  de  nous  et  de  nostre  majesté  royale 
et  au  profit  de  notre  peuple.  Et,  en  ce  faire,  avons-nous 
ferme  espérance  en  Jhésus-Christ ,  ciont  tous  biens  nous 
viennent.  Car,  par  vostre  emprise  cjui  est  de  volenté  non 
raisonnable ,  a  esté  empeschié  le  saint  voiage  d'Oultre- 
mer,  et  grant  quantité  de  crestiens  mis  à  mort,  et  le  ser- 
vice de  Dieu  apéticié  et  sainte  Eglyse  aornée  de  moins  de 
révérence.  Et  de  ce  que  vous  cuidiez  avoir  les  Flamens 
en  aide,  nous  cuidons  estre  certains  que  les  bonnes  gens  et 
les  communes    du  pays    se  porteront   en  telle  manière 
envers  nostre  cousin,  le  conte  de  Flandres  leur  seigneur, 
qu'il  garderont  leur  honneur  et  leur  loyauté;  et  pour  ce 
qu'il  ont  mespris  jusques  à  ore ,  ce  a  esté  par  mal  conseil 
de  gens  cpii  ne  gardoient  pas  au  profit  commun,  mais  au 
profit  de  eux  tant  seulement.  Donné  sus  les  champs ,  à 
la  prioré  Saint-Audrieu,  delès  Ayre,  sous  le  scel  de  nostre 
secrétaire,  en  l'absence  de  notre  grant  scel,  le  trentiesme 
jour  de  juillet,  l'an  de  grâce  mil  trois  cent  quarante  (1).  » 


(1)  Os  lieux  lettres  sont  transcrites  dans  Rymer,  mais  fort  incorrecte- 
ment. —  Sailli-André  est  aujourd'hui  une  petite  ferme  proclie  d'Aire  et  à 
droite  de  la  grande  route  d'Aire  ù  Paris. 


(1340.)  PlIELIPPE  DE  VALOIS.  401 

XXIV. 

Des  kaus  princes  qui  csloieiU  en  Vost  le  roy  de  France. 

Endementres  que  le  roy  de  France  fu  à  Saint-Andiieu 
et  qu'il  ot  receues  les  lettres  du  roy  anglois ,  ainsi  comme 
vous  l'avez  oï  par  avant ,  envoièrent  ceux  de  Tournay  à 
luy  que,  pour  Dieu,  il  les  voulsist  secourre,  car  leur  ennemis 
les  avoient  si  environnés  que  nul  vivre  ne  povoit  à  eux 
entrer.  Et  tantost  y  envoia  le  roy  le  duc  d'Athènes  (1),  le 
visconte  de  Tliouars,  le  visconte  d'Aunay,  le  seigneur  Pierre 
de  Fauquegny,  le  conte  d'Aucerre  ,  le  seigneur  de  Craon 
et  son  frère ,  monseigneur  Guy  Tulepin ,  le  seigneur  de 
Cfiasteillon  en  Touraine,  le  fils  au  conte  de  Roussi,  le  dau- 
phin d'Auvergne,  le  seigneur  de  Clisson ,  le  seigneur  de 
Laillac,  le  seigneur  de  Biaugieu,  le  seigneur  de  Saint-Ye- 
nant,  le  frère  à  l'évesque  de  Mes,  et  Ourri  Thibaut.  Tous 
ceux-ci  estoient  à  banière  et  avoient  bien  avecques  eux 
deux  mille  hommes,  et  s'en  alèrent  droit  à  Cassel.  Mais  les 
Flamens  avoient  pris  le  mont  tout  environ,  et  estoient  au 
devant.  Quant  il  virent  ce,  si  boutèrent  feu  partout,  et 
cuida-l'en  par  le  feu  et  les  fumées  faire  lever  le  siège  de 
Tournay.  Puis  vindrent  à  St-Omer;  Tendemain,  vinrent  à 
heure  de  prime,  et  s'en  alèrent  par  toute  la  terre  au  conte  de 
Bar  (2),  ardant  et  essillant,  et  ainsi  s'en  retournèrent  en  l'ost. 

(1)  Le  duc  d' Athènes.  Gautier  de  Briennc,  depuis  Connétable. —  L'éves- 
que de  iHès.  C'étoit  Adlicmar  de  ftlontcil. —  Le  visconte  de  Thouars.  Louis, 
mort  en  1370.  —  Le  visconte  d' Aunay .  Pons,  seigneur  de  Mortagnc. —  Le 
cotnle  d'Auxerre.  Jean  de  Cliâlons.  —  Le  seiijneur  de  Craon.  Amaury  VII, 
ut  Guillaume  dit  le  Grand,  son  fier c. — Guy  Tidepin  ouTurpia  (de  Crissé), 
quatrième  du  nom. 

(2)  Au  conte  de  Bar.  C'csl-à-dirc  ù  la  comlcssc,  Yolande  de  Flandres, 
dame  de  Cassel  cl  femme  de  Henry;  comte  de  Tar. 

34 


402  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

Lors  assembla  le  roy  de  Fiance  grant  conseil,  à  savoir 
mon  se  il  enterroit  en  la  terre  de  Flandres  à  tout  son  ost 
ou  se  il  iroit  vers  Tournay.  Mais  à  ce  conseil  avoit  le  conte 
de  Flandres  amis  qui  vireiit  bien  que,  se  le  l'oy  fust  entré 
en  Flandres,  tout  le  pays  eust  esté  essillié,  et  pour  ce  luy 
loèrent  d'aler  vers  Tournay. 

Quant  le  roy  eust  ylec  séjourné  huit  jours,  si  fist  mouvoir 
son  ost,  et  chevaucha  continuellement  jusques  à  tant  qu'il 
vint  à  trois  lieues  de  Tournay,  à  une  ville  c^ue  on  appelle 
Bouvines,  et  là  se  loga  assez  près  de  ses  ennemis.  Or  vous 
dirai  les  haus  princes  qui  estoient  en  l'ost  du  roy  de 
France. 

Premièrement  le  roy  de  Behaigne  ,  le  roy  de  Na- 
varre,  le  duc  de  Normendie ,  le  duc  de  Bourbon,  le 
duc  de  Bretaigne,  le  duc  de  Bourgoigne,  le  duc  cie  Lor- 
raine, le  duc  d'Athènes,  le  conte  d'Alençou,  le  conte  de 
Flandres,  le  conte  de  Savoie  (1),  le  conte  d'Armignac,  le  conte 
de  Bouloigne,  le  conte  de  Bar,  l'évesque  de  Liège,  le  conte 
de  Dreux,  le  conte  d'Aubemalle,  le  conte  de  Bloys,  le  conte 
de  Sancerre,  le  conte  de  Juilly,  le  conte  de  Roussi,  et  maint 
autres  haus  hommes  desquiels  longue  chose  seroit  à 
raconter  les  noms.  Or,  vous  dirai  après  d'aucmis  barons  qui 
furent  de  la  partie  au  roy  d'Angleterre. 

Premièrement,  ledit  roy  en  sa  personne,  messire  Robert 
d'Artois,  le  conte  de  Harrefort,  le  conte  de  Noyrantonne, 
le  conte  Derby,  le  conte  de  Hantonne,  le  conte  d'Arondel, 
le  baron  d'Estanfort,  le  duc  de  Breban,  le  duc  de  Guérie, 
le  conte  de  Haynau,  monseigneur  Jehan  son  oncle,  le  mar- 
quis de  Juliers,  le  conte  de  Mons,  le  conte  de  Chigni,  le  sire 
deFauquemont,  Jaques  de  Arteveltà  toute  la  commune  de 


(1)  Le  coiue  de  Saiok,  Aimé.  —  Le  conte  d' Armùjnac ,  Jehan,  —  L'c- 
vesqifc  de  Liège,  Arnoul,  —  Leduc  de  Lorraine,  Raoul, 


(1340.)  PHELIPPE  DE  VALOIS,  403 

Flandres.  Tous  ceux-ci  avoient  assis  Tournay;  mais  il  n'i 
firent  onques  assaut  fors  de  gettcr  pierres,  excepté  un  jour 
que  je  ne  sai  quans  sergens  d'armes  du  roy  issirent  de  la 
ville  avec  le  connestable;  et  vinrent  en  la  rue  des  forbours, 
et  rencontrèrent  une  route  d'Alemans  et  d'Anglois,  et  féri- 
rent  ylec  ensemble;  mais  tant  crut  la  force  des  Anglois  qu'il 
convint  les  François  retraire.  Ce  f  u  tout  le  fait  d'armes  qui 
fu  fait  à  ce  siège. 

XXV. 

Cornent  la  conlesse  de  Haynau  pourchaça  tant  envers  le  roy  de 
France  et  eni'crs  le  roy  d'Angleterre  que  parlement  fu  fait 
entre  eux  et  dUnsion  de  pais  et  délibération  de  tricves. 

Puis,  vous  dirai  de  la  contesse  de  Haynaii  (1)  qui  tant 
pourchaça  devers  le  roy  de  France,  son  frère,  et  vers  le  roy 
d'Angleterre  qui  avoit  sa  fdle  espousée,avecques  le  roy  de 
Behaigne,  que  un  jour  de  parlement  fu  pris  entre  les  deux 
roy  s.  Mais  Jaques  de  Artevelt  vint  devant  le  roy  d'Angle- 
terre et  devant  les  barons  de  l'ost,  et  leur  dist  :  «  Seigneurs, 
»  prenez  garde  quelle  paix  vous  faites,  car  se  nous  n'i  som- 
»  mes  comprins  et  tous  nos  articles  pardonnes,  jà  ne  nous 
»  départirons  de  ci  né  ne  vous  quitterons  du  serement  que 
»  vous  avez  devers  nous.  »  Dont  dit  la  contesse  de  Hay- 
nau :  «  Ha  !  sire  Dieu  en  ait  pitié,  quant  pour  le  dit  d'un 
»  vilain  tout  le  noble  sanc  de  la  crestienté  sera  espandu.  » 
Tant  fu  la  chose  esmeue,  que  Jaques  de  Artevelt  s'acorda 
au  traitié  ainsi  comme  vous  orrez. 

Les  barons  f{ui  tindrent  le  parlement  de  par  le  roy  de 
France  furent  le  roy  de  Behaigne,  le  conte  d'Armignac, 

{•)  Laconiçi^c  ck  Ilaynau.  Jchannc  de  Valois,  douairicic  de  PLûnaul, 


404  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

le  conte  de  Savoie,  messire  Loys  de  Savoie,  et  le  seigneur 
de  Noyers. 

Et  de  par  le  roy  anglois  y  furent  Messire  Guillaume  de 
Clitonne,  l'évesque  de  Nicliole,  messire  GiefFroy  Scorp, 
messire  Jehan  de  Haynau,  le  sire  de  Cuq,  et  messire  Henri 
d'Antlioing.  Et  fu  le  parlement  sus  reste  forme  : 

«  Premièrement  que  le  roy  de  France  rende  au  roy  d'An- 
gleterre, par  mariage  de  leur  enfans,  toute  la  terre  de  Gas- 
coigne,  d'Aquitaine  et  la  conté  de  Pontieu,  aussi  avant 
comme  le  roy  Edouart,  son  tayon,  la  tint  ;  par  ainsi  que 
nul  sergent  du  roy  ne  peust  sergenter  au  pays.  Après,  de 
tant  qu'il  touche  au  pays  de  Flandres,  que  gens  moiens  et 
petis  soient  menés  aux  lois  qu'il  tindrent  du  temps  le  conte 
Guy.  Item,  toutes  ohligacions  où  il  sont  obligiés  devers  le 
roy  en  quelconques  manières  et  de  quelconques  temps  que 
ce  soit,  tout  soit  quittié,  tant  de  voiages  que  de  sommes 
d'argent  ou  de  paines  es  quielles  il  sont  escheus.  Item,  que 
tout  escomméniement  ou  entredit  où  il  peuvent  estre  en- 
courus, qu'il  en  soient  absous.  Et  de  toutes  les  forces  et 
obligacions  par  lesquielles  il  pourroient  avoir  encouru 
lesdites  sentences,  leur  soient  rendues  et  mises  par  devers 
eux.  Item,  toutes  les  maies  volontés  où  il  puent  estre  en- 
courus, par  cause  de  rébellion  ou  de  désobéissance  envers 
le  roy  ou  le  conte  de  Flandres,  leur  soient  du  tout  pardonnes 
en  celle  manière  que  jamais  aucuns  de  eux  ne  doye  recevoir, 
en  corps  né  en  biens,  aucun  dommage.  Et  s'd  avenoit  qu'il 
féissent  aucune  chose  au  temps  avenir  pourcpioy  il  deussent 
estre  punis,  que  pour  les  choses  passées  il  n'en  aient  pis, 
ains  soient  démenés  par  les  lois  et  coustumes  du  lieu  où 
il  sont  demourans.  Et  pour  tous  ces  traitiés  de  pais  faire  et 
acorder  à  plus  grant  délibéracion,  avec  les  autres  accors 
lequist  la  contesse  de  Ilaynau  unes  trieves  jusques  à  la 
saint  Jehan-Baptiste,  auxquielles  tiieves  certaines  personnes 


(1340.)  PHELIPPE  DE  YALOIS.  40& 

seront  envolées  en  un  certain  lieu,  et  seront  les  sentences 
relascliiées  et  soiispendues,  et  fera-l'en  le  service  de  Dieu 
par  toute  Flandres  (1),  » 

Quant  ces  choses  furent  ainsi  ordenées,  le  roy  de  France 
départi  son  ost  et  s'en  retourna  en  France  ;  et  le  roy  d'An- 
.;jleterre  départi  le  sien  et  s'en  ala  à  Gant.  Là  vint  le  conte 
de  Flandres  à  luy,  et  s'entrefestèrent  l'un  l'autre  de  grans 
uiangiers  et  de  beaux  dons.  Mais  oncques  ne  le  pot  le  roy 
d'Angleterre  attraire  qu'il  venist  à  son  serement,  cornent 
que  ledit  conte  en  eust  esté  assez  requis. 

Depuis  fist  le  roy  d'Angleterre  appareillier  son  navire  et 
prist  congié  aux  alliés.  Et  pour  ce  que  aucuns  grans  maistres 
estoient  demourés  en  Angleterre,  qui  avoient  esté  négiigens 
de  envoier  au  roy  d'Angleterre  deniers,  et  luy  convint  par 
nécessité  laissier  le  siège,  cornent  qu'il  eussent  les  deniers 
receus  de  par  le  roy,  ne  voult  pas  monseigneur  Robert 
d'Artois  passer  avec  le  roy,  pour  ce  qu'il  pensoit  que  le  roy 
feroit  correction  quant  il  vendroit  en  Angleterre  de  ceux 
qui  avoient  ainsi  les  deniers  détenus;  et  ledit  messire  Robert 
d'Artois  ne  vou.loit  point  avoir  de  inaugré. 

Si  laissa  le  roy  d'Angleterre  le  duc  de  Guérie  en  plege  (2) 
pour  luy,  à  Gant,  et  puis  s'en  ala,  luy  et  la  royne,  en  Angle- 
terre. Et  quant  il  fu  venu  en  son  pays,  si  fist  px-endre  grant 
partie  des  gouverneurs  qui  avoient  gouverné  son  royaume, 
et  fist  chacier  pour  prendre  l'arcévesque  de  Cantorbière; 
mais  il  se  tint  si  garni  en  son  églyse  qu'il  ne  le  porent  avoir. 

Puis  assembla  parlement  de  ses  barons,  et  leur  opposa 
que  trahy  l'avoient ,  et  que  par  la  defaute  de  eux  luy 
convint  laissier  le  siège  et  sou  emprise.  Pourquoy  il  con- 

(1)  C'est  après  le  texte  latin  de  celte  trêve  que  s'arrête  la  première 
continuation  de  Nangis,  Spicilbje ,  tome  m,  in-fo.  La  seconde  continua- 
tion latine  n'a  plus  rien  de  commun,  pour  ainsi  dire,  avec  notre  texte. 

(2)  Ple(je.  Gage,  caution. 


iOG  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

dampiia  les  uns  en  corps  et  en  avoir,  les  autres  tint  en 

prison. 

Quant  monseigneur  Robert  d'Artois  ot  jouslé  à  une 
(jrande  feste  à  Leure  en  Breban,  il  s'en  ala  en  Angleterre,  et 
fist  la  pais  à  l'arcévesque  de  Cantorbière,  et  à  aucuns  fist  par- 
donner leur  vies;  mais  leur  héritages  furent  tous  forfais. 
Et  les  départi  le  roy  à  ses  chevaliers  qui  bien  s'estoient 
portes  en  la  guerre.  Si  avint  que  le  conte  de  Flandres  qui 
cstoit  demouré  en  son  pays,  pour  ce  que  on  luy  fist  pou  d'o- 
Ijéissance  s'en  parti  par  mavitalent,  et  s'en  ala  vers  le  roy 
de  France. 

XXVI. 

Cornent  le  roy  Garbus  vint  à  grant  ost  de  Sarrasins  en  la  terre 
de  Garnate.,  et  cornent  le  roy  d' Espaigne  vint  contre  luy,  et 
le  roy  de  Portugal,  et  orent  victoire  sus  Sarrasins.  En  celle 
bataille  Jurent  occis  deux  cens  mille  Sarrasins  ^  etfu  occis 
Picazo^fils  au  roj  de  Belle-Marine  (1). 

Or  avint  en  ce  temps  que  le  roy  Garbus  (2)  et  les  Sar- 
rasins avoient  moult  grant  guerre  au  roy  d'Espaigne  ainsi 
comme  vous  orrez,  si  cjue  les  nouvelles  en  viudrent  au 
cardinal  d'Espaigne.  Le  roy  Garbus  avoit  assemblé  moult 
grant  ost  et  vint  eu  la  terre  de  Garnate.  Ilecques  vint  le  roy 
d'Espaigne  à  l'encontre  et  le  roy  de  Portugal,  la  veille  de 
la  saint  Jehan-Baptiste ,  l'an  mil  trois  cens  cjuarante,  de- 
vant un  chastel  moult  noble,  que  on  appelle  Gibaltoiie  : 

(1)  Au  roy  de  Belle- Marine.  Ce  doit  cire  le  roy  de  Maroc,  de  la  dynas- 
tie des  Merinides  ouIieno-Meriiii.  (Voyez,  dans  le  nouvel  Art  de  vérifier  les 
dates,  le  précieux  travail  de  M.  AudilTret  sur  les  Maures  d'Espagne. 

(2)  Leroy  Garbus.  C'esl-à-dire  le  roy  de  Maroc,  de  Garbc  ou  des  Al- 
garves.  —  te  roy  d'Espaigne.  Alphonse  XI.  —  Le  roy  de  Portugal,  Al- 
phonse IV.—  Giballoire.  Gibraltar. 


((340.)  PHELIPPE  DE  VALOIS,  407 

là  s'asseml^lèrent  les  batailles  ;  mais  de  première  venue  le 
roy  d'Espaigne  perdi  assez  de  sa  gent.  Et  depuis  pristrent 
vigueur  en  eux,  et  se  férirent  emmi  les  Sarrasins  et  se 
combatirent  de  si  grant  povoir  que  les  Sarrasins  se  des- 
confirent :  et  dura  l'occision  trois  jours  et  deux  nuis  que 
onques  ne  finèrent  d'espandre  sanc  des  mescréans  ;  et  dist-on 
qu'il  en  mourut  bien  en  celle  bataille  deux  cens  mille.  Et 
fu  occis  Picazo  (1),  le  fils  au  roy  de  Belle-Marine,  qui  estoit 
moult  bon  chevalier.  Quant  le  roy  Garbus  fu  ainsi  des- 
confit il  s'en  fouit  à  toute  sa  gent  qui  demouré  luy  estoit, 
en  une  cité  cjue  on  appelle  Gersye  (2). 

Quant  les  roys  crcstiens  virent  ce,  si  s'appareillièrent 
pour  asségier  la  cité.  Mais  le  roy  Garbus  l'apprit,  si  fist 
nombrer  ses  gens  d'armes,  et  trouva  qu'il  en  avoit  encore 
vint  mille  à  cheval  et  grant  multitude  de  gent  à  pié,  et  si 
n'avoit  mie  vivres  en  la  cité  pour  plus  de  seize  jours.  Si 
manda  toute  sa  gent  et  leur  dist  que  mieux  leur  venoit  com- 
batre  que  estre  ilecques  affamés;  et  furent  d'acort  d'issir 
contre  les  cresliens ,  et  issirent  bien  une  lieue  loing.  Quant 
les  crestiens  virent  ce ,  si  s'arrestèrent  et  ordenèrent  leur 
batailles;  et  si  tost  comme  il  assemblèrent  ensemble,  le  roy 
Garbus  s'enfui  en  la  cité  et  ses  gens  aussi.  Et  pour  ce  cju'il 
doubta  le  siège,  pensa  de  soy  enfuir  par  mer,  car  en  la  cité 
avoit  une  rivière  portant  navie;  et  y  avoit  trois  galies  et  une 
sagitaire  (3).  Si  entra  ans,  environ  heure  de  mienuit,  et  sa 
femme  et  ses  enfans  et  grant  plenté  de  trésor  avecques  luy. 
Mais  ainsi  comme  Dieu  le  voult,  la  navie  au  roy  d'Arragon 
fu  à  celle  heure  arrivée,  et  vindrent  ces  galies  toutes  trois  en 
eux,  et  se  combatirent  jusques  à  grant  jour;  mais  les  Sar- 

(1)  Picazo.  Variante  :  Piznco.  Le  fils  du  roy  do  Maroc,  lui;  dans  celle 
bataille,  est  nommé  par  Cardonnc  Abd-d-Mclck. 

(2)  Cersye.  Ahjésiras ,  dont  la  prise  csl  de  l'année  1343. 

(3)  l'ncsafjilahe.  Une  pelitc  galère. 


408  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

rasins  n'i  orent  povoir,  si  furent  prises  les  trois  gnlies  et  la 
sagittaire  avec  très  grans  trésors.  Ilecquesfii  pris  le  roy  Gar- 
bus  et  ses  deux  fils  et  le  fils  au  roy  de  Thunes,  et  vint- 
cinq  galies  de  Sarrasins,  et  la  femme  au  roy  Garbus  et 
moult  de  femmes  sarrasines  avecques  luy.  Quant  le  pape 
sceut  ces  nouvelles,  si  fist  faire  grant  processions  pour  la 
victoire.  Et  en  la  nef  du  roy  Garbus  fu  trouvé  un  coffre  où 
il  y  avoit  unes  lettres  que  le  grant  caliphe  luy  avoit  envoiées 
desquelles  la  teneur  estoit  : 

XXVII. 

ÏM  teneur  (Vuncs  lettres  qui  furent  trouvées  en  un  coffre  que  le 
grant  caliphe  avoit  eni>oiccs  au  roy  Garbus. 

«  Caliphe  de  Baudas  qui  suy  une  seule  loy,  et  saint,  et 
»  du  linage  de  saint  Mahomet,  grant  soudan  et  sire  puis- 
»  sant,  sage  et  fort  souverain  delà  saincte  maison  du  corps 
»  saint  Mahomet  de  Mecques,  qui  suis  puissant  et  croy  eu 
»  sa  hauteste  et  en  sa  saincte  vertu,  qui  fais  justice  etcon- 
»  fous  ceux  cjui  autres  voeullent  confondre  ;  seigneur  du 
»  royaume  de  Turquie  et  de  Perse,  et  qui  possède  les  terres 
»  de  la  grant  Hermcnie,  sire  merveilleux  du  cours  de  la 
»  mer,  juge  sur  les  bons  et  loyaux  qui  croient  la  saincte  loy 
»  Mahomet,  et  la  forte  espée  Halye  et  David,  qui  tua  et 
»  decola  ceux  de  la  cité  d'Acre  et  destruit  et  mist  au 
»  noient;  sire  du  royaume  de  tout  le  monde  dessous  le 
»  créateur  ;  sire  des  parties  d'Asie  et  d'Aufrique  et  de 
»  Europe ,  vainqueur  des  batailles  de  tous  les  crestiens  du 
»  monde.  A  toy,  roy  de  Belle-Marine  et  de  Maroc,  salut, 
»  aveques  crémeur  de  ma  forte  espée.  Nous  te  segnefions 
»  cjue  nos  sages  Mores  nous  ont  donné  à  entendre  que  ton 
"  fds  Picazo,  enfant  honnorable  et  très  fort  chevalier  en  la 


(1340.)  PHELIPPE  DE  VALOIS,  409 

»  foy  ]Maliomet,  comme  Amali  et  Malefalon  qui  furent  es- 
»  Icus  pour  {garder  la  saincte  loy  Mahomet,  contre  la  loy 
»  maudite  des  crestiens  maleurés ,  car  ceux  qui  vivent 
"  en  celle  loy  ne  sceuvent  en  quoy  il  vivent ,  car  il 
<)  croient  en  leur  alcoran  qu'il  appellent  pape  et  cuident 
»  qu'il  leur  puet  pardonner  leur  pccliics,  et  ainsi  sont  dé- 
»  ceus  par  leur  mauvaise  loy  qu'il  tiennent.  Et  pour  ce  que 
»  Alplions,  roy  de  Castelle,  qui  deust  estrc  ton  vassal,  et 
»  tous  les  autres  roys  du  monde  qui  croient  la  foy  cres- 
»  tienne  te  devroient  servir  et  obéir;  noientmoins,  il  sont 
»  venus  à  l'encontre  de  nos  Mores  qiii  sont  les  plus  nobles 
»  du  monde  et  croient  en  la  sainte  loy  Mahomet;  et  ont 
>>  mis  à  mort  si  saincte  créature  comme  estoit  Picazo , 
»  ton  fils,  qui  si  noble  estoit ,  qu'il  ne  peust  avoir  esté 
»  mort  en  bataille  se  ne  fust  par  la  fraude  que  crestiens 
»  sceurent  faire,  par  laquelle  il  ont  occis  ledit  enfant.  Et 
»  croy  vraiement  que  parmi  la  croiance  qu'il  avoiten  Ma- 
il homet,  qu'il  est  en  paradis  avec  luy,  et  l'acole  beneureu- 
»  sèment,  et  là  menguc  miel,  lait  et  burre;  et  est  resuscité. 
))  Et  si  saincte  créature ,  comme  il  est ,  aura  soixante  fem- 
»  mes  vierges  en  nostre  saint  paradis. 

»  Pourquoy  nous  te  mandons,  sur  la  cremeur  de  nostre 
»  espée,  que  tu  y  voise  à  tout  le  pouvoir  deçà  la  mer  et  delà 
»  la  mer,  avec  tout  le  povoir  de  la  terre  des  Sarrasins,  de 
»  la  terre  de  Gapliandes,  de  la  terre  de  Belle-Marine,  de  la 
»  terre  des  Rostiens,  de  la  terre  des  Previlèges,  de  la  terre 
»  des  Tartars,  de  la  terre  de  Trisiques,  de  la  terre  de  Mon- 
»  clers,  et  tresperce  la  terre  des  crestiens  et  par  mer  et  par 
»  terre.  Et  te  commandons  sur  le  povoir  de  nostre  loy  que 
»  tu  ne  tarde  la  besoigne  encommenciée,  jusques  à  tant  cjuc 
»  toute  la  terre  soit  destruite.  Et  avecques  tout  ce,  nous 
»  ottroions  à  nos  religieux  Alphages  qu'il  puissent  précs- 
»  cliier  et  donner  pardon  au  nom  de  nous.  Et  tous  ceux 

35 


MO  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

»  qui  contre  les  crestiens  iront  avont  pardon  de  leur  pé- 
»  ciliés,  rhascun  pour  luy  et  pour  onze  personnes  de  son 
»  lignage  quiex  qu'il  voudra  eslire.  Si  en  liève  ma  main  au 
)>  ciel  et  jure  par  nostre  sainte  loy  que  ceux  c|ui  illecques 
1)  seront  mors  ,  résusciterout  au  tiers  jour  et  demourront 
»  pcrmenablement  avecques  leur  femmes  et  avecques  Ma- 
»  lîomet,  et  ileccjues  mengeront  burre,  miel  et  lait,  et  aura 
»  cliascun  sept  femmes  vierges  et  en  ceste  foy  seront  sau- 
»  vés.  Et  ceux  qui  seront  trouvés  fermes  en  ceste  foy,  qui 
»  contre  lesdis  crestiens  ne  pourront  aler  en  propre  per- 
»  sonne  et  donront  de  leur  biens  à  ceux  qui  vouldront  pas- 
»  ser,  il  aront  le  plein  pardon  aussi  avant  comme  les  autres 
)>  combateurs.  Et  rccommant  à  toi,  honnorable  et  puis- 
»  sant,  les  lierbes  paissant ,  beuvant  les  yeaus  de  la  mer, 
»  (|ue  tantost  te  lièves  sans  délay,  avec  tout  le  pouvoir  des- 
»  susdit,  et  va  à  Gibaltoire  ,  nostre  Lonnorable  chaste!, 
»  et  delà  passe  la  mer,  et  te  combat  au  roy  de  Castelle,  sans 
»  miséricorde,  met  tout  à  l'espce  en  telle  manière  que  de 
»  leur  églyses  face  estables  à  tes  chevaux,  et  leur  crois  soient 
»  esrachiés  ;  et  fais  tous  les  petits  enfans  escerveler,  et  les 
n  femmes  grosses  fais  ouvrir,  et  à  toutes  les  autres  fais 
»  coper  la  teste,  en  despit  de  la  loy  crestienne.  Et  fais  tant 
»  c[ue  tes  mains  ne  cessent  d'espandre  sanc  devant  ce  que 
»  toute  crestienneté  soit  destruite  et  que  toutes  terres  soient 
»  sousmises  à  nostre  seigneurie  ;  adoncques  aras-tu  la  grâce 
»  de  Mahomet  et  d'Amali  et  de  Malcfalon,  qui  furent  sains 
»  prophètes ,  et  te  seront  en  aide  quant  tu  les  réclameras  ; 
»  car  oncques  si  sains  hommes  ne  furent  nés  en  nostre  loy.  » 


(1341.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  41) 


XXVIII. 

Cornent  le  roy  de  Belle-Marine  et  de  Maroc  rassemblèrent  granl 
peuple  de  Sarrasins  et  vindrent  en  Espai'^ne ,  et  cornent  le 
roy  Alphons  d'Espaigne  les  desconfit  de  rechic f,  et  y  ol  des 
Sarrasins  mors  trente  mil  hommes  à  chci'al. 

L'an  de  grâce  mil  trois  cent  quarante  et  un,  le  roy  de  Belle- 
Marine  et  de  Maroc  assemblèrent  grant  foison  de  Sarrasins 
et  vindrent  en  la  terre  d'Espaigne,  ayant  grant  volenté  de 
vengier  la  mort  de  Picazo,  fds  du  devant  dit  roy  de  Belle- 
Marine.  Quant  le  roy  Alphons  d'Espaigne  et  le  roy  de 
Portugal  l'entendirent,  de  recliief  assemblèrent  ost  et  revin- 
drent  à  l'encontre  des  Sarrasins,  la  nuit  de  la  Toussains, 
l'an  devant  dit,  et  commença  la  bataille  moult  forte.  Mais 
en  la  parfin,  les  Sarrasins  se  desconfirent,  et  en  y  ot  bien 
de  mors,  de  la  partie  des  Sarrasins  ,  trente  mil  ou  environ 
à  cheval,  et  des  gens  de  pie  jusques  environ  cinquante  mil. 
Et  s'en  fut  le  roy  de  Maroc  devant  la  mer  ;  ilecques  trouva 
vine  galie  où  il  entra  et  ainsi  s'en  fut  ;  et  disoit-on  que  à 
peine  il  pourroit  recouvrer  sa  perte  (1). 

L'an  mil  trois  cent  quarante  et  un,  les  trieves  qui  longue- 
ment avoient  esté  continuées  entre  le  roy  de  France  et  les 
Flamens,  de  rechief  furent  continuées  jusques  à  la  feste 
monseigneur  saint  Jehan-Baptiste  de  l'an  ensuivant.  Mais, 
en  celle  espace  de  temps,  les  Flamens  ne  labourèrent  autre 
chose  fors  que  de  eux  très  puissamment  garnir  contre 
le  roy  de  France ,  tant  en  son  royaume  comme  en  autre 
lieu. 


(1)  Ce  récit  est  plus  exact  que  celui  qui  précède  les  IcUres  du  caliplic 
de  Bagdad,  et  se  rapporte  au  niômc  événement. 


LES  GRANDES  CHRONIQUES. 


XXIX. 


Cornent  le  duc  Jehan  de  Bretaigne  mourut  sans  hoirs  de  son 
cor/js ,  pour  quoy  mut  grant  descort  entre  Charles  de  Bloys 
et  le  conte  de  Montfort^  pour  la  duchié  de  Bretaigne. 

En  ce  ineisme  an ,  un  pou  après  Pasques  (1) ,  mourut 
Jehan,  duc  de  Bretaigne  ;  après  la  mort  duquel  grant  con- 
troversie  fu  née  entre  Charles  de  Bloys  ,  fils  du  conte  de 
Bloys  et  neveu  du  roy  de  France ,  de  par  JMarguerite  sa 
seur  (2),  femme  du  devant  dit  conte  de  Bloys  ,  —  lequel 
Charles  avoit  espousé  la  fille  Guy  de  Bretaigne,  visconte  de 
Limoges,  frère  secondement  né  du  devant  dit  duc  Jehan  ;  — 
et  entre  le  conte  de  Montfort  (3),  frère  d'iceluy  duc  Jehan, 
tiercement  né.  Car  icelui  Charles  disoit  que ,  par  raison 
de  coustume  approuvée  et  courant  par  toute  Bretaigne ,  se 
aucun,  tant  noble  comme  non  noble,  trespassoit  sans  hoirs 
de  son  corps  et  eust  frère,  le  premier  né,  après  le  mort, 
posséderoit  l'héritage  et  la  seigneuiie  ;  mais  soit  donné 
qu'il  eust  pluseurs  frères ,  et  encore  soit  donné  que  celui 
qui  est  secondement  né  mourut  devant  le  premier  né,  tou- 
tcsvoies  se  celui  secondement  né  avoit  hoirs  de  son  corps 
maie  ou  femelle,  icelui  hoir,  devant  tous  les  autres  frè- 
res après  la  mort  du  premier  né,  seroit  héritier  et  joiroit 
de  l'héritage.  —  Et  pour  ce,  disoit  icelui  Charles  de  Bloys, 
neveu  du  roy,  que,  supposée  la  devant  dite  coustume,  par 
la   raison    de    sa    femme   jadis    fille  de  messire  Guy  de 

(1)  Jean  III,  Dis  d'Artus  II,  mourut  sans  cnfans  le  30  avril  1341.  — 
Son  frère  Guy  de  Bretagne,  étant  mort  en  1331,  avoit  transmis  ses  droits 
sur  la  succession  de  Jean  III  à  sa  fille  Jeanne  la  boiteuse,  mariée  dès 
1337  à  Charles  de  Blois.  La  fortune  finit  par  se  déclarer  pour  3Ionlfort, 
mais  le  droit  étoit  pour  Jeanne  la  boiteuse. 

(2)  Sa  sœur.  Sœur  du  roi. 

(3)  Jean,  comlc  de  3Iontfort,  étoit  frère  utérin  do  Jean  III. 


(1341.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  413 

Eietaigne,  viscowte  de  Limoges ,  frère  secondement  né  de 
monseigneur  le  duc  de  Bretaigne  dernièi'ement  moit,  la 
seigneurie  du  diichié  de  Bretaigne  luy  devoit  appartenir  et 
luy  estoit  dévolue. 

Jehan,  conte  de  Montfort,  affirmant  le  contraire,  disoit 
que  ceste  coustume  entre  les  non  nobles  couroit ,  toutes- 
voies  entre  les  nobles  et  meismement  entre  princes  elle 
n'avoit  nul  lieu.  Pour  laquelle  chose  la  cause  vint  à 
l'audience  du  roy  à  la  seigneurie  duquel  la  souveraineté 
de  l'ommage  appartenoit.  Et  quant  la  cause  fu  menée  en 
parlement,  à  la  parfin ,  par  pluseurs  sages  et  expers  ,  et 
meismement  par  aucuns  évesques  dudit  pays,  la  devant 
dite  coustume  fu  suffisamment  prouvée,  et  fu  dist,  par  ar- 
rest,  que  le  roy  devoit  recevoir  et  envestir  le  devant  dit 
Charles  à  l'ommage  du  ducliié  de  Bretaigne.  Quant  le  roy 
ot  ce  oï,  si  le  fist  tantost  chevalier  nouvel  et  le  investit  du 
dit  duchié.  Mais  avant  que  ces  choses  se  féissent,  Jehan,  le 
conte  de  Montfort,  sentant  justice  agréable  (1)  au  devant  dit 
Charles,  deftbui  l'audience  et  à  Nantes,  une  cité  de  Bretaigne 
très  forte,  se  transporta;  et  en  icelle  cité  s'appareilla  de  toutes 
SCS  forces  à  résister  et  obvier  au  dit  Charles. 

Quant  le  roy  vit  que  le  conte  de  Montfort  alloit  contre 
son  jugié,  si  mist  toute  sa  terre  en  sa  main  et  si  envoya 
son  fils  monseigneur  Jehan  ,  duc  de  Normendie ,  et  son 
frère  messire  Charles  d'Alençon ,  pour  luy  guerroier.  Les 
quels,  quant  il  furent  entrés  au  duchié  de  Bretaigne,  il 
asségièrent  un  très  fort  chastel  qui  est  en  une  isle  de  Loyre, 
lequel  est  appelé  Chastonciaux  (2),  et  le  reçurent  abandon, 
l'-t  après  alèrent  à  la  cité  de  Nantes  ;  mais  ceux  de  Nantes  si 

(1)  SeiilaiH  justice  agréable.  Voyant  que  la  juslicc  prononçoit  au  gré 
de  Cliarlcs.  —  L'arrêt  est  daté  du  7  septembre  13U. 

(2)  chasioiiciaux  ou  CliauloccauXj  en  Anjou,  aujourd'hui  petite  ville 
du  département  de  Maine-et-Loire, 

35. 


414  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

regardèrent  que  ce  ne  seroit  pas  juste  chose  né  seure  de 
résister  au  roy  et  au  royaume  de  France.  Si  se  rendirent  au 
duc  de  Noimendie  et  au  conte  d'Alençon,  et,  avecques  ce, 
il  reçureiît  le  conte  de  Montfort  qui  là  estoit  sur  certaines 
convenances  (1),  si  comme  aucuns  disoient;  lequel,  quant  il 
l'orent  reçeu,  si  le  firent  présenter  an  roy.  Mais  endemen- 
tres  que  le  roy  le  fist  tenir  à  Paris  au  Louvre  sus  certaine 
garde,  sa  femme  (2)  qui  seur  estoit  au  conte  de  Flandres,  et 
ses  complices  pour  ce  ne  se  désistèrent  oncques  de  faire 
moult  de  maux  par  le  ducliié  de  Bretaigne. 

Et  ce  meisme  an,  le  neuviesme  jour  de  décembre,  il  fu 
esclipse  de  souleil,  luy  estant  au  signe  du  Sagittaire,  et 
dura  par  douze  heures  et  plus. 

Et  en  icest  an  ,  messire  Henri  de  Léon  ,  chevalier , 
homme  grant  et  puissant  au  duchié  de  Bretaigne ,  lequel 
estoit  adhérent  à  messire  Charles  de  Bloys,  comme  il  voulsist 
encliner  à  sa  partie  deux  chevaliers  lesquels  estoient  ses 
hommes  liges  ;  c'est  assavoir  Tanneguy  du  Chastel,  chevalier, 
et  messire  Yves  de  Treziguidi,  mes  il  ne  pot  ;  dont  vint  une 
dissencion  entre  eux  :  et  avint  que  ledit  messire  Henri  ne  se 
garda  pas  si  sagement  com,me  il  deust,  et  se  héberga  en  un 
hostel,  lequel  n'estoit  pas  moult  seur  ;  si  le  sceurent  les 
deux  devant  nommés  qui  estoient  ses  hommes  liges;  et 
s'en  alèrent  audit  hostel,  et  rompirent  les  portes  et  pris- 
trent  par  force  ledit  monseigneur  Henri  (3).  Et  afin  qu'il  ne 
fust  delégier  délivré,  il  l'envoièrent  Oultre-mer  et  le  firent 
présenter  au  roy  d'Angleterre. 

(1)  Froissart,  qui  semble  ici  plus  exact,  dit  que  Moiilforl,  enferme 
dans  la  ville  quand  Charles  de  Blois  se  présenta  devant  les  murailles, 
fut  livré  par  Henry  de  Léon,  qui  venoit  d'abandonner  le  parti  du 
comte. 

(2)  Sa  femme.  Jeanne  de  Flandres. 

(3)  Suivant  Froissarl,  Henry  de  Léoa  (qu'il  nomme  loujuars  Uolc)  fut 
pris  dans  une  sortie  pendant  le  siège  de  Vannes,  avec  le  sire  de  Clisson. 


(13il.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  415 

Et  en  cest  an,  comme  ceux  qui  estoient  réputés  de  la  par- 
tie au  roy  de  France,  lesquels  soustenoient  la  partie  Charles 
de  Bloys  pour  la  raison  de  la  sentence  du  roy  et  de  l'omniage 
qui  luy  avoit  esté  fait  à  la  garde  de  la  terre  de  Bretaigne, 
voulsissent  envair  un  très  fort  chastel  lequel  est  appelé 
liannebout(l  ),  auquel  estoient  deux  chevaliers  pour  le  deffén- 
dre  :  c'est  assavoir  messire  Yvon  de  Treziguidi  et  messire 
Geofroy  de  Malestroit  ;  si  furent  adjoins  avecques  ceux  de 
la  partie  du  roy  de  France  les  Genevois  et  les  Espaignols. 
Mais  endementres  que  ceux  de  la  partie  du  roy  s'ordenoicnt, 
ceux  du  chastel  envolèrent  chercher  messire  Tanneguy  qui 
n'estoit  pas  présent  avecques  eux.  Si  avint  que  nos  gens 
commencièrent  à  assaillir  forment  ledit  chastel  ;  toutevoies 
ceux  du  chastel  se  deffendirent  par  telle  manière  qu'il  tuè- 
rent pluseurs  des  François  ;  et  leur  nefs  qui  estoient  au 
port  de  Hannebout  furent  retenues  et  furent  nos  gens  con- 
trains de  eux  départir  à  leur  grant  honte  et  dommage. 

Et  en  icest  an,  le  premier  jour  de  février,  mourut  frère 
Pierre  de  la  Palu ,  docteur  en  théologie  ,  de  l'ordre  des 
Prescheurs  et  patriarche  de  Jhérusalem ,  homme  de  très 
sainte  vie  et  de  grant  loenge. 

En  ce  meisme  an,  au  moys  de  juillet,  mourut  messire 
Loys,  duc  de  Bourbon  et  conte  de  Glermont,  fds  du  fils 
saint  Loys  jadis  roy  de  France  ,  et  fu  enterré  aux  frères 
Prescheurs  à  Paris. 


(1)  llanncboul.  C'est  ïlenncbon,  au-dessus  de   Loriein.   Il  faut  voir 
dans  Froissarl  le  poétique  récit  de  la  levée  du  siésc  de  Uannibou. 


^iHi  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

XXX. 

Cornent  les  Iricves  furent  esloignées  entre  le  roj  de  France  et  le 
roj  d'Angleterre  et  les  Flamens;  et  cornent  le  pape  Bcncdicl 
mourut ,  et  après  fa  fait  pape  Clément  VI ^  et  cornent  les 
cardinaux  vindrent  pour  traitticr  de  la  paix  entre  les  deux 
roys. 

L'an  de  grâce  mil  trois  cent  quarante-trois,  les  trieves  qui 
estoient  entre  le  roy  de  France  et  le  roy  d'Angleterre  et 
entre  les  Flamens  et  leur  alliés ,  c'est  assavoir  le  duc  de 
BrebaUj  le  conte  de  Haynau,  le  duc  deBaldres(I),  le  prince 
de  Juilliers  et  aucuns  autres,  furent  esloignées  à  trois  sep- 
maines,  et  en  après  ,  de  terme  en  terme  jusques  à  la  feste 
saint  Jehan-Baptiste.  Et  aussi  fu-il  accordé  qu'il  ne  feroient 
nulles  incursions  l'un  sur  l'autre ,  se  il  n'estoit  segnefié  ou 
notablement  intimé  par  un  moys  entier  avant. 

En  ce  meisme  an,  le  vint-cinquiesme  jour  du  moys 
d'avril ,  environ  heure  de  vespres ,  mourut  k  Avignon  le 
pape  Bénédict  XII,  l'an  de  son  pontificat  huitiesme.  Et  le 
septiesme  jour  du  moys  de  may  ensuivant,  environ  heure 
de  tierce  ,  fu  csleu  en  pape  Pierre  Rogier ,  prestre  car- 
dinal, jadis  archevesque  de  Roen  ,  né  de  Lymosin ,  et  fu 
nommé  Clément  le  YI.  Et  oultre ,  le  dix-nuéviesme  jour 
de  ce  meisme  moys,  à  Avignon  fu  couronné.  Icestui  jiape 
Clément  fu  homme  de  grant  lecture  et  docteur  en  théolo- 
gie ;  et  sus  tous  autres,  en  son  temps,  il  ot  grâce  de  pres- 
chier  et  de  bien  et  gracieusement  parler  ;  lequel  Dieu  si 
csleva  ])ar  l'espace  de  seize  ans,  que,  de  simple  moyne, 
il  fu  fait  prieur  de  Sainte  Babile ,  et  puis  abbé  de  Fes- 
camp,  et  puis  évesquc  d'Arras  ,   et  après  archevesque  de 

(1)  Bttldics.  Variâmes  :  Uanlrcs,  lladrçz,  CcdoitCtrc  Guçldrçi, 


(I3i;3.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  4lT 

Roen.  Et  fiii'ent  toutes  ces  promocions  à  liiy  faites  par  le 
pape  Jehan  XXII«;  et  au  denain,  par  le  pape  Bénédict  il 
fu  fait  cardinal  ;  lequel  pape  mort,  il  fu  esleu  en  pape,  ja- 
soit  ce  qu'il  fust  des  plus  jeunes  cardinaus. 

Et  environ  ce  temps  que  le  siège  du  pape  vacoit,  Jehan, 
dnc  de  Normendie,  fds  du  roy  de  France,  et  le  duc  de  Bour- 
goigne,  son  oncle,  furent  de  par  le  roy  de  France  envoies  à 
Avignon,  à  procurer  l'ellection  etmeismement  la  promocion 
de  Pierre  Rogier ,  prestre  cardinal ,  jadis  archcvesque  de 
Roen.  Si  leur  vindrent  nouvelles,  endementres  qu'il  estoient 
en  chemin,  que  à  leur  souhait  et  entencion  le  message  estoit 
parfait  pour  lequel  il  estoient  en  chemin  ;  noient-moins  il  ne 
désistèrent  point  d'aler  à  Avignon.  Mais  quant  il  furent 
là,  le  pape  nouvellement  créé  les  reçut  et  tout  le  collège 
des  cardinaus  très  honnorablement.  Si  avint  que  quant  le 
pape  nouvel  créé  aloit  à  son  couronnement,  les  deux  ducs, 
l'un  d'une  part  et  l'autre  d'autre,  tous  à  pié  tenoient  le 
fiein  et  gouvernoient  le  cheval  du  pape.  Et,  au  disner,  du 
premier  mes  il  le  servirent.  Et  après  les  solempnités  qui 
appartiennent  à  telles  besoignes,  et  leur  messages  fais,  il 
pristrent  congié  du  pape  et  s'en  retournèrent  en  France. 

Et  en  icest  an,  messiie  Robert  d'Artois,  du  commande- 
ment du  roy  d'Angleterre ,  si  comme  il  feignoit ,  quant 
il  sceut  que  le  conte  de  Montfort  estoit  emprisonné,  si  lu  y 
voult  aidier  contre  Charles  de  Bloys,  et  passa  la  mer  d'An- 
gleterre en  Bretaigne  ,  et  prist  avecques  luy  Tanueguy  du 
Chastel  et  Yvon  de  Trczeguidi  devant  nommes ,  et  fist 
moult  de  maux  en  la  duchié  de  Bretaigne.  Et  en  ce  meisme 
an,  assez  tost  après  le  coronnement  du  pape,  vindrent  en 
France  deux  cardinaux  envoies  de  par  le  pape ,  c'est 
assavoir  le  cardinal  de  Penestre  (1),  vichancclicr  du  pape,  et 

(1)  Penestre.  Ou  Prcncstc. 


418  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

messire  Hannibal  de  Neapole.,  à  segnefier  aux  roys  de  France 
et  d'Angleterre  et  à  leur  allés,  sa  volenté  sus  la  composition 
de  pais  entre  eux.  Et  premièrement,  il  vindrent  au  roy  de 
France  et  orent  de  luy  ceste  response  :  «  Que,  sauve  la  majesté 
»  royale  et  la  convenance  et  le  serment  qu'il  avoit  à  ses  aliés, 
»  il  se  consentoit  de  plaine  volenté  à  toute  bonne  pais  »  Quant 
les  cardinaus  orent  oï  sa  response,  il  envoièrent  leur  messa- 
ges au  roy  d'Angleterre,  assavoir  que  s'il  vouloit  traittier  à 
aucune  manière  de  pais  avecques  le  roy  de  France,  il  pas- 
seroient  la  mer.  Si  orent  en  response  que  en  Angleterre  il 
n'entreroient  jà ,  mais  il  entendoit  prochainement  visiter 
son  royaume  de  France,  et  ilecques,  pour  la  révérence  du 
siège  de  Rome,  les  oroit  volentiers.  Et  puis  vindrent  lesdis 
cardinaus  aux  Flamens  ;  si  leur  respondirent  ainsi  comme 
hommes  désespérés ,  que  jamais  il  n'enclineroient  à  au- 
cune pais  s'il  n'estoient  premièrement  absous.  Et  après 
que  lesdis  cardinaus  furent  venus  aux  Brebançons  et  aux 
Uanoiers,  si  leur  donnèrent  ceste  response  :  Que,  sauve 
l'aliance  qu'il  avoient  faite  au  roy  d'Angleterre,  il  s'accor- 
deroient  tousjours  au  bien  de  pais.  Et  jasoit  ce  que  par 
l'administracion  et  services  des  devant  dis  cardinaus,  trieves 
fussent  entre  le  roy  de  France  d'une  partie  et  les  Flamens 
et  aucuns  aliés  d'autre  partie  ;  toutes  voies ,  quant  au  roy 
d'Angleterre ,  il  n'estoit  nule  mencion.  Mais  estoient  les 
gens  du  roy  de  France  en  Gascoigne  avecques  l'évesque  de 
Biauvais  qui  combatoient  forment  les  gens  au  roy  d'Angle- 
terre. Et  partout  l'esté,  ceux  qui  soustenoient  la  partie  de 
Charles  de  Bloys  contre  le  conte  de  Monfort  estoient  hom- 
mes qui  mouteplioient  moult  batailles. 

Et  en  ce  meisme  an,  au  moys  de  septembre,  vint  de  rechief 
messire  Robert  d'Artois  et  le  conte  de  Salebruge  avec  luy 
en  Bretaigne,  pour  aidier  à  ceux  qui  soustenoient  la  partie 
du  conte  de  Montfort,  auquel  advènement  leur  gens  firent 


(13i3.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  419 

inoult  de  dommage  aux  gens  qui  estoient  au  pays,  tant  de  par 
le  loy  de  Fiance  comme  de  par  Charles  de  Bloys,  et  meis- 
mement  en  navire,  comme  galies  et  autres  vaissiaux,  lequel 
navire  avoit  este  acheté  de  par  le  roy  de  France.  Car  il  y  ot 
un  très  grant  assaut  en  mer,  auquel  ledit  messire  Robert 
fu  navré  et  fu  au  lit  ;  et  le  prist  un  flux  de  ventre  duquel  il 
mourut  assez  test  avecques  la  navreure  qu'il  avoit.  Et  fu 
jiorté  en  Angleterre,  dont  il  n'estoit  pas  né,  pour  le  enterrer. 
Et  en  ce  meisme  moys  de  septembre,  vint  le  roy  d'An- 
gleterre en  Bretaigne  ;  et  disoit  que  ce  n'estoit  pas  pour 
guerroier  qu'il  estoit  venu,  mais  pour  garder,  deffendre  et 
aidier  Jehan,  fils  du  conte  de  Montfort,  lequel  il  appelloit 
son  fils,  pour  la  cause  qu'il  avoit  fiancé  sa  fille.  Si  avint 
et  apparut  assez  tost  après  le  contraire  du  fait  ;  car  il 
amena  avecques  soy  une  partie  de  son  ost,  et  ala  tenir  siège 
devant  la  cité  de  Vannes  ;  et  l'autre  partie  des  Anglois  ala 
devant  Nantes  et  ilec  firent  siège  et  désunirent  et  ardirent 
les  fourbours  et  demourèrent  là  jusques  à  tant  que  le  roy 
de  France  y  fu.  Et  après,  quant  il  vint  à  la  cognoissance  du 
roy  de  France  que  le  roy  d'Angleterre  entendoit  au  siège  de 
Vannes,  il  se  parti  de  la  cité  de  Tours  et  assembla  son  ost 
et  s'en  ala  à  Rezons  (2),  et  laissa  la  royne  qui  estoit  avecques 
Iny  en  l'abbaye  de  Noiremoustier.  Et  endementres  que  le 
roy  ala  à  Rezons,  il  ot  les  cardinaus  à  l'encontre  de  luy, 
lesquels ,  selon  le  commandement  du  pape ,  traitticrent 
avecques  luy  de  la  pais.  Quant  les  Anglois  qui  tcnoient 
siège  devant  Nantes  sceurent  la  venue  du  roy,  il  levèrent 
le  siège  et  s'en  départirent.  Si  avint  après  que  les  deux  roys 
approchièrent  l'un  de  l'autre  qu'il  n'avoit  de  l'un  à  l'autre 
que  six  lieues.  Adoncques  commencièrent  les  cardinaus  à 
chcvauchier  de  l'un  roy  ci  l'autre,  et  autres  prcudcsiiommcs 

(!)  r.czons.  Variante  :  /icv'o/x.  Ce  doit  tMrc  Bedon. 


Y 


420  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

messagers.  A  la  fin,  les  deux  roys  furent  d'une  volenté  à 
acort ,  à  ceste  fin  et  conclusion  que  d'iceluy  jour  qu'il 
comniencièrent  à  traittier  jusques  à  la  feste  de  saint  Micliicl 
ensuivant,  se  il  povoient  concorder,  trieves  et  induces  seront 
données  entre  eux  ;  et  s'il  ne  povoient  concorder  dedens  le- 
dit ternie,  les  trieves  seront  aloignées  juscjues  à  trois  ans, 
à  comniencier  à  la  feste  saint  Michiel  prochaine  avenant. 
Et  encore  est  acordé  que,  à  la  feste  de  la  Nativité  Nostre- 
Dame  de  l'année  ensuivant ,  cliascun  des  roys  envoiera  à 
Avignon,  pour  soy,  certains  messages  devant  le  pape  pour 
traittier  de  la  pais.  Et  ainsi  les  cardinaus  s'en  retournèrent 
à  Avignon  et  le  roy  d'Angleterre  se  parti  de  Bretaigne 
premièrement  et  s'en  ala  en  Angleterre.  Et  le  roy  de  France 
demoura  une  pièce  en  Bretaigne  jusques  environ  le  com- 
mencement du  moys  de  janvier  ;  et  lors  s'en  retourna  en 
la  terre  de  France.  Toutes  voies ,  ceux  qui  estoient  de  la 
partie  Charles  de  Bloys  menoient  tousjours  guerre  en 
Bretaigne  contre  l'autre  partie  qui  estoit  pour  le  conte  de 
Montfort. 

XXXI. 

De  laforme  des  trieves,  et  du  Iraiiiéfail  entre  le  roy  de  France  cl 
le  roy  cF Angleterre  par  les  cardinaus. 

La  forme  des  trieves  est  telle  :  <i  Vez-ci  les  choses  acor- 
I»  dées  et  jurées  entre  le  roy  de  France  et  le  roy  d'Anglc- 
»  terre,  c'est  assavoir,  par  monseigneur  le  duc  de  Bourhon 
»  et  le  duc  de  Bourgoigne  pour  le  roy  de  France,  et  par 
»  le  conte  de  Derhy,  le  conte  de  Noyrentonne  et  par  autres 
»  nobles  pour  le  roy  d'Angleterre;  en  la  présence  des  carcli- 
»  naus  Penestre  et  Tusculain^  trailtcurs  de  la  paix,  en  la 
»  ville  de  Malostroit. 


(1343.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  421 

»  Premièreïucnt  est  acorclc,  pour  la  révérence  de  l'églyse 
>)  et  à  secourre  au  mauvais  estât  de  crestienneté  et  à  espar- 
»  gnier  aux  dommages  des  sougiés  des  deux  roys,  et  pour 
»  l'honneur  des  cardinaus  traiteurs  de  la  pais  des  deux  roys, 
»  que  sur  toutes  discordes  et  dissentions  meues  entre  les 
»  deux  roys,  soient  envoiées  à  court  de  Rome  aucuns  du 
»  sanc  des  deux  roys  avec  aucuns  autres  qui  aient  puis- 
»  sance  de  concorder,  de  ottroier  et  de  afermer  sur  toutes 
»  lesdites  discordes,  selon  le  traittié  de  noslre  saint  père  le 
»  pape  et  des  devant  dis  traitteurs  ;  et  pourront  proposer 
'>  leur  raisons  devant  le  pape ,  non  à  décision  de  cause  né 
»  pour  donner  sentence  définitive,  mais  afin  de  meilleur 
»  traitié  et  de  faire  pais.  Et  si  est  ordené  que  ceux  qui  seront 
»  envoies  à  la  court  ois  seront  dedens  la  feste  de  monsei- 
»  gneur  saint  Jehan-Baptiste  prochainement  venant,  afin 
»  que  dedens  la  nativité  de  Nostre-Seigneur  les  choses 
»  dessus  dites  soient,  par  nostre  sire  le  pape  à  l'aide  de 
»»  Dieu,  expédiées  et  délivrées;  et  s'il  avenoit  que  du  con- 
'>  sentement  desdis  nobles  le  temps  fust  esloigné,  et  aussi 
»  que  le  pape  fust  empeschié  ou  qu'il  ne  peust  concorder 
»  les  deux  roys,  toutes  voies  les  trieves  durront  et  seront 
»  gardées  jusques  au  temps  déterminé.  Et  afin  c|ue  les  cho- 
»  ses  dessus  dites  puissent  avoir  meilleur  efïect,  sont  trieves 
»  ottroiées  jusques  à  la  feste  saint  Michiel  du  moys  de  sep- 
»  tembre  prochain  venant,  et  de  ladite  feste  jusques  à  trois 
»  ans  continuement  ensuivant ,  entre  les  roys  de  France, 
»  d'Angleterre  et  d'Escoce ,  et  le  conte  de  Haynau,  et  les 
»  Flamens  et  les  aliés  devant  nommés  des  roys  en  toutes 
»  les  terres  de  eux  et  de  leur  aliés;  pour  lesdites  trieves  tenir 
»  pour  le  temps  dessus  dit  de  la  date  de  ces  lettres  présentes. 
»  Et  si  est  ordené  que  le  roy  d'Escoce  et  le  conte  de  Haynau 
»  et  lesdis  aliés  envoieront  leur  messages  en  la  court  de 
»  Rome  dedens  la  feste  saint  Jehan  dessus  dite,  lesquels 

36 


422  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

aient  puissance  de  consentir  et  de  avoir  estable  tout 
quanciucs  il  leur  pourra  toucliier,  selon  le  traitié  du  saint 
père  le  pape.  Et  se  aucuns  de  eux  sont  négligens  ou  qu'il 
ne  leur  chaille  de  envoier  leur  messages  comme  dit  est, 
pour  ce  ne  sera  point  retardé  né  empeschié  la  négoce 
devant  dit.  Et  que  les  ordenances  faites  devant  Tonrnay, 
des  trieves ,  seront  exprimées  dedens  et  des  deux  roys 
confermées ,  excepté  des  emprisonnés.  Et  que  lesdites 
trieves  seront  des  deux  roys  en  Bretaigne  gardées,  et  de 
leur  adhérens,  jasoit  ce  qu'il  se  client  avoir  droit  au  du- 
cliié.  Et  cjue  la  cité  de  Vannes,  en  la  main  des  cardinaus 
sera  receue  et  teneue  en  la  main  du  pape  par  l'un  des 
cardinaus,  se  l'autre  se  départoit  ou  se  il  ne  la  vouloit 
recevoir  par  tout  le  temps  des  dites  trieves. 
»  Et  en  la  fin  des  trieves  fassent  les  cardinaus  leur  volenté 
de  la  cité  de  Vannes.  Et  que  les  cardinaus  labourront  cu- 
rieusement, afin  que  la  voie  plus  convenable  puisse  estre 
trouvée  par  laquelle  l'en  procède  à  l'absolucion  des  Fla- 
mens,  et  les  sentences  èsquielles  il  sont  encourus  oster. 
Et  que  le  conte  de  Flandres,  tant  comme  seigneur  sans 
moien  (  1  )  et  non  pas  tant  comme  souverain,  demourra 
en  Flandres  durant  lesdites  trieves  ;  mais  qu'il  plaise  au 
peuple  dudit  pays.  Et  que  ce  qui  fu  ottroié  ou  acordé  en 
la  cité  de  Nantes  au  conte  de  Montfort,  de  quoy  il  ap- 
paru, sera  loyaument  envers  ledit  conte  gardé.  Et  se 
aucuns,  en  Gascoigne  ou  en  autre  lieu,  meuvent  guerre 
l'un  contre  l'autre,  voisin  contre  voisin,  anemis  contre 
anemis,  lesdis  roys  ne  s'entremettront  point  de  leur  par- 
tie, né  pour  autres  envoies  né  autrement  par  cjuelque  ma- 
nière ;  et  pour  ce  les  trieves  ne  seront  point  enfreintes. 
Et  encore  est  acordé  que  les  deux  roys  labourront  bien 

(()  Sans  moijoi.  Sanseffn. 


(1343.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  423 

»  et  diligeammeut  et  sans  fraude,  que  les  sougiés  d'une 
»  partie  ne  fassent  guerre  aux  sougiés  de  l'autre  partie  en 
»  Gascoigne  et  en  Bretaigne  durant  lesdites  trieves.  Et  que 
»  nul  qui  maintenant  soit  en  obédience  d'une  partie  puisse 
»  venir,  les  trieves  pendans,  en  l'obédience  de  l'auti'e  partie 
»  à  laquelle  il  ne  fu  pas  au  temps  que  lesdites  trieves  furent 
»  données.  Et  que  durant  lesdites  trieves  à  aucuns  ne  soit 
»  donné  ou  souffert  à  donner  aucune  chose  en  la  guerre 
»  menée.  Et  que  lesdites  trieves  soient  gardées  en  mer  et 
».  en  terre.  Et  qu'elles  soient  acordées  et  concordées  par  le 
»  serement  de  l'une  partie  et  de  l'autre.  Et  que  lesdites 
»  ti'ieves  seront  publiées  en  l'ost  de  l'une  partie  et  de  l'au- 
»  tre,  c'est  assavoir,  en  Bretaigne  et  en  Gascoigne  dedens 
»  quinze  jours;  en  Flandres,  en  Angleterre  et  en  Escosse, 
»  dedens  quai*ante  jours.  Et  encore  est  acordé  que  tous  les 
»  prisonniers  d'une  partie  et  d'autre ,  et  tous  biens  pris 
»  durant  la  souffrance  par  les  devant  dis  cardinaus  nou- 
»  vellement  faite ,  c'est  assavoir  du  dimenche  devant  la 
»  feste  saint  Vincent  prochaine  venant  jusques  à  ce  présent 
»  jour ,  seront  mis  hors  de  prison  et  seront  franchement 
»  laissié  aler,  rachetés  ou  rançonnés  en  tant  que  l'ordre  de 
»  droit  donra.  » 

En  ce  meisme  an,  par  tout  l'y  ver,  furent  les  messages 
du  roy  de  France  à  la  court,  à  procurer  l'absolucion  Loys, 
duc  de  Bavière;  car  le  roy  luy  avoit  promis,  à  la  fin  que 
ledit  Loys  fust  alié  avecques  ledit  roy  de  France,  et  que 
l'aliance  que  ledit  duc  avoit  au  roy  d'Angleterre  fust  ani- 
chilée;  mais  les  devant  dis  messages  ne  firent  riens  à  la 
court,  pour  cause  que  ledit  duc  ne  demandoit  pas  sa  récon- 
ciliation vers  l'églyse,  par  manière  deue,  si  comme  il  devoit. 
Toutes  voies,  les  messagiers  du  roy,  tant  comme  il  estoient 
à  la  court  du  pape,  firent  convcncions  et  traittiés  devant 
le  pape,  avec  mcssire  Ymbcrl,  dauphin  de  Vienne,  lequel 


424  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

ii'avoit  nul  hoir  né  il  n'estoit  pas  en  espérance  qu'il  en  deust 
nuls  avoir  de  quelque  femme  que  ce  fust,  coment  messire 
Phelippe,  fils  du  roy  de  France,  succéderoit  au  Daupliiné. 
En  ce  meisme  an ,  mist  le  roy  une  exaction  au  sel , 
laquielle  est  appellée  gabelle;  c'est-à-dire  que  nul  ne  povoit 
vendre  sel  en  tout  le  royaume  s'il  ne  l'achetoit  du  roy.  Et 
qu'il  fust  pris  es  greniers  du  roy.  Dont  le  roy  acquist  l'indi- 
gnacion  et  la  inale  grâce  tant  des  grans  que  des  petis  et  de 
tout  le  peviple.  Et  si  fist  par  telle  manière  sa  monnoie 
empirier  et  de  jour  en  jour  amoindrir  que  devant  la  feste 
de  la  nativité  Nostre-Dame,  l'an  ensuivant,  un  denier  valoit 
cinq  deniers  parisis,  et  le  flourin  de  Florence  valoit  cjuarante 
sous  parisis.  Et  pour  ceste  cause  il  fu  grant  chierté  de  toutes 
choses  par  tout  le  royaume  de  France,  et  valoit  le  sextier  de 
h\é  soixante-seize  sous  parisis  et  avoine  quarante  sous  parisis. 

XXXII. 

Coment  mut  dissencion  entre  les  barons  de  Normendie;  et  co- 
rnent ceux  d^  Or  liens  pristrcnt  blés  qui  cstoient  sur  la  riç>ière 
de  Loire  et  les  mislrent  en  vente. 

L'an  de  grâce  mil  trois  cens  quarante-trois,  avint,  par 
l'enortation  du  déable,  que  une  grant  dissencion  s'esmut 
entre  aucuns  nobles  du  duchié  de  Normendie.  C'est  assa- 
voir, entre  messire  Jehan  conte  de  Harecourt,  et  messire 
Robert  dit  Bertran  mareschal  de  France ,  pour  conve- 
nances de  mariages  contraitiés  d'une  partie  avecques  le  fils 
dudit  messire  Robert,  et  avecques  la  fille  de  messire  Robert 
dit  Bacon,  chevalier,  et  de  l'autre  jiart  avecques  messire  Geof- 
froy, frère  dudit  conte.  Et  y  ot  mains  mises  (1)  et  glaives 

(1)  Mains  mises,  etc.  G'esl-â-dirc  jeu  de  mains  et  d'épées. 


(1343.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  426 

trais,  et  viiidient  jusques  eu  la  présence  du  roy.  Mais  le 
l'oy,  pour  le  bien  de  pais  et  pour  justice  faire,  enjoi.3ait  à 
cliascune  partie  que  l'une  partie  ne  courust  sus  l'autre  né 
se  combatist  contre  l'autre;  mais  tous  deux  fussent  semons 
à  venir  à  Paris  en  son  parlement.  A  laquiellc  journée  ledit 
messire  Geoffroy  ne  vint  né  comparut,  né  n'envoia  pour  soy 
procureur  suffisamment  fondé.  Mais  nonobstant  l'inliibi- 
cion  du  roy,  ledit  messire  Geoffroy  asségia  en  un  cliastel 
messire  Guillaume  dit  Bertran,  évesque  de  Lizieux,  frère 
du  devant  dit  messire  Robert;  et  depuis,  si  comme  l'en 
disoit  communément,  se  commença  ledit  messire  Geoffroy 
à  aerdre  (1)  avec  le  roy  d'Angleterre,  et  avecques  les  anemis 
du  roy  de  France, 

Item,  en  ce  temps,  Pbelippe  de  Navarre,  frère  de  la  royne 
Jebanne  femme  du  roy  Cbarles  denenièrement  trespassé, 
assez  tost  après  la  Pasque,  prit  sa  voie  pour  aler  à  l'aide  du 
roy  de  Castelle  contre  les  Sarrasins;  lequel,  quant  il  fu  parti 
de  France,  s'en  ala  à  Avignon,  et  là  fu  par  une  espace  do 
temps  avec  le  pape  et  les  cardinaus. 

Item,  en  ce  meisme  an,  comme  le  roy,  à  la  requeste  du 
ducdeBourgoigne,  luy  voulsist  aucunement  aidier; — car  en 
sa  terre  avoit  très  grant  deffaute  de  vivres,  et  eust  le  roy 
ordené  que  sur  les  terrouers  d'Orliens,  de  Biauce  et  de  Gas- 
tinois  ceste  manière  d'ayde  seroit  levée  pour  aidier  au  pays 
du  devant  dit  duc  ;  —  dont  il  avint  que  les  clercs  estudians 
à  Orliens,  avec  les  bourgois  et  le  commun,  portèrent  ceste 
cliose  moult  griefvement  et  disoient  que  les  marchiés  de 
vivres  en  seroient  moult  aménuisiés  et  empescliiés  ;  si  con- 
vindrent  tous  d'un  acort  à  procéder  en  l'offense  du 
loy  et  de  tout  le  conseil  par  telle  manière  :  car  de  fait  il 
viudrent  au  fleuve  do  Loire  là  où  cstoient  aucunes  nefs 


(1)  Acidie.  Adhérer. 

315. 


426  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

plaines  de  vivres  pour  estre  menées  au  duc  de  Bourgoigne 
et  en  son  dit  pays,  lesquelles,  sans  aucune  discrécion  et  sans 
arroy,  mistrent  tous  lesdis  vivres  en  vente  au  commun 
à  tous  ceux  qui  avoir  en  vouloient.  Et  adecertes  aucuns 
d'iceux  s'en  découroient  par  les  foibours  et  par  les  villes 
voisines,  et  rompoient  les  huis  et  exposoient  les  biens  des 
povres  à  larecin.  Quant  le  prévost  d'Orliens  vit  ce,  si  consi- 
déi'a  que  de  légier  il  ne  pourroit  pas  obvier  à  si  grans  forse- 
neries,  toutesvoies  il  fist  ce  qu'il  pot  ;  car  par  ses  sergens 
il  fist  prendre  douze  ou  quatorze  des  malfaiteurs,  et  les  fist 
mettre  en  prisons  diverses.  Quant  les  autres  de  la  ville 
cirent  dire  que  le  prévost  en  avoit  mis  aucuns  en  prisons,  si 
s'esmurent  ainsi  comme  hors  du  sens  et  forsenés,  et  s'en 
alèrent  aux  prisons  et  les  rompirent,  et  mistrent  hors  ceux 
que  le  prévost  y  avoit  mis;  et  non  pas  seulement  ceux, 
mais  tous  autres  prisonniers  et  meismement  aucuns  qui 
estoient  coudampnés  à  mort  pour  leur  mesfais.  Quant  ces 
choses  furent  venues  à  la  cognoissance  du  roy,  il  envoialà 
deux  chevaliers ,  et  avecques  eux  grant  quantité  de  gens 
d'armes ,  et  leur  commanda  bien  que  tout  acertes  ceux 
qu'il  trouveroient  coupables  de  ceste  dissencion  que  tantost 
et  sans  délay  il  les  fissent  pendre,  et  meismement  ceux  que 
le  prévost  d'Orliens  leur  nommeroit.  Lesquiex,  quant  il 
furent  venus  à  Orliens ,  il  en  firent  prendre  ])luseurs  et 
tantost  pendre,  si  comme  commandé  leur  avoit  esté;  entre 
lesquiex  il  ot  un  pendu,  lequiel  estoit  dyacre,  si  comme 
l'en  disoit;  et  tantost  après  cessa  toute  celle  sédicion  (1). 

En  ce  meisme  an,  en  la  ville  de  Paris  et  meismement  en- 
viron Paris  et  au  bois  de  Viucennes,  là  où  la  royne  vouloit 
que  une  grant  fesle  fust  faite  pour  la  cause  que  elle  avoit 
eue  un  fils  nouvellement,  il  vint  une  très  forte  tempeste, 

(1)  Nos  historiens  nioUcrnes  n'onl  pas  parle  do  cette  «édition. 


(1343.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  427 

laquelle  tresbucha  un  très  fort  mur ,  et  rompit  et  abati 
pluseurs  arbres  audit  boys. 

En  ce  meisme  an ,  l'abbc  de  Saint-Denis  en  France , 
messire  Guy  de  Chartres  (1),  lequel  s'estoit  moult  sagement 
porté  au  gouvernement  de  sa  maison,  c'est  assavoir  de  l'é- 
glyse  de  monseigneur  saint  Denis,  afin  que  il  péust  mieux 
vacquer  à  Dieu  et  à  contemplacion,  envoia  procureur  en 
la  court  de  Rome  souffisamment  fondé;  lequel  procureur, 
en  la  présence  du  pape  en  plain  consistoire,  de  par  ledit 
monseigneur  Guy  abbé,  résigna  au  gouvernement  et  à  l'hon- 
neur de  la  devant  dite  églyse  de  monseigneur  saint  Denis. 
Et  assez  tost  après,  frère  Gille  Rigaut  (2),  moyne  de  celle 
meisme  églyse ,  bachelier  en  théologie  et  prieur  d'Essone 
cmprès  Corbueil ,  à  la  subjection  du  roy  de  Navarre  qui 
estoit  présent  à  la  court  de  Rome,  et  par  le  bon  tesmoing 
lie  son  devancier,  c'est  assavoir  ledit  monseigneur  l'abbé 
Guy,  lequel  avoit  escript  de  luy  à  la  cour  de  Rome  et  audit 
roy  de  Navarre,  fu  ledit  frère  Gille  Rigaut  subrogé  au 
gouvernement  de  ladite  églyse;  et  en  ladite  court  de  Rome, 
avant  qu'il  partist,  fu  benéi  et  consacré.  Un  pou  après  la 
Ijénédicion  de  Gille  Rigaut  en  abbé  de  Saint-Denis  en 
France,  Phclippe,  roy  de  Navarre,  pristcongié  au  pape;  el 
empêtra,  tant  pour  luy  comme  pour  ceux  qui  estoient  avec- 
ques  luy,  du  pape,  plaine  indulgence  de  peine  et  de  coulpe, 
et  se  mist  en  chemin  pour  aler  en  l'ayde  du  roy  de  Cas- 
telle,  contre  les  Sarrasins.  Icestui  roy  de  Castclle  se  coniba- 
toit  contre  les  Sarrasins  et  avoit  guerre  continuemcnt  contre 
eux  ;  et  espéciaument  pour  le  temps,  il  avoit  uioult  à  faire 
contre  le  roy  de  Garnate  et  contre  le  roy  de  Belle-Marine, 
car  il  avoit  asségié  et  mis  siège  contre  une  très  noble  et  très 


(1)  Chartres.  Et  mieux  t/u  Castres. 

(2)  ixifjaut.  Le  manuscrit  8298-3  iijoulc  ik  Rohsy  ou  iioucij. 


i 


428  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

forte  cite  ,  laquelle  est  appellée  Algésire,  et  est  divisée  eii 
deux  parties,  et  court  une  rivière  parmi;  et  y  a  un  pont 
par  lequel  on  va  d'une  partie  à  l'autre ,  dont  l'une  partie 
est  appellée  Algésir  la  neuve,  et  l'autre  Algésir  la  vielle.  A 
ce  siège  vint  le  roy  de  Navarre  au  inoys  d'aoust,  et  fu  receu 
du  roy  de  Castelle  à  très  grant  joie  et  graut  honneur.  Et  ja- 
soit  ce  que  ledit  roy  de  Navarre  eust  moult  grant  désir  de 
soy  combatre  contre  les  Sarrasins,  toutes  voies,  assez  tost 
après  qu'il  fu  arrivé  au  devant  dit  siège ,  il  luy  prist  une 
forte  passion  (1)  que  l'en  appelle  flux  de  ventre,  et  se  parti 
du  roy  de  Castelle  et  de  l'ost  des  Sarrasins  (2),  environ  trois 
lieues  loing,  et  ilec  mourut  comme  bon  chevalier  de  Jhé- 
sucrist  (3),  duquel  le  corps  fu  enterré  en  l'églyse  Nostre- 
Dame  à  Pampelune,  et  le  cuer  aux  frères  Prescheurs,  à 
Paris,  et  ses  entrailles  à  une  ville  qui  est  appellée  la  Noe, 
emprès  Evreux.  Et  après  la  mort  dudit  roy ,  la  roy  ne  de 
Navarre,  sa  femme,  par  le  conseil  du  roy  de  France,  re- 
nonça à  toutes  ses  debtes  et  à  tous  meubles  (4). 


(1)  Passion.  Souffrance. 

(2)  Le  continuateur  françois  de  Nangis  ajoute  ici  :  A  Cereix.  (Manus- 
crit 8298-3.) 

(3)  Le  manuscrit  8298-3  ajoute  :  Au  mois  de  septembre. 

(4)  On  pourroit  croire,  d'après  ces  dernières  paroles,  que  le  roi  de 
Navarre  n'avoit  pas  été  fàclié  de  perdre  de  vue  ses  créanciers,  en  se  ren- 
dant en  Espagne. 


(13i3.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  429 

XXXIII. 

ComciU  les  faux  sceUcurs  orent  les  poings  copés  ;  cl  coinciU 
monseigneur  Olii'icr  de  Clisson  ol  la  leste  copée  es  haies  de 
Paris  y  et  pluseurs  autres  chei>aliers  et  escuiers  de  Bretaignc 
et  de  Normcndie  ;  cl  cornent  il  Ju  chier  temps  en  France 
pour  les  changemens  de  monnaies . 

En  ce  meisiue  moys  d'aoïist,  un  noble  chevalier  de  Bie- 
tai^jne  (1)  qui  avoit  à  nom  niessire  Olivier  de  Clisson,  pour 
cause  de  traison  qu'il  avoit  commise  contre  son  seigneur  le 
voy  de  France  qui  avoit  fait  ledit  messire  Olivier  clievalier 
et  moult  l'avoit  aimé,  fu  pris  moult  cautement  à  une  joustc 
à  Paris;  lequel,  quant  il  fu  pris,  confessa  sa  traison  et  fu  par 
luy-meisme  prouvée.  C'est  assavoir,  qu'il  avoit  iaissié  son 
seigneur  le  roy  de  Fi-ance  et  s'estoit  alié  aveques  le  roy 
d'Angleterre  par  foy  bailliée,  lequel  estoit  adversaire  du  roy 
de  France.  Assez  tost  après,  fu  amené  du  Temple,  là  où  il 
tenoit  prison  en  Chastellet,  la  teste  toute  nue  et  sans  chap- 
peron,  et  puis  fu  sentence  donnée  contre  luy,  cl  fu  mis 
hors  de  Chastelet;  et  d'ilecques,  si  comme  l'en  dit,  fu  trainé 
tout  vif  jusques  en  Champiaux  (2),  et  depuis  fu  monté  ou 
monta  en  un  grant  et  haut  cschaufaut,  là  où  il  povoit  estrc 
veu  de  tous,  et  là  ot  la  teste  copée  (3).  Duquel  le  corps  fu 
trainé  jusques  au  gibet  et  puis  fu  pendu  par  les  esselles  au 
plus  haut  lieu  du  gibet,  et  son  chef,  du  commandement  du 
roy,  en  espoentement  des  autres,  si  fu  porté  en  la  cité  (4)  de 

(1)  De  Cz-t'/a/^oc.  Manuscrit  8298-3.  Brelon- Gallon. 

(2)  Cliami)iaux.  Clianipcaux.  Aux  halles  ilc  Paris. 

(3)  La  iCle  copée.  Villarct  dit  à  co  propos  :  Satis  qu'on  pùl  pénÉlrcy  les 
motifs  de  celle  exécution.  D'après  tous  les  récils  conlcmi)orains,  incitic 
celui  de  Froissart,  on  n'avoit  pas  besoin  d'une  grande  pénélralion  pour 
le  deviner. 

(■i)  En  la  cité.  Manuscrit  8298  3.  El  mise  sur  la  porte  de  Nantes. 


UO  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

Naiites  à  laquelle  il  avoil  fait  moult  de  maux  et  s'estoit 
cfforcié  de  la  trair,  si  comme  l'en  disoit.  Sa  femme  qui  es- 
toit  appellée  dame  de  Belleville,  tant  comme  coupable  des 
devant  dites  traïsons ,  fu  semoncée  en  parlement,  laquelle 
n'osa  comparoir  ;  pour  ce ,  fu  elle  condampnée  par  juge- 
ment et  bannie. 

En  ce  meisme  an  ,  Geoffroy  de  Harecourt  (1)  qui  avoit 
esté  semons  en  parlement,  si  comme  devant  est  dit  et  n'es- 
toit  point  venu,  mais  avoit  fait  une  très  grant  desloyauté 
contre  son  seigneur,  car  il  s'estoit  aers  (2)  avecques  le  roy 
d'Angleterre  et  le  servoit  en  ses  fais  de  guerre,  si  fu  de  re- 
cliief  semons  en  parlement  devant  le  roy  ou  ses  gens  ;  et 
comme  il  ne  venist  né  pour  soy  souffisamment  il  n'envoiast, 
le  roy  le  fist  bannir  solempnellement  etdu  royaume  de 
France  estre  osté,  et  tous  ses  biens  estre  confisqués. 

Ce  meisme  an,  au  moys  d'aoust,  le  conte  de  Montfort 
qui,  depuis  le  temps  qu'il  avoit  esté  pris  en  Bretaigne,  avoit 
tenu  prison  à  Paris  au  Louvre  jusques  à  maintenant ,  fu 
délivré  de  prison  pour  certaines  seurtés  et  convenances 
qu'il  n'iroit  pas  en  Bretaigne  (3). 

En  ce  meisme  an,  au  moys  de  septembre,  les  deux  roys 
de  France  et  d'Angleterre  envoièreut  messagiers  à  Avignon 
pour  ti'aitier  de  la  pais,  si  comme  il  estoit  acordé  entre  eux 
c'est  assavoir  en  la  feste  de  la  nativité  Nostre-Dame. 


(1)  Geoffroy  de  Uarecourt.  «  Un  des  grands  barons  de  Normandie,  frère 
»  au  conlc  de  Harcourt  pour  le  temps  de  lors,  et  sire  de  Saint-Sauveur- 
»  le-Viconile  et  dç  pluseurs  villes  de  Normandie.  »  (Froissart,  livre  1, 
chap.  24C.) 

(2)  Aers.  Associé,  Avoir  fait  adhérence. 

(3)  Le  comte  de  Montfort  ne  mourut  donc  pas  en  prison ,  comme  le 
dit  Froissart;  il  ne  s'évada  donc  pas  de  prison,  comme  le  dit  dom  Lobi- 
neau  dans  son  Histoire  de  Bretagne.  Mais  il  rompit  on  1344  les  engagcniens 
qui  avoient  été  la  condition  de  son  élargissement,  en  allant  joindre  le  roi 
d'Angleterre.  (Voyez  la  continuation  françoisc  de  Nangis,  nisc.  8298-3., 
anno  1344.) 


(1343.)  PIIELIPPE  DE  VALOIS.  431 

En  ce  meisme  an,  il  vint  une  très  giant  guerre  et  dis- 
sencion  entre  le  roy  d'Arragon  et  le  roy  de  Maillorgues, 
pour  causes  d'aucunes  redevances  que  le  roy  d'Arragon 
disoit  avoir  en  la  ville  de  Perpignan  :  et  assemblèrent  en- 
semble en  bataille;  mais  le  roy  de  Maillorgues  fu  vaincu 
tantost  et  mis  ainsi  comme  tout  au  noient  :  mais  après  il 
furent  par  le  pape  mis  à  pais. 

Et  environ  ce  temps,  sept  faux  scelleurs  et  composeurs  et 
simulateurs  du  scel  du  roy  de  France  furent  extrais  et  mis 
hors  de  Chastellet,  et  furent  menés  aux  champs  hors  de 
Paris  emprès  Saint-Laurent ,  et  en  la  terre  et  justice  de 
monseigneur  saint  Denis  par  don  du  roy.  Et  là,  fu  levé  un 
grant  eschaufaut  par  le  prévost  de  Paris  du  congié  de 
ladite  églyse  de  monseigneur  saint  Denis,  et  de  ce  orent 
bonnes  lettres  dudit  prévost ,  présent  maistre  Jehan  Pas- 
toiuel  c(ui  les  reçut  au  nom  de  ladite  églyse;  et  quant  il 
fiuent  audit  eschaufaut  montés  par  degrés  de  fust  (l)  que 
l'en  y  avoit  fais ,  l'en  leur  copa  sus  ledit  eschaufaut  les 
peins,  et  après  furent  traincs  au  gibet  et  pendus. 

En  ce  meisme  an,  le  roy  fist  cheoir  sa  monnoie  par  telle 
condicion  que  ce  qui  valoit  (2)  douze  deniers  de  la  monnoie 
courant  ne  vaudroit  que  neuf  deniers,  c'est  assavoir,  l'escu 
f[ui  valoit  soixante  sous  ne  vaudroit  c|uc  trente-six  sous  et  le 
gros  tournois  ne  vaudroit  que  trois  sous ,  le  treiziesme 
jour  de  seplend^rc.  Et  en  la  Pasqucs  prochaine,  l'escu  ne 
vaudroit  que  trentc-f|uatre  sous,  et  le  gros  deux  sous,  et  la 
maille  blanche  six  deniers  juscpies  emmi  septembre,  l'an 


(1)  Degrés  de  fust.  Escaliers  de  bois. 

(2)  Ce  qui  valoil.  Msc.  8208-3.  Les  ntaille^  blanches  qui  courrnieni  pour, 
clc,  —  El  le  flourin  à  l'escu  qui  courrait  pour  soixante  sols,  etc.  —  Et  le 
(iras  tournois  de  saint  hoijs  et  de  ses  devanciers,  etc. —  El  à  Pasques  chairoii 
pour  un  tiers,  c'est  assavoir  l'escu  vint-(piatre  sols,  le  (jros  tournois  deux 
>()/.s,  In  maille  blanche  dix  deniers  tournoi);. 


I 


432  ^    LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

quarante-quatre  et  plus  ne  dureroit.  Dont  il  avint  que  blés 
et  vins,  et  autres  vivres  vindrent  à  grant  defFaut  et  à  grant 
chierté,  pour  laquelle  chose  le  peuple  commença  à  mur- 
murer et  à  crier,  et  disoient  que  celle  chierté  estoit  pour  la 
cause  que  chascun  attendoit  à  vendre  ses  choses  juscjues  à 
tant  que  bonne  monnoie  courust.  Et  fu  la  clameur  du  peu- 
ple si  grant  que  le  roy,  ce  meisme  an  ,  c'est  assavoir  l'an 
mil  trois  cens  quarante  -  trois  ,  le  vingt -huitiesme  jour 
d'octobre,  fist  cheoir  du  tout  les  monnoies  devant  dites  par 
telle  manière  que  le  gros  vaudroit  douze  deniers,  la  maille 
blanche  trois  tournois,  le  flourin  à  l'escu  treize  sous  quatre 
deniers,  le  flourin  de  Florence  neuf  sous  six  deniers.  Jasoit 
ce  que  par  avant  il  eut  osté  le  cours  aux  autres  monnoies, 
excepté  les  bruslés  qui  valoient  deux  deniers ,  lesquels 
vindrent  à  une  maille  tournoise.  Et  nepourquant,  considéré 
la  forte  monnoie,  non  obstant  la  clameur  du  peuple  devant 
dite,  les  vins,  les  blés  et  autres  vivres  estoient  plus  chiè- 
rement  vendus  que  devant. 

En  ce  meisme  an,  au  moys  de  novembre,  la  vigile  de  saint 
André  l'apostre,  aucuns  nobles  de  la  duchié  de  Bretaigne 
qui  avoient  conspiré  contre  le  roy  de  France,  et  en  moult 
de  lieux  du  royaume  de  France  subgiés,  et  meismement  en 
Bretaigne,  avoient  moult  de  maux  perpétrés,  en  faisant  des- 
tructions, occisions  et  rapines,  et  lesquels  avoient  preste 
aide,  conseil  et  faveur  au  roy  d'Angleterre  et  à  messire 
Robert  d'Artois  très  grans  anemis  du  roy  de  France;  et 
espéciaument  audit  messire  Robert  d'Artois,  quant  il  vint 
en  Bretaigne,  si  comme  devant  est  noté  ;  furent  mis  hors 
du  Chastellet  de  Paris  et  trainés  es  haies,  tant  comme  très 
mauvais  traitres;  et  tous  les  uns  après  les  autres  orent  les  cous 
copés  et  puis  furent  trainés  jusques  au  gibet,  et  après,  au 
plus  haut  lieu  du  gibet  pendus  par  les  csselles,  et  leur 
testes  après  eux.  Et  estoient   tous  nobles,   c'est  assavoir, 


(1343.)  PHELIPPE  DE  VALOIS,  433 

six  chevaliers  et  six  escuiers,  desquels  les  noms  sont 
après  nommés,  un  excepte  duquel  je  ne  sçay  pas  le  nom. 
Premièrement  les  chevaliers  :  Messire  Geoffroy  de  Males- 
troit,  messire  Jehan  de  Malestroit,  son  fds,  messire  Jehan 
de  Montalban  ,  monseigneur  Guillaume  d'Evreux  (  1  ) , 
monseigneur  Alain  de  Calilac  (2),  messire  Denis  du  Plessie. 
Les  escuiers  :  Jehan  de  Malestroit ,  Guillaume  d'Evreux- 
Rollant  Jean  de  Sene  David  (3). 

En  ce  meisme  an,  le  samedi  veille  de  Pasques,  c'est  assa- 
voir le  troisiesme  jour  d'avril,  trois  chevaliers  nornians  les- 
quels se  portoient  traitreusement  contre  le  roy,  en  tant  qu'il 
entendoient  Geffroy  de  Harecourt,  banni  du  royaume  de 
France  ce  meisme  an  si  comme  dessus  est  escript,  faire  duc 
de  Normendie,  et  duquel  duchié  ledit  messire  Geffroy  avoit 
jà  fait  hommage  au  roy  d'Angleterre,  si  comme  l'en  disoit 
communément,  furent  pris  et  détenus  ;  et  sus  les  devant  dis 
fais  accusés  et  convaincus  (4)  :  finahlement  furent  mis  hors  du 
Chastellet  là  où  il  avoient  esté  longuement,  et  furent  jugiés 
par  telle  manière  comme  les  devant  dis  de  Bretaigne ,  et 
exécutés  ladite  vedle  de  Pasques,  ce  excepté  que  les  trois 
chiefs  desdis  trois  chevaliers  normans,  du  commandement 
du  roy  ,  furent  tantost  portés  à  Saint-Lo  en  Constantin  , 
en  détestacion  de  lein*  grant  ti'aison  qu'il  avoient  faite,  et 
en  espoentement  des  autres.  Et  après  sont  les  noms  desdis 
trois  chevaliers  :  premièrement  messire  Guillaume  (5) 
Bacon,  le  seigneur  de  la  Roche-Taisson ,  messire  Richartde 
Persy.  Et  furent  tous  les  biens  desdis  chevaliers,  tant  meu- 

(1)  D'Evreux.  Variante  :  Brex.  —  Des  Brieux. —  De  Brciix. 

(2)  Alain  de  Calilac.  Variante  :  Jean  de  Cawac.  —  Alain  de  Quedillac. 

(3)  Sene  David.  Senedavi. 

(4)  Convaincus.  Les  liisloriens  modernes  disent  qu'Olivier  de  Clisson 
et  les  autres  coupables  de  lése-majestc  ne  furent  pas  jugés  ;  nos  clironi- 
(|ues  déposent  le  contraire. 

(5)  Guillaume.  Continuation  Françoise  de  Nangis  :  Rijbiert. 

TOM.  V.  37 


434  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

blés  comme  immeubles,  appliqués  au  fié  royal  ;  car  il 
avoient  conspiré  contre  le  roy,  et  si  avoient  envers  luy  leur 
loyauté  brisiée,  pourquoy  il  avoient  encouru  crime  de  lèse 
majesté  (1);  et  pour  ce,  sans  aucune  injure  et  de  dx'oit,  furent 
leur  biens  confisqués  à  la  royal  majesté.  Si  avint  que  le 
roy  qui  vit  tant  de  traïsons  estre  faites  et  de  toutes  person- 
nes et  en  toutes  parties  de  son  royaume,  si  fu  moût  troublé 
en  luy-meisme,  et  commença  à  penser  et  soy  à  merveiller, 
et  non  pas  sans  cause,  par  quelle  manière  ces  choses  pooient 
estre  faites  :  car  il  véoit  au  ducliié  de  Bretaigne  et  de  Nor- 
mendie  ainsi  comme  tous  rebeller,  et  meisme  moult  de  iceux 
nobles  qui  luy  avoient  promis  et  juré  garder  perpétuelle- 
ment loyauté  jusques  à  la  mort.  Adonques  il  quist  par  son 
povoir  conseil  tant  de  princes  comme  de  barons  de  son 
royaume,  par  quelle  manière  il  pourroit  à  si  grant  fraude 
et  à  si  grant  iniquité  obvier ,  afin  que  de  son  royaume 
tout  inemistié  fust  du  tout  ostée,  et  que  l'en  usast  de  ferme 
et  loyal  pais. 

XXXIV. 

Cornent  Henry  de  Maleslroit,  cler  du  roy,  fu  mis  en  l'cschielle 
au  par^'is  dei'ant  Nostre-Dame,  et  puis  mourut  en  l'ou- 
hlietle. 

En  l'an  de  Nostre-Seigneur  mil  trois  cent  quarante- 
quatre ,  Jeban  ,  fils  de  Phelippe  roy  de  France,  duc  de 
Normendie,  par  l'ordenance  et  volenté  du  pape  s'en  ala  à 
Avignon  à  grant  et  noble  compaignie,  là  où  le  roy  d'An- 
gleterre devoit  convenir.  Et  quant  il  ot  attendu  longue- 

(1)  Villarct  dit  encore  ici  que  tous  ces  barons  furent  exécutés  pour  des 
crhncs  inconnm.  On  ne  peut  traiter  plus  légèrement  les  témoignages  con- 
temporains. 


(ISZii.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  135 

ment  pour  ce  que  le  roy  d'Angleterre  ne  venoit  point , 
mais  envoioit*  messagers  solempnels  qui  n'estoient  mie 
fondés  soufïisamment  à  expédier  la  besoigne  de  laquelle 
il  dévoient  traittier,  tout  ainsi  comme  il  estoit  aie  il  s'en 
retourna  vuide  et  sans  riens  faire.  Mais  tandis  qu'il  attendoit 
à  Avignon  le  roy  d'Angleterre ,  grant  contencion  fu  meue 
entre  les  gens  du  cardinal  de  Pierregort  et  les  gens  du  conte 
d'Aucerre,  lequel  estoit  de  la  famille  monseigneur  le  duc 
de  Normendie,  exi  tant  qu'il  y  ot  sept  personnes  tuées  et 
aucuns  de  ceux  qui  estoient  de  la  partie  dudit  cardinal. 
Et  tant  enforça  la  sédicion ,  que  le  duc  commenda  c[ue 
toutes  ses  gens  s'armassent  ;  mais  ladite  sédicion  fu  tost  et 
hastivement  par  le  pape  apaisiée  et  pacifiée. 

En  celuy  an,  fu  pris  inaistre  Henri  de  Malestroit,  clerc 
et  diacre,  et  frère  jadis  de  monseigneur  GefFroy  de  Males- 
troit ,  chevalier  lequel  avoit  esté  décapité  l'an  derennière- 
ment  passé.  Yceluy  Henri  avoit  esté  en  oflice  du  roy  que 
l'en  dit  seigneur  des  requestes  de  l'hostel  le  roy  ;  mais 
après  la  mort  de  son  frère,  il  s'en  ala  au  roy  d'Angleterre 
et  estoit  son  adhérent  conti'e  nostre  seigneur  le  roy  de 
France,  en  tant  que  en  la  ville  de  Vannes  en  Bretaigne  il  se 
portoit  comme  capitaine  pour  la  partie  du  roy  d'Angle- 
terre. Lequel  fu  pris  des  François  et  amené  à  Paris  hastive- 
ment. Et  quant  il  fu  mis  en  prison ,  à  la  parfin  il  pria  à 
grant  instance  que  il  fust  mené  devant  le  roy,  et  il  luy  diroit 
merveille  et  s'excuseroit  loiaument  de  ce  que  l'en  luy  im- 
posoit.  Adoncques  puis  qu'il  fu  présenté  au  roy  et  l'en 
ot  escouté  et  oï  paciamment  tout  ce  qu'il  avoit  voulu  dire, 
noient  moins  il  fu  envoie  en  prison  à  la  maison  du  Temple 
là  où  il  avoit  esté  paravant  et  dont  l'en  l'avolt  amené.  Et 
quant  il  ot  demouré  un  petit  temps,  à  la  parfin  au  moys 
d'aoust  il  fu  jnis  hors  de  prison,  en  cote  et  sans  chaperon, 
lié  par  le  cou  et  par  les  mains  et  par  les  pies  de  chaiennes  île 


436  LKS  GRANDES  CHRONIQUES, 

fer,  et  assis  en  un  toniberel  sus  un  bois  grant  et  large,  mis 
de  travers  afin  que  tons  le  pcussent  véoir ,  et  ainsi  fu 
pourmené  par  la  ville  de  Paris,  dès  le  Temple  jusques  au 
parvis  devant  l'églyse  de  Nostre-Dame,  et  là  fu  baillié  et 
laissié  à  l'évesque  de  Paris.  Après  ces  choses ,  par  vertu 
d'une  commission  du  pape  empêtrée  par  le  roy  qui  moult 
s'efïorçoit  que  ledit  Henri  fust  dégradé  de  l'ordre  de  diacre 
et  de  tout  autre  oidre,  il  fu  mis,  par  le  jugement  de  l'é- 
glyse, en  eschielle,  et  monstre  à  tout  le  peuple  par  trois  fois, 
en  laquelle  eschielle  il  souffrist  et  soustint  pluseurs  repro- 
ches ,  blasphèmes  et  vitupères  très  grans  et  vilains^  tant 
pour  l'orde  boe  que  l'en  luy  gettoit ,  comme  par  autres 
choses  puantes  qui  luy  estolent  gettées  par  les  menistres  du 
diable ,  les  sergens  du  Chastelet  qui  estoient  présens,  et 
espéclalement  en  ce  qu'il  fu  navré  jusc|ues  au  sanc  d'une 
pierre  cjue  l'en  luy  getta ,  contre  la  deiï'ense  des  commis- 
saires et  de  l'official  de  Paris  ;  lesquels,  sus  peine  d'escom- 
meniement ,  avoient  fait  crier  que ,  contre  ledit  Henri 
mis  en  l'eschielle,  nul  ne  gettast  plus  d'une  fois.  Et  iceulx 
trois  jours  accomplis,  assez  tost  après  il  mourut  (1),  et  selon 
ce  qu'il  est  acoustumé,  il  fu  mis  tout  niort  au  parvis  ;  et  fina- 
blement,  afin  que  pluseurs  le  véissent,  il  f  u  porté  au  palais  (2). 
Après  ces  choses,  le  roy  d'Angleterre  envoia  messagers  à 
la  court  de  Rome,  en  soy  complaignant  du  roy  de  France  ; 
et  disoit  qu'il  ne  gardoit  mie  raisonnablement  les  trieves 
mises  entre   eux ,  meismement  pour  la  mort  de  monsei- 

(1)  7/  mourut.  Conlinuation  françoisc  de  Nangis  :  Mourut  en  prison  en 
oubliance. 

(2)  Au  palais.  Continuation  françoise  de  Nangis:  A  la  porte  du  palais. 
—  Cette  mort  du  diacre  Henry  de  Malestroit  prouve  assez  que  la  haine 
des  prétentions  de  l'Angleterre  étoil  déjà  bien  enracinée,  bien  populaire 
en  France.  Villaret  et  Sismondi  se  sont  donc  trompés  en  soutenant, 
le  premier,  qu'on  ignoroit  la  cause  de  tant  d'exécutions;  le  se- 
cond, qu'on  étoit  en  France  généralement  indifférent  aux  intérêts  de  l'un 
ou  de  l'autre  des  deux  rois. 


(1344.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  437 

gneur  Gefïroy  de  Malestroit ,  chevalier,  et  d'autres  mis  à 
mort,  à  Paris,  par  le  roy  de  France  (1). 

Le  mardi  dix-huitiesme  jour  de  janvier,  Phelippe  (2),  fils 
du  roy  de  France,  estant  âgé  de  dix  ans,  prist  à  femme 
madame  Blanche ,  fdle  de  Charles  roy  de  France ,  qui  es- 
toit  trespassé  derrenièrement  ;  estant  ladite  Blanche  en 
aage  de  dix-huit  ans.  Et  fu  faite  très  grant  feste  à  Paris  au 
palais  le  roy,  présente  madame  la  royne  Jehanne,  mère  de 
ladite  espouse,  à  tout  grant  compaignie  de  nobles.  Et  l'en- 
demain  de  ladite  feste,  la  compaignie  des  nobles  dessus  dis 
firent  joustes  et  grant  appareil ,  escjuelles  joutes  monsei- 
gneur Raoul  conte  d'Eu  ,  connestable  de  France,  fu  mis  à 
mort  et  occis  de  un  cop  de  lance. 

(3)  Le  dernier  jour  de  février  furent  conjonction  des  trois 
planètes  plus  hautes,  c'est  assavoir  de  Mars,  de  Jupiter  et 
de  Saturne  ;  et  selon  le  jugement  des  sages  astronomes  qui 
pour  le  temps  demouroient  à  Paris,  ladite  conjonction, 
selon  leur  dit,  valoit  trois  conjonctions,  c'est  assavoir  con- 
jonction grant,  très  grant  et  moienne,  et  ne  povoit  à  venir 
que  en  (4)  du  moins;  et  pour  ce,  elle 

demonstroit  et  ségnéfioit  choses  grans  et  merveilleuses  et 
qui  n'a  viennent  que  trop  pou  et  tart,  si  comme  sont  muta- 
tions de  lois ,  de  siècles ,  de  royaumes  ,  et  avènemens  de 
prophètes.  Et  doivent  avenir  ces  choses  espécialement  vers 
les  parties  de  Jhérusalem  et  de  Surie. 

(1)  Edouard  auroit  voulu  que  ses  partisans  avoués  fussciU  considérés  en 
France  comme  il  considéroil  lui-même  les  barons  demeurés  fidèles  à 
riiiiippe  de  Valois  qui  tomboient  entre  ses  mains.  On  sent  que  cela  ne  de- 
voit  pas  être,  et  que  le  roy  de  Fraucc  ne  pouvoil  laisser  impunis  dans  sou 
royaume  ceux  qui  l'abandonnoient  après  dix  ansdc  souveraineté  incontestée  • 

(2)  Phelippe.  Continuation  françoisc  de  Nangis  :  Duc  d'Orléans. 

(3)  Ce  paragraphe  est  inédit. 

(4)  Ce  membre  de  phrase  esl  entièrement  omis  ou  transcrit  avec  cette 
lacune  dans  les  manuscrits. 

37. 


438  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

Eu  celui  au,  le  loy  d'Arragon  prist  le  roy  de  Maillorgues 
et  kiy  osta  son  royauuie  pour  ce  qu'il  ne  luy  vouloit  faire 
hommage. 

XXXV. 

Comenl  les  Gascons  et  les  Bourdelois  brisicreiil  les  trie^'es  enlrc 
les  deux  roys;  et  cornent  toute  la  baronie  de  Haynau  fut 
desconfile  en  Frise. 

L'an  de  grâce  mil  trois  cent  quarante-cinq,  environ  la 
Penthecouste,  les  Gascons  et  les  Bourdelois  commencièrent 
à  brisier  les  trieves  en  faisant  pluseurs  courses  sus  le  royaume 
et  les  gens  de  France.  Mais  environ  la  Nativité  Saint-Jehan- 
Baptiste,  le  roy  d'Angleterre  envoia  lettres  au  pape,  disant 
que  le  roy  de  France  avoit  rompues  les  trieves  et  que,  pour 
ce,  il  le  deffioit.  Lesquelles  lettres,  quant  le  pape  les  ot 
leues,  il  les  envoya  au  roy  de  France  afin  qu'il  les  leust. 
Dès  lors  il  s'apresta  pour  garder  le  pays  et  les  frontières  du 
royaume,  et  fist  sa  semonce  par  lettres  aux  nobles,  en  man- 
dant à  tous  que,  hastivement  après  quinzaine  de  la  Magda- 
laine,  il  comparussent  solemnelment  et  en  armes  à  Arras. 

Et  en  celuy  temps  que  ces  choses  se  faisoient  en  France, 
le  roy  d'Angleterre,  à  tout  grant  multitude  de  gens,  entra 
en  mer  et  vint  à  l'Escluse  en  Flandres,  en  espérance  de  rece- 
voir l'hommage  que  les  Flamens,  par  l'instigacion  de  Jaques 
d'Artevelle(l),avoient  pourpensé  piéça  de  luy  faire;  mais  il  ne 
parfist  mie  ce  qu'il  cuidoit ,    ains  avint  tout  autrement  ; 

(1)  Le  but  de  ce  fameux  patriote  étoit  de  livrer  le  coiiné  de  Flandres 
au  fils  du  roi  d'Angleterre,  a  Mais,  »  dit  Froissart  qui  aimoit  les  Anglois 
inoins  encore  que  sa  patrie,  «  ceux  du  pays  n'estoient  mie  bien  d'accord 
»  au  roy  né  à  Artevellc  qui  presclioit  de  deshériter  le  comte  Loys  leur 
»  naturel  seigneur  et  son  jeune  ûls  Loys,  et  hériter  le  lils  du  roy  d'An- 
'>  glelerre.  Cette  chose  n'cusscnl-il  fait  jamais,  w 


(1346.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  439 

car  au  moys  de  juillet,  quant  il  vint  à  la  cognoissance  de 
ceux  de  Gant  que  ledit  Jaques  d'Aitevelle,  capitaine  des  Fla- 
uiens,  se  portoit  traîtreusement  et  faussement  emini  ceux 
de  Gant,  d'Ypre  et  de  Bruges,  en  tant  que  quant  il  venoit 
à  Gant,  il  leur  donnoit  à  entendre  que  ceux  de  Bruges  et 
d'Ypre  estoient  à  acort  de  faire  hommage  au  roy  d'Angle- 
terre, et  quant  il  venoit  à  Ypre ,  il  leur  disoit  semblable- 
ment  de  ceux  de  Gant  et  de  Bruges,  et  parloit  à  ceux  de 
Bruges  par  semblable  manière  de  ceux  de  Gant  et  d'Ypre. 
Et  le  quinziesnie  jour  de  juillet ,  quant  si  grant  traïson 
fu  apperceue,  il  fu  cité  à  Gant  personnellement  au  mardi 
ensuivant,  lequel  vint  à  Gant  le  dix-septiesme  jour  de 
juillet  dimenclie,  environ  souper.  Et  quant  il  vit  le  peuple 
si  troublé  contre  luy,  il  se  bouta  en  sa  maison  le  plus  tost 
qu'il  pot.  Et  ceux  de  Gant  le  suivirent  assambléement  et  en- 
trèrent en  sa  maison  efforciement.  Finablement,  si  comme 
il  fuioit  de  sa  maison,  il  fu  suivi  du  peuple  et  fu  occis  moult 
vilainement,  environ  soleil  escouchant.  Et  combien  que  l'en 
l'eust  enterré  en  une  abbaye  de  nonnains,  au  dehors  de 
Gant,  toutesvoies  par  après ,  il  fu  gettié  à  estre  mengié  et 
dévoré  des  oy seaux. 

Quant  le  roy  d'Angleterre  oi  ces  choses ,  il  se  parti  de 
l'Escluse  et  retourna  en  Angleterre,  et  envoia  gens  d'armes 
et  sergens  aux  archiers  de  Bordiaux  pour  estre  à  l'encontre 
et  au  devant  du  duc  de  Normendie,  fils  du  roy  de  France, 
lequel,  avecques  grant  compaignie  de  combateurs ,  avoit 
esté  envoie  en  Gascoignç  de  par  le  roy. 

En  celuy  an,  au  moys  d'aoust,  Jehan  de  Bretaigne,  conte 
de  Montfort,  avecques  la  plus  grant  armée  qu'il  pot  assem- 
bler ,  vint  en  Bretaigne  et  mist  siège  devant  la  cité  de 
Quimpercorentin.  Mais  les  gens  au  duc  de  Bretaigne  firent 
lever  ledit  siège  et  enclostrent  ledit  conte  en  un  chastel 
auquel  il  estoit  retrait.  Mais  ne  demoura  gaircs  après  que 


'lAO  LES  GRANDES  CHRON[QUES. 

ledit  conte  issi  dudit  cliastel  et  s'en  ala  ;  et  disoit-l'en  com- 
munément que  ceux  qui  dévoient  veiller  et  guettier  par 
nuit  en  l'ost  du  duc  de  Bretaigne  luy  avolent  fait  voie. 

En  celuy  an,  fu  le  temps  d'esté  si  froit,  si  moistie  et  si 
pluvieux ,  que  blés,  avoines,  orges  et  prés  et  autres  biens 
qui  estoient  es  champs  ne  peurent  venir  à  meurté,  et  à 
peine  poi'ent  estre  cueillis  ;  ainsois  eu  fu  laissié  grant  quan- 
tité perdre  parmi  les  champs.  Les  vins  aussi  et  autres  fruits 
des  arbres  furent  moult  vers  et  aigres. 

Au  mois  de  septembre,  le  dix-septiesme  jour ,  Audri, 
fils  du  ix)y  de  Hongrie,  cousin  germain  du  roy  de  France  et 
successeur  de  Robert,  roy  de  Sécile,  à  heure  qu'il  aloit  à 
son  lit  pour  dormir  et  reposer,  et  après  qu'il  fu  despoillé 
de  ses  vestemens  et  cju'il  vouloit  entrer  au  lit,  ses  propres 
chambellans  qui  estoient  députés  à  garder  son  corps  et  sa 
chambre,  l'estranglèrent  à  cordes  dures  et  rudes;  et  après 
sa  mort  fu  son  corps  porté  à  la  cité  de  Naples  et  ilecques 
sans  sépulture,  sans  grant  sollempnité  et  sans  ce  cjue  nuls 
des  royaulx  né  de  son  lignage  y  fussent  présens. 

Guillaume,  conte  de  Haynau,  neveu  du  roy  de  France, 
au  moys  d'octobre  environ  la  Saint-Denis ,  luy,  avecques 
sou  oncle  monseigneur  Jehan  de  Haynau ,  chevalier ,  à 
grant  compaignie  de  nobles  s'en  ala  en  Frise  dont  il  se 
disoit  estre  roy  et  seigneur,  afin  que  il  la  peust  conquerre 
à  force  d'armes.  Mais  pour  ce  que  les  Frisons  ne  lui  vou- 
drent  obéir  et  luy  résistèi'ent  viguereusement,  et  il  estoit 
moult  convoiteux  de  les  conquerre  et  de  les  guerroier  et 
mettre  au  bas,  il  apresta  armes  et  nefs,  et  quant  il  furent 
issus  des  nefs  et  mis  à  terre,  et  son  oncle  luy  conseilloit 
qu'il  s'en  retournast,  il  ne  volt  avoir  le  conseil  de  son  dit 
oncle  ;  lequel  luy  disoit  bien,  comme  expert  en  guerres  et 
en  batailles,  que  s'il  aloit  oultre  il  mettroit  en  péril  luy 
et  tout  son  ost  ;  et  ainsi  fu-il  par  après.  Car  comme  le  dit 


(1346.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  441 

conte  qui  trop  prcsoinptueusement  se  fioit  de  sa  force,  se 
fu  mis  et  gettié  entre  les  Frisons,  tantost  et  sans  demeure 
luy  et  sa  noble  compaignie  qu'il  avoit  mené  avec  soy  furent 
occis  des  Frisons.  Et  sont  les  noms  des  personnes  nobles  et 
notables  qui  furent  occises ,  le  seigneur  de  Floreville ,  le 
seigneur  de  Duras,  le  seigneur  de  Hermès,  le  seigneur  de 
Maigny  et  son  frère  le  seigneur  d'Arqués,  et  le  seigneur  de 
Buelincourt  ;  le  seigneur  de  Walincourt,  monseigneur 
Jehan  de  Lissereules ,  monseigneur  Gautier  de  Ligne  et 
son  frère  monseigneur  Michiel,  monseigneur  Henri  d'Au- 
court,  monseigneur  Girart  à  la  Barbe,  monseigneur  Haso  de 
Broucelle  ( I ),  monseigneur  Thicri  de  Vaucourt  mareschal  de 
Haynaut ,  monseigneur  Jehan  de  Bruiffe ,  monseigneur 
Gilles  Grignart.  Monseigneur  Jehan  de  Haynau ,  oncle 
dudit  conte,  s'en  retourna  tout  seul  en  Haynau  de  ladite 
bataille  en  laquelle  il  avoit  esté  navré  en  la  cuisse. 

En  celuy  temps,  monseigneur  Jehan  de  Bretaigne,  conte 
de  Montfortj  mourut  tout  désespéré,  si  comme  pluseurs 
disoient;  et  disoit  l'en  aussi  que  à  son  trespassement  il  avoit 
vu  les  mauvais  espris.  Et  avint  grant  merveille,  car  à  l'eure 
de  sa  mort,  si  grant  multitude  de  corbiaux  s'assembla  sus 
sa  maison  que  l'en  ne  cuidoit  mie  que  en  tout  le  royaume 
de  France  il  en  peust  avoir  autant. 

En  celuy  an,  le  roy  envoia  son  ainsné  fils  Jehan,  duc  de 
Normendie,  en  Gascoigne,  contre  le  conte  Derbi  pour  luy 
l'ésister  et  pour  garder  le  droit  du  roy,  lequel  conte  y  estoit 
venu  à  grant  armée,  de  par  le  roy  d'Angleterre.  Mais  avant 
que  le  duc  de  Normendie  peust  venir  en  Gascoigne,  ledit 
conte  Derbi  prist  la  ville  et  le  chastel  de  Bergerac,  là  où 
estoit,  de  par  le  roy  de  France,  monseigneur  Aymart  de 
Poitiers,  conte  de  Valentinois,  qui  fu  ilec  occis.  Et  y  estoit 

(i)  Broucelle  ou  BorscUe. 


442  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

aussi  le  conte  de  Lille  qui,  en  l'assaut  de  la  ville,  avoit  esté 
pris  et  grandement  navré  (1).  Et  si  avoit  pris  encore  avec- 
ques  ledit  conte  Derbi  la  ville  de  la  RioUe.  Et  disolent  plu- 
seurs  que  ces  deux  villes  avoient  esté  prises  du  consentement 
à  ceux  du  pays.  Et  quant  le  duc  de  Normendie  fu  venu 
en  Gascoigne,  et  il  vit  que  pou  ou  noient  il  y  povoit  faire, 
il  s'en  retourna  en  France;  pour  quoy,  quant  il  vit  que 
le  roy,  son  père,  en  fu  indigné  contre  luy,  si  s'en  retourna 
le  fils  arrière  et  mist  siège  devant  Aguillon,  et  y  demoura 
jusques  au  moys  d'aoust.  Et  quant  il  oi  dire  que  le  roy 
d'Angleterre  guerroioit  son  père  et  le  royaume ,  si  s'en 
retourna  en  France. 

XXXYI. 

Comenl  le  conte  de  IVorenlon,  principal  capitaine  des  Anglois 
en  Bretaignc,  vint  à  grant  force  de  gens  d'armes  d' Angleterre, 
et  fu  prise  la  Roche-Derian ,  en  l'éi'eschc  de  Triguier  en 
Bretaigne. 

En  celuy  an,  le  mardi  avant  la  saint  Nicliolas  d'y  ver, 
le  conte  de  Norenton  (2),  en  Angleterre,  qui  pour  le  temps 
estoit  principal  capitaine  de  tous  les  Anglois  qui  estoient  en 
Bretaigne,  vint  devers  la  ville  de  Rarahais  (3),  en  Cornouail- 
le,  et  environ  heure  de  prime,  luy  et  sa  gent  assaillirent  la 
ville  de  Guengamp,  en  l'éveschié  de  Triguier  ;  et  ne  savoit 
mie  la  force  né  la  constance  des  liabitans.  Car  pour  ce  que 

(0  Ce  court  récit  mérite  plus  de  créance  que  le  long  discours  de  Frois- 
sart  sur  la  prise  de  Bergerac.  Froissart  ne  mentionne  ni  la  prise  du 
comte  de  Lille  (Jourdain)  ,  ni  la  mort  du  brave  Aimar,  que  Yillaret 
nomme  à  tort  Louis  de  Poitiers. 

(2)  KorenloH.  Guillaume  de  Bohun,  comte  de  Northamplon. 

(3)  Karahaix.  Ou  Carhaix,  dans  le  diocèse  de  Quimper. —  On  cher- 
clieroit  vainement  dans  Froissart  tous  les  événemens  mentionnés  dans  ce 
cliapitrc. 


(1345.)  PHELIPPE  DE  VALOIS,  443 

la  ville  se  sentoit  bien  garnie,  elle  doubta  trop  pou  ledit 
conte.  Ainsi  fii-il  moult  esbalii ,  grevé  et  troublé  de  ce 
qu'il  luy  gettoient  à  fondes  (1)  et  autres  engins.  Et  quant  il 
vit  qu'il  n'avoit  force  contre  eux,  il  s'en  parti  moult  confus 
et  bouta  le  feu  es  forboursde  la  ville.  Après,  le  jourmeisme, 
il  s'en  vint  à  cinq  lieues  de  Guengamp  ;  et,  un  pou  après 
midi ,  fu  devant  la  ville  de  la  Roche  -  Derian ,  laquelle 
ville  ne  se  doubtoit  point  des  anemis,  tant  pour  ce  qu'il 
n'avoient  point  encore  esté  en  ces  parties  comme  pour 
ce  qu'il  n'estoient  mie  garxiis  pour  résister  aux  anemis. 
Et  combien  qu'il  y  ait  fort  chastel,  toutesvoies,  les  liabi- 
tans  estoient  despoiu'veus,  car  il  ne  cuidoient  point  que 
les  anemis  venissent  en  ces  parties  par  nulle  manière.  Et  si 
tost  que  ledit  conte  approcha  de  ladite  ville,  il  l'assaillist 
moult  forment  et  asprement,  car  il  avoit  grant  compaignie 
et  grant  force  de  gens  ;  et  dura  l'assaut  jusques  à  soleil 
couchant ,  pour  ce  que  ceux  de  la  ville  leur  xésis- 
toient  de  leur  povoir.  Lors ,  il  demandèrent  trièves  au 
conte,  et  il  leur  donna  jusques  à  l'endemain  seulement, 
afin  qu'il  regardassent  et  délibérassent  s'il  luy  rendroient 
la  ville  ou  s'il  se  deffenclroient  contre  luy.  Toutes  voies, 
pluseurs  de  la  ville  avoicnt  si  grant  doleur  en  leur  cuer 
que  plus  volentiers  deffendissent  la  ville  se  il  eussent  puis- 
sance et  garnisons,  qu'il  ne  la  rendissent  aux  anemis.  Et 
noientmoins  il  distrent  aux  anemis  en  audience  ,  qu'il 
deffendroient  ;  pourquoy  les  anemis  furent  si  iriés  que 
il  assaillirent  la  ville  dès  le  mercredi  matin  jusques  au 
juesdi  à  vespres  ,  par  pluseurs  reposées.  Et  à  celles  ves- 
pi'es,  il  ardirent  la  porte  de  la  ville  qui  est  nommée  la 
Porte  du  cimetièi-e.  Mais  tandis  que  ladite  porte  ardoit,  ceux 
de  la  ville  firent  par  leur  soutilleté  un  mur  par  dedens , 

(l)  A  fondes.  Avec  froiulrs. 


444  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

àrendioit  et  en  lieu  de  ladite  porte;  puis  après  baillèrent 
trieves  l'une  partie  à  l'autre,  jusques  à  l'endemain.  Et  ceux 
de  la  ville  adonques  s'assemblèrent  à  conseil  et  disoient 
qu'il  ne  pourroient  mie  résister  longuement  aux  anemis. 
Lors  monseigneur  Hue  de  Carrimel  (1),  chevalier,  se  fist 
mettre  hors  de  la  ville  et  dévaler  en  un  panier  par  une  corde, 
et  ala  parler  au  conte  de  Norenton,  et  firent  convenances 
telles  que  dès  le  samedi  prochain  jusques  à  huit  jours  en- 
suivans,  ceux  de  la  ville  s'en  partiroient  et  iroient  hors  du 
chastel  et  de  la  ville,  sauf  leur  corps  et  leur  biens.  Et  ceci 
fait,  les  Anglois  entrèrent  en  la  ville  et  au  chastel,  dès  icelui 
samedi,  et  ceux  de  la  ville  s'en  départoient  communément 
jusques  à  l'autre  samedi,  selon  la  forme  de  la  convenance. 

Aucuns  Anglois  pillars  loboient  et  pilloient  ceux  qui  de 
la  ville  s'en  issoient  :  toutes  voies,  quant  on  le  povoit 
prouver,  il  en  estoient  punis  incontinent  de  leur  capitaines. 
En  ceste  ville  estoient  habitans,  pour  le  temps,  l'évesque  de 
Triguier,  diocésain  d'icelle  ville  ;  monseigneur  Raoul  de  la 
Roche,  et  ledit  monseigneur  Huon  de  Carrimel,  chevalier, 
qui  la  ville  gardoit  avec  pluseurs  grans  et  nobles.  Puis,  après 
ce  que  ceux  de  dedens  avoient  rendu  la  ville  et  que  les  An- 
glois y  habitoient  et  avoient  les  clefs  de  toutes  les  entrées, 
ledit  conte  Norentoii  y  fu ,  celuy  samedi  et  le  dimenche 
ensuivant.  Au  lundi  s'en  parti,  luy  et  son  ost,  et  laissa  gar- 
des en  garnison,  pour  la  seurté  et  deffense  du  chastel;  et  le 
povoit  bien  faire,  car  il  avoit  avec  soy  tant  de  gens  que  c'es- 
toit  ainsi  comme  sans  nombre.  Quant  le  conte  fu  parti  de  la 
Roche-Derian ,  si  s'en  vint  à  une  ville  close  qui  est  nom- 
mée Lannyon,  et  l'assaillit  si  fort  comme  il  pot;  mais  ceux 
de  la  ville  ne  doubtoient  guères  ledit  conte  né  son  ost,  pour 
ce  que  par  avant  il  s'estoient  garnis  bien  et  sagement;  si  se 

(1)  Carrimel.  Yari;inles  ;  Cnsiicl ,  Aracl. 


(1345.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  445 

deffendoient  contre  luy  bien  et  viguereusement  en  tant 
qu'il  ne  pot  riens  contre  eux,  en  quelque  manière  que  ce 
fust.  Le  lundi  matin  s'en  parti  et  vint  en  l'éveschié  de  Léon, 
là  où  ses  hommes  tenoient  jà  pluseurs  cliastiaux  et  garni- 
sons; car  en  l'éveschié  de  Triguier  il  ne  tenoient  encore 
forteresce  né  ville  fors  la  Roche -Derian  qu'il  avoient 
prise  la  sepmaine  devant,  laquelle  ville  et  le  chastel  de  la 
Roche -Derian  il  tindrent  par  deux  ans  et  tous  les  habi- 
tans  d'entour  et  d'environs  il  subjuguèrent  et  firent  leur 
serfs  et  tributaires.  Et  ycelle  année  il  baillèrent  pluseurs 
assaus  à  la  ville  de  Lannyon,  mais  riens  ne  leur  profitoit. 
Toutes  voies,  quant  les  Anglois  vindrent  à  la  Roche-De- 
rian,  il  trouvèrent  pluseurs  Espagnols  delès  les  murs  de  la 
ville  par  dehors,  à  un  port  de  mer  qui  est  ylec,  et  avoit 
bien  inil  et  trois  cens  tonniaux  de  vins  d'Espaigne  parmi 
les  rues,  et  encore  onques  n' avoient  entré  es  maisons  de  la 
ville,  mais  estoient  hors  les  murs,  si  comme  dit  est.  Et  les 
Espaignols  qui  cuidoient  bien  deffendre  leur  vins  pour  ce 
que  il  estoient  pluseurs,  firent  bataille  aux  Anglois;  mais  il 
furent  ainsi  comme  tous  occis  et  ne  porent  résister  à  eux  : 
ains  orent  les  Anglois  ces  mil  et  trois  cens  tonniaux  de  vin 
d'Espaigne,  et  en  trouvèrent  dedens  la  Roche -Derian 
bien  autres  trois  cens  tonniaux  de  vin,  et  avoient  assez  vin 
et  habondance  pour  toute  l'année.  Si  en  furent  moult  aises 
et  en  beuvoient  très  volentiers,  selon  le  dit  commun  lequiel 
je  ne  tiens  né  pour  faux  du  tout  né  du  tout  véritable  : 
Le  Normant  chante,  l' Anglois  si  boit,  et  l'AUemant  mengue. 
Par  iceluy  temps  donques  que  les  Anglois  tenoient  la 
Roche-Derian  et  qu'il  y  demourèrent ,  il  destruirent  en 
partie  l'églyse  cathédral  de  Lantreguier  moult  vilainement, 
en  laquelle  le  corps  du  glorieux  confesseur  monseigneur  saint 
Yves  reposoit  pour  le  temps;  toutes  voies  à  son  monument 
il  n'ai)vochièrent  onques  par  la  volcnté  de  Dieu;  et  la  cause 


446  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

pour  quoy  les  Anglois  destruirent  ladite  églyse  si  fu  pour 
ce  que  les  François  n'i  peussent  mettre  garnison  contre  eux 
de  gens  d'armes;  car  les  Anglois  n'avoient  environ  eux  né 
cité  né  églyse  à  plus  près  une  lieue;  et  quant  les  Anglois 
vouldrent  destruire  l'autre  églyse  cathédral  de  Triguier  la 
cité,  qui  est  nommée  Ste-Trugual,  jadis  patron  de  la  cité, 
n'i  ot  celui  qui  premier  y  osast  commencier,  pour  révé- 
rence de  pluseurs  saints  desquels  les  reliques  y  souloient 
estre,  et  par  espécial  de  monseigneur  saint  Yves  duquiel  il  y 
avoit  encore  de  ses  ossemens,  de  sa  cliar,  de  ses  nerfs  et  de 
ses  poils.  Si  y  ot  un  prestre  plus  outrageux  que  les  autres  qui 
commença  à  la  destruire  par  sa  grant  présumpcion  :  mais  puis 
qu'il  en  otdestruit  et  dilapidé  grant  partie,  luy  et  pluseurs 
autres  qui  estoient  tous  aprestés  à  ceste  besoigne,  voiant 
tous  ceux  qui  estoient  présens,  ledit  prestre  mourut  moult 
vilainement  en  mangant  sa  langue  et  en  criant  comme  un 
chien. 

En  celuy  au,  le  roy  voult  avoir  subside  des  advocas  de 
parlement  et  de  cliastelet.  Et  environ  la  Tipliaine,  vindrent 
deux  cardinaus  au  roy  à  Saint-Ou.en,  près  de  la  ville  de 
Saint-Denis  en  France,  qui  estoient  envoies  de  par  le  pape, 
pour  les  guéries  qui  estoient  entre  les  roys  de  Fiance  et 
d'Angleterre.  Le  jour  de  la  Purificacion  Nostre-Dame  fu 
assemblé  le  conseil  en  la  maison  des  Augustins  à  Paris,  et 
y  ot  la  plus  grant  partie  des  abbés  et  autres  prélas  du 
royaume,  pour  avoir  conseil  et  ordener  du  subside  que  le 
roy  vouloit  avoir,  et  que  incontinent  pour  ses  guerres  l'en 
luy  féist. 


(134G.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  447 

XXXVII. 

Cornent  les  Ànglois  prisrenl  par  (raison  Lannyon. 

L'an  de  grâce  mil  trois  cent  quarante-six ,  comme  les 
Anglois  orent  demouré  près  d'un  an  à  la  Roche-Derian,  et, 
l'année  paravant,  eussent  fait  pluseurs  assaus  à  la  ville  de 
Lannyon  (1),  tant  que  ceux  de  la  ville  par  pluseurs  fois 
estoient  issus  de  leur  garnisons  pour  eulx  combattre  en 
plain  champ  aux  Anglois  et  avoient  eu  pluseurs  victoires 
contre  eulx.  Si  avint  qu'il  y  ot  deux  traîtres  principaux  en 
celle  ville  qui  estoient  nommés  Henri  Quiguit  et  Pringuier 
Alloue  (2),  escuiers,  auxquels  les  Anglois  vindrent  parler  un 
dimenche  avant  l'aube  du  jour,  pour  ce  qu'il  dévoient 
gaittier  celle  nuit.  Et  par  le  conseil  et  la  tra'ison  de  ces  deux 
faux  traitres,  les  Anglois  entrèrent  en  la  ville  de  Lannyon, 
si  pristrent  pluseurs  riches  hommes  et  de  grant  richesse , 
et  pluseurs  autres  mistrent  à  mors  et  tuèrent.  Et  quant 
monseigneur  GelTroy  de  Pont-Blanc  (3),  chevalier,  qui  à  celle 
heure  estoit  couchié  tout  nu  en  son  ost,  oï  dire  que  la 
ville  estoit  ainsi  traye  et  que  les  anemis  estoient  dedens,  si 
ne  leva  et  cria  aicx  armes  !  et  n'oublia  mie  sa  lance  né  le 
glaive  (4)  de  ses  deux  mains;  et  issi  hors  de  sa  maison  moult 
courageusement.  Et  quant  il  fu  en  la  rue  et  il  trouva  les 
anemis,  le  premier  et  le  secont  qu'il  encontra  de  sa  lance  il 
tresperça.  Au  tiers,  brisa  sa  lance.  Et  prist  son  glaive,  si 
fèroit  à  destre  et  à  senestre,  tellement  que  par  sa  vertu  et 

(1)  Lmmijon  ou  Lannion,  petite  ville  entre  Morlaix  et  Trcguier. 

(2)  Aucun  autre  iiislorien  ne  les  nomme;  Dom  Morice  dit,  d'après 
Lebaud,  deux  soldati  de  la  garnison.  (Voy.  llisl.  de  liretaigne,  1. 1,  p.  27i.) 

(3)  Vonl-hlanc.  Var,  Pycblanc,  et  Foijblanc. 
(fi)  Glaive.  Javelot,  qu'on  a  dit  d'abord  Gtavelol. 


44S  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

par  la  force  de  ses  bras,  il  recula  tous  les  Anglois  jusques  au 
dehors  de  la  rue.  Et  par  le  grant  courage  de  luy  issi  tout 
seul  après  eux ,  les  persécutant  hors  de  la  rue  en  plauie 
place.  Lors  les  Anglois  le  vont  de  toutes  pars  environner; 
mais  quant  le  noble  chevalier  vit  ce,  si  mist  son  dos  contre 
le  paroy  d'une  maison,  et  tourna  le  visage  contre  ses  anemis, 
et  se  deffendoit  si  fort  que  tous  ceux  qu'il  féreit  d'un  grant 
glaive  qu'il  tenoit,  à  terre  il  les  trébuchoit  et  sans  remède 
tous  mors  les  mettoit.  Et  quant  les  Anglois  virent  qu'il  ne  le 
j)ovoient  vaincre  né  seurmonter,  si  firent  voie  à  un  archier 
qui  traist  une  sajette  contre  luy  et  le  féri  si  fort  en  la  jointure 
du  genoil  qu'il  ne  pot  onques  puis  démener  son  corps  né 
soy  mouvoir  si  légièrement.  Adonques  les  Anglois  s'assem- 
blèrent contre  luy  et  luy  firent  pluseurs  playes,  et  finàble- 
ment  l'occistrent.  Lequel  chevalier  noble  et  vaillant  ainsi 
mort  noblement  et  occis  pour  la  deffense  du  pays,  il  ne 
souffist  mie  aux  Anglois  :  ainsois  les  dens  luy  rompirent  ens 
la  bouche  à  cops  de  pierres,  et  tralsrent  les  ieux  à  son  escuier. 
Quant  monseigneur  Richart  Toutesham  (  1  ) ,  capitaine 
de  la  Roche-Derian  ,  oï  sa  mort ,  si  en  mena  grant  dueil 
par  semblant  ,  espéciaument  pour  ce  qu.'il  avoit  esté  si 
vaillant  de  corps  et  de  volenté,  et  pour  ce  qu'il  ne  l'avoient 
pris  vif.  Celle  matinée  il  tuèrent  monseigneur  GefFroy  de 
Kaermel,  et  pluseurs  autres  non  mie  si  notables  né  si  puis- 
sans.  Il  pristrent  aussi  le  seigneur  du  chastel  de  Qoettrec, 
et  monseigneur  GefFroy  deQuoettrevan,  chevalier,  et  Rolant 
Phelippe,  souverain  sénéchal  de  Bretaigne,  et  maistre  Thi- 
baut Meran,  docteur  en  droit  canon  et  en  droit  civil,  auquel 
il  firent  porter  les  chaiges  de  vin  à  la  Roche-Derian ,  en 


(1)  Toutesham.  Variantes  :  Touiseids —  Tort.  — Dom  Moiice  le  nomme 
Toussaint;  mais  son  véritable  nom  est  Totesliam,  comme  on  le  voit  par  la 
lettre  de  Thomas  d',4(/R'o/«/i(le  Dagorné  de  Froissart  et  le  nôtre)  au  roi 
d'Angleterre,  rapportée  par  Robert  d'Awesbury. 


(134C.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  449 

cotte,  nus  pies,  sans  chaperon  et  sans  broies.  Il  emportèrent 
des  meubles  de  Lannyon  sans  nombre,  et  emmenèrent  tous 
les  prisonniers  qu'il  porent  nobles ,  desquels  nul  ne  sceut 
le  nombre  fors  Dieu  seulement.  Toutes  voies,  les  hommes 
ruraux  de  la  Roche -Derian  et  des  villages  d'entour  jus- 
ques  à  trois  lieues  de  toutes  pars  qui  estoient  en  la  servitude 
des  Anglois,  avoient  grant  compassion  de  leur  gent ,  si 
comme  il  monstrèrent  par  après;  mais  il  ne  savoient  autre 
chose  faire  que  labourer  leur  terres  né  autrement  vivre. 
Adonques  quant  il  virent  que  la  plus  grant  partie  des  Anglois 
qui  estoient  au  chastel  de  la  Roche-Derian  estoient  issus 
pour  aler  à  la  traïson  et  à  la  prise  de  Lannyon  que  les  trai- 
tres  dessus  dis  avoient  jà  vendue,  si  le  mandèrent  et  le  firent 
savoir  à  grant  force  de  Bretons  qui  estoient  pour  le  temps 
en  la  ville  de  Guengamp.  Lors  ceux  de  Guengamp  ordenè- 
rent  un  giant  ost,  sous  monseigneur  GefFroy  Tournemine, 
chevalier,  pour  prendre  le  chastel  delà  Roche-Derian  ;  mais 
que  avint-il?  Les  Anglois  de  ladite  Roche  apprirent  que 
les  ruraux  avoient  descouvert  et  notifié  leur  fait  aux  Bretons 
de  Guengamp^  si  mandèrent  ayde  à  ceux  qui  traitreusement 
avoient  prise  la  ville  de  Lannyon.  Lors  les  Anglois  de  Lan- 
nyon vindrent  en  ayde  à  ceux  de  la  Roche  et  amenèrent 
avant  eux  leur  prisonniers  et  les  meubles  qu'il  avoient  pris 
en  la  ville  de  Lannyon,  et  la  laissièrent  vuide  et  despoilliée  de 
tous  biens.  Et  quant  il  approchièrent  de  la  Roche,  le  duc  de 
Guengamp  et  ses  gens  estoient  jà  venus  au  devant  jusques  à 
la  Roche.  Lors  les  Anglois  laissièrent  la  droite  voie  qui  va  de 
Lannyon  à  la  Roche,  et  passèrent  une  yaue  qui  est  nommée 
.laudi,  par  un  gué  qui  est  dit  le  Gué  du  prévost,  et  se  mis- 
licnt  entre  la  R.oche  et  les  gens  au  duc  de  Guengamp,  etylec 
orent  bataille  ensemble;  et  furent  pris  pluseurs  d'une  partie 
et  d'autres,  mais  plus  en  y  ot  pris  de  la  partie  au  duc  de 

Guengamp  ;  par  quoy  il  convint  retourner  les  autres  à  leur 

38. 


450  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

ville  de  Guengamp.  Et  ainsi  les  Anglois  à  tous  leur  prison- 
niers entrèrent  tantost  à  la  Roche-Derian.  Noient  moins, 
les  liabitans  de  Lannyon  qui  s'en  estoient  fuis  et  dispersés  à 
la  venue  des  Anglois,  quant  il  sceurent  de  certain  que  les 
Anglois  estoient  partis  du  tout  de  Lannyon,  si  retournèrent 
à  leur  ville  et  se  defï'endirent  des  aneniis,  et  tindrent  leur 
ville  close  jusques  au  jour  d'uy.  Et  quant  les  Anglois  de  la 
Roche  virent  que  les  ruraux  qui  estoient  en  leur  servitude 
et  subjection  avoient  ainsi  révélé  aux  Bretons  leur  fait  et 
leur  estât,  si  les  tindrent  en  plus  dure  et  aspre  servitude 
que  devant. 

En  celuy  an ,  le  samedi  premier  jour  de  juillet,  fu  fait 
à  Paris  une  horrible  justice,  —  né  onques  mais  n'avoit  esté 
faite  semblable  au  royaume  de  France.  Combien  que  nous 
lisons  que  l'empereur  Henri  en  fist  une  autèle,  et  en  Angle- 
terre aussi,  une  autre  fois  en  avint  une  autre  semblable, 
toutes  voies  à  Paris  onques  mais  n'avoit  esté  telle  ,  —  d'un 
bourgois  de  Compiègne  appelle  Symon  Pouilliet,  assez 
riche,  qui  fu  jugié  à  mort  et  mené  aux  halles  de  Paris;  et 
fu  estendu  et  lié  sur  un  estai  de  bois,  ainsi  comme  la  char 
en  la  boucherie,  et  fu  ylec  copé  et  desmembré,  première- 
ment les  bras,  puis  les  cuisses  et  après  le  chief  ;  et  après 
pendu  au  gibet  commun  où  l'en  pent  les  larrons.  Et  tout 
pour  ce  qu'il  avoit  dit,  si  comme  l'en  luy  imposoit,  que  le 
droit  du  royaume  de  France  appartenoit  mieux  à  Edouart, 
roy  d'Angleterre,  que  à  Phelippe  de  Valois.  De  laquelle 
mort  tout  honteuse ,  France  pot  bien  dire  la  parole  de 
Jhésucrist  qui  disoit  :  «  Ci  sont  les  commencemens  des  dou- 
»  leurs,  »  si  comme  il  sera  monstre  par  après. 


(1346.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  451 

xxxYni. 

Comenl  le  roy  d' Angleterre  vint  par  Normendie,  et  prist  Cacn, 
et  vint  par  Lisicux,  par  Thorigny  et  Vernon  et  à  Poissi.  Et 
cornent  le  roy  de  France  le  poursuwoit  tousjours  de  l'autre 
part  de  Saine,  et  vint  d  Paris  logier  à  S ainl-Gcrmain-des- 
Prés.  Et  comenl  les  Anglais  passèrent  le  pont  de  Poissi. 

En  celuy  an,  proposa  le  roy  de  France  faire  grant  armée 
en  mer  de  nés  pour  passer  en  Angleterre,  lesquelles  il  envola 
querre  à  Gennes  à  grant  despens;  mais  ceux  qui  les  alèrent 
querre  en  firent  petite  diligence,  et  tardèrent  moult  à  venir. 
Par  espécial  une  grant  nef  que  le  roy  faisoit  faire  à  Hareflevir 
en  Normendie,  de  laquelle  on  disoit  que  onques  mais  si 
belle  n'avoit  esté  armée  né  mise  en  mer,  demoui'a  tant  qvie 
le  roy  d'Angleterre,  à  tout  grant  force  de  gent  et  grant  mul- 
titude de  nefs  que  l'en  estimoit  bien  à  douze  cens  (1)  grosses 
nefs,  sans  les  petites  nefs  et  autres  vaissiaux,  descendi  en  Nor- 
mendie au  lieu  que  l'en  dit  la  Hogue-St-Waast  (2);  et  fu  le 
mercredi  douziesme  jour  de  juillet  ;  et  dès  lors  s'appelloit 
roy  de  France  et  d'Angleterre.  Et  à  l'instance  de  Gefïroy 
de  Harecourt  (3)  qui  le  menoitet  conduisoit,  il  commença  à 
gaster  et  à  ardoir  le  pays.  Et  premièrement  vint  à  la  ville 
de  Neuilli-l'Evesque  (4)  à  laquelle  il  ne  pot  mal  faire,  pour  la 


(1)  Douze  cens.  L'hîstorien  Knygton  compte  onze  cents  grands  bAtimens 
et  plus  de  six  cents  bateaux. 

(2)  La  Uofjue-Saint-fraast.  Auj.  La  Uorjuc.  «  Assez  prés  de  Saint- 
»  Sauveur- le -Viconte,  l'héritage  de  mcssire  Gcoffroi  de  Harcourt.  » 
(l'roissart.^ 

(3)  Ceffroy  de  UarecouH.  Ce  traître  avoit  remplacé  Robert  d'Artois 
«lans  les  conseils  du  roi  d'Angleterre.  (Voy.  Froissart,  liv.  i,  ch.  2Gi  cl 
suiv.) 

('i)  NcuHlij-l'Èvcsqm.  Proche  de  la  Yire,  cnlrc  Sainl-Lô  et  Varcnlau 


452  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

force  du  chastel.  Si  s'en  parti  et  vint  d'ilec  à  Montebourg  (1) 
où  il  s'arrestapar  aucun  temps;  et  endementres,  GefFroyde 
Harecourt  faisoit  tout  le  dommage  qu'il  povoit  par  tout  le 
pays  de  Coustantin.  Après,  le  roy  d'Angleterie  vint  à  la 
ville  de  Carentan,  et  prist  la  ville  et  le  chastel;  et  tous  les 
biens  qu'il  y  prist  fist  mener  en  Angleterre,  et  bailla  le 
chastel  en  garde  à  monseigneur  de  Groussi  et  à  monsei- 
gneur Rollant  de  Verdun,  chevaliers. 

Et  quant  le  roy  d'Angleterre  se  parti  de  Carentan  ,  au- 
cuns Normans,  avecques  messire  Phelippe  le  Despencier, 
chevalier,  s'assemblèrent  et  recouvrèrent,  à  force  d'armes, 
la  ville  et  le  chastel,  et  les  deux  chevaliers  dessus  nommés 
pi'istrent  et  les  envoièrent  à  Paris. 

Entre  ces  choses ,  le  roy  d'Angleterre  vint  à  St-Lo  en 
Coustantin ,  et  fist  enterrer  solempnellement  les  testes  de 
trois  chevaliers  (2)  qui  pour  leur  démérite  avoient  esté  occis 
à  Paris,  et  prist  et  pilla  la  ville  qui  estoit  toute  plaine  de  biens 
et  garnie  (3).  D'ilec  s'en  passa  par  la  ville  de  Thorigny  (4), 
aidant  et  gastant  le  pays;  et  manda  par  ses  coursiers  et  par 
ses  lettres,  si  comme  l'en  disoit  communément,  aux  bour- 
gois  de  Caen,  que  s'il  vouloient  laissier  le  roy  de  France  et 
estre  sou.s  le  roy  d'Angleterre,  qu'il  les  garderoitloyaumeut 
et  leur  donroit  pluseurs  grans  libertés,  et,  en  la  fin  des  let- 
tres leues,  menaçoit,  s'il  ne  faisoient  ce  qu'il  leur  mandoit, 
que  bien  briefment  il  les  assaudroit  et  qu'il  en  fussent  tous 
certains.  IMais  ceux  de  Caen  luy  contredirent  tous  d'une 

(1)  Montebourg,  à  deux  lieues  de  Valognes.  —  Cont.  fr.  de  Naagis  : 
L'aùùaye  de  Monlebourc, 

(2)  Trois  chevaliers.  Guillaume  Bacon,  le  seigneur  de  la  Roche-Taisson 
et  Richard  de  Persy.  (Voy.  plus  Jiaut,  chapitre  xxxin.) 

(3)  Garnie.  «  Qui,  pour  le  temps,  estoit  bonne  ville,  riche  et  mar- 
»  chaude,  et  valoit  trois  fois  tant  que  [la  cité  de  Coutances.  »  (Froissart.) 

(4)  Thorigny.  Sur  la  roule  de  Sainl-Lô  à  vire;  à  trois  lieues  de 
Saint  Là. 


(I3i6.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  453 

volenté  et  d'un  courage,  eu  disant  que  au  roy  d'Angleterre 
il  n'obéiroient  point.  Et  quant  il  oï  la  response  des  bour- 
gois  de  Caen,  si  leur  assigna  jour  de  bataille  au  juesdi  en- 
suivant; et  ceci  il  fist  traîtreusement,  car  dès  le  jour  par 
avant  au  matin,  qui  estoit  le  merci'edi  après  la  Magdaleine 
vint-deuxiesme  jour  de  juillet,  il  vint  devant  Caen,  là  où 
esloient  capitaines  establis  de  par  le  roy ,  monseigneur 
Guillaume  Bertran ,  évesque  de  Baieux  et  jadis  frère  de 
monseigneur  Robert  Bertran  chevalier ,  le  seigneur  de 
Tournebu,  le  conte  d'Eu  et  de  Guines,  lors  connestable  de 
France,  et  monseigneur  Jehan  de  Meleun,  lors  chambel- 
lan (1)  de  Tanquarville.  Et  quant  les  Anglois  vindrent  de- 
vant Caen,  si  assaillirentla ville  par  cjuatre  lieux,  et  traioient 
sajettes  par  leur  archiers  aussi  menu  que  se  ce  fust  gi'elle. 
Et  le  peuple  se  defFendoit  tant  qu'il  povoit ,  meismement 
es  pi'ès,  sus  la  boucherie  et  au  pont  aussi,  pour  ce  que  ylec 
estoit  le  plus  grant  péril.  Et  les  femmes,  si  comme  l'en  dit, 
pour  faire  secours ,  portoient  à  leur  maris  les  huis  et  les 
fenestres  des  maisons  et  le  vin  avecques,  afin  qu'il  fussent 
plus  fors  à  eux  combatre.  Toutes  voies,  pour  ce  que  les 
archiers  avoient  grant  quantité  de  sajettes,  il  firent  le  peu- 
ple de  soy  retraire  en  la  ville  et  se  combatirent  du  matin 
jusques  aux  vespres.  Lors ,  le  connestable  de  France  et  le 
chambellan  de  Tanquarville  issirent  hors  du  chastel  et 
du  fort  en  la  ville,  et  ne  sçai  pourquoy  c'estoit,  et  tantost 
il  furent  pris  des  Anglois  et  envoies  en  Angleterre  (2). 

Mais  quant  l'évesque  de  Baieux,  le  seigneur  de  Tour- 
nebu, le  bailli  de  Roen  et  pluseurs  autres  avecques  eux 
virent  qu'il  istroient  pour  noient,  et  que  leur  issue  pourroit 

(  I  )  chambellan.  Froissariruppclle  toujours  à  lort,  le  comte  de  Tancarvitle. 

(2)  Tout  ce  récit  si  précieux  de  la  défense  de  CacQ  est  omis  dans  Frois- 
sart,  qui  fait  des  habitans  de  la  ville  des  fugitifs,  et  des  comtes  d'Eu  et  de 
Taacarville  des  héros  mal  secondés  i)ar  la  fortune. 


454  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

plus  nuire  que  profiter,  si  se  retraistreut  au  chastel  comme 
sages,  et  se  tendent  aux  quarniaux.  Entre  deux,  les  Anglois 
cherclioient  (1)  moult  diligeamment  la  ville  de  Caen  et  pil- 
loient  tout  ;  et  les  biens  qu'il  avoient  pillés  à  Caen  et  es 
autres  villes  le  roy  d'Angleterre  envoia  par  sa  navire  tan- 
tost  en  Angleterre,  et  ax'di  grant  partie  de  la  ville  de  Caen 
en  soy  issant  ;  mais  au  fort  de  la  ville  ne  fist-il  onques  mal 
né  n'i  arrcsta  point ,  car  il  ne  vouloit  mie  perdre  ses  gens. 
Si  s'en  parti  tantost,  et  s'en  ala  vers  Lisieux.  Et  tousjours 
GefFroy  de  Harecourt  aloit  devant,  qui  tout  le  pays  ardoit 
et  gastoit. 

Après  ,  il  vindrent  vers  Falaise ,  mais  il  trouvèrent 
qui  leur  résista  viguereusement.  Si  se  tournèrent  vers 
Roen.  Et  quant  il  oïrent  que  le  roy  de  France  assembloit 
ilec  son  ost,  si  s'en  alèrent  au  Pont-de-l' Arche;  toutes  voies 
le  roy  de  France  y  ala  avant  eux.  Et  quant  il  fu  entré  en  la 
ville,  si  manda  au  roy  d'Angleterre  s'il  vouloit  avoir  bataille 
à  luy,  qu'il  luy  assignast  jour  à  son  plaisir;  lequel  respondi 
que  devant  Paris  il  se  combatroit  au  roy  de  France. 

Quant  le  roy  de  France  oï  ce,  si  s'en  retourna  à  Paris  et 
s'en  vint  mettre  et  logier  en  l'abbaye  Saint-Germain-des- 
Prés  (2).  Ainsi,  comme  le  roy  d'Angleterre  s'approchoit  de 
Paris ,  si  vint  à  Vernon  et  cuida  prendre  la  ville ,  mais 
l'en  luy  résista  viguereusement.  Si  s'en  partirent  les  Anglois 
et  ardirent  aucuns  des  forbours.  D'ilec  vindrent  à  Mantes, 
et  quant  il  oit  dire  qu'il  estoient  bons  guerroiers ,  si  n'y 
voult  faire  point  de  demeure,  mais  s'en  vint  à  Meullenc 
là  où  il  perdi  de  ses  gens  ;  pour  laquelle  chose  il  fu  tant 
irié  que,  en  la  plus  prochaine  ville  d'ilec  ,  qui  est  appellée 


(1)  cherclioient.  Parcouroient. 

(2)  Le  retour  du  roi  n'est  pas  ici  marqué  en  son  lieu.  On  va  le  replacer 
tout-à-l'heure  comme  il  doit  être. 


(134 G.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  455 

Muriaiix  (1),  il  fîst  mettre  le  feu  et  la  fist  tout  ardoir. 
Après  ce,  vint  à  Poissi,  le  samedi  douziesme  jour  d'aoust; 
et  toujours  le  roy  de  France  le  poursuivoit  continuellement 
de  l'autre  partie  de  Saine,  tellement  que  en  pluseurs  fois 
l'ost  de  l'un  povoit  voir  l'autre;  et  par  l'espace  de  six  jours 
que  le  roy  d'Angleterre  fu  à  Poissi  et  que  son  fils  aussi 
estoit  à  Saint-Germain-en-Laye,  les  coureurs  qui  aloient 
devant  boutèrent  les  feux  en  toutes  les  villes  d'environ, 
meismement  jusques  à  St-Cloust,  près  de  Paris  ;  tellement 
que  ceux  de  Paris  povoient  voir  clèrement,  de  Paris  meisme, 
les  feux  et  les  fumées ,  de  quoy  il  estoient  moult  effraies 
et  non  mie  sans  cause.  Et  combien  que  en  notre  maison  de 
Rueil,  laquelle  Charles-le-Chauve,  roy  empereur,  donna  à 
nostre  églyse,  il  boutassent  le  feu  par  pluseurs  fois,  toutes 
voies  par  les  mérites  de  monseigneur  saint  Denis,  si  comme 
nous  avions  en  bonne  foy,  elle  demoura  sans  estime  point 
dommagiée.  Et  afin  que  je  esci'ive  vérité  à  nos  successeurs, 
les  lieux  où  le  roy  d'Angleterre  et  sou  fils  estoient  si  estoient 
lors  tenus  et  réputés  les  principaux  domiciles  et  singuliers 
soûlas  du  roy  de  France;  parquoy  c'estoit  plus  grant  deslion- 
neur  au  royaume  de  France  et  aussi  comme  traïson  évi- 
dent, comme  nul  des  nobles  de  France  ne  bouta  liors  le  roy 
d'Angleterre  estant  et  résidant  par  l'espace  de  six  jours  es 
propres  maisons  du  roy,  et  ainsi  comme  au  milieu  de  France 
si  comme  est  Poissi,  St-Germain-en-Laie  et  Montjoie  (2),  là 
où  il  dissipoit,  gastoit  et  despendoit  les  vins  du  roy  et  ses 

(1)  Muriaiix.  Les  Mureaux,  près  de  Meulan;  aujourd'hui  village. 

(2)  Monijoie.  C'ôtoit  le  cliûlcau  féodal  de  l'abbaye  de  Saint-Denis,  et 
c'est  à  cause  de  lui  que  le  cri  de  guerre  du  roy  de  France,  porteur  de 
l'oriflamme,  fut  Motiljoie-Sainl-Denisl  Ce  château  fort,  plusieurs  fois 
réparé  dans  le  xi\'  siècle,  comme  le  prouvent  des  étals  de  dépense 
conservés  au  Cabinet  généalogique  de  la  bibliothèque  royale,  étoit  situé 
au-dessous  de  Saint-Germain,  vers  Joyenval.  Dom  Félibicn,  dans  son 
Histoire  de  l Abbaye  de  Saint-Deiiis,   n'en  a  pas  dit  un  mot. 


466  LES  GRANDES  CHROxMQUES. 

autres  biens.  Et  autre  chose  encore  plus  merveilleuse,  car 
les  nobles  faisoient  afondrer  les  bastiaux  et  rompre  les  pons 
par  tous  les  lieux  où  le  roy  d'Angleterre  passoit ,  comme 
il  deussent  tout  au  contraire  faire  passer  à  luy  par  sur  les 
pons  et  parmi  les  bastiaux,  pour  la  delFense  du  pays.  Entre- 
tant ,  comme  le  roy  d'Angleterre  estoit  à  Poissi,  le  roy  de 
France  chevaucha  par  Paris  le  dimenche  et  s'en  vint  logier 
à  tout  son  ost  en  l'abbaye  de  Saint-Germain-des-Prés  pour 
estre  à  l'encontre  du  roy  d'Angleterre  qui  le  devoit  guer- 
roier  devant  Paris,  si  comme  dit  est  (1). 

Et  comme  le  roy  eust  grant  désir  et  eust  ordené  d'aler 
l'endemain  contre  luy  jusques  à  Poissi ,  il  luy  fu  donné  à 
entendre  que  le  roy  d'Angleterre  s'estoit  parti  de  Poissi ,  et 
qu'il  avoit  fait  refaire  le  pont  qui  avoit  esté  rompu , 
lac[uelle  roupture  avoit  esté  faite ,  si  comme  Dieu  scet , 
afin  que  le  roy  d'Angleterre  ne  peust  eschaper  sans  soy  corn- 
batre  contre  le  roy  de  France.  Et  quant  le  roy  oï  les  nou- 
velles du  pont  de  Poissi  qui  estoit  réparé  et  de  son  anemi  qui 
s'en  estoit  fui ,  si  en  fu  moult  dolent  et  s'en  parti  de  Paris  , 
et  vint  à  Saint-Denis  à  tout  son  ost,  la  vigile  de  l'Assomp- 
tion Nostre-Dame  :  et  n'estoit  mémoire  d'homme  qui  vit, 
que  depuis  le  temps  Cliarles-le-Chauve  qui  fu  roy  et  empe- 
reur, le  roy  de  ï'rance  venist  à  Saint-Denis-en-France  en 
armes  et  tant  prest  pour  batailler. 

Quant  le  roy  fu  à  Saint-Denis,  si  célébra  ilec  la  feste  de 
l'Assomption  moult  humblement  et  très  dévotement ,  et 
manda  au  roy  d'Angleterre,  par  l'arcevesque  de  Besançon, 
pourquoy  il  n'avoit  acompli  ce  qu'il  avoit  promis.  Lequel 

(1)  «  El  tout  son  ost  aux  champs  entour  luy,  pour  aler  l'endemain  vers 
»  Poissy  à  rencontre  desdis  Anglois.  »  (Cont.  fr.  de  Nangis.)  Il  faut  croire 
que  le  pont  de  Poissy  ne  fut  brisé  qu'après  l'enlréc  des  Anglois  à  Poissy, 
car  autrement  on  ne  voit  pas  comment  ils  auroient  passé  la  Seine.  D'ail- 
leurs, les  gentilshommes  françois  pouvoienl  bien,  sans  trahison,  couper 
les  ponis  derrière  et  même  devant  les  Anglois. 


(1340.}  PHELIPPE  DE  VALOIS.  Vol 

respondi  frauduleusement,  si  coninie  il  apparut  par  après, 
car  quant  il  se  vonldroit  partir  il  adresceroit  son  chemin 
par  devers  Montfort.  Oie  la  response  frauduleuse  du  roy 
d'Angleterre,  si  ot  le  roy  conseil  qui  n'estoit  mie  bien  sain; 
car  en  vérité,  il  n'est  nulle  pestilence  plus  puissant  de 
grever  et  de  nuire  qu'est  celuy  qui  est  anemi  et  se  fait  ami 
familier  (1). 

Si  s'en  parti  le  roy  de  Saint-Denis  et  passa  de  rechief  par 
Paris  dolent  et  angoisseux,  et  s'en  vint  à  Antongny,  oultre 
le  Bourc-la-Royne,  et  ilec  se  loga  le  mercredi;  et  endementres 
le  roy  d'Angleterre  faisoit  refaire  le  pont  de  Poissi  qui 
estoit  rompu ,  et  cil  qui  l'avoit  oi  et  veu  si  le  tesmoigna  ; 
car  nous  véismes  à  l'églyse  de  Saint- Denis,  et  en  la  .salle  où 
le  roy  estoit,  un  homme  qui  se  disoit  avoir  esté  pris  des  ane- 
mis  et  puis  rançonné,  lequel  disoit  appertement  et  publi- 
quement, pour  l'honneur  du  roy  et  du  royaume,  que  le  roy 
d'Angleterre  faisoit  faire  moult  diligeamment  le  pont  de 
Poissi,  et  voulolt  celuy  homme  recevoir  mort  s'il  ne  disoit 
vérité.  Mais  les  nobles  et  les  chevaliers  les  plus  prochains 
du  roy  luy  disoient  qu'il  mentoit  apertement,  et  se  moquiè- 
rent  de  luy  comme  d'un  povre  homme.  Hélas!  adonques  fu 
bien  vérifié  celé  parole  qui  dist  ainsi  :  «  Le  povre  a  parlé, 
»  et  l'en  luy  dit  :  Qui  est  cestui?  par  moquerie.  Le  riche 
»  a  parlé  et  chascun  se  teust,  par  révérence  de  luy.  » 

Finablement,  quant  il  fu  sceu  véritablement  que  l'en 
refaisoit  le  pont,  l'en  y  envoia  la  commune  d'Amiens  pour 
empeschier  la  besoigne,  laquelle  ne  pot  résister  à  la  grant 
multitude  des  sajettes  que  les  Anglois  traioient,  et  fu  toute 
mise  à  mort.  Et  tandis  que  le  roy  estoit  à  Antongny,  en  icelle 


(1)  On  peut  croire  que  la  grande  raison  de  toutes  les  irrésolutions  du 
roi  de  France  vcnoit  de  la  craiiilc  qu'il  avoii  de;  laisser  Paris  à  la  merci 
des  Anglois.  Il  ne  vouloit  pas  la  quitter  tant  qu'Edouard  ne  s'en  éloignoit 
pas.  (Voy.  Froissarl,  liv.  i,  ch.  273.) 

39 


458  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

nuit  liiy  viadreat  nouvelles  que  les  Aaglois,  pour  certain, 
avoieat  refait  le  pont  de  Poissi ,  et  que  le  roy  d'Angleterre 
s'en  devoit  aler  et  passer  par  ilec. 

XXXIX. 

Cornent  le  roy  cT  Angleterre  se  parti  de  Poissi  et  misl  le  feu  par 
tous  les  manoirs  royaux  et  s^ enfui  vers  Picardie.  Et  cornent 
le  roy  de  France  s'en  retourna  d'Anlongny  et  passa  par  Paris, 
disant  à  grans  souspirs  qu  il  estait  traï.  Elpoursuii'it  tousjours 
à  grant  diligence  son  anemi  le  roy  d'Angleterre. 

Adonques,  le  vendredi  après  l'Assomption  Nostre-Dame, 
environ  tierce,  le  roy  d'Angleterre  à  tout  son  ost,  à  armes 
descouvertes  et  banières  desploiées,  s'en  ala  sans  ce  que  nul 
ne  le  poursuist  ;  dont  grant  doleur  fu  à  Fraace;  et  à  sa  des- 
partie mist  le  feu  à  Poissi  à  l'ostel  du  roy,  sans  faire  mal  à 
l'églyse  des  noanains,  laquelle  Phelippe-lc-Bel ,  père  à  la 
mère  audit  roy  d'Angleterre,  avoit  fait  édifier.  Et  si  fu  aussi 
mis  le  feu  à  St-Germain-ea-Laye,  à  Rays,  à  Montjoie  (1), 
et  briefment  furent  destruis  et  ars  tous  les  lieux  où  le  roy 
de  Fraace  avoit  acoustunié  à  soy  soulacier.  Et  cjuant  il  vint 
à  la  cognoissance  du  roy  de  France  que  son  anemi  le  roy 
d'Angleterre  s'estoit  de  Poissi  si  soudainement  parti ,  si  fu 
toucliié  de  grant  doleur,  jusques  dedeas  le  cœur  et  moult 
irié  se  parti  d'Antongay  et  s'en  retouraa  à  Paris  ;  et  ea  alant 
par  la  grant  rue,  n'avoit  pas  honte  de  dire  à  tous  ceux  qui  le 
vouloient  oïr  qu'il  estoit  trai;  et  se  doubtoit  le  roy  que 
autrement  que  biea  il  n'eust  esté  ainsi  mené  et  ramené. 
Aussi  murmuroit  le  peuple,  et  disoit  que  ceste  manière 

(I)  «  Et  fist  ardoir  la  couverture  de  la  tour  de  Monjore  (Montjoie)  et 
»  la  maison  du  roy  de  Rais,  et  la  ville  et  le  moustier  de  Saint-Germain- 
»  en-Laie,  et  la  maison  du  roy.  »  (Cont.  fr.  de  Nangis.) 


(134C.)  PHELIPPE  DE  YALOIS.  459 

d'aler  et  de  retourner  n'estoit  nile  sans  traïson,  pourquoy 
pluseurs  plouroient  et  non  mie  sans  cause.  Ainsi  le  roy  se 
parti  de  Paris  et  vint  derechief  logier  à  Saint-Denis,  avec 
tout  son  ost. 

En  celui  an,  le  duc  de  Norinendie  qui  estoit  aie  en  Gas- 
coigne  asségier  le  chastel  d'Aguillon,  et  rien  n'i  avoit  fait, 
oi  des  nouvelles  que  le  roy  d'Angleterre  guerroioit  son  père, 
le  roy  de  France,  et  avoit  ars  les  maisons  du  roy;  si  en  fu 
moult  troublé  et  laissa  toute  la  besoingne  et  s'en  parti.  Et 
quant  le  roy  d'Angleterre  se  parti  de  Poissi  si  s'en  vint  à 
Biauvais  la  cité.  Et  pour  ce  que  ceux  de  Biauvais  se  def- 
fendoient  noblement,  et  qu'il  ne  pot  entrer  en  la  cité,  les 
Anglois  plains  de  mauvais  espei'it,  ardirent  aucuns  des  for- 
bours  de  la  cité  et  toute  l'abbaye  de  Saint-Lucien  (1)  qui 
tant  estoit  belle  et  noble ,  sans  y  laisser  riens  du  tout  en 
tout  ;  et  d'ilec  entrèrent  en  Picardie. 

Après  ce,  le  roy  de  France  se  parti  de  Saint-Denis,  en- 
suivant son  anemi  le  roy  d'Angleterre,  jusques  à  Abbeville 
en  Picardie  moult  courageusement.  Et  le  juesdi,  feste  saint 
Bartbélemi,  le  roy  d'Angleterre,  à  tout  son  ost,  devoit 
disner  à  Araines  (2);  mais  le  roy  de  France  qui  moult  désiroit 
de  toute  sa  force  ensuivre  son  adversaire,  chevaucha  ceste 
journée  dix  lieues ,  afin  qu'il  péust  trouver  son  adversaire 
en  disnant.  Adonques,  le  roy  d'Angleterre,  quant  il  ot  oi 
ces  nouvelles ,  par  lettres  des  traitres  qui  estoient  estans 
en  la  court  du  roy,  que  le  roy  de  France  estoit  près  et  que 
hastivement  il  venoit  contre  luy,  il  laissa  son  disner  et  s'en 
desparti  et  s'en  ala  à  Saigneville  (3),  au  lieu  qui  est  dit  Blan- 

(1)  Saint-Lucien.  Froissart  prétend  que  l'incendie  de  l'abbaye  fut  fait 
contre  la  volonté  d'Edouard,  «  qui  avoit  deffendu  sur  la  hart  que  nul  ne 
»  violast  églyse.  » 

(2)  Araines.  Ou  Aymines.  Entre  Amiens  et  Abbeville. 

(3)  Saifjneville .  A  trois  lieues  au-delà  d'Abbcvillc. 


460  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

che-Tache  (1),  et  ilec  passa  la  rivière  de  Somme  avecques 
tout  son  ost  ;  et  emprès  viiie  forest  qui  est  appellée  Crecy 
se  loga.  Et  les  François  mengièrent  et  burent  les  viandes 
que  les  Anglois  avoient  appareilliées  pour  le  disner.  Après 
ce ,  s'en  retourna  le  roy  comme  dolent  à  Abbeville  pour 
assembler  son  ost  et  pour  fortifier  les  pons  de  ladite  ville, 
afin  que  son  ost  peust  seurement  passer  par  dessus,  car  il 
estoient  moult  foibles  et  moult  anciens.  Le  roy  demoura 
toute  celle  journée  de  vendredi  à  Abbeville ,  pour  la  révé- 
rence de  monseigneur  saint  Loys  ,  duquel  le  jour  estoit. 
L'endemain  à  matin ,  le  roy  vint  à  la  Braye  (2),  une  ville 
assez  près  de  la  forest  de  Crecy,  et  ilec  luy  fu  dit  que  l'ost 
des  Anglois  estoit  bien  à  quatre  ou  cinq  lieues  de  luy,  dont 
ceux  mentoient  faussement  qui  telles  paroles  luy  disoient, 
car  il  n'avoit  pas  plus  d'une  lieue  entre  la  ville  et  la  forest, 
ou  environ.  A  la  parfin,  environ  heure  de  vespres,  le  roy  vit 
l'ost  des  Anglois,  lequiel  fu  espris  de  grant  hardiesse  et  de 
courroux,  désirant  de  tout  son  cuer  combatre  à  son  anemi. 
Si  fist  tantost  crier  :  A  l'arme!  et  ne  voult  croire  au  conseil 
de  quelconque  qui  loyaument  le  conseillast  ,  dont  ce  fu 
grant  doleur  ;  car  l'en  luy  conseilloit  que  celle  nuit  luy  et 
son  ost  se  reposassent  :  mais  il  n'en  voult  riens  faire.  Ains 
s'en  ala  à  toute  sa  gent  assembler  aux  Anglois ,  lesquels 
Anglois  giettèrent  (3)  trois  canons  :  dont  il  avint  que  les 
Genevois  aibalestiers  qui  estoient  au  pi-emier  front  tour- 
nèrent les  dos  et  laissièrent  à  traire;  si  ne  scet  l'en  se  ce  f  u 

(1)  «  Où  il  fumené  par  nos  Iraytres.  »  (Conl.  fr.  de  Nangis.)  Froissart 
semble  placer  Blanche-Tache  au  Crotoij. 

(2)  La  Braye.  Auj.  Bray-los-Marcuil.  A  deux  lieues  d' Abbeville. 

(3)  Gielléreni  trois  canons.  Firent  tirer  trois  canons.  Yoilà  cette  fameuse 
menlion  de  l'artillerie  de  Crecy.  L'historien  ne  remarque  pas  que  ces 
canons  fussent  une  chose  nouvelle,  tout  en  attribuant  à  leur  effet  la 
déroute  des  archers  génois ,  et  par  conséquent  la  perte  de  la  bataille. 
Le  continuateur  françois  de  Nangis  ajoute  :  «  Si  que  lesdis  arbalestri^ers 
w  furent  espouventés.  » 


(1346.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  401 

par  traïson,  mais  Dieu  le  scet.  Toutes  voies  l'en  disoit  coni- 
inunéinent  que  la  pluie  qui  cliéoit  avoit  si  moilliées  les 
cordes  de  leur  arbalestes  que  nullement  il  ne  les  povoient 
tendre  ;  si  s'en  coinmencièrent  les  Genevois  à  enfuir  et 
moult  d'autres,  nobles  et  non  nobles.  Et  si  tost  qu'il  vi- 
rent le  roy  en  péril,  si  le  laissièrent  et  s'enfuirent. 

XL. 

De  la  dolente  bataille  de  Crecy. 

Quant  le  roy  vit  ainsi  faussement  sa  gent  ressortir  et  aler, 
et  meismement  (1)  les  Genevois,  le  roy  commanda  que  l'en 
descendist  sur  eux.  Adonques,  les  nostres  qui  les  cuidoient 
estre  traitres  les  assaillirent  moult  cruellenaent  et  en  mis- 
trent  pluseurs  à  mort.  Et  le  roy  désiroit  moult  à  soy 
combatre  main  à  main  au  roy  d'Angleterre  ;  mais  bonne- 
ment il  ne  povoit,  car  les  autres  batailles  qui  estoient  devant 
se  combatoient  aux  archiers,  lesquels  arcbiers  navrèrent 
moult  de  leur  clievaux  et  leur  firent  moult  d'autres  dom- 
mages, en  tant  que  c'est  pitié  et  doleur  du  recorder,  et  dura 
ladite  bataille  jusques  à  soleil  coucliant.  Finablement  tout 
le  fais  de  la  bataille  chéi  sus  les  nos  et  fu  contre  eux. 

En  icelle  journée,  toute  France  ot  confusion  telle  qu'elle 
n'avoit  onques-mais  par  le  roy  d'Angleterre  soufferte,  dont 
il  soit  mémoire  à  présent  (2);  car  par  pou  de  gens,  et  gens  de 
nulle  value,  c'est  assavoir,  archiers,  furent  tués  le  roy  de 
Boesme,  fils  de  Henri  jadis  empereur;  le  conte  d'Alençon, 
frère  du  roy  de  France;  le  duc  de  Lorraine,  le  conte  de 
Bloys,  le  conte  de  Flandres,  le  conte  de  Harecourt  (3),  le 

(1)  Meismemeni.  Surlout. 

(2)  Ce  passage  prouve  que  le  chroniqueur  ccrivoit  avant  la  balaillc  de 
Poitiers. 

(3)  Le  conte  de  llatecouH.  Jean,  frère  de  Gcorfroi  de  Harccouri. 

39, 


462  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

conte  de  Sancerre,  le  conte  de  Samines  (1)  et  moult  d'au- 
tres nobles  compaignies  de  barons  et  de  chevaliers,  desquels 
Dieu  veuille  avoir  merci  ! 

En  celui  lieu  de  Crecy,  la  fleur  de  la  chevalerie  chéi  (2). 
La  nuit  devant,  le  roy,  par  le  conseil  de  monseigneur  Jehan 
de  Haynau,  chevalier,  s'en  ala  gésir  à  la  ville  de  la  Braye  (3). 
Le  dimenche  matin,  les  Anglois  ne  se  départirent  pas,  mais 
le  roy,  aveques  ceux  qu'il  pot  avoir  en  sa  compaignie,  s'en 
ala  hastivement  à  la  cité  d'Amiens  et  ilec  se  tint.  Iceluy 
meisme  matin,  pluseurs  des  nostres  tant  de  pié  comme  de 
cheval,  pour  ce  qu'il  véoient  les  banières  du  roy,  si  cuidoient 
que  le  roy  y  fust  et  se  boutèrent  dedens  les  Anglois  ;  dont 
il  avint  que,  en  iceluy  meisme  dimenche,  les  Anglois  en 
tuèrent  greigneur  nombre  qu'il  n'avoient  fait  le  samedi 
devant,  pourquoy  nous  devons  croire  que  Dieu  a  souffert 
ceste  chose  par  les  désertes  de  nos  péchiés,  jasoit  ce  que  à 
nous  n'aparteigne  pas  de  en  jugier.  Mais  ce  que  nous  voions, 
nous  tesmoignons  ;  car  l'orgueil  estoit  moult  grant  en 
France,  et  meismement  es  nobles  et  en  aucuns  autres  ;  c'est 
assavoir  :  en  orgueil  de  seigneurie  et  en  convoitise  de  ri- 
chesses et  en  deshonnesteté  de  vesteure  et  de  divers  habis 
qui  couroient  communément  par  le  royaume  de  France, 


(1)  Samines.  Ce  mot  qui  paroît  eorrom  puest  omis  dans  plusieurs  ma- 
nuscrits; dans  le  n°  9615,  on  lit  de  Fiennes.  Dans  les  éditions  gothiques: 
de  vienne.  Le  continuateur  latin  de  Nangis  dit  :  Et  alius  dux  de  quo  non 
recolo. 

(2)  «  Et  le  roy  fu  tousjours  en  son  rang  et  en  sa  bataille,  combien  que 
»  pou  de  gens  d'armes  fussent  demourés  avecques  luy.  Et  receut  maintes 
»  trais  de  sajettes  de  ses  ennemis.  Et  quant  vint  vers  l'anuitier,  par  le 
»  conseil,  etc.  »  (Cont.  fr.  de  Nangis.) 

(3)  La  Braije.  Nos  historiens  modernes,  d'après  une  leçon  mal  lue  de 
Froissart,  ont  fait  ici  tenir  un  bon  mol  à  Philippe  de  Valois,  demandant 
l'entrée  du  chûlcau  de  La  Bray  :  Ouvrez,  ouvrez,  c'est  la  fortune  de  la 
France.  Au  lieu  de  cela,  il  y  a  dans  tous  les  manuscrits  de  Froissart, 
comme  l'avoit  remarqué  M.  Dacier,  Ouvrez,  c'est  l'infortune  roi  de  France. 
Ce  qui  est  plus  touchant  et  plus  clair. 


(134C.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  403 

car  les  uns  avoient  robes  si  courtes  qu'il  ne  leur  venoient 
que  aux  nasches  (1),  et  quant  il  se  baissoient  pour  servir 
un  seigneur,  il  monstroient  leur  braies  et  ce  qui  estoit  de- 
dens  à  ceux  qui  estoient  derrière  eux  ;  et  si  estoient  si 
étroites  qu'il  leur  falloit  aide  à  eux  vestir  et  au  despoillier, 
et  sembloit  que  l'en  les  escorchoit  quant  l'en  les  despoil- 
loit.  Et  les  autres  avoient  robes  fronciées  sus  les  rains 
comme  femmes,  et  si  avoient  leurs  chaperons  destrenchiés 
menuement  tout  en  tour  ;  et  si  avoient  une  chauce  d'un 
drap  et  l'autre  d'autre  ;  et  si  leur  venoient  leur  cornettes 
et  leur  manches  près  de  terre  ,  et  sembloient  mieux  ju- 
gleurs  (2)  que  autres  gens.  Et  pour  ce,  ce  ne  fu  pas  mer- 
veille se  Dieu  voult  corriger  les  excès  des  François  par  son 
flael,  le  roy  d'Angleterre  (3). 

Après  ces  choses,  se  départi  le  roy  anglois  moult  joieux  de 
la  grant  victoire  qu'il  avoit  eue,  et  s'en  ala  passer  à  Monste- 
reul  et  Bouloigne,  et  vint  jusques  à  Calais  sus  la  Mer.  En 
celle  ville  de  Calais  estoit  un  vaillant  chevalier,  de  par  le 
roy  de  France  capitaine,  lequel  avoit  à  nom  Jehan  de 
Vienne,  né  de  Bourgoigne.  Et  pour  ce  que  le  roy  d'Angle- 
terre ne  pot  pas  sitost  entrer  en  la  ville  de  Calais  comme 
il  voult,  il  la  fist  fermer  de  siège,  et  si  fist  eslever  habita- 
tions assez  près  de  ladite  ville  pour  hébergler  luy  et  son 
ost.  Quant  ceux  de  Calais  virent  qu'il  estoient  ainsi  aviron- 
nés  de  leur  anemis,  tant  par  terre  comme  par  mer ,  il  ne 
s'en  espoventèrent  onques.  Adonques  jura  le  roy  d'Angle- 
terre qu'il  ne  se  partiroit  jusques  à  tant  qu'il  eust  prise  ladite 


(1)  Nasches.  Fesses.  K aies.—  Xsanl  l'année  1340,  les  robes  longues 
ne  laissoient  pas  voir  les  braies. 

(2)  Jugleurs.  Ou  bateleurs,  comme  ceux  qui   fout  des  grimaces  et  se 
masquent  pour  exciter  le  rire. 

(3)  On  doit  pourtant  avouer  que  la  punition  de  ces  nouvelles  modes 
auroit  été  bien  sévère. 


4G4  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

ville  de  Calais,  et  appella  le  lieu  où  liiy  et  son  ost  estoieut, 
là  où  il  avoit  fait  édifier/ \'illeiieuve-la-Hardie  ;  et  là  fu 
tout  y  ver  ;  et  luy  admenistroient  les  Flamens  vivres  par 
paiant  l'argent. 

En  ce  nieisnie  temps,  reçurent  les  Flamens,  en  conte  et  en 
seigneur,  le  fils  du  conte  de  Flandres  derenièrement  tué  à 
Crecy,  et  luy  promistrent  et  jurèrent  loyauté;  et  meisme- 
luent  qu'il  ne  le  contraindroient  à  prendre  femme  oultre 
sa  volenté,  né  faire  aucune  chose  contre  la  féaulté  qu'il 
devoit  tenir  et  avoir  envers  le  roy  de  France.  Adonques, 
aucuns  des  Flamens  se  retrairent  du  tout  de  porter  vivres 
aux  Anglois  pour  ceste  cause. 

Au  moys  de  septembre  ensuivant,  le  jour  de  la  Sainte- 
Croix  ,  le  corps  du  conte  d'Alençon  dei'enièrement  tué  à 
Crecy  fu  enseveli  aux  Frères  Prescheurs  à  Paris. 

En  ce  meisme  temps,  le  roy  de  Boesme  fu  porté  à  Lucem- 
Louic  et  ilecques  meisme  fu  noblement  enseveli.  En  oultre, 
les  armes  ou  escus  de  cinquante  chevaliei's  esleus  qui 
avecques  luy  moururent  à  Crecy  sont,  environ  sa  sépulture, 
noblement  et  autentiquement  paintes. 

En  la  fin  du  moys  de  septembre,  le  conte  Derbi  qui  rési- 
dent estoit  pour  lors  à  Bourdiaux,  quant  il  vit  que  le  duc 
de  Normendie,  fils  du  roy  de  France,  ot  laissié  le  siège  du 
cliastel  d'Aguillon,  et  qu'il  fu  en  France  retorné,  il  esmeut 
son  ost  vers  Xaintes  en  Poitou,  et  vint  à  Saint-Jehan- 
d'Angeli  en  ardant,  en  robant  et  en  ravissant  hommes 
et  femmes  sans  nombre  ;  et  prist  ladite  ville  de  Saint- 
Jchan-d'Angeli  sans  grant  difficulté  :  car  il  n'i  trouva  nulle 
ou  moult  petite  résistance.  Et  là  trouva  des  biens  et  des 
richesces,lesquelles  II  emporta  avecques  luy;  et  d'ilec  s'en  ala 
à  la  cité  de  Poitiers  sans  quelconques  résistances,  car  chas- 
cun  fuioit  devant  luy.  Adonques,  quant  il  vint  en  la  cité 
de  Poitiers,  il  la  prist  sans  balaillc  et  sans  labour.  Et  lors 


(134C.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  465 

piùst  les  trésors  et  les  richesses  qu'il  y  pot  trouver,  et  les 
bourgois  et  les  chanoines;  et  puis  ardi  la  greigneur  partie 
de  la  ville  et  le  palais  du  roy  et  s'en  ala  à  Bordiaux  à  toutes 
ses  richesses,  et  assez  tost  après  il  passa  en  Angleterre. 

(1)  Environ  la  feste  saint  Denis,  le  roy  demanda  ou  fist 
demander  à  l'abbé  et  au  couvent  de  ce  meisme  lieu  su}:)side 
pour  l'occasion  de  ses  guerres.  Et  entre  les  autres  choses, 
l'en  demandoit  le  crucefis  d'or.  Mais  il  fu  respondu  de 
l'abbé  et  du  couvent  que,  en  bonne  conscience,  il  ne  porroit 
ce  faire  ;  car  le  pape  Eugène  le  tiers  le  bénéi  et  jeta  sentence 
d'escommeniement  sur  tous  ceux  qvii  le  descouverroient  ou 
qui  dommage  i  feroient  ;  si  comme  il  est  escript  au  pié  de 
la  crois  dudit  crucefis. 

En  ce  temps,  Pierre  des  Essars,  de  la  nascion  de  Nor- 
juendie ,  garde  et  dispenseur,  pour  partie,  des  trésors  du 
roy,  fut  pris  et  mis  en  diverses  prisons,  c'est  assavoir  d'un 
fort  en  autre.  Mais  en  la  fin,  après  moult  de  reproches  et 
de  grans  vilanies  pour  la  mort  esquiver,  il  fu  condampné 
à  cent  mille  flourins  à  la  chaièi-e  (2).  Mais  par  les  prières  du 
conte  de  Flandres  faites  au  roy ,  l'en  en  pardonna  audit 
Pierre  cinquante  mille  flourins. 

En  ce  meisme  temps,  environ  la  feste  saint  Martin  d'y  ver, 
l'abbé  de  Saint-Denis,  l'abbé  de  Noiremoustier  et  l'abbé 
de  Corbie  furent  establis  trésoriers  du  roy  de  France;  mais 
un  pou  après  qu'il  orent  laissié  ledit  office,  trois  évesques 
et  trois  chevaliers  furent  adjoins  avecques  eux,  et  aussi 
furent  fais  recteurs ,  gouverneurs  et  conseillers  de  tout  le 
royaume  de  France. 

En  ce  temps  pristrent  les  Anglois  une  ville  en  Poitou, 

(1)  Ce  paragraphe  a  été  biffé  avec  inlealion  dans  le  manuscrit  de 
Charles  V. 

(2)  À  la  chaière.  A  la  chaire.  Florins  sur  lesquels  ctoit  gravée  la  ûgure 
du  roi  assis. 


466  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

laquelle  est  appellée  Tuelle  (1),  et  la  pillèrent  de  tous  les 

biens  qu'il  trouvèrent. 

En  ce  meisme  an,  le  juesdi  après  la  Conception  Nostre- 
Dame  au  nioys  de  décembre ,  deux  chevaliers  nornians , 
c'est  assavoir,  niessire  Nichole  de  Gronssi  et  messire  Rolant 
de  Verdun,  lesquels,  n'avoient  gaires,  avoient  esté  pris  par 
naessire  Phelippe-le-Despensier  chevalier ,  à  Carentan  en 
Normendie,  et  avoient  esté  envoies  à  Paris  par  ledit  nies- 
sire Phelippe ,  furent  menés  es  halles  à  Paris  ,  et  là  orent 
les  testes  copées  et  puis  furent  pendus  au  gibet. 

En  ce  meisme  temps,  se  présenta  au  roy  de  France  nies- 
sire GefFroi  de  Harecourt,  chevalier  norniant,  la  touaille 
double  mise  de  ses  propres  mains  en  son  col  en  disant  telles 
paroles  :  u  J'ai  esté  traitre  du  roy  et  du  royaume ,  si 
»  requiers  miséricorde  et  pais.  »  Lesquelles  miséricordes 
et  pais  le  roy  de  sa  bénignité  luy  ottroia. 

En  cest  an,  environ  la  feste  de  la  Thyphaine,  fu  ordené 
et  comniencié  à  faire  les  fossés  à  l'environ  de  la  ville  mon- 
seigneur saint  Denis,  afin  que  elle  fust  plus  fort. 

En  ce  temps,  la  ville  de  Tuelle,  laquelle  avoit  esté  prise, 
ii'avoit  guères ,  par  les  Anglois  ,  fu  recouvrée  et  reprise 
par  les  Fi-ançois. 

(2)  En  ce  temps,  monseigneur  Jehan  de  Chaalon,  Bour- 
goignon  chevalier,  dégastoit  la  terre  du  duc  de  Bourgoigne, 
par  occisions,  par  feux  et  par  rapines. 

En  ce  temps,  David  le  roy  d'Escoce  fu  pris  des  Anglois. 

En  ce  meisme  an,  environ  la  mi-karesme,  les  Lombars 
usuriers  furent  pris  au  royaume  de  France;  et  quiconques 
estoit  tenu  ou  lié  aux  Lombars  en  usure,  et  il  paiast  au 

(1)  Tuelle.  Sans  doute  :  Tulle. 

(2)  Ce  paragraphe  manque  dans  les  éditions  gothiques,  et  dans  la  plu- 
part des  manuscrits. 


(13i6.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  4C7 

roy  le  principal  auquel  il  estoit  tenu  aux  Lombars,  il  estoit 
quitte  de  l'usure. 

En  ice  temps,  le  dimenclie  que  l'en  chante  Istisuntdics, 
le  roy  prist  à  Saint-Denis  l'oriflanibe  et  la  bailla  à  messire 
Geffroy  de  Charny  (1),  chevalier  bourgoignon ,  preu- 
d'iîomme  et  en  armes  expert,  et  en  pluseurs  fais  approuvé. 

XLI. 

Cornent  le  roy  de  France  s'ordena  à  poursuivre  son  anemi  le  roy 
d'Angleterre  jusques  à  la  ville  de  Hesdin;  et  cornent  un 
advocat  de  Laon,  appelle  Gam>ain^  voult  trdir  ladite  cité  de 
Laon. 

L'an  de  grâce  mil  trois  cens  quarante-sept,  le  conte  de 
Flandres  que  les  Flamens,  contre  leur  serement  et  leur 
loyauté,  —  laquelle  il  avoient  jurée  audit  conte,  et  la  con- 
venance qu'il  luy  avoient  faite,  c'est  assavoir  qu'il  ne  con- 
ti'aindroient  point  ledit  conte  à  prendre  femme  fors  à  sa 
volenté  et  à  la  volenté  du  roy  de  France  et  de  la  mère  dudit 
conte,  —  toutes  voies  l'avoient-il  contraint,  par  menaces  de 
mort,  à  prendre  la  fdle  du  roy  d'Angleterre  à  femme.  Mais 
le  mardi  après  Pasques,  c'est  assavoir,  le  troisiesme  jour 
d'avril,  il  s'en  issi  de  Flandres  par  cautèle  et  s'en  vint  au 
roy  de  France;  car  il  ne  vouioit  pas  avoir  la  fille  au  roy 
d'Angleterre  à  femme.  Dont  le  royaume  de  France  et  la 
mère  dudit  conte  orent  très  grant  joie,  et  fu  receu  trèshon- 
norablement  (2). 

(1)  Geffroi  de  Charny.  Ce  passage  fournit  l'occasion  de  compléter  la 
courte  notice  que  donne  sur  Geoffroy  de  Charny  Pierre  de  Saint-Julien, 
dans  ses  précieux  Mélanges  liisloriques ,  page  374.  II  dit  que  le  bon 
Geoffroi  fut  choisi  pour  porte-oriflamme  seulement  parle  roi  Jean,  et  qu'il 
mourut  à  la  bataille  de  Poitiers.  La  maison  de  Charny  s'est  fondue  dans 
celle  de  Beauffremont  qui  fleurit  encore. 

(2)  Ici  la  continuât,  lat.  de  Nangis  porte  :  «  Et  sic  rex  Anglix  cl  Flam- 


468  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

En  la  quinzaine  de  Pasques ,  le  roy  se  parti  de  Paris  et 
prist  congié  de  monseigneur  saint  Denis,  et  se  recommanda 
à  luy;  et  se  ordena  à  aler  vers  son  anemi  le  roy  d'Angleterre 
et  vint  à  une  ville,  laquelle  est  appelléeHesdin,  et  ileques 
moult  dolent  attendi  longuement  ses  gens  qui  venoient 
moult  lentement.  Et  fu  en  ladite  ville  de  Hesdin  jusques 
en  la  sepmaine  devant  la  feste  de  la  Magdalène;  et  depuis, 
luy  et  son  fils,  le  duc  de  Normendie,  s'en  départirent  et  leur 
compaignie  avec  eux,  et  s'en  alèi'ent  droit  vers  Calais,  en- 
contre leur  anemis.  JVIais  le  roy  d'Angleterre  et  le  duc  de 
Lencastre  ,  jadis  conte  de  Derbi ,  et  les  Anglois  qui  de 
nouvel  estoient  venus  à  leiu"  seigneur,  avoient  fermée  et 
enclose  la  ville  de  Calais  de  si  grant  siège,  tant  par  terre 
comme  par  mer,  que  vivres  ne  povoient  en  nulle  manière 
estre  portées  à  ceux  qui  estoient  en  ladite  ville  de  Calais. 
Pour  laquelle  chose  il  vivoient  en  grant  désespérance  et  en 
grant  misère  jusques  à  tant  qu'il  sorent  la  venue  du  roy 
et  qu'il  se  vouloit  combatre  contre  son  anemi,  et  lever  le 
siège  d'entour  la  ville. 

En  ce  meisme  an,  un  advocat  né  de  la  cité  de  Laon, 
appelle  Gauvain  de  Bellemont,  endementres  qu'il  demou- 
roit  en  la  cité  de  Mes,  il  fu  deceu  par  mauvais  esperit,  cai'  il 
voult  traïr  la  cité  en  laquelle  il  avoit  esté  né,  et  disoit  que  à 
Laon  il  avoit  mauvaise  gens.  Si  ot  ledit  Gauvain  conve- 
nances aveques  aucuns  traitres  du  royaume,  et  commença  à 
machiner  coment  il  pom-roit  acomplir  ce  qu'il  avoit  entre- 
pris et  promis  à  faire.  Si  avint  que  un  homme  de  Laon, 
lequel  avoit  à  nom  Colin  Thommelin,  et  estoit  fevre,  fu  venu 
à  si  grant  povreté  que  par  honte  il  laissa  la  cité  de  Laon 


i>  mingi...  videnlcs  se  delusos  Irislitiâ  sunt  replcti;  maxime  régis  Angliœ 
«I  filici  supra  dicta;  undè  nomine  ejus,  facta  fuit  canlilena  quaî  la  Francis 
»  ubiqtie  cantabatur  gallicc  .-  J'ai  failli  à  cui  je  eatoie  donné  par 
)p  amour,   etc. 


((317.)  PHELIPPE  DE  VAI.OIS.  4Ci) 

pour  ce  qu'il  ne  povoit  paier  ce  qu'il  devoit;  si  piisl  sa 
femme  et  ses  enfans  et  s'en  ala  à  Mes,  et  ilccques  faisoit  sou 
mcstier  et  gaaignoit  sa  vie  au  mieux  qu'il  povoit. 

Or  avilit  que  le  devant  dit  Gauvain  connut  iceluy  Colin 
et  luy  commença  à  enquérir  dont  il  venoit  et  pourquoy  il 
s'estoit  parti  de  Laon  ?  lequel  luy  respondi  que  povreté 
i'avoit  chacié  hors  de  Laon.  Quant  Gauvain  ot  ce  oi,  si  luy 
dist  :  «  Se  tu  te  veux  acorder  à  ce  que  je  te  diray  et  garder 
»  très  secrètement,  soies  certain  que  je  te  feray  riche  né  dès 
»  or  en  avant  tu  n'auras  nulle  souffreté.  »  Cil  luy  acorda  ; 
adoncpies  Gauvain  luy  dist  :  «  Prens  ces  lettres  et  les  porte 
»  au  roy  d'Angleterre,  et  gardes  que  tu  soies  à  moy  à  Rains 
!)  la  veille  de  Pasques,  et  ne  te  doubtes,  car  je  y  seray.  »  Lors 
prist  ledit  CoUn  ces  lettres,  et  se  parti  et  commença  moult 
a  penser  s'il  acompUroit  ce  que  l'en  luy  avoit  encharchic. 
Et  quant  il  ot  bien  pensé,  si  ot  avis  en  soy  qu'il  porteroit 
au  roy  de  France  lesdites  lettres,  et  ainsi  le  fist  et  les  pré- 
.senta  au  roy,  csquelles  lettres  l'ordre  et  la  manière  de  traïr 
la  cité  estoient  contenues.  Après  ce,  s'en  retourna  ledit 
Colin  à  Rains  au  jour  que  ledit  Gauvain  luy  avoit  dit,  et  fu 
ledit  Colin  moult  bien  entreduit  de  par  le  roy,  et  trouva 
ledit  Colin  son  maistre  Gauvain,  la  veille  de  Pasques,  si 
connue  il  luy  avoit  promis;  mais  il  estoit  en  habit  de  Pré- 
monstré,  comme  religieux  vestu.  Lors  se  traist  ledit  Colin 
par  devers  le  prévost  de  Rains,  et  (îst  prendre  ledit  Gau- 
vain en  son  lit,  le  joui'  de  Pasques.  Si  voult  ledit  Gauvain 
veslir  habit  séculier,  mais  il  ne  luy  fu  pas  souffert;  et  si  fu 
vestu  en  la  manière  qu'il  estoit  entré  en  la  cité. 

Ce  meisme  jour,  après  disner,  il  fu  mené  à  Laon  et  fu  mis 
en  la  prison  de  l'évesque,  et  fu  gardé  diligcamment;  mais 
le  peuple  voult  venir  veoir  le  txaitre  de  eux  et  de  leur  cité, 
coincnt  et  par  quelle  manière  il  estoit  condampné.  Si  fu 
mis  liors  de  prison.  Et  avoit  en  son  col  et  en  ses  mains  cer- 
T-)M.  v.  40 


470  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

des  de  fer  et  anniaux  de  fer  moult  fors;  et  depuis  fu  mis 
en  une  charete  en  laquelle  il  avoit  une  pièce  de  boys  au 
travers  sus  laquelle  il  se  séoit,  afin  qu'il  fust  veu  de  tout  le 
peuple  et  que  ledit  peuple  sceut  et  cogneust  qu'il  estoit 
condampné  à  chartre  perpétuel.  Mais  sitost  comme  il  fu 
mis  hors  de  la  court  à  l'oflicial  et  qu'il  estoit  mené  par  la 
cité,  le  peuple  ne  pot  longuement  regarder  leur  traitre;  si 
le  lapida  de  pierres  et  ot  le  lianepier  (1)  de  la  teste  copé,  et 
mourut  honteusement  et  à  grant  tourment.  Adonques 
endementres  cju'il  souffroit  tel  tourment,  il  prioit  la  glo- 
rieuse vierge  Marie  que  elle  le  vousist  garder  en  bon  sens  et 
en  bon  entendement  et  en  vraie  foy  par  sa  sainte  graco. 
Après,  comme  fl  fu  ainsi  mort  et  occis,  il  fu  reporté  à  la 
court  de  l'official  et  fu  monstre  son  corps  à  tous  ceux 
qui  le  vouldrent  veoir,  et  fu  enterré  après  en  un  marois, 
emprès  la  ville.  Et  après,  son  fils  fu  pris,  car  il  estoit  parti- 
cipant du  péchié  son  père,  et  fu  condampné  à  chartre 
perpétuel. 

En  ce  meisme  temps,  le  visconte  de  Touart  et  conte  de 
Dreues,  endementres  qu'il  estoit  capitaine  en  Bretaigne  de 
par  le  roy  de  France,  avint  qu'il  se  garda  moins  diligeam- 
ment  cju'il  ne  deust,  si  fu  pris  par  monseigneur  Raoul  de 
Caourse  (2),  chevalier,  par  nuit  en  son  lit,  très  honteu- 
sement. 

En  ce  meisme  an  ,  le  lundi  après  l'Ascension  Nostrc- 
Seigneur,  un  citoien  de  Paris  lecjuel  estoit  fèvre,  fu  accusé 
qu'il  vouloit  trair  la  cité  de  Paris,  et  fu  trouvée  et  provée 
contre  luy  sa  traison  ;  pourquoy  il  ot  les  bras  et  les  cuisses 
copées,  et  depuis  fu  pendu  par  le  col  au  gibet. 

Item,  le  vendredi   ensuivant,  le  chastel  de  Beaumont , 

(1)  Uanepier.  Le  crâne.  —  L'historien  de  Laon,  doni  Nicolas  le  Lons, 
n'a  pas  connu  cet  événement. 

(2)  De  Caourse.  Var.  Cadurse.  —  Adiisè  chcvalkr. 


((347.)  rHELIl'PE  DE  VALOIS.  471 

lequel  estoit  messire  Jehan  de  Vervins,  chevalier,  fu  pris  et 
destruit;  et  des  pierres  dudit  chastel  fulevé  vxn  gibet  en  la 
place  meisnie  où  ledit  chastel  estoit. 

En  ce  meisme  temps,  l'évesque  de  Biauvais,  jadis  frère 
de  Enguerran  de  Marigni ,  fu  fait  par  le  pape  arcevesque 
de  Roen,  et  l'évesque  de  Baleux,  jadis  frère  de  messire  Ro- 
bert Bertran,  chevalier  et  mareschal  de  France,  fu  fait  éves- 
que  de  Biauvais. 

Et  en  ce  meisme  temps ,  le  jeudi  devant  la  nativité 
monseigneur  saint  Jehan,  le  vingt-et-uniesme  jour  de  juing, 
Henri  et  Godefroy,  fils  du  duc  de  Brebant,  furent  espousés 
au  Louvre,  à  Paris.  Et  prist  ledit  Henri  la  fille  du  fils  du 
roy,  duc  de  Normendie,  et  ledit  Godefroy  si  ot  la  fille  du 
duc  de  Bourbon. 

Et  environ  ce  temps,  trieves  furent  données  aux  Flamens 
jusques  à  trois  ans.  Et,  endementres  ,  le  duc  de  Brebanl, 
l'arcevesque  de  Trêves  et  messire  Jehan  de  Haynau  cheva- 
lier traitèrent  de  la  pais  des  Flamens. 

XLIT. 

Cernent  messire  Charles  de  Blo/s,  chic  de  Brclaignc,  fisl  siège 
sur  les  anglais  de  la  Iloche-Deryan,  et  cornent  il  fa  pris  au 
siège  un  chei'alier  d' Angleterre  appelle  Thomas  Dagorn. 
Et  comenl  presque  tous  les  barons  de  Brelaigne  furent  que 
mors  que  pris. 

Puis  que  les  Anglois  orent  pri.se  la  ville  de  la  Roche-De- 
ryan,  si  comme  devant  est  dit,  l'an  mil  trois  cens  quarante- 
cinq  et  l'eussent  tenue  et  gardée  continuellement,  si  avint, 
environ  la  feste  de  monseigneur  saint  Jehan-Baptiste,  c'est 
assavoir  en  la  sepmaine  qui  fu  après  la  Penthecouste,  que  le 
duc  de  Bretaignc  fist  siège  devant  ledit  chastel  de  la  Rociic- 


472  LES  GRANDES  CHaOMQUES. 

Deryan,  et  avolt  aveques  luy  grant  quantité  de  peuple, 
tant  de  Bretons  que  de  François  et  d'autres  nacions.  Si 
ordena  son  ost  en  pluseurs  conipaignies  :  les  uns  furent  mis 
en  un  lieu  qui  est  appelle  la  Place-Vert,  en  la  paroisse  de 
Langoet  (1)  oultre  l'yaue  qui  est  appellée  Jaudi,  et  ordena  et 
commanda  à  ceux  qui  là  estoient  que,  pour  cri  ou  pour 
quelque  autre  signe,  il  ne  venisseut  point  à  nulle  autre 
compaignie  ;  car  ledit  duc  pensoit  que  messire  Thomas 
Dagorn  (2),  chevetaine  des  Anglois  qui  pour  le  temps  demou- 
roieut  en  lîretaigne,  devoit  appliquier  vers  ceste  partie  où 
lesdis  Bretons,  François  et  autres  estoient.  Et  la  compai- 
gnie de  l'ost  en  laquelle  le  duc  estoit  si  comprenoit  la  place 
entre  l'église  de  Notre-Dame  (3)  et  la  porte  qui  est  appellée  la 
porte  de  Jument.  Et  les  autres  compaignies  estoient  environ 
la  ville;  mais  les  deux  devant  dit  nommées  estoient  les  plus 
nobles.  Et  environ  la  ville  estoient  neuf  grans  engins  entre 
lesquels  il  en  avoit  un  qui  gettoit  pierres  de  trois  cens 
pesant,  et  les  autres  gettoient  en  la  ville;  par  telle  manière 
qu'ils  rompoient  les  maisons  et  tuoient  les  gens,  les  che- 
vaux et  les  autres  bestes;  et  entre  les  autres  cops,  une  pierre 
fu  gettiée  dudit  grant  engin  en  une  maison  ou  chastel,  en 
laquelle  maison  la  femme  du  capitaine  gisoit  d'enfant,  et 
estoit  emprès  son  enfant  quelle  avoit  eu  de  nouvel;  si  rom- 
pit le  cop  de  ladite  pierre  plus  de  la  moitié  de  la  maison  où 
ladite  femme  estoit,  si  ot  moult  grant  paour  et  se  leva  tan- 
tost  toute  espoventée,  et  vint  à  son  mari,  capitaine  du 
chastel,  messire  RichartToutesham,  chevalier,  et  luy  pria 
qu'il  rendlst  ledit  chastel  ;  mais  il  ne  luy  voult  acorder.  De 
rechief  fu  gettiée  une  autre  pierre  de  la  partie  où  le  duc 

(1)  Langoet.  Entre  les  deux  rivières  de  Treguier  et  du  Jaudy. 

(2)  Dagorn.  Froissart  le  noimiio  de  même,  les  titres  anglois  Dagworlh. 

(3)  ^oire-Dame.  Cassini  :    ^oire  -Vame-du-]iois ,  entre    Langoet  et 
Laroche. 


(1347.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  473 

estoit,  et  fist  un  pertuis  en  la  tour  où  le  capitaine  et  sa 
femme  estoient,  mais  pour  ce  ne  le  voult-il  rendre.  Si  avint 
que  les  bonnes  gens  de  celle  terre  qui  par  avant  avoient  esté 
en  la  subjection  des  Anglois  pristrent  fondes  pendens  à 
bastons,  et  commencièrent  à  assaUlir  la  ville  par  merveil- 
leux effort,  car  il  estoient  grant  quantité  ;  et  firent  loges, 
ville  et  rues  en  l'ost,  et  portoit-l'en  moult  de  biens  en  l'ost, 
et  tellement  que  vivres  estoient  à  très  grant  marchié,  dont 
pluseurs  s'en  merveilloient.  Tous  les  jours  donnoient  assaus 
à  la  ville  et  au  chastel  par  très  grant  effort,  et  en  telle 
manière  que  ceux  qui  estoient  en  la  ville  ne  savoient  que 
faire.  Mais  les  nos  eussent  prise  la  ville  s'il  eussent  voulu, 
car  ceux  de  la  ville  et  du  chastel  avoient  ottroié  à  tout  ren- 
dre, leur  corps  et  leur  vies  saufs.  Si  avint  que  le  duc  fu  déceu 
par  mauvais  conseil,  et  ne  voult  prendre  la  ville  jusc|ues 
à  tant  que  messire  Thomas  Dagorn,  principal  capitaine  des 
Anglois ,  venist  et  qu'il  fust  pris  avant  que  l'en  receust 
ceux  de  la  ville  et  du  chastel.  Mais  aucuns  de  l'ost  au  duc 
si  firent  acort  avec  ceux  de  la  ville,  c]u'il  seroient  receus 
dedens  huit  jours  en  la  forme  et  manière  qu'il  le  requé- 
roient.  Endementres  vint  messire  Thomas  Dagorn  par 
devers  la  ville  qui  est  appellée  Karahes  (1),  par  sentiers  et  par 
bois,  à  très  gi'ant  ost,  et  si  céléement  comme  il  pot,  et  se 
loga  celle  nuit  en  l'abbaïe  de  Begar  (2),  en  laquelle  n'avoit 
demouré  nul  moine  depuis  que  les  Anglois  estoient  venus 
à  la  Roche-Deryan.  Si  y  trouva  aucuns  serviteurs  qui  gar- 
doient  ladite  abbaïe;  et  là  entra  celle  nuit  sans  ce  que  ceux 
du  pays  ou  pou  le  sceusseiit ,  et  y  soupa  et  son  ost  ave- 
ques  luy,  et  ne  fist  nul  mal  à  ceux  qu'il  trouva  en  ladite 
abbaïe;  et  après  qu'il  ot  soupe,  il  s'en  entra  en  l'églyse  et 


(1)  Karahes.  Cathaix. 

(2J  Begar  ou  Beja.  A  Irois  lieues  au  dessous  de  Laroche. 

40 


474  LES  GRAINDES  CHRONIQUES, 

fist  ilecques  son  oroison,  et  veilla  jusques  à  mienuit,  sicoinme 
l'en  dit,  et  ensaigna  son  ost  cornent  il  assaudroit  l'ost  du 
duc,  et  leur  donna  un  signe  que  comme  il  seroient  en  la 
bataille,  il  diroient  l'un  à  l'autre  une  parole  bien  bas, 
laquelle  parole  je  n'ay  pu  savoir,  et  quiconque  ne  diroit  celle 
parole  à  l'un  et  à  l'autre  assez  bas,  que  il  les  tuassent  se 
il  peussent.  Quant  ces  choses  furent  par  luy  ordonnées  , 
si  se  départi  environ  mienuit  et  s'en  vint  par  autre  voie 
que  l'en  ne  cuidoit  à  la  Rocbe-Deryan  ;  et  pour  ce,  l'ost  qui 
estoit  en  la  Place-Vert  devant  dite  s'estoit  appareilliéà  coni- 
batre  vertueusement  encontre  ledit  messire  Thomas  Da- 
gorn.  Mais  ledit  messiie  Thomas  sceut  par  aventure  coment 
il  estoient  fors,  si  se  tourna  vers  l'ost  du  duc.  Et  le  duc  et 
sa  compaignie  cuidoient  qu'il  s'en  alast  de  l'autre  part,  et 
ne  se  gardoient  pas  de  luy.  Si  s'en  vint  ledit  messire  Tho- 
mas au  pont  qui  est  appelle  Aziou  (1),  susl'yaue  de  Jaudi,  par 
la  grant  voie  qui  va  à  la  Roche-Deryan,  près  du  gibet  de 
la  ville  de  la  Roche.  Celle  nuit  veilloient  en  l'ost  du  duc 
messire  Robert  Arael,  le  seigneur  de  Beaumanoir,  monsei- 
gneur de  Derval  et  moult  de  autres  seigneurs  chevaliers 
desquels  aucuns  ne  faisoient  pas  bien  leur  devoir,  si  comme 
l'en  dit  ;  car  il  ne  veilloient  pas  bien.  Quant  messire  Tho- 
mas aproucha  de  l'ost  du  duc,  l'en  dit  qu'il  savoit  bien 
quel  part  le  duc  estoit,  et  là  mist  pluseurs  charoys  et  plu- 
seurs  variés,  c'est  assavoir  entre  le  moulin  et  la  Maladerie  ; 
et  estoit  ainsi  entre  mienuit  et  le  point  du  jour,  et  estoit  la 
nuit  moidt  obscure.  Adonc  commencièrent  à  crier  les  variés 
qui  estoient  vers  la  Maladerie,  à  une  voix  très  horrible,  un 
cri.  Quant  ceux  qui  veilloient  en  celle  partie  oirent  ce  cri, 
si  voidrent  aler  véoir  que  c'estoit.  Mais  il  apperçurcnt  l'ost 


(1)  Aziou,  Sans  doulc  le  Kef  Veziou  deCassini.  à  mi-clieniin  de  Bcjn  cl 
Laroclie. 


(1347.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  476 

des  anemis  après  eux,  si  se  coinbatiient  à  eux  et  mandèrent  à 
ceux  de  l'ost  du  duc  que  tantost  il  s'armassent.  Mais  avant 
qu'il  fussent  parfaitement  armés,  les  anemis  les  assaillirent, 
et  ilecques  ot  bataille  fort  et  dure;  et  y  fu  pris  messire  Tho- 
mas Dagorn.  Si  avint  que,  si  comme  il  le  vouloient  mener 
aux  tentes  du  duc,  il  orent  à  l'encontre  d'eux  vuie  autre 
bataille  qui  leur  rescoust  ledit  messire  Thomas;  et  com- 
mença de  rechief  la  bataille.  Et  n'estoit  encore  jour,  mais 
faisoit  moult  obscur,  et  en  telle  manière  que  les  nos  s'entre- 
tuoient  pour  ce  qu'il  ne  s'entrecognoissoient,  tant  faisoit 
obscur.  Mais  les  anemis  si  avoient  un  signe  secret,  comme 
devant  est  dit,  si  s'entregardoient.  En  icelle  bataille  fu  pris 
de  rechief  messire  Thomas  Dagorn  de  la  propre  main  tlu 
duc.  En  ice  lieuavoit  moult  de  diverses  batailles,  et  estoient 
les  vuies  assez  près  des  autres,  et  se  combattoient  à  la  clarté 
de  cierges  et  de  torches.  Le  visconte  de  Rohan  se  comba- 
toit,  le  seigneur  de  Vauguion  et  pluseurs  autres  seigneurs  se 
combatoient  en  pluseurs  places  et  lieux.  Quant  les  Anglois 
virent  que  messire  Thomas  Dagorn  estoit  de  rechief  pris, 
si  s'en  partirent  aucuns  de  l'ost  et  s'en  vindrentà  ceux  de  la 
Roche-Deryan,  et  les  requistrent  qu'il  les  voulsissent  se- 
courre  et  aidier.  Adonques  ceux  de  la  ville  et  du  chastel  issi- 
rent  à  tout  une  manière  de  haches,  lesc[uelles  estoient  bon- 
nes et  avoient  manches  de  deux  pies  et  demi  de  long  ou 
environ,  et  issirent  bien  environ  cinq  cens  hommes  fors  et 
délibérés  combatans  tant  de  la  ville  comme  du  chastel,  et  se 
férirent  en  l'ost  du  duc  et  des  autres  cpii  se  combatoient, 
etrescoustrent  de  rechief  ledit  messire  Thomas,  et  mistrent 
à  mort  moult  de  ceux  de  la  partie  du  duc,  de  leur  dites 
haches.  Mais  ceux  que  le  duc  avoit  ordené  pour  estie  au 
heu  qui  est  dit  la  Place-Yert,  comme  dessus  est  escript,  ne 
savoient  riens  de  tout  ce  qui  estoit  fait  en  l'ost  du  duc,  car 
il  estoient  assez  loing  de  l'ost  du  duc,  et  estoit  la  rivière  et 


476  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

la  ville  de  la  Roche-Deryan  entre  eux  et  l'ost  du  duc  de 
Bretaigne;  et  attendoient  de  jour  ledit  messire  Thomas,  car 
il  devoit  venir  de  celle  partie.  Et  pour  ce  leur  avoit  com- 
mandé ledit  duc  que  pour  nulle  chose  il  ne  se  partissent 
du  lieu  où  il  estoient,  et  leur  disoit  le  duc  :  «  Se  messire 
»  Thomas  Dagorn  vient  par  devers  nous,  nous  le  pourrons 
»  bien  avoir,  sans  aide  de  autrui  ;  mais  s'il  va  par  devers 
»  vous,  à  paine  le  pourrez  avoir  sans  aide.  » 

Endementres  que  le  duc  et  le  visconte  se  combatoient 
et  pluseurs  autres  Bretons  bretonnans  qui  aveques  eux 
estoient,  le  duc  ne  sceut  riens  du  fait  de  la  bataille  qui 
avoit  esté  entre  ceux  de  sa  partie  et  ceux  qui  estoient  issus 
de  la  ville  et  du  chastel  de  la  Roche-Deryan ,  jusques  à 
tant  qu'il  en  y  eussent  pluseurs  de  sa  partie  mors.  Et  admi- 
nistrèrent ceux  qui  estoient  issus  de  ladite  ville  et  du  chas- 
tel haches  et  armeures  pluseurs  aux  Anglois  qui  celle  nuit 
avoient  esté  deux  fois  desconfis,  desquelles  armeures  et  ha- 
ches il  occistrent  plus  de  la  moitié  de  l'ost  des  Bretons.  Et  y 
moururent  des  barons,  c'est  assavoir  le  visconte  de  Rohan  (  I  ), 
l'un  des  plus  riches  hommes  de  Bretaigne,  le  seigneur  de 
Derval,  le  seigneur  de  Quintin  et  monseigneur  Guillaume, 
son  fils  ;  et  messire  Jehan  son  autre  fils  ot  le  nez  copé , 
le  seigneur  du  Chasliau-de-Brienc,  le  seigneur  de  Rongé, 
messire  GefTroy  de  Tournemine,  messire  Geffroy  de  Ros- 
dranen,  messire  Thomin  Biaulisel,  le  seigneur  de  Va uguiou, 
et  si  pristrent  son  fils;  et  moult  d'autres  barons  et  nobles 
liommes  y  furent  mors  et  les  autres  pris,  mais  il  en  tuèrent 
])lus  qu'il  n'en  pristrent. 

(1)  Dom  Morice  et  après  lui  M.  Dacier  assurent  que  le  vicomte  de 
Rolian  ne  fut  pas  lue  dans  cette  affaire.  On  ne  peut  cependant  en  douter, 
après  le  icnioignage  unanime  de  Froissart ,  de  nos  chroniques  et  de 
Thomas  d'As^orlh ,  dont  le  bulletin  est  iciiroduit  dans  noOcrt  d'A- 
wesbunj. 


(i;i47.)  PHKLll'PE  DE  VALOIS.  477 

Si  avilit,  environ  l'aube  du  jour,  depuis  que  la  bataille 
ot  moult  duré ,  c'est  assavoir  la  quarte  partie  de  la  nuit 
largement,  et  que  par  icelle  espace  le  duc  se  fust  continuel- 
lement combatu,  si  sceut  que  ses  barons  et  ses  chevaliers 
estoient  ou  mors  ou  pris  pour  la  greigneur  partie,  en  soy 
combatant.  Lors  se  commença  à  retraire,  et  se  retraist  jus- 
ques  à  la  niontaigne  des  Mesiaux,  laquelle  montaigne  estoit 
bien  loing  de  la  place  où  la  guerre  avoit  esté  commenciée; 
et  avoit  le  dos  vers  le  moulin  à  vent,  et  tousjours  avoit  au- 
cuns qui  le  combatoient,  car  il  pensoient  bien  que  c'estoitle 
duc.  Si  luy  demandèrent  s'il  estoit  le  duc,  et  il  leur 
respondi  que  non,  car  il  cuidoit  escliaper  de  leur  mains. 
Finablement  il  sceurent  que  c'estoit  il,  si  luy  demandèrent 
qu'il  se  rendist,  auxquels  il  respondi  que  jà  à  Anglois  il  ne 
se  rendroit,  et  qu'il  avoit  plus  chier  à  souffrir  mort,  jasoit 
ce  qu'il  fust  navré  de  sept  blessures  dont  aucunes  estoient 
mortelles,  si  comme  l'en  disoit.  Adonques,  vint  un  cheva- 
lier qui  avoit  à  nom  monseigneur  Bernart  du  Chastel,  lequel 
dit  au  duc  qu'il  se  rendist  à  luy;  et  le  duc  luy  demanda 
qui  il  estoit.  Lors  le  chevalier  luy  dist  son  nom,  et  le  duc 
si  se  rendi  à  luy. 

Quant  ceux  de  sa  gent  qui  estoient  eschapés  vifs  sceurent 
que  leur  seigneur  estoit  pris,  si  se  despartirent  comme 
tous  désespérés. 

L'endemain,  les  Anglois  menèrent  le  duc  par  faux  sen- 
tiers et  par  boys  à  une  ville  qui  est  nommée  Karahes  ;  et 
d'icelle  ville,  il  le  menèrent  à  une  ville  qui  est  appellée 
Remperlé,  en  laquelle  ville  les  Anglois  tenoient  un  très  fort 
chastel,  lequel  chastel  il  avoient  pris  par  force  d'armes;  et 
en  ce  chastel  tindrent  ledit  duc  par  l'espace  de  huit  jours 
ou  environ,  et  de  ce  chastel  il  le  firent  mènera  Vannes,  et 
ilecques  demoura  environ  vm  an  ;  car  la  mer  estoit  gardée 
en  telle  manière  que  les  Anglois  ne  l'osoient  envoier  par  nier 


478  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

en  Angleterre.  Et  eudementres  qu'il  fu  à  Vannes,  la  du- 
chesse ot  congié  des  Anglois  pour  visiter  le  duc,  son  sei- 
gneur. Environ  la  fin  de  l'aiî,  il  pristrent  le  duc  et  l'en- 
voièrent  par  mer  au  chastel  de  Brest,  lequel  cliastel  de 
Bretaigne  est  le  plus  prochain  avi  royaume  d'Angleterre; 
car  il  estoit  nécessaire  que  ledit  duc  fust  guéri  de  ses  plaies, 
avant  que  l'en  le  peust  mener  en  Angleteri'e  ou  en  autre  lieu 
loing.  Et  après,  depuis  qu'il  ot  esté  une  pièce  audit  chastel 
de  Brest  et  que  le  péril  fu  osté  de  luy ,  jasoit  ce  qu'il  ne 
feust  pas  guéri,  il  l'envoièrent  en  Angleterre  bien  acom- 
paigné  de  navire.  Mais  trèsqu'il  issi  dudit  chastel  de  Brest 
pour  estre  mené  en  Angleterre  et  au  roy  d'Angleterre 
estre  présenté,  il  avoit  en  sa  compaignie  sept  joueurs  de 
guisternes,  et  il  meisme,  si  comme  l'en  dit,  commença  à 
jouer  de  l'uitiesme  guisterne(l).  Et  ainsi  fu  mené  prisonnier 
en  Angleterre,  dont  ce  fu  grant  doieur  et  grant  pitié. 

Or  avint,  après  ce  que  la  bataille  fu  finée,  eu  laquelle 
le  duc  avoit  esté  pris  et  ses  gens  mors  et  desconfis,  comme 
dessus  est  dit,  que  les  Anglois  qui  estoient  demourés  en  la 
Koche-Deryan  pristrent  les  armes  et  les  despoilles ,  vins, 
cliars  et  autres  biens  qui  estoient  en  l'ost  du  duc,  et  si  tin- 
drent  les  bonnes  gens  du  pays  en  très  grant  misèi'e,  et  ne 
leur  laissièrent  rien  à  leur  povoir,  et  si  en  tuèrent  en  grant 
quantité,  et  aucuns  en  réservèrent  pour  faire  le  labour 
entour  le  fort.  Les  Anglois  avoient  bien  aperceu  comeut  il 
s'estoient  asprement  tenus  encontre  eux,  si  comme  dessus 
est  dit. 

(1)  CeUe  singulière  circonstance  des  huit  guiterncsn'a  pas  clé  jusqu'à 
présent  remarquée  ni  expliquée.  Si  nous  lisions  cela  dans  les  romans  de 
la  Table  Ronde,  nous  n'hésiterions  pas  à  reconnoître,  dans  ce  texte, 
huit  des  lais  ou  chants  de  douleur  dont  le  duc  lui-même  auroil  composé 
le  dernier.  —  C'est  encore  le  sens  le  plus  vraisemblable  ici. 


;i.3i7.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  479 


XLIII. 

Cornent  tous  les  nobles  et  non  nobles  du  pays  de  Triguier 
et  d'environ  vindrent  assaillir  les  Anglais  de  la  Roche-De- 
ryan  a^'equcs  les  aydes  que  le  roy  de  France  leur  cnçoia , 
et  de  la  manière  de  la  prise  et  de  l'assaillir^  et  cornent  il  fu- 
rent pris  ;  et  la  'ville  et  le  chastel  de  la  Roche-Deryan  furent 
recouiTcs. 

Quant  ces  choses  oient  esté  ainsi  faites,  les  Anglois  orent 
très  grant  joie  et  fuient  moult  lies  de  leur  victoire;  et  com- 
mencièrent  de  recliief  à  garnir  la  ville  et  le  chastel  de  la 
Roche-Deryan ,  et  aucuns  autres  fors,  des  biens  qu'il 
avoient  gaaigniés,  et  pcnsoient  à  deniourer  ilecques  bien 
seurenient  et  eux  deffendre  encontre  tous.  Mais  Nostre- 
Seigneur  ordena  autrement  :  car  le  moys  d'aoust  ensuivant, 
les  nobles  et  non  nobles  de  tout  le  pays  s'assemblèrent  en 
un  certain  lieu,  et  firent  et  ordenèrent  que  de  rechief  et 
briefment,  il  assaudroient  la  ville  et  le  chastel  de  la  Roche- 
Deryan.  Et  firent  supplicacion  au  roy  de  France  qu'il  leur 
voulsist  envoier  ayde.  Si  leur  envoia  le  seigneur  de  Craon 
et  messire  Antoine  d'Avré,  et  aveques  eux  grant  compaignie 
et  fort.  Quant  il  furent  venus  en  Bretaigne  et  aveques  les 
Bretons  adjoins,  si  se  partirent  à  un  mardi,  et  environ  heure 
de  tierce  il  assaillirent  la  ville  de  la  Roche-Deryan  très 
vertueusement  et  continuellement  depuis  ledit  mardi  jus- 
ques  au  juesdi.  Mais  ceux  de  la  ville  se  deffendoient  tonnent 
et  gittoient  boys  et  genestes  ardans  et  poignées  de  blé  sans 
battre,  ardans,  et  si  gittoient  pois  et  autres  gresses  boulans, 
et  se  deffendoient  par  toutes  les  manières  qu'il  povoient. 
Quant  11  virent  que  bonnement  il  ne  se  pourroient  plus  dcf- 


480  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

lernlre  encontre  ceux  qui  là  estoieut,  il  se  consentirent  à 
rendre  la  ville  saufs  leur  corps  et  leur  biens.  Si  furent  d'un 
acort,  les  François  et  les  Bretons,  qu'il  n'auroient  congié 
de  la  vie  né  de  issir  hors.  Si  comniencièrent  de  recliief  les 
nos  à  assaillir,  et  ne  laschièrent  jusques  à  l'endemain  conti- 
nuellement qui  fu  jour  de  vendredi.  Et  en  iceluy  vendredi 
le  seigneur  de  Craon  niist  en  une  petite  bourse  cinquante  es- 
cus  d'or,  et  la  pendi  à  un  gresle  baston  lonc,  et  le  tenoit  en  sa 
main.  Si  commença  à  dire  à  ceux  qui  assailloient  la  ville  : 
«  Qui  premier  enterra  en  la  ville  en  vérité  il  aura  ceste 
»  bourse  aveques  les  flourins.  »  Quant  les  Genevois  virent 
celle  bourse,  il  comniencièrent  à  assaillir  la  ville  plus  fort 
que  par  avant  et  pristrent  mails  de  fer  cjui  avoient  longues 
pointes  et  grosses  testes,  lesquels  mails  sont  appelles  testus. 
Si  disti'ent  les  uns  aux  autres  :  «  Cinq  de  nous  irons  au 
»  mur  à  tous  nos  martiaux,  et  vous  serez  devant  les  murs 
»  et  assaudrez  le  plus  fort  que  vous  pourrez.  »  Et  ainsi  fu 
fait.  Adonques  pristrent  les  cinq  Genevois  leur  martiaux 
et  mistrent  leur  escus  sus  leur  testes  et  s'en  alèrent  aux 
murs,  et  les  autres  donnèrent  fort  assaut  à  ceux  qui  estoient 
sus  les  murs  de  la  ville.  Endementres  qu'il  assailloient 
par  telle  manière ,  les  devant  dis  cinq  Genevois  ostèrent 
cinq  pierres  des  murs  et  les  cavèrent  par  telle  manière  que 
il  furent  à  couvert  par  dedens  les  murs,  et  ne  leur  povoit-on 
mal  faire  des  carriaux.  Il  estoient  loing  l'un  de  l'autre  en- 
viron dix  pies.  Si  cavèrent  les  murs  par  telle  manière  que, 
dedens  heure  de  inidy  ,  il  client  des  murs  environ  un  pié 
en  longueur,  et  tantost  y  entra  un  Genevois  assez  petit  de 
corps,  et  ot  les  flourins  cjue  monseigneur  de  Craon  tenoit  ; 
et  après  luy  entrèrent  tantost ,  et  puis  que  les  murs  fu- 
rent clieus  communelment  tous  ceux  de  l'ost,  quicoiîques  y 
vouloit  entrer  indifféremment  :  car  il  avoit  esté  ordené  des 
capitaines,  par  avant,  cjne  tous  les  biens  de  la  ville  seroicnt 


fl347.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  481 

communs,  et  abandonnés  à  tous  ceux  de  l'ost  qui  les  pour- 
roient  gaaignier. 

Il  tuèrent  premièrement,  sans  différence,  les  hommes  et 
les  femmes  qui  estoient  en  la  ville  haljitans,  de  ciuelque 
aage  qu'il  fussent,  et  meismement  les  enfans  qui  alaittolent. 
Quant  il  orent  ainsi  mis  à  mort  ceux  qu'il  avoient  trouvés 
en  la  ville,  si  commencièrent  à  getter  au  chastel  auquel 
s'estoicnt  retrais  environ  deux  cens  quarante  Anglois;  mais 
quant  il  virent  la  hardiesce  et  la  vertu  de  ceux  qui  assaii- 
loient,  il  offrirent  à  rendre  le  chastel,  leur  corps  et  leur  biens 
saufs.  Mais  les  nos  ne  s'i  vouldrent  accorder,  et  assaillirent 
de  fort  en  fort.  Finablement,  l'issue  du  corps  tant  seule- 
ment leur  fu  accordé,  et  cjue  l'en  les  conduiroit  par  l'es- 
pace de  dix  lieues  loin  :  si  issirent  en  leur  costes  et  s'en 
alèrent;   et  les  conduisoient  deux  chevaliers  bretons,  c'est 
assavoir,  messire  Silvestre  de  l'a  Fouilliée,  et  un  autre  che- 
valier; mais  à  paine  les  povoient  deffendre   des  gens  de 
labour,  car  tous  ceux  qui  les  povoient  actaindre,  il  les  mec- 
toient  à  mort  et  les  tuoient  de  bastons  et  de  pierres,  comme 
chiens.   Si  les   conduirent   les  deux  chevaliers  au  mieux 
qu'il  porent  jusques  près  de  la  ville  de  Chastlaunuef-de- 
Qnintin.  Quant  ceux  de  la  ville  o'irent  dire  que  les  Anglois 
qui  avoient  tué  leur  seigneur  venoient  par  sauf  conduit,  si 
s'assemblèrent  pluseurs  bouchiers  et  charpentiers  et  autres 
de  ladite  ville,  et  mistrent  à  mort  tous  les  Anglois,  ainsi 
comme  des  brebis ,  et  ne  les  porent  onques  les  deux  che- 
valiers deffendre,  excepté  leur  capitaine  qui  s'enfuy;  et  les 
deux  chevaliers  qui  les  conduisoient  s'cufuyrent  aveqnes  le 
capitaine  desdis  Anglois,  lequel  fu  à  paine  sauvé.  Finable- 
ment, ceux  de  la  ville  de  Chastiaunuef-de-Quintin  firent 
porter  les  corps  des  mors  en  quarrières  et  en  grans  fosses 
qui  estoient  hors  de  la  ville,  et  là  les  mangièrent  les  chiens 
et  les  oiseaux.  El  ainsi  démoulèrent  les  Bretons  sous  mes- 

U 


iS2  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

sire  Auloine  d'A  vrô,  chevalier,  establi  capitaine  de  par  la  du- 
chesse, en  la  ville  de  la  Roche-Deryan,  et  ot  ladite  duchesse 
les  frais  et  les  revenus  qui  estoient  dévies  au  duc,  son  mari, 
tout  environ  la  Roclie-Deryan  ,  jusques  à  deux  lieues. 

En  ce  meisme  temps,  le  conte  de  Flandres  prist  à  femme 
la  fdle  du  duc  de  Brebant. 

(1)  En  ce  meisme  an,  le  vintiesme  jour  de  juillet,  vint 
la  royne  de  France  à  Saint-Denis,  et  i  demoura  par  l'espace 
de  huit  jours  ou  de  plus.  Et  là  faisoit  faire  croisons  à  messes 
chanter,  et  si  faisoit  prceschier  au  peuple,  afin  que  Dieu 
voulsist  garder  le  royaume  de  France  et  le  roy.  Lequel  roy 
s'estoit  parti  pour  alcr  lever  le  siège  que  le  roy  d'Angle- 
terre avait  fait  devant  Calais,  en  l'an  passé,  au  mois 
d'aoust.  Quar  ceux  de  ladite  ville  de  Calais  luy  avoient 
mandé  secours,  ou  il  failloit  qu'il  se  rendissent  par  néces- 
sité au  roy  d'Angleterre. 

En  ce  meisme  an,  la  veille  de  sainte  Crestine,  environ 
le  commencement  de  la  nuit ,  fist  très  grans  et  orribles 
tonnoires  ;  par  tel  manière  que  la  royne  qui  estoit  à  Saint- 
Denis  et  ceulx  qui  estoient  avecques  elle  en  l'oratoire  de 
monsieur  saint  Romain  emprès  la  chapelle  de  monsieur 
saint  Loys,  à  heures  de  matines,  furent  merveilleusement 
espouvantés.  Et  si  tost  comme  les  matines  furent  chantées, 
l'évesque  de  Constances  qui  présent  estoit  avecques  la 
royne,  commença  Te  Dciim  laudamus,  et  fu  chanté  en  gi-ant 
dévocion. 

Et  en  icest  an,  le  samedi  quart  jour  d'aoust,  pour  ce  que 
le  roy  ala  trop  tait  pour  secourre  la  ville  de  Calais,  nonobs- 

(1)  Les  deux  paragraphes  suivans  sont  omis  dans  la  plupart  dcsMss.,et 
entre  les  autres,  dans  celui  de  CiiarlcsV.  Je  les  ai  Iranscrils  sur  la  leçon 
du  duc  de  Berry,  no  8,302,  et  sur  celle  de  l'amiral  de  Gruiily,  aujourd'liui 
fonds  de  Lavallière,  n»  33, 


(1317.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  483 

tant  que  (par  plusems  fois  (1)  il  eussent  mis  grant  cure 
et  diligence  de  les  secourre.  Mais  il  ne  povoicnt  estre 
secourus  pour  le  lieu  où  le  roy  d'Angleterre  et  son  ost 
estoient  logiés  qui  estoit  inaccessible;  et  estoit  le  passage 
el  que  pour  aucun  effort  nul  ne  povoit  entrer;  né  par  la 
mer  aussi  ne  povoient  estre  secourus,  pour  le  navire  du  roy 
d'Angleterre  qui  estoit  devant  ladite  ville  de  Calais.  Et 
cependant  les  cardinaux  pourchassoient  trieves  entre  les 
deux  roys;  et  furent  prises  jusques  à  la  quinzaine  la  nativité 
saint  Jehan-Baptiste  prochaine  à  venir ,  lesquelles  trieves 
furent  rompues  tantost  par  le  roy  d'Angleterre  qui  tous- 
jours  continua  ledit  siège  devant  la  ville  de  Calais,  par  tel 
effort  que  ceux  de  ladite  ville,  comme  désespérés  de  tous 
secours  ,  et  pour  ce  que  il  n'avoient  point  de  vitaille  né 
n'avoient  eu  ,  plus  d'un  moys  devant,  ainsois  mangeoient 
leur  chevaux,  chas,  chiens,  ras  et  cuir  de  buef  à  tout  le  poil, 
se  rendirent)  audit  roy  d'Angleterre,  sauves  leur  vies  ;  et  s'en 
issirent  tous  hommes  et  femmes  et  enfans  de  la  ville  sans 
riens  emporter,  fors  tant  seulement  les  robes  cjue  11  orent 
vestues,  qui  fu  grant  pitié  à  veoir.  Et  vindrent  la  greigneur 
partie  de  Calais  à  refuge  au  roy  de  France  qui  les  reçut  moult 
agréablement  et  leur  fist  et  fist  faire  moult  de  humanité. 

(2)  Item,  tantost  après,  fist  le  roy  convocation  général  des 
prélas,  barons  et  nobles  bonnes  villes,  et  de  ses  autres 
subgiés,  à  Paris,  à  la  saint  Andrieu,  et  ilec  ot  conseil  aveques 

(1)  Au  lieu  de  tout  ce  qui  suit  entre  parenthèses,  les  deux  manuscrits 
elles  ci-dessus  portent  seulement  :  //  l'cussenl  requis,  si  se  rendi  la  dite 
ville,  etc.  Ce  changement  officiel  de  rédaction  n'est  i)as  indigne  d'atten- 
tion. Ne  pourroit-on  en  conclure  (lue  le  roi  de  France  craignoil  les  repro- 
ches des  habilans  de  Calais  ?  Ce  n'est  là  du  reste  qu'une  très  foible 
conjecture  ;  mais  ce  qui  atteste  i)arfaitement  que  les  Calaisicns  s'étoient 
conduits  d'une  manière  héroïque  durant  tout  le  siège,  c'est  l'accueil  que 
leur  fit  le  roi  quand  ils  se  rendirent  ù  Paris,  et  les  avantages  dont  il 
crut  devoir  récompenser  leurs  sacrifices. 

(2)  Ce  qui  suit  ne  se  trouve  que  dans  le  msc.  tie  Charles  V. 


484  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

eux  de  sa  guerre,  et  cornent  il  y  pouri'oit  mettre  fin.  Sus 
lesquelles,  outre  les  autres  choses,  luy  conseillièrent  que  il 
féist  tost  une  grant  armée  par  mer,  pour  aler  en  Angleterre, 
et  aussi  par  terre;  et  ainsi  pourroit  finer  sa  guerre,  et  non 
autrement,  et  que  volentiers  luy  ayderoient  et  des  corps  et 
des  biens.  Et  pour  ce,  euvoia  par  toutes  les  parties  de  son 
royaume  certains  commissaires  pour  demander  au  pays  à 
chascun  certain  nombre  de  gens  d'armes. 

Et  en  cel  an  meisme,  environ  Noël,  furent  les  Lombars 
usuriers,  par  procès  fait  contre  eux,  sur  ce  que  l'en  leur 
imposoit  qu'il  avoient  contre  les  ordonnances  royaux  qui 
njectoient  paine  de  corps  et  de  biens ,  preste  cent  livres 
oultre  quinze  par  an  pour  usure;  et  aussi,  en  prestant, 
il  avoient  fait  des  usures  fort  (1);  et  aussi  que  il  avoient  fait 
pluseurs  contraux  et  prests,  hors  des  foires  de  Clianipaigne, 
et  en  avoient  pris  obligacions  des  foires  ainsi  comme  se  il 
eussent  esté  fais  en  foires,  furent  condampnés  par  arrest  à 
perdre  tous  biens,  meubles  et  héritages,  et  furent  confis- 
qués au  roy  (2).  Et  ordena-l'en  que  tous  ceux  cjui  leur  dé- 
voient feussent  quictés  pour  le  pur  fort,  et  que  il  en  feussent 
creus  par  leur  sairement.  Et  fu  tiouvé  que  les  debtes  que 
l'en  leur  devoit  et  qui  jà  estoient  venues  à  cognoissance, 
montoient  oultre  deux  millions  quatre  cens  livres,  des- 
c|uels  le  pur  fort  ne  rnontoit  pas  oultre  douze  cens  mil 
livres.  Si  peust-l'en  voir  coment  il  mangoient  et  destrui- 
soient  le  royaume  de  France. 

(3)  Item,  en  cel  an,  fist  le  roy  ordonnance  que  tous  les 
offices  qui  vaqueroient  fussent  bailliés  à  ceux  de  Calais  pour 
ce  qu'il  l'avoient  lovalment  servi.  Et  furent  exécuteurs  de 
celle  grâce  un  clerc  qui  estoit  de  parlement  appelle  mais- 

(1)  Fort.  De  l'iiilérùl  le  principal. 
(2j  Inédit. 
(3}  Inédit. 


(1347.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  485 

tre  Pierre  de  Haiigest,  et  unbouigois  né  de  Sens  qui  cstoit 
de  la  chambre  des  comptes  appelle  Jehan  Cordier. 

(1)  Item,  en  celuy  an,  lu  une  mortalité  de  gens,  en  Pro- 
vence et  en  Languedoc,  venue  des  parties  de  Lom hardie  et 
il'Oultre  mer,  si  très  grant  que  il  n'y  demoura  pas  la 
sixiesme  partie  du  peuple.  Et  dura  en  ces  parties  de  la 
Languedoc  qui  sont  au  royaume  de  France  par  huit  moys 
et  plus.  Et  se  départirent  aucuns  cardmaux  de  la  cité  d'Avi- 
gnon, pour  la  paour  de  ladite  mortalité  c|ue  l'en  appelloit 
épydémie,  car  il  n'estoit  nul  qui  sceust  donner  conseil  l'un 
à  l'autre  tant  feust  sage.  Et,  en  ce  meisme  au,  au  moys 
d'aoust,  dedcns  les  octaves  de  l'Assumption  Nostre-Dame, 
trespassa  madame  Jehanne,  duchesse  de  Bourgoigne. 

Item,  en  celuy  temps,  Loys,  duc  de  Bavière,  chassoit  nu 
sanglier  parmy  un  bois  ;  si  chéut  de  son  cheval  et  mourut, 
si  comme  l'en  dit. 

XLIV. 

Coinenl  la  granl  mortalité  commença  eiwiron  cl  dedens  Paris, 
et  dura  un  an  et  demi  au  royaume  de  France. 

L'an  de  grâce  mil  trois  cens  c{uarante-huit,  commença 
la  devant  dite  mortalité  au  royaume  de  France,  et  dura 
environ  un  an  et  demi,  pou  plus  pou  moins;  en  lele  ma- 
nière cjue  à  Paris  mouroit  bien  jour  par  autre  huit  cens  per- 
sonnes. Et  commença  ladite  mortalité  en  une  ville  cham- 
pestre ,  laquelle  est  appellée  Roissi^  emprès  Gonnesse , 
environ  trois  lieues  près  de  Saint-Denis-en-France.  El  estoit 
très  grant  pitié  de  veoii"  les  corps  des  mors  en  si  grant 
quantité;  car  en  l'espace  dudit  an  et  demi,  selon  ce  que 
aucuns  disoient,  le  nombre  des  trespassés  à  Paris  monta 

(I)  A  comiiltT  de  ly,  les  manuscrits  cl  Ic/s  ('dilions  ne  dilTèrfiit  plus  dans 
le  récit. 


486  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

à  plus  de  cinquante  mille  ;  et,  en  la  ville  de  Saint-Denis,  le  I 
nombre  se  monta  à  seize  mille  ou  environ.  Et  jasoit  ce 
qu'il  se  mourussent  ainsi  habondamment ,  toutes  voies 
avoient-il  confession  et  leur  autres  sacremens  (1).  Si  avint, 
durant  ladite  mortalité,  que  deux  des  religieux  de  monsei- 
gneur Saint-Denis  chevauchoient  parmy  une  ville,  et  aloient 
en  visitacion  par  le  commandement  de  leur  abbé;  si  vii'ent 
en  icelle  ville  les  hommes  et  les  femmes  qui  dançoient 
à  tambour  et  à  cornemuses  et  faisoient  très  grant  feste. 
Si  leur  demandèrent  les  devant  dis  religieux  pourquoy 
il  faisoient  tiex  feste.  Adonques  leur  distrent  :  «  Nous 
»  avons  veus  nos  voisins  mors ,  et  si  les  véons  de  jour  en 
»  jour  mourir;  mais  pour  ce  que  la  mortalité  n'est  point 
»  entrée  en  notre  ville,  né  n'avons  pas  espérance  qu'elle 
»  y  entre  pour  la  léesse  qui  est  en  nous,  c'est  la  cause  pour- 
»  quoy  nous  dançons.  » 

Lors  se  départirent  lesdis  religieux  pour  aller  acomplir  ce 
qui  leur  estoit  commis.  Quant  il  orent  fait  tout  ce  qui  com- 
mis leur  estoit,  si  se  mistrent  en  chemin  pour  retourner,  et 
retournèrent  par  la  devant  dite  ville,  mais  il  y  trouvèrent 
moult  pou  de  gens,  et  avoient  les  faces  moult  tristes.  Lors 
leur  demandèrent  lesdis  religieux  :  «  Où  sont  les  hommes  et 


(1)  Le  continuateur  latin  de  Nangis  ajoute  à  la  même  remarque  celle- 
fi  :  «  In  muUis  parvis  villis  et  magnis,  sacerdotcs  limidi  r(!ccdebanl,  rcii- 
»  giosis  aliquibus  niagis  andacibus  administratioiiem  dimillcntes....  et 
»  sanctœ  sorores  donuis  Dci  (Varisih)  niori  non  limentcs,  dulcissimô  et 
»  liumillimc,  onini  honore  postposito  ,  pcrlraclabant,  quarum  multiplex. 
>)  numerus  diclarum  sororum  sœpiùs  revocatus,  pcr  niorlem  in  pace  rc- 
»  quiescit.  »  Le  même  écrivain,  après  avoir  dit  qu'en  Allemagne  les  Juils 
lurent  accusés  d'avoir  empoisonne  les  sources,  ajoute  qu'on  assuma  plu- 
sieurs fois  en  France  le  même  crime  sur  la  têle  de  clircticns  mal  renom- 
més :  «  Multi  cliam  mali  chrlsliani  fuerunt  reperti,  ut  dicitur,  qui  similiter 
>i  vencna  per  puteos  imponebanl;  sed,  rc  verà,  talcs  intoxicationes,  i)0situ 
'Mjuod  i'act;e  fuissent ,  non  potuisseul  tanlam  plagarn  infccisse.  »  IN'avons- 
nouspas  vu  les  mômes  soupçons  renaiUe,  de  nos  jours^  dans  des  lircon- 
lances  presque  i>areilk's  i' 


(I3i8.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  487 

»  les  femmes  qui  menoient  n'a  guèies  si  grant  feste  en  ceste 
»  ville?  »  Si  leur  respondirent  :  «  Hé!  biaux  seigneurs,  le 
»  couri'oux  de  Dieu  est  descendu  en  gresle  sur  nous,  car  si 
»  grande  gresle  est  descendue  sur  nous  du  ciel  et  venue 
»  sur  ceste  ville  et  tout  environ  et  si  impétueusement , 
»  que  les  vins  en  ont  esté  tués,  et  les  autres,  de  la  paour 
«  qu'il  ont  eue,  si  en  sont  mors,  car  il  ne  savoient  quelle 
)'  part  il  deussent  aler  né  eux  tourner.  » 

(1)  Item,  en  l'an  dessus  dit,  furent  trièves  pluseurs  fais  en- 
tre les  deux  roys,  et  à  la  fin  du  moys  d'aoust  d'icel  an  que 
trièves  faillirent,  un  chevalier  de  Boiugoigne,  hardi  et  che- 
valereux,  seigneur  de  Pierre-Pcrtuis  (2),  appelle  monseigneur 
Geffroy  de  Charny,  prist  et  occupa  une  place  assise  aux  ma- 
rois  entre  Guynes  et  Calais,  appellée  l'isle  de  Couloigne  (3). 
Et  en  icelle  place  fist  ledit  chevalier  bastides  et  fossés,  si  et 
par  telle  manière  que  il  s'obliga  à  la  garder,  mais  qu'il  eust 
deux  cens  hommes  d'armes,  cent  arbalestiers  et  trois  cens 
piétons.  Et  par  celle  isle,  le  roy  de  France  avoit  recouvré  le 
pays  de  Merc^ue  (4).  Et  si  povoit-on  férir  des  espérons  parles 
pas  qui  sont  entre  Calais  et  Gravelignes  pour  empescher  que 
les  vivres  ne  venissent  de  Flandres  à  Calais,  et  les  marchan- 
dises. Et  aussi,  par  icelle  isle,  povoit-l'en  oster,  par  escluses, 
à  ceux  de  Calais  toute  l'eau  douce,  et  la  faire  tourner  par 
autre  costé,  malgré  ceux  de  Calais;  et  par  ainsi  le  havre  de 
Calais  fust  aterris  dedens  un  an.  Mais  lesdites  bastides  furent 
abatues  et  ladite  isle  laissiée  des  gens  au  roy  de  France, 

(1)  Inédit. 

(2)  Pierre  Perlais.  C'est  un  village  de  Bourgogne,  ù  trois  lieues  d'A- 
vallon. 

(3)  L'isle  de  Couloigne.  Coulognc  est  encore  aujourd'liui  un  village 
entre  Guincs  cl  Caluis. 

(i)  Merque.  J'avoue  que  je  n'ai  lias  trouvé  ailleurs  cette  désignation  ijui 
rst  la  même  dans  nos  chroniiiucs  et  dans  le  continuateur  IVançois  de 
Nangis. 


488  LES  GRANDES  CHROX[QUES. 

environ  quinze  jours  devant  Noël  après  ensuivant,  par  un 
traictié  qui  fu  fait  entre  les  gens  des  deux  roys.  Et  furent 
trièves  prises  jusques  au  premier  jour  de  septembre  mil 
trois  cens  quarante-neuf,  par  si  que,  entre  deux  certaines 
personnes,  dévoient  traictier  de  la  paix;  et  au  cas  que  il  ne 
pourraient  estre  à  acort  ,  les  deux  roys  promistrent  eux 
combatre  povoir  contre  povoir,  à  certain  jour  et  en  certaine 
place  c[ui  seroient  ordenées  par  les  traicteurs  (1). 

(2)  Item,  en  celui  an  mil  trois  cens  c|uarante-huit  dessus 
dit,  environ  la  saint  Andrieu,  entra  le  conte  de  Flandres 
Loys  en  Flandres  par  certain  traictié  fait  entre  luy  et  ceux 
de  Bruges  et  du  pays  du  Franc  ;  et  fut  une  pièce  à  Bruges, 
avant  ce  qu'il  eust  obéissance  de  ceux  de  Gant  et  d'Ypre.  Et 
fist  faire  pluseurs  justices  en  ladite  ville  de  Bruges  de  plu- 
seursqui  ne  vouloient  estre  en  son  obéissance.  Et  environ  le 
Noèl  ensuivant  se  mistrent  ceux  d'Ypre  en  son  obéissance. 

(3)  Item,  la  scpinaine  devant  Pasques  flouries,  l'an  dessus 
dit,  fist  monseigneur  Jehan,  ainsné  fils  du  roy  de  France, 
duc  de  Normendie,  l'acort  entre  la  contesse  de  Flandres, 
femme  du  conte  qui  fu  mort  à  Crecy  et  mère  de  celuy  qui 
estoit  pour  le  temps  appelle  Loys,  et  de  la  contesse  de 
Bouloigne  qui  avolt  esté  fennne  de  monseigneur  Phelippe 
de  Bourgoigne,  fils  du  duc  de  Bourgoigne  et  delà  suer  de 
ladite  contesse  de  Flandres;  sur  ce  que  ladite  contesse  vou- 
loit  avoir  le  bail  des  enfans  dudit  monseigiieiu-  Phelippe  et 
de  la  contesse  de  Bouloigne,  quant  à  la  conté  d'Artois  qui 


(1)  Au  lipu  des  deux  précieux  paragraphes  inédits  qui  prccédeut,  tous 
les  manuscrils  ,  à  l'oxceplion  de  celui  de  Cliarles  V,  portent  :  «  En  ce 
»  mcismes  temps,  unes  bastides  lesquelles  avoienl  esté  [lar  messire  Gie- 
w  froy  de  Charni  contre  les  Anglois,  eniprès  la  tour  de  Sengatc  cl  devers 
»  Guines,  afin  que  les  Anglois  ne  gastassent  le  i>ays,  furent  par  le  roy  de 
»  France  deslruictes  et  despéciées,  je  ne  sai  par  quel  cnorlcmcnt  ;  quar 
»  il  donna  irieves  au  roy  d'Angleterre.  » 

(2)  Inédit. 
{^)  Inédit. 


(1348.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.'  489 

appartenoit  aiixdis  enfans.  Et  aussi  fu  l'acort  de  pluseurs 
autres  descors  que  les  dessus  dites  contesses  avoient  en- 
semble. Et  furent  ces  acors  fais  à  Sens  (1).  Et  en  icelle  sep- 
maine  là  mourut  Heudes,  duc  de  Bourgoigne,  frère  de  la 
royne  de  France  qui  estoit  venu  à  ladite  ville  de  Sens  pour 
ledit  traictié  (2). 

Item,  en  iceluy  temps,  mourut  Henri,  duc  de  Limbourg, 
lequel  avoit  espousé  au  Louvre,  à  Paris,  l'ainsnée  fille  du 
duc  de  Normendie. 

Item,  en  celuy  temps,  le  royaume  de  Secile  fu  de  rechief 
acquis. 

Item,  en  celuy  temps,  messire  Imbert,  daulpliin  de  Vien- 
nois, renonça  à  la  gloire  du  monde  depuis  qu'il  ot  vendu  au 
roy  de  France  son  Daulphiné,  et  prist  habit  de  mendiant  à 
Lyon-sur-le-Rosne,  et  fu  fait  Jacobin  ou  Frère  prescheur. 

XLV. 

Cornent  Charles,  premier  né  du  roy  el  duc  de  Normendie,  s'en 
ala  prendre  les  hommages  du  Daulphiné. 

L'an  de  grâce  mil  trois  cens  quarante-neuf,  Charles, 
ainsné  fils  du  duc  de  Normendie,  s'en  ala  à  Tienne  aveques 
pluseurs  barons  du  royaume  de  France ,  et  ileques  reçut 
les  hommages  et  fu  mis  en  possession  dudit  Daulphiné.  (Et 
si  prist  à  femme  madame  Jehanne,  fille  du  duc  de  Bourbon.) 

Et  en  ce  meisme  an,  le  quart  jour  d'aoust,  le  conte  de 
Foix  prist  à  femme  la  fille  de  la  royne  de  Navarre,  laquelle 

(l)Ici  reprennent  les  éditions  gotliiques  et  tous  les  manuscrits. 

(2)  Leconlinuateur  françoisde  Nangis  ajoute  ici  :  "  Et  environ  la  Pontlie- 
"  couste  après,  commença  la  mortalité  à  Sens,  à  ileins,  à  Orléans,  à 
M  (>liartres,  à  Soissons,  à  Laon  et  en  pluseurs  aultres  villes  où  elle  n'avoit 
»  cncores  esté.  » 


490  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

estoit  fille  de  Loys  Hutin  jadis  roy  de  France  et  fils  de 
Phelippe-le-Bel.  Et  fu  la  feste  faite  à  Paris,  au  Temple  (1), 
et  fu  le  service  fait  par  Hue,  évesque  de  Laon. 

En  ce  meisme  nioys,  le  onziesme  jour,  c'est  assavoir  le 
vendredi,  trespassa  madame  Bonne,  duchesse  de  Normen- 
die,  femme  de  Monseigneur  Jehan,  premier  né  du  roy  de 
France  et  duc  deNormendie.  Et  fu  enterrée  le  dix-huitiesme 
jour  du  moys  d'aoust,  en  l'églyse  des  suers  de  Maubuisson, 
emprès  Pontoise. 

Item,  en  icest  an,  c'est  assavoir  le  quart  jour  du  moys  d'oc- 
tobre, lequel  fu  au  lundi,  trespassa  madame  Jehanne  (2), 
royne  de  Navarre,  fille  de  Loys  Hutin,  roy  de  France.  Et 
fu  enterrée  à  Saint-Denis  en  France,  aux  pies  de  son  père, 
et  d'encoste  messire  Jehan,  son  frère,  lequel  estoit  appelle 
roy  jasoit  ce  qu'il  ne  fust  onques  couronné,  le  lundi  on- 
ziesme jour  de  décembre. 

Item,  en  celui  an  meisme,  le  douziesme  jour  de  décem- 
bre devant  dit,  trespassa  (3)  madame  Jehanne,  royne  de 
France,  jadis  fille  de  monseigneur  Robert  duc  de  Bourgoi- 
gne,  et  de  madame  Agnès,  fille  de  monseigneur  saint  Loys, 
et  fut  enterrée  en  l'églyse  de  monseigneur  saint  Denis,  le 
dix-septiesme  jour  de  ce  meisme  mois,  c'est  assavoir  au 
juesdy;  et  son  cuer  fu  enterré  à  Cistiaux  eu  Bourgoigne  (4). 

(1)  Au  Temple.  Variante  :  Au  Louvre. 

(2)  Jehanne.  Femme  de  Philippe  d'Evrcux,  qui  mourut  croisé  en  Es- 
pagne. Elle  laissa  trois  fils  et  deux  llUes.  Les  fils  :  Charles,  Philippe  et 
Louis.  L'aînée  de  ses  filles,  Blanche,  deuxième  femme  de  Philippe  de 
Valois. 

(3)  Trespassa.  «  ANostre  Dame-des-Champs,  prés  Paris.»  (Continua- 
lion  françoise  de  Nangis). 

(4)  La  reine  Jeanne  de  Bourgogne  laissoit  deux  fils  :  Jean,  duc  de  Nor- 
mandie, Philippe,  duo  d'Orléans;  et  trois  filles,  l'une  mariée  très  jeune 
à  Charles  de  Navarre  (le  Mauvais);  l'autre  mariée  à  Bernabo,  duc  de 
Milan;  la  troisième  à  Edouard,  duc  de  Bar.  — La  continuation  françoise 
de  Nangis  ajoute  ici  :  «  Et  les  entrailles  au  Moncel,  lez  le  pont  de  Sainte- 
»  Messance.  » 


(1349.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  491 

Item,  en  ce  nieisme  temps,  messire  GefFroy  de  Charny, 
chevalier  né  de  Bourgoigne,  si  fist  une  convenance  aveques 
un  Lombart  (1),  par  telle  manière  c[ue  ledit  Lombart  luy 
devoit  baillier  la  tour  cpii  est  emprès  la  ville  de  Calais,  parmy 
une  certaine  somme  d'argent.  Quant  la  somme  d'argent  fu 
bailliée ,  si  cuida  bien  ledit  messire  GefTroy  avoir  ladite 
tour,  car  il  vit  les  banières  du  roy  de  France  qui  estoient 
sur  la  tour;  mais  il  ne  fist  pas  bien  cautement  son  marcliié, 
car  il  n'avoit  nuls  hostages  dudit  Lombart.  Si  s'en  vint  à  la 
tour,  et  tantost  qu'il  approucha,  les  bannières  du  roy  de 
France  furent  trébuchiées  par  terre;  et  soudainement  va 
issir  une  grant  compaignie  d'Anglois  bien  armés,  encontre 
ledit  messire  GefFroy  et  sa  compaignie,  en  laquelle  il  avoit 
moult  de  nobles  hommes.  Quant  messire  GefFroy  vit  ce , 
si  apperçut  qu'il  estoit  trahi,  et  lors  se  commença  à  defFen- 
dre  au  mieux  qu'il  pot.  Ilecques  mourut  noblement  messire 
Henri  du  Bois  ,  chevalier ,  mais  le  sire  de  Montmorency 
si  s'enfuy  et  sa  compaignie  avec  luy  honteusement ,  si 
comme  l'en  disoit  communelment.  Finablement,  ledit  mes- 
sire GefFroy  si  ne  pot  plus  soustenir  les  plaies  qu'il  avoit 
en  son  corps ,  si  fu  pris  (2)  et  présenté  sur  une  table  de 
fust  au  roy  d'Angleterre  qui  lors  estoit  à  Calais,  et  depuis 
fu  envoie  prisonnier  en  Angleterre. 

Item,  en  ce  meisme  an,  le  onziesme  jour  de  janvier, 
lequel  fu  au  mardi,  le  roy  de  France  Phelippe  espousa  sa 


(1)  Un  Lombard.  Aimery  de  Pavic,  qui,  suivant  Froissant,  étoit  alors 
gouverneur  do  Calais. 

(2)  Si  fu  pris,  «i  Et  monsieur  Euslace  de  Pxibemont,  et  aucuns  aullrcs 
»  jusqu'au  nombre  de  cinq  ou  six  chevaliers;  monsieur  Henry  Dubos, 
>>  champenois,  Pipin  Dicrre  (Froissart  écrit  :  De  ff'crre),  picart,  y  furent 
»  mors.  »  (Continuation  françoise  de  Nangis.)  — •  Froissart  dit  de  Geoffroi 
de  Charny  :  «  Là  estoit  messire  Gcflroy  do  Charny,  sa  bannière  devant  lui, 
»  (le  rjueules  à  trois  cscmsons  (iarrjeiit.  » 


492  LES  GRANDES  CHRONIQUES, 

seconde  femme,  c'est  assavoir  Blanche  (1),  jadis  fille  de  la 
royne  de  Navarre  derrenièrement  au  moys  d'octobre 
trespassce  et  à  Saint-Denis  enterrée,  et  suer  de  la  femme 
au  conte  de  Foys  ;  et  fu  la  feste  à  Braie-Conte-Robert,  pri- 
véement  plus  que  en  appert. 

En  ce  meisme  an,  le  mardi  neuviesme  jour  du  moys  de 
février,  Jehan,  ainsné  fils  du  roy  de  France,  duc  de  Nor- 
mendie ,  espousa  sa  seconde  femme  Jehanne ,  contesse 
de  Bouloigne,  en  la  chapelle  de  madame  saint  Jame,  près 
de  St-Germain-en-Laye  ;  et  fu  la  feste  faite  à  une  ville  qui 
est  appellée  Muriaux,  près  de  Meulent  (2).  Laquelle  con- 
tesse de  Bouloigne  avoit  esté  femme  de  monseigneur  Phe- 
lippe,  fils  du  duc  Heudes  de  Bourgoigne,  lequel  monsei- 
gneur Phelippe  avoit  esté  mort  de  sa  mort  natn  relie  devant 
Aguillon,  lorsque  ledit  duc  de  Normendie  y  estoil  à  siège 
l'an  mil  trois  cens  quarante-six.  Laquelle  contesse  avoit 
esté  fille  du  conte  de  Bouloigne  Guillaume  et  de  la  fille  de 
Loys,  conte  d'Evreux;  et  tenoit  ladite  contesse  de  Bouloigne 
tant  de  son  héritage  que  de  l'héritage  de  deux  enfans  qu'elle 
avoit  dudit  Phelippe  de  Bourgoigne,  le  duché  de  Bourgoigne 
et  les  contés  d'Artois,  de  Bouloigne  et  d'Auvergne,  et  autres 
terres  pluseurs. 

Incidence  de  ceux  qui  se  batoient.  —  Item  ,  en  celuy  an 
mil  trois  cens  quarante-neuf  dessus  dit,  au  moys  d'aoust, 
s'esmut  au  royaume  de  France  en  aucunes  parties ,  des 
gens  qui  se  batoient  de  courgies  de  trois  lanières,  en 
chascune  desquelles  lanières  avoit  un  neu  ;  auquel  neu 
avoit  quatre  pointes  ainsi  comme  d'aiguilles  ;  lesquelles 
pointes  estoient  croisiées  par  dedens  ledit  neu,  et  pairoient 
dehors  en  quatre  costés  dudit  neu  ;  et  se  faisoient  seingnier 

(J)  Blanche.  «  Laquelle  esloildc  dix-huit  ans  ou  environ.  »  (Conlinua- 
lion  françoise  de  Nangis.) 

(2)  Le  reste  du  chapitre  est  inédit. 


(13A9.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  -SO-l 

en  eux  bâtant,  et  faisoient  pliiseuvs  sérimonies  tant  comme 
il  se  batoient  avant  et  après;  et  ce  faisoient  en  place  com- 
mune en  cliascune  ville  où  il  estoient,  deux  fois  de  jour, 
par  trente-trois  jours  et  demi  ;  et  ne  demouroient  en  ville  c{ue 
un  jour  et  une  nuit,  et  portoient  croix  merveilles  en  leur 
cliapeaux  de  feustre,  et  en  leur  espaules,  devant  et  derrière. 
Et  disoient  qu'il  faisoient  toutes  les  choses  qu'il  faisoient 
par  la  revelacion  de  l'angle.  Et  tenoient  et  créoient  que  leiu' 
dite  penance  faite  par  trente-trois  jours  et  demi,  il  demour- 
roient  purs,  nés,  quictes  et  absous  de  tous  leur  péchiés, 
ainsi  comme  il  estoient  après  leur  baptesme.  Et  vindrent 
ceste  gent  en  France  premièrement  de  la  langue  thioise, 
comme  de  Flandres,  de  Brebant  et  de  Hainaut,  et  ne  pas- 
sèrent point  Lille,  Douay,  Bethune,  Saint-Omer,  Tournay, 
Arras  et  es  marches  d'environ  les  frontières  de  Picardie. 
Mais  assez  tost  après  s'en  esmurent  pluseurs,  et  par  pluseurs 
tourbes,  de  Lille,  de  Tournay  et  des  marches  d'environ,  et 
vindrent  en  France  jusciues  à  Troies  en  Chanipaigne,  jus- 
ques  à  Rains  et  es  marches  d'environ,  mais  il  ne  passèrent 
point  plus  en  avant,  car  le  roy  de  France  Phelippe  si  manda 
par  ses  lettres  qne  l'en  les  préist  par  tout  son  royaume  ou 
l'en  les  trouveroit  faisant  leur  sérimonies.  Mais  non  obstant 
ce,  il  continuèrent  leur  folie  et  multiplièrent  en  celle  erreur, 
en  telle  manière  que  dedens  la  Noël  ensuivant  qui  fu  l'an 
mil  trois  cens  c]uarante-neuf,  il  furent  bien  huit  cens  mille 
et  plus,  si  comme  l'en  tenoit  fermement  :  mais  il  se  tenoient 
en  Flandres ,  en  Hainaut  et  en  Brebant;  et  y  avoit  grant 
foison  de  grans  hommes  et  de  gentilshommes  (1). 


(1)  La  continuation  françoise  de  Nangis  offre  en  cet  endroit  la  trans- 
cription latine,  1°  de  la  lettre  prétendue  que  les  Flagellans  de  Bruges 
disoient  avoir  reçue  d'un  ange  de  Dieu;  2»  des  articles,  rédigés  de  deux 
manières  différentes,  des  statuts  qu'ils  envoyèrent  au  chapitre  de  Tournay 
pour  en  obtenir  l'approbation;  3"  des  aiticles  prêches  par  un  frère  de 

42 


494  I  ES  GRANDES  CHRONIQUES. 


XL  VI. 


Du  granl  pardon  de  Rome  que  le  pape  Clcmenl  ollroia;  et  de  la 
mort  dit  roy  Phelippe  de  Valois. 

L'an  de  grâce  mil  trois  cent  cinquante,  le  pape  Clément 
ottioia  plaine  indulgence  à  tous  vrais  confès  et  repentans 
qui,  de  cinquante  en  cinquante  ans,  visiteroient  en  pèleri- 
nage à  Rome  les  glorieux  apostres  saint  Pierre  et  saint  Pol. 

En  ce  meisme  an  ,  le  treiziesme  jour  du  moys  de 
juing ,  furent  trièves  données  à  un  an,  et  endementres 
dévoient  estre  messages  envoies  de  par  le  roy  de  France  et 
le  roy  d'Angleterre  à  la  court  de  Rome  pour  traictier  de  la 
paix  et  proloingnier  les  trièves.  Ces  choses  furent  faites 
es  champs  devant  Calais;  présens,  de  par  le  pape,  deux 
arcevesques  de  Bracherantes  et  de  Brindis  ;  de  par  le  roy  de 
France,  l'évesque  de  Laon  et  Gille  Rigaut,  abbé  de  Saint- 
Denis  en  France,  aveques  aucuns  nobles;  et^  de  par  le  roy 
d'Angleterre,  l'évesque  de  Norwic,  aveques  aucuns  autres 
d'Angleterre  de  par  ledit  roy  envoies. 

Item,  en  icest  an,  une  ville  qui  est  appellée  Loudun  si 
fu  prise  des  Anglois  en  la  feste  monseigneur  saint  Jehan- 
Baptiste. 

Item,  en  l'entrée  du  moys  d'aoust  ensuivant  (se  combati 
monseigneur  de  Caourse  et  pluseurs  autres  chevaliers  et 
escuiers,  jusqucs  au  nombre  de  cent  vint  hommes  d'armes 
ou  environ ,  contre  le  capitaine  pour  le  roy  d'Angleterre, 
en  Bretaigne  ,  appelle  messire  Thomas  Dagorn ,  Anglois  , 

Liège  devant  le  peuple,-  4o  de  leurs  cérémonies  et  superstilions;  6ocnfin, 
en  François,  «  la  teneur  de  deux  prières  qu'ils  disoient  en  chantant,  quant 
»  ils  se  battoient  de  leurs  escourf;ics.  »  La  première  de  ces  deux  prières  a 
clé  publiée  par  ftL  Mazurc,  bibliothécaire  de  Poitiers,  d'après  notre  ma- 
nuscrit. 


(1350.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  495 

devant  un  chastel  appelle  Auroy;  et)  fu  ledit  mesire  Thomas 
desconfit  à  mort  et  toutes  ses  gens,  jusques  au  nombre  de 
cent  hommes  d'armes  ou  environ. 

En  ce  meisme  an,  le  dimenche  vint-troisiesme  jour  dudit 
moys  d'aoust,  ledit  roy  Phelippe  mourut  à  Nogent-le-Roy, 
près  de  Coulons,  et  fu  aporté  à  Notre-Dame  de  Paris,  le 
juesdi  ensuivant,  elle  samedi  ensuivant  fu  enterré  le  corps 
à  Saint-Denis  ,  au  costé  senestre  du  grant  autel  (1) ,  et  les 
entrailles  en  furent  aux  Jacobins  de  Paris,  et  le  cuer  fu 
enterré  à  Bourfontaine  en  Valois. 

Au  temps  de  ce  roy  Phelippe  fu  moult  de  exactions  et  de 
mutations  de  monnoies  moult  grièves  au  peuple,  lesquelles 
n'avoient  onques  esté  veues  au  royaume  de  France. 

A  iceluy  roy  fu  pluseurs  seurnoms  de  diverses  personnes 
imposés  (2).  Premièrement  il  fu  appelle  Phelippe-le-For- 
tuné.  Car  si  comme  aucuns  disoient,  fortune  (Sjl'avoit  eslevé 
au  royaume,  et  estoit  grant  admiracion  à  pluseurs  cornent 
trois  roys  si  très  biaux  estoient,  en  l'espace  de  treize  ans, 
mors  l'un  après  l'autre  (4).  Secondement,  il  fu  appelle  Phe- 
lippe-l'Hevu-eux,  car,  au  commencement  de  son  royaume,  il 
ot  glorieuse  victoire  des  Flamens.  Tiercement,  il  fu  appelle 
Phelippe-le-Très-bon-Crestien,  car  il  aimoit  et  doubtoit 
Dieu,  et  si  honnoroit  à  son  povoir  sainte  églyse.  Quarte- 
ment,  il  fu  nommé  Phelippe-le-Vray-Catholique,  car,  si 
comme  de  luy  est  escript,  il  le  monstra  parfait  et  par  dit 
en  son  vivant;  premièrement  par  dit,  comme  monseigneur 

(1)  Variantes  :  «  Emprcs  la  royne  Jehanne,  sa  femme  première.  » 

(2)  Au  lieu  de  cette  phrase,  les  éditions  imprimées  portent  :  «  A  icclui 
>.  furent  plusieurs  servam  lesquels  estoient  adversaires  personnes.  » 

(3)  Fortune.  Sort,  hasard,  aventure. 

(4)  La  France  a  vu  trois  branches  royales  finir  ainsi.  !<>  Louis  X,  Phi- 
lippe-le-Long  et  Charles-lc-  Bel  ;  2°  François  II,  Charles  IX  et  Henry  III; 
3o  Louis  XVI,  Louis  XVIII  et  Charles  X.  Mais  l'analogie  seroit  encore 
plus  parfaite  si  l'on  pouvoit  dire  qu'aucune  goutte  n'est  échappée  du  sang 
de  ce  dernier  roi. 


49G  LES  GRANDES  CHRONIQUES. 

Jehan,  son  ainsné  fils  et  duc  de  Normendie,  fust  moult 
grief  ment  malade  en  la  ville  de  Taverny,  en  l'an  mil  trois 
cens  trente-cinq,  et  par  telle  manière  que  tous  les  médecins 
qui  là  estoient  ne  savoient  plus  que  faire  né  que  dirç,  fors 
seulement  attendre  la  volenté  de  Notre-Seigneur.  Lors  le 
bon  roy,  comme  bon  catholique  et  vray,  mist  toute  son 
espérance  en  Dieu,  et  dist  ces  paroles  à  la  royne  et  à  ceux 
qui  là  présens  estoient  :  «  Je  vous  prie  que  s'il  muert,  que 
»  vous  ne  l'ensevelissiez  pas  trop  tost  :  car  j'ay  ferme  espé- 
»  rance  en  Notre-Seigneur  et  es  mérites  des  glorieux  sains 
»  qui  tant  dévotement  en  ont  esté  requis,  et  es  prières  de 
>)  tant  de  bonnes  gens  qui  en  prient  et  ont  prié,  que  se  il 
»  estoit  mort,  si  seroit-il  ressuscité.  »  Si  puet-on  veoir,  par 
dit,  coment  il  avoit  ferme  foy  en  Jhésvicrist  et  en  ses  sains. 
Après,  par  fait,  comme  en  son  temps,  c'est  assavoir  en  l'an 
mil  trois  cens  trente-un,  le  pape  Jehan  XXII  eust  preschié 
publiquement  à  Avignon  une  très  grant  erreur  de  la  divine 
vision;  et  finablement  ceste  erreur  eust  esté  preschiée  en  la 
ville  de  Paris  par  deux  maistres  eu  théologie,  l'un  Corde- 
lier  et  l'autre  Jacobin,  envoies  de  par  ledit  pape,  si  comme 
l'en  disoit,  l'an  mil  trois  cens  trente-trois,  de  laquelle  pré- 
dication ou  opinion  il  sourdi  très  grant  murmure,  ainsi 
comme  par  toutes  les  escoUes  de  Paris  ;  ■ —  si  avint  cj[ue  le  bon 
roy  oï  parler  de  ceste  chose  :  si  luy  en  desplu  moult,  et 
manda  tantost  dix  maistres  en  théologie  et  aucuns  en  droit 
et  en  décrés,  et  leur  demanda  leur  opinion  de  celle  nouvelle 
prédicacion  qui  avoit  esté  publiée  es  escolles.  Lors  luy  res- 
pondirentque  ce  seroit  grant  péril  et  mal  fait  de  la  souffrir, 
car  ce  estoit  par  erreur  et  contre  la  foy.  Assez  tost  après,  le 
bon  roy  fist  une  convocacion  moult  grant  au  bois  de  Vin- 
ciennes,  en  laquelle  convocation  il  y  ot  maistre  en  théologie 
en  grant  quantité  et  aucuns  autres  en  décret.  Et  si  ot  plu- 
seurs  évesques  et  abbés.  Et  fu  le  maistre  appelle  qui  celle 


(1350.)  PHELIPPE  DE  VALOIS.  497 

erreur  avoit  preschiée  à  Paris,  auxquels  le  roy,  en  sa  propre 
personne,  comme  désirant  de  la  foy  deffendre,  fist  deux 
questions  ;  la  première  fu  telle  ,  à  savoir  mon  se  les  âmes 
des  sains  voient,  dès  maintenant,  la  face  divine?  la  seconde 
si  fu,  à  savoir  mon  se  ceste  vision,  de  laquelle  il  voient 
présentement  la  face  de  Dieu,  faudra  au  jovu-  du  jugement 
qu'il  en  doie  venir  une  autre  vision.  Lors,  fu  déterminé  de 
tous  les  maistres  que  la  benoite  vision  que  les  sains  ont  à 
présent  est  et  sera  perdurable.  A  laquelle  déterminoison 
ledit  maistre  s'acorda  et  non  pas  de  très  bon  gré,  mais  ainsi 
comme  contraint.  Adonques  fist  faire  le  roy  trois  paires  de 
lettres  de  ladite  déterminoison  et  furent  scellées  de  trente 
sceaux  de  maistres  en  théologie  qui  là  présens  estoient, 
desquelles  le  roy  en  envoia  vme  partie  au  pape  et  luy  manda 
qu'il  corrigast  tous  ceux  qui  tendroient  l'opinion  contraire 
de  ce  qui  avoit  esté  à  Paris  par  les  maistres  déterminé. 

Si  povoit-on  veoir,  par  fait,  coment  le  bon  roy  Phelippe 
fu  vray  catholique ,  et  non  pas  sevdement  pour  les  deux 
choses  dessus  récitées,  mais  par  pluseurs  autres.  Pourquoy 
Notre-Seigneur  voult  que  il  eust  paine  et  tribulacion  en  ce 
monde,  afin  qu'il  peust  aveques  luy  régner  après  la  mort 
pardurablement.  Amen. 


Cy  finenl  la  vie  et  les  fais  de  PhcUppe-dc-f^alois. 


ADDENDA. 

I.  Pag.  107.  Note  i. 

Je  me  suis  trompé  gravement  dans  cette  note,  en  faisant  un  crime  aux 
auteurs  de  glossaires  d'avoir  enregistré  le  mot  gehiiie  dans  le  sens  de 
prison,  chartre.  Il  appartient  réellement  à  la  bonne  vieille  langue  fran- 
çoise.  On  a  dit  aussi  gaaine  dans  le  même  sens. 

II.  Page  )44.  Note  2. 

Cette  noie  renvoie  à  une  parenthèse  que  le  correcteur  a  jugé  à  propos 
de  supprimer  dans  le  texte  ;  elle  dcvoit  partir  du  commencement  de  la 
phrase  de  la  ligne  sepiième,  et  se  poursuivre  jusqu'à  la  ligne  anie-pénul- 
liémc  de  la  même  page. 

III.  Page  174.  Note. 

Si  l'origine  que  je  donne  au  proverbe  attendez-moi  sous  l'orme  ne 
paroit  pas  bonne,  on  n'en  conviendra  pas  moins  que  cette  façon  de  parler 
dut  venir  de  l'usage  de  planter  un  ou  deux  ormes  à  chacune  des 
entrées  de  la  ville.  Quiconque  arrivoit  trop  tard  aux  portes,  soit  pour 
répondre  à  un  rendez-vous,  soit  dans  l'espérance  d'entrer  promptement 
dans  la  ville,  se  voyoit  forcé  û' attendre  sous  l'orme  et,  le  plus  ordinai- 
rement, en  pure  perte. 

IV.  Page  221,  (Fin  de  la  grande  note.) 

Voici  les  paroles  de  M.  Michelet  : 

«  Louis  à  son  avènement  fit  étrangler  sa  femme  ,  afin  de  pouvoir  se 
»  remarier,  Blanche,  restée  seule  en  prison,  fut  bien  malheureuse. — 
»  Elle  fut ,  dit  brutalement  le  moine  historien,  engrossée  par  son  geôlier 
»  ou  par  d'autres.  Il  passe  outre  avec  une  cruelle  insouciance.  Peut-être 
»  aussi  n'ose-t-il  en  dire  davantage.  D'après  ce  qu'on  sait  des  princes  de 
«  ce  lemps,  on  croirait  aisément  que  la  pauvre  créature,  dont  la  pre- 
»  mière  faiblesse  n'était  pas  bien  prouvée,  fut  mise  à  la  discrétion  d'un 
»  homme  chargé  de  l'avilir.  » 

Cette  citation  offre,  il  faut  l'avouer,  le  résumé  des  défauts  du  travail 
de  M.  Michelet.  Toutes  les  sources  historiques  sont  employées,  mais 
arbitrairement  interprétées  et  parfois  inexactement  citées.  Certes,  le 
moine  historien  est  bien  loin  de  parler  aussi  brutalement;  j'ai  reproduit 
ses  expressions  page  221.  D'ailleurs,  pour  se  remarier,  Louis  X  n'avoit 
pas  plus  besoin  de  faire  étrangler  sa  femme  que  Gharles-le-Bel  de 
déshonorer  la  sienne.  —  Le  quidam  serviens  custodiœ  deputato  ne  signifie 
pas  le  geôlier  de  Blanche,  mais  l'un  des  gentilshommes  chargés  de  sa 
garde.  Supposer  qu'oH  eût  besoin  d'avilir  Blanche,  déjà  condamnée  et 
suffisamment  avilie  par  sentence  du  parlement,  c'est  confondre  les  épo- 


qucs  et  rappeler  bien  mal  à  propos  l'anecdote  que  Tacite  a  contée  de  la 
fille  de  Séjnn.  Charlcs-Ie-Bcl,  devenu  roi,  obtint  la  nullité  de  son  premier 
mariage  :  mais  pour  l'obtenir  il  se  garda  bien  d'alléguer  des  motifs  de  ce 
genre. 

Au  reste,  les  défauts  que  je  ne  crains  pas  de  signaler  n'empêclient  pas 
que  le  travail  de  M.  Michelet  ne  soit  le  plus  précieux  et  môme  le  plus 
remarquable  que  l'on  ait  entrepris  de  notre  temps  sur  l'histoire  de  Franco. 
Cet  habile  écrivain  a  du  moins  le  courage  de  trouver  dans  nos  annales 
quelques  beaux  endroits,  quelques  nobles  faits  et  quelques  grands  carac- 
tères. On  lui  doit  de  la  reconnaissance  pour  n'avoir  pas  systématique- 
ment déprécié  les  anciennes  mœurs,  les  anciennes  lois,  les  anciens  héros 
de  la  patrie.  J'oserai  même  ajouter  que  si,  nouveau  Niebuhr,  M.  Mi- 
chelet revient  un  jour  avec  sévérité  sur  sa  première  inspiration,  il  pourra 
doter  la  France  d'une  véritable  histoire.  Déjà  dans  ce  qu'il  a  publié  on 
reconnoit  plusieurs  beaux  fragmens  d'un  monument  national  :  puisse-t-il 
un  jour  les  réunir,  les  coordonner  et  surtout  les  séparer  de  tout  ce  qui 
les  dégrade  et  les  déshonore  ! 

V,  Page  230.  Note. 

Il  faut  d'abord  ajouter  que  cet  important  passage  et  l'alinéa  suivant 
éloienl  restés  inédits.  Puis,  dans  cet  endroit  de  la  deuxième  ligne  de  la 
page  suivante  :  Receu  fu  des  Flameus,  il  faut  retrancher  le/«. 

VI.  Page  305. 

On  a  tant  disputé  sur  les  droits  respectifs  de  Philippe  de  Valois  et 
d'Edouard  III  à  la  succession  de  Charles-lc-Bel,  que  nous  croyons  devoir 
ajouter  ici  le  début  de  l'histoire  de  Philippe  de  Valois ,  tel  que  les  édi- 
tions gothiques  l'ont  imprimé.  Il  offre  quelques  circonstances  de  plus  que 
le  texte  que  nous  avons  préféré  d'après  les  meilleurs  et  les  plus  nombreux 
manuscrits  : 

K  Après  la  mort  du  roy  Charles  qui  bel  fu  appelle,  lequel  avoit  laissé 
»  la  royne  Jehannc  sa  femme  grosse,  furent  assemblés  les  barons  et  les 
11  nobles  à  Iraicter  du  gouvernement  du  royaulme.  Car,  comme  la  royne 
n  de  France  fust  grosse,  et  on  ne  savoit  quel  enfant  elle  devoit  avoir,  il 
j>  n'y  avoit  celluy  qui  osast  à  soy  applicquer  le  nom  de  roy.  3Iais  seullc- 
»  ment  estoit  question  entr'culx,  auquel  comme  au  plus  prochain  devoit 
n  eslre  commis  le  gouvernement  du  royaulme;  mesmcmcnt  comme  au 
n  royaulme  de  France  femme  ne  succède  pas  personnellement  en 
>■  royaulme. 

«  Si  disoient  les  Anglois  qui  présens  estoient  pour  le  roy  d'Angleterre 
»  tant  comme  le  plus  prochain  et  nepvcu  du  roy  Charles  à  luy  devoit  venir 
"  le  gouvernement  du  royaulme.  Etmesmement  le  royaulme,  se  la  royne 
»  n'avoit  hoir  maie,  et  non  pas  à  Phclippe  de  Valois  qui  n'estoit  que  cou- 
i>  sin  germain.  Dont  plusieurs  docteurs  en  droit  canon  et  en  droit  civil 
n  qui  prcsens  estoient ,  disoient  que  à  Edouart  appartenoit  le  gouver- 
.1  nement  comme  au  plus  prochain.  Adoncques  fu  argué  à  rencontre  do 
»  ceux  qui  pour  le  roy  d'.\ngleterrc  là  estoient  et  contre  l'oppinion  d'au- 
»   cuns  docteurs  ol  leur  fu  dit  que  la  piochainelé  que  le  roy  d'.\nglclorrc 


B  devoit  avoir  ou  soy  disoit  avoir  ou  royaulme  de  France  ne  luy  vcnoil 
»  fors  que  de  par  sa  mère,  laquelle  avoil  este  ûlle  duroy  Plielippe-le-Bel. 
»  Et  la  coustuine  de  France  loule  commune  csi  que  lemnie  ne  succède 
»  pas  au  royaulme  de  France,  nonobstant  qu'elle  soit  la  plus  prochaine 
»  en  lignaige.  El  encore  fu  argué  qu'il  n'avoit  oncques  esté  veu  né  sceu 
»  que  le  royaulme  de  France  eust  eslé  soubmis  au  roy  d'Angleterre  né  à 
»  son  gouvernement.  Et  mesmcmcnt  que  ledit  roy  d'Angleterre  est  vassal 
»  du  roy  de  France  et  tient  de  luy  grant  partie  de  la  terre  que  il  a  pardessa 
»  la  mer.  Ces  raisons  oïcs  et  pluseurs  autres  par  lesquelles  le  roy  d'An- 
»  gleterrc  ne  devoit  pas  venir  au  gouvernement  du  royaulme,  nonobstant 
»  qu'il  fust  le  plus  prochain  de  par  sa  femme  au  roy  Charles;  il  fu  conclu 
»  par  aucuns  nobles  etmesmemenl  par  niessire  Robert  d'Artois,  si  comme 
»  l'en  disoit,  que  à  niessire  Phelippe  de  Valois,  fds  de  messire  Charles 
»  de  Valois,  devoit  venir  le  gouvernement  du  royaulme  de  France,  comme 
»  plus  prochain  par  ligne  de  hoir  maie.  Et  lors  fu  appelle  régent  du 
»  royaulme  de  France  et  de  Navarre.  Et  receut  les  hommages  du 
»  royaulme  de  France  et  non  pas  de  Navarre.  Car  Loys,  conte  d'Evreux, 
»  à  cause  de  sa  femme,  fille  du  roy  Loys  Hustin,  ainsné  fils  du  roy  Phe- 
«  lippe-lc-Bel,  disoit  à  luy  appartenir  ledit  royaulme  de  Navarre,  pour  la 
»  cause  de  la  mère  de  sa  femme.  Laquelle  avoit  este  femme  du  roy  Phe- 
).  lippe-le-Bel.  Mais  la  royne  Jehanne  de  Bourgoigne  disoit  le  contraire, 
»  et  que  à  sa  fille,  femme  du  duc  de  Bourgoigne,  devoit  appartenir.  Car 
i>  son  père  estoit  vestu  de  tous  les  drois  dudit  royaulme  quant  il  mourut. 
»  Semblablement  la  royne  Jehanne  d'Evreux  disoit  que  à  sa  fille  apper- 
•>  tenoit  par  plus  forte  rayson.  Et  là  eut  moult  grant  altercation  de  l'une 
»  partie  contre  l'autre  et  demoura  ainsi  la  chose  une  pièce  de  temps  en 
»  suspens.  » 


FIN    DU    CINQUIEME    VOLUME    DES    GRANDES   CIIRONIQUE.S    DE    FRANCK. 


DC 


yjyj  Chroniques  de  Saint-Denis 

50  Les  grandes  chroniques  de 

C5  France 

1836 
t. 5 


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